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Henri Frédéric Amiel 1821-1880 Un homme dont la vie s'écoula sans aventure

Publié le 05/04/2015

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Henri Frédéric Amiel 1821-1880 Un homme dont la vie s'écoula sans aventure et sans gloire, que ses concitoyens considéraient comme un original assez ordinaire et que les gamins du quartier appelaient " la mouche à miel " ; un professeur monotone qui écrivit nombre de poèmes, de chants et d'articles modérément loués par ses proches et ses collègues, mais fort ignorés du grand public ; un célibataire qu'entourèrent des affections féminines platoniques un peu ternes, et qui, à trente-neuf ans, connut une première et seule aventure amoureuse terminée au bout de trois semaines... Un homme qui, depuis sa vingt-cinquième année, écrivait un Journal où il notait ses réflexions sur la vie et la condition humaine, ainsi que les moindres faits de son existence, ses misères physiques, les pirouettes de son chat, ses déceptions, les malaises que lui causait un laxatif, le plaisir qu'il avait pris à faire des bulles de savon, les conflits locaux auxquels il se trouvait mêlé, mille de ces choses banales qui ne laissent nulle trace dans le souvenir des autres individus. Et cet homme, dont on a oublié les poésies, les études, les leçons, connaît depuis soixante-dix ans, dans les deux mondes, un renom qui ne cesse de grandir, grâce à ce Journal intime. Pourquoi ? Parce qu'il a osé s'y avouer tout entier ; parce que, selon le mot d'une de ses admiratrices (qui d'ailleurs le lui reproche), il s'y écoutait vivre. Amiel était né à Gen&egr...

« C'est alors qu'il composa la notice qui ouvre la série des grandes études consacrées au Journal intime par Renan, Caro, Bourget, Matthieu Arnold, Gaston Frommel, Léon Brunschwicg, Léon Bopp, Bernard Bouvier, Albert Thibaudet, Grégorio Maranon, Mauriac, Edmond Jaloux, Robert de Traz, Gérard Bauer.

Bien d'autres encore. Les éditions postérieures du Journal, plus étendues (celle de Bernard Bouvier, et celle qui comporte l'épisode de Philine , puis l'édition complète qu'a entreprise Léon Bopp) ont, en le faisant mieux connaître, multiplié les discussions autour de ce singulier écrivain, jusqu'alors laissé dans sa grisaille.

On l'a souvent moqué, on l'a qualifié de “ malade de l'idéal ” (Schérer et lui-même), d'imaginatif pur, de paranoïaque.

Cela ne suffirait point pour expliquer la tenace impression d'inquiétude dont il pénètre ses lecteurs, les associant étroitement à son propre sort et leur faisant trouver en lui certains éléments de leur pensée, qu'ils ignoraient ou méconnaissaient.

Car la valeur quasi unique du Journal vient de ce que le drame d'Amiel est, à des degrés divers, celui de la plupart des individus, et tient à la condition humaine elle-même : il dénonce et il illustre le dépaysement des humains sur la terre. Enfant délicat, qui s'isolait pour lire, Amiel vécut, en imagination, une vie à laquelle lui-même ne pouvait atteindre.

I1 passa ses jours, les yeux fixés sur un idéal dont il n'osait s'approcher, de peur de le voir s'évanouir.

Ardemment et vainement désireux de goûter la joie d'aimer et de se donner, il se voyait arrêté par la force même de son désir.

“ Éternelle disproportion entre la vie rêvée et la vie réelle ”, écrit-il ; oui, de même qu'entre l'homme et l'écrivain intime, entre la pensée et la parole écrite, entre les femmes dont les livres peuplaient sa mémoire et celles qu'il rencontrait dans la rue.

Dans sa timide horreur d'être dupe, Amiel préfère se duper lui-même, se retirer sous sa tente — où d'ailleurs il étouffe en pensant qu'on pourrait l'y abandonner.

Voilà plus de quatre-vingts ans qu'il a prononcé le mot de refoulement et analysé le symbolisme des rêves. Ainsi, passionné de l'indépendance qu'il n'avait pas la force de conquérir, pétri de désirs et redoutant ses instincts, cherchant à se blinder d'indifférence, lui qui gardait un c œ ur d'enfant, il se défend des sujets et objets auxquels il pourrait s'attacher, se détache de ceux auxquels il s'est livré, et s'efforce de s'habituer à vivre en dedans, à inventer ce qu'il aurait pu être s'il avait été : autre.

On ne saurait pousser la personnalité plus loin, mais le miracle est que, plus Amiel se consacre à lui-même et mieux il semble comprendre la nature et l'humanité. Son Journal est l'itinéraire d'une âme perdue dans le monde, qui proteste contre sa faiblesse, ne se résout pas à la nécessité de se prendre en faute et, dans une invincible nostalgie, cherche son climat, espérant toujours s'y épanouir.

C'est une tentative, poursuivie pendant trente-cinq ans, de “ rétablir l'intégrité de l'esprit et l'équilibre de conscience, c'est-à-dire la santé intérieure ”. Ces cent soixante-quatorze cahiers in quarto, qu'il a lui-même réunis dans treize cartonnages à dos de parchemin, ont servi de refuge à ce professeur célibataire et amplement barbu, livré à la soif de connaître et de se faire connaître, qui sentait son c œ ur trop étroit pour toute la tendresse dont il avait besoin.

Et qui surtout voulait se prouver. »

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