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Les Égyptiens par Jean Vercoutter Directeur du Service des Antiquités du Soudan La curiosité pour l'art égyptien s'est éveillée en France avec le romantisme.

Publié le 05/04/2015

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Les Égyptiens par Jean Vercoutter Directeur du Service des Antiquités du Soudan La curiosité pour l'art égyptien s'est éveillée en France avec le romantisme. Ce n'est point un hasard si la Lettre à Dacier de Champollion (1822), qui apprend au monde savant que les " hiéroglyphes " ne sont plus lettre morte, que la publication de la Description de l'Égypte (1823), l'inauguration de la collection égyptienne au Musée du Louvre (1826), se trouvent contemporaines des Poèmes antiques et modernes (1826), de Jocelyn (1836) et de la bataille d'Hernani (1830). Le goût des ruines, si cher aux romantiques, n'a certes pas été sans influencer la recherche égyptologique à ses débuts : Champollion, par ses opinions politiques comme par son style, est bien un romantique et l'on a pu écrire un long article sur le vocabulaire égyptologique dans l'oeuvre de Balzac. Le Roman de la Momie comme l'Aïda de Verdi ne furent que le prolongement de cet attrait que l'Égypte exerça sur les esprits de 1820 à 1850. Je me suis souvent demandé si ce n'est pas à cette époque qu'il faut faire remonter le jugement, si répandu encore aujourd'hui, de l'étrangeté, de la rigidité, de l'inhumanité pour tout dire, de l'art égyptien. Et, en effet, quel art pouvait être plus étranger à l'esprit romantique, tout d'impatience et de passion, que l'art égyptien, si mesuré, si intérieur ? Cette immobilité apparente de l'art égyptien fait que l'on a encore tendance aujourd'hui à le considérer comme un phénomène isolé dans l'histoire générale des arts, une sorte de création ex nihilo qui, figée dans son hiératisme, n'aurait eu ni inspirateur, ni imitateur. Rien n'est plus faux que cette opinion. Malgré son souci évident de conservatisme et de continuité - souci qui prend racine dans l'esprit même des Égyptiens préoccupés avant tout de religion - l'art égyptien, et particulièrement l'architecture, est vivant et n'a pas laissé d'avoir une profonde influence sur l'histoire de l'art en général et celle de l'architecture en particulier. Je n'en veux pour preuve que le nombre de mots que le vocabulaire moderne a conservés et qui se rapportent à des formes architecturales ou sculpturales égyptiennes, tels que " pyramide ", " obélisque ", " pylône ", " sphinx ", " gorge égyptienne ", etc. Une longue tradition et notre assidu commerce avec l'art grec nous ont fait perdre de vue que, dans bien des cas, ce fut en Égypte que les Hellènes trouvèrent l'inspiration. Pour ne prendre qu'un exemple, vers 1400 av. JC les architectes d'Hatchepsout et d'Amenophis IV ont eu l'idée de se servir du corps humain pour soutenir les architraves de leurs temples - quelque mille ans avant que les Grecs n'eussent imaginé l'Erechtheion. J'entends bien que l'esprit des deux arts est essentiellement différent, mais lorsqu'on sait combien souvent les Grecs - dès l'époque mycénienne - visitèrent l'Égypte, il faut bien admettre que, dans nombre de cas, ce fut dans la vallée du Nil qu'ils virent pour la première fois des formes architecturales qu'ils adoptèrent en les transformant selon leur génie. Par l'intermédiaire grec, l'Égypte a donc eu une influence certaine - bien que difficile à apprécier dans toute son étendue - sur l'art méditerranéen et, partant, sur l'architecture occidentale. Les siècles obscurs L'Égypte fut, avec la Mésopotamie, la première civilisation à acquérir une véritable architecture au sens moderne du mot, mais les origines de cette architecture, que nous aimerions mieux connaître, se perdent quelque peu dans l'inconnu préhistorique. Les premières agglomérations humaines, dans la vallée du Nil, qui remontent au néolithique d'abord, puis à l'énéolithique, utilisent la hutte circulaire, mais assez rapidement le plan carré ou rectangulaire apparaît. Les deux plans différents reflètent sans doute le passage d'un état " primitif " de l'art de construire, à ce que l'on est convenu d'appeler la " civilisation ". En effet, si le plan circulaire convient aux matières premières, légères et souples : lianes, branchages et nattes, qui servaient à construire des huttes, le plan rectangulaire paraît trahir l'utilisation de matériaux différents plus rigides et plus importants : poutres et briques. De cette invention devait sortir l'architecture de pierre, la plus ancienne connue, et la seule à vrai dire que nous puissions étudier. N'oublions pas toutefois qu'elle est loin d'être l'architecture originelle de l'Égypte. Or, ce qui caractérise la civilisation pharaonique, c'est son extrême conservatisme. Étudier l'architecture de pierre sans connaître les formes primitives de bois et de terre crue qui l'ont précédée serait se condamner à ne jamais comprendre la majeure partie des éléments structuraux ou décoratifs que les architectes égyptiens utilisèrent de tout temps et qui donnent à leurs réalisations ce caractère de style, d'unité, qui frappe tout observateur. Pour bien apprécier les réalisations architecturales pharaoniques il nous faudrait aussi faire abstraction de notre conception de l'espace et de l'art, et, revenant en arrière dans le temps, nous rappeler que les artistes égyptiens ne conçurent jamais leur oeuvre comme étant de nature esthétique - mais bien magique. C'est en cherchant à maîtriser une réalité idéale qu'ils abordent les tâches qui leur sont assignées, il n'y a rien de gratuit, de spontané, d'inspiré, dirions-nous, dans l'art égyptien, tout y est voulu en fonction du but religieux que doit atteindre l'oeuvre. Celui qui n'est pas préparé à faire cet effort ne comprendra jamais l'essence de l'Égypte. Il sera attiré par le charme esthétique de nombreuses oeuvres, il n'atteindra jamais le coeur du problème. A l'époque historique l'architecture égyptienne, pénétrée de symbolisme, me semble influence par deux tendances - une tendance que j'appellerai végétale, dont le meilleur exemple est sans doute les colonnades à chapiteaux floraux des salles hypostyles, et une tendance cosmique que nous retrouvons dans la pyramide, l'obélisque et le pylône. Mais avant de se cristalliser dans ces formes caractéristiques, toutes pénétrées de symbolisme, l'Égypte a connu une architecture plus ancienne encore, que le jargon moderne n'hésiterait pas à qualifier de " fonctionnelle ", nous retrouvons le souvenir de cette architecture à toutes les époques. Cette architecture primitive de l'Égypte, qui fait suite à la construction des huttes rondes recouvertes de nattes, ne comporte que des lignes verticales et horizontales, et sa sobriété lui donne à nos yeux un caractère tout actuel. Elle consiste en une charpente de poutres dont les intervalles étaient masqués par des nattes ou des rideaux de toile que l'on pouvait baisser ou relever à volonté. Ces nattes ou rideaux s'enroulaient sur les éléments horizontaux de la charpente formant alors un rouleau caractéristique qui est à l'origine des " tores ", placés sous les linteaux des portes des mastabas. Ces constructions, l'architecture de pierre égyptienne la plus ancienne non seulement s'en est inspirée, mais encore les a copiées servilement, et la façade " à redans ", si caractéristique de l'architecture des premières dynasties, n'est que l'imitation en pierre des montants verticaux et des traverses des maisons primitives. Il n...

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