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Karl Marx par Harold Rosenberg New York Il nous faut retourner chez les

Publié le 05/04/2015

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Karl Marx par Harold Rosenberg New York Il nous faut retourner chez les sorciers, revenir au Shakespeare d'Hamlet ou de Macbeth, pour pénétrer dans un monde où des spectres, des êtres abstraits, des mots même, accèdent à l'existence comme chez Marx, où des " forces objectives " jouent un rôle comparable à celui qui est le leur dans le monde que Marx nous décrit - depuis cette " chose mystérieuse " (Le Capital, Part. I, Ch. I, Sec), la marchandise, qui flotte dans l'ombre des produits de l'industrie moderne, jusqu'à ces " personnifications de catégories économiques " dont Le Capital nous dit qu'elles sont les personnages du drame économico-politique. Chacune de ces entités, selon l'un des mots les plus caractéristiques de Marx, " acquiert, face aux individus, une existence indépendante " (L'Idéologie allemande) et domine le comportement des hommes. Ce sont elles qui fournissent à la fois les acteurs et les décors sur la scène de l'histoire ; hommes et femmes vivants, attachés à leur service par un lien magique, tel Caliban par la baguette de Prospero, n'agissent que pour réaliser leurs desseins. Et le héros lui-même - Marx prend soin de le démontrer - tout en s'imaginant suivre sa propre volonté, reflète en réalité dans sa pensée, dans ses sentiments, le mode de vie et les intentions de ce personnage collectif, la classe, qui l'a élu, et dont les fluctuations déterminent celles de son destin. Bien entendu, ces figures, ces puissances immatérielles ne sont pas, chez Marx, venues de la nature ou de l'au-delà dans le monde humain. Elles sont engendrées par les activités propres des hommes, et plus précisément, par leur activité la plus pratique. Ce sont des conduites cristallisées dont la forme a été modelée automatiquement par les sociétés historiques. Tout " fantômes " qu'elles soient, elles sont inséparables de la réalité humaine. Une classe sociale est pour Marx une " communauté illusoire ", mais qui émerge des relations les plus fondamentales, du " rapport matériel d'un homme avec un autre ", et les représente. Elle est entièrement composée d'alter ego, puisque les individus " n'appartiennent à elle qu'en tant qu'individus moyens " et non en tant que personnes ; cependant cette communauté de " doubles " est le seul terrain sur lequel l'individu puisse se réaliser lui-même. Pour Marx, le principe directeur de l'histoire est la métamorphose, laquelle veut que rien n'ait de réalité qu'à travers une fiction. Nous hésitons à qualifier de " mythes " ce système, ces constructions qui, loin d'être seulement mentales, constituent des formes historiques spécifiques. Et cependant, nous ne pouvons éviter d'en parler en termes d'imaginaire. " La différence, écrit Marx, entre l'individu personnel et l'individu accidentel n'est pas une distinction idéologique, mais un fait historique. Cette distinction a, suivant les époques, un sens différent. " (L'Idéologie Allemande) Dans l'histoire, comme dans le rêve, le passé s'incarne, et cela continuellement, dans les figures des vivants. Cette privation, cet escamotage du présent, de l'état éveillé, suscite l'angoisse générale ; nous sommes prisonniers de nos actes de soldats, d'ouvriers, de critiques radicaux, comme si ces actes se moulaient, en argile ou en métal, sur nos corps. La tyrannie du " déjà fait " exige que nos talents les plus réels nous trahissent, comme le lanceur de couteau de Maupassant, si expert qu'il ne pouvait, même volontairement, manquer son but, ne fût-ce que d'un cheveu. L'homme se fait contre lui-même - " le mort saisit le vif ", note Marx dans la préface. Mais il ne vise pas seulement à combattre les survivances anachroniques. Marx s'empresse de glorifier l'assaut formidable que livra le capitalisme contre les structures et les institutions traditionnelles, la critique scientifique à laquelle il soumit toutes les superstitions anciennes. " Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. " (Le Manifeste communiste) L'individu particulier émerge et proclame son indépendance, affirmant que son association avec les autres individus repose sur un libre contrat. Et cependant, le capitalisme n'a pas brisé l'étreinte qu'exerce le passé sur le présent. Il n'a dissipé les mirages de la religion que pour tomber lui-même sous la griffe de fantasmes séculaires. La société bourgeoise est elle-même née d'un mythe, explique le Dix-huit Brumaire : elle n'a pu accéder à l'existence qu'en faisant appel aux personnages et à la rhétorique de sociétés depuis longtemps disparues. Davantage, elle a fait de la mise au passé des énergies humaines le centre de son activité - car tel est le sens de cette quasi-chose, le capital, qui, dans notre société, dirige chaque geste, l'oriente. " Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail accumulé..., dans la société bourgeoise le passé domine donc le présent. " Au plus profond de la dynamique du capitalisme, Marx découvrit la matrice où les fétiches se reproduisent à l'infini. C'est vers ce centre immobile, d'où fusent, comme la vapeur d'une fissure, les émanations delphiques du capitalisme, qu'est dirigée l'analyse extraordinairement détaillée du Capital. Le travail mort, retrouvant, sous la forme du capital, une nouvelle énergie, projette un système d'entités abstraites qui va s'élargissant à l'infini, entités qui, en apparence, obéissent à leur volonté propre. Le Capital s'assigne pour tâche de retraduire chacune de ces excroissances magiques sur le plan de la matérialité humaine. Par-delà le système des " êtres indépendants ", la marchandise, l'argent, le marché, il met en lumière le processus suivant lequel le travail effectué est trans...
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