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LE PORT DU VOILE INTEGRAL : PEUT-ON LEGIFERER POUR L'INTERDIRE ?

Publié le 08/08/2012

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Insistons sur un point : l'exigence de la laïcité pèse sur l'État et non sur les personnes privées. Elle peut donc difficilement être invoquée pour interdire le port du voile intégral. L'État doit se comporter dans le respect de la laïcité, c'est-à-dire tolérer toutes les religions et n'en préférer aucune. Mais les personnes privées ne peuvent pas être soumises à une obligation de laïcité, car cela leur interdirait d'exercer librement leur liberté religieuse. Imposer aux personnes un devoir de laïcité, c'est leur refuser de manifester leur religion. Cela n'a pas de sens. Il est normal d'imposer cette exigence à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions parce qu'il incarne l'État, et doit, comme tel, ne manifester aucune préférence. Mais rien de tout cela ne justifie que l'on fasse peser une obligation quelconque sur le sujet de droit banal, saisi en dehors de toute fonction singulière, a fortiori publique. Par conséquent, la laïcité me paraît être un mauvais vecteur pour justifier la prohibition de la burqa.  ❖ Deuxièmement, peut-on se fonder sur l'ordre public et la sécurité publique pour interdire le voile intégral ?  En vérité, cette notion recouvre deux problèmes différents. On peut souhaiter rendre invariablement possible l'identification d'une personne. Mais on peut aussi vouloir se prémunir contre le risque de dissimulation, sous un vêtement très ample, d'armes ou d'explosifs, je vous rappelle à ce titre l'exemple donné par André sur son expérience en Algérie. On me dit que dans certains pays, comme l'Inde ou le Pakistan, la burqa est regardée avec inquiétude sous ce rapport, parce qu'elle permet assez facilement de commettre des attentats suicides. Reprenons ces deux angles de vue.

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« - la liberté de circuler, puisqu'une loi visant à empêcher les femmes de se promener en burqa dans la rue pourrait s'analyser dans une certaine mesure en unerestriction de leurs possibilités de déplacements et donc d'une atteinte à la liberté de circulation.Tout cela n'est ni anodin ni négligeable, et fait entrer de plain-pied dans une vraie problématique constitutionnelle et européenne.Troisièmement, il faut être très conscient du fait qu'une interdiction de la burqa ne serait considérée valable par les juges que si, et seulement si, elle répondait à deuximpératifs.▪ Primo, elle devrait être justifiée par une prescription juridique de même valeur que les règles dont je viens de parler, c'est-à-dire une prescription de typeconstitutionnel ou européen — la Convention européenne des droits de l'homme, par exemple. ▪ Secundo, et c'est probablement l'élément le plus important, la limitation ne devrait pas apparaître au juge comme disproportionnée.

La mission d'un juge moderneest de concilier des droits fondamentaux antagoniques, en examinant le caractère acceptable, car proportionné, de l'atteinte portée à l'un d'entre eux pour un motifréputé d'intérêt public.

Vous retrouvez là l'un des éléments de la question à l'étude des loges sur la conciliation entre liberté publiques et sécurité.

Ce contrôle deproportionnalité est commun au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l'homme.

Il impose, in fine, qu'il soit statué sur le point de savoir si larestriction d'une liberté apparaît véritablement nécessaire dans une société démocratique comme la nôtre, et non déséquilibrée en regard de l'exercice des autreslibertés.

Autrement dit, on ne peut pas faire n'importe quoi ; en tout cas, on ne peut plus du tout légiférer avec le quantum de liberté dont disposait le législateur il y aquelques années ou décennies.Nous avons donc à nous poser les questions suivantes.

Quels impératifs constitutionnels rendraient possible l'interdiction de la burqa ? Sont-ils solides, permettent-ilsd'envisager une prohibition proportionnée, équilibrée et, comme telle, acceptable selon les standards en vigueur ? Ou, au contraire, existe-t-il un grand risquejuridique à voter une loi de prohibition ?Pour y répondre, je vous propose de partir de l'idée que les pistes juridiques aujourd'hui disponibles pour envisager une interdiction de la burqa sont potentiellementau nombre de trois : le principe de laïcité ; la protection de l'ordre public et de la sécurité publique ; la dignité de la personne humaine et l'égalité des sexes, envisagéesous l'angle de la dignité des femmes.

Interrogeons ensemble ces fondements possibles, et demandons-nous s'ils sont à la fois efficients et suffisants pour justifierl'interdiction qui nous occupe.

Premièrement, peut-on se fonder sur l'exigence de laïcité pour interdire le port de la burqa ?C'est en effet tentant, d'autant que la Cour européenne des droits de l'homme a donné quelques signes de disponibilité à l'égard de cette idée, en particulier dans le trèscélèbre arrêt Leyla Şahin c.

Turquie.

Il s'agit d'une étudiante d'une vingtaine d'années dans une université en Turquie, qui s'était très violemment opposée à laprohibition, non pas du voile intégral, mais du hidjab.

La Cour européenne des droits de l'homme, interrogée sur la légitimité de la prohibition de ce voile prononcéepar la législation turque, a estimé acceptable d'interdire le port du voile dans les universités turques, au nom de la laïcité et a donné tort à la requérante.Peut-on transposer cette solution au cas qui nous intéresse ici ? Je ne le crois pas.

Et ce pour deux raisons.Dans son arrêt, la Cour insiste lourdement sur la situation tout à fait singulière de la Turquie, la décrivant comme un pays assiégé, très fragilisé par la menaceislamique et dont l'existence et l'identité politiques reposent sur la solidité du postulat de laïcité.

Or une prohibition du voile intégral ne pourrait pas être considéréecomme également valable dans des pays beaucoup moins en situation de péril existentiel jusqu'à plus ample informé.Secundo dans son arrêt de 2009 Aktas c.

France, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas condamné la France pour prohibition du port du voile à l'école.Bien au contraire, la Cour a considéré légitime qu'une jeune fille qui refusait de libérer sa chevelure en cours de gymnastique soit exclue de son lycée.

Mais denouveau, cette décision est un faux ami pour les ennemis de la burqa dans la rue, car elle concerne le cas d'un lycée, et donc des sujets de droit réputés fragiles, pourlesquels, comme déjà dit, il existe un devoir très singulier de protection.

Rien de tout cela n'est automatiquement transposable dans la rue, a fortiori à des personnesmajeures.Insistons sur un point : l'exigence de la laïcité pèse sur l'État et non sur les personnes privées.

Elle peut donc difficilement être invoquée pour interdire le port du voileintégral.

L'État doit se comporter dans le respect de la laïcité, c'est-à-dire tolérer toutes les religions et n'en préférer aucune.

Mais les personnes privées ne peuvent pasêtre soumises à une obligation de laïcité, car cela leur interdirait d'exercer librement leur liberté religieuse.

Imposer aux personnes un devoir de laïcité, c'est leurrefuser de manifester leur religion.

Cela n'a pas de sens.

Il est normal d'imposer cette exigence à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions parce qu'il incarnel'État, et doit, comme tel, ne manifester aucune préférence.

Mais rien de tout cela ne justifie que l'on fasse peser une obligation quelconque sur le sujet de droit banal,saisi en dehors de toute fonction singulière, a fortiori publique.

Par conséquent, la laïcité me paraît être un mauvais vecteur pour justifier la prohibition de la burqa.

Deuxièmement, peut-on se fonder sur l'ordre public et la sécurité publique pour interdire le voile intégral ?En vérité, cette notion recouvre deux problèmes différents.

On peut souhaiter rendre invariablement possible l'identification d'une personne.

Mais on peut aussivouloir se prémunir contre le risque de dissimulation, sous un vêtement très ample, d'armes ou d'explosifs, je vous rappelle à ce titre l'exemple donné par André surson expérience en Algérie.

On me dit que dans certains pays, comme l'Inde ou le Pakistan, la burqa est regardée avec inquiétude sous ce rapport, parce qu'elle permetassez facilement de commettre des attentats suicides.

Reprenons ces deux angles de vue.Invoquer la nécessité de se protéger contre la dissimulation d'armes ou d'explosifs n'est guère convaincant de prime abord.

Un tel message politique donnerait l'imaged'une France en danger, en situation de quasi-guerre civile ou en proie à une menace terroriste justifiant des interdictions drastiques.

Je ne suis pas persuadé que cefondement soit très facilement utilisable politiquement, ni qu'il apparaisse proportionné aux yeux du juge en l'état actuel du risque pesant apparemment sur laFrance ; Du moins pour l'instant.

En outre, cette mesure apparaîtrait probablement disproportionnée, car discriminatoire.

En effet, si l'on veut se prémunir contre toutrisque de dissimulation d'une arme ou d'un explosif, il faut interdire le sac à dos, la mallette, le boubou et même la soutane…, qui posent exactement le mêmeproblème ! En tout cas, une interdiction sélective de la burqa sur ce fondement bien précis me semble relever assez largement de la plaisanterie.Secundo, peut-on envisager d'interdire la burqa, au motif que tout le monde doit se rendre immédiatement identifiable en toute circonstance ? Rappelons que notreproblème ne concerne pas des lieux fermés placés sous vidéosurveillance, mais l'espace public au sens large.

S'il ne fait aucun doute qu'un agent de police aparfaitement le droit de demander à une femme en burqa de dévoiler son identité (et donc son visage) sur le champ, cela ne résout pas la question de savoir si uneidentification immédiate peut être imposée de manière générale, hors de toute demande de cet ordre.

Existe-t-il en droit français une obligation d'apparaître tête nuedevant tous les dispositifs de vidéosurveillance urbains, à l'effet de montrer son visage et de pouvoir être reconnu ?Là encore, je doute de la solidité juridique d'une telle interdiction.

La jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel n'indique pas que les citoyens sont obligés dedévoiler leur visage en permanence, d'être reconnaissables en tout lieu et en toutes circonstances, alors même qu'aucun officier de police ne procède à un contrôled'identité.En outre, une telle justification risque d'être discriminatoire.

Faut-il verbaliser les gens qui portent un casque de moto dès qu'ils mettent un pied à terre, ou unecasquette à longue visière, car eux aussi cachent leur visage face aux dispositifs de vidéosurveillance ?Par ailleurs, cette interdiction laisserait entendre que l'État dispose du droit d'exercer une surveillance visuelle active de portée tout à fait générale, assortie d'uneconservation longue des données permettant de procéder à toutes les identifications.

La Cour européenne des droits de l'homme ne semble pas favorable du tout à cegenre de choses.

La mise en cause de la vie privée lui paraît trop élevé, notamment, dès lors que l'encadrement de la conservation des données, en particulier, n'est passuffisant.

Il faut sans doute se montrer très prudent dans ce registre.

En tout cas, de prime abord, la justification d'une prohibition de la burqa au motif que le visagedoit être invariablement identifiable paraît franchement mal assurée.

Troisièmement, la dignité de la personne humaine et l'égalité des sexes peuvent-elles justifier la prohibition de la burqa ?Je comprends que cette perspective puisse apparaître tentante, c'est d'ailleurs la position que semble avoir pris le G.O.

dans son communiqué de novembre 2009 maiségalement et en particulier au regard de la jurisprudence du Conseil d'État issue de l'arrêt dit de Morsang-sur-Orge sur la fameuse affaire dite du « lancer de nain ».Entrepreneur de spectacles, M.

Wackenheim se produisait dans des boîtes de nuit où il se faisait expédier sur des coussins lointains par de gros imbéciles quitrouvaient cela très drôle.

Au nom du respect de la dignité de la personne humaine, le Conseil d'État valida l'interdiction de ce spectacle détestable, prononcée par lemaire de Morsang-sur-Orge.

Autrement dit, il fit prévaloir une conception de la dignité de la personne humaine dans laquelle la collectivité publique a capacité à dire. »

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