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Martin Heidegger par A.

Publié le 05/04/2015

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Martin Heidegger par A. De Waelhens Professeur à l'Université de Louvain Il y a, dirait-on, une antinomie sans cesse croissante entre le sens que l'oeuvre de Martin Heidegger prend au regard de son propre développement et celui qui se manifeste dans l'influence considérable exercée par Sein und Zeit (l'Être et le Temps, 1927), son livre principal, à l'époque de sa parution et lorsqu'il semblait fournir l'expression presque définitive (quoique incomplète, puisque le livre est inachevé) d'une philosophie, dont les traits majeurs et les prises de position essentielles apparaissaient, de l'avis général, fixés. Sous cette dernière forme, la doctrine heideggerienne a été une des sources - et peut-être la principale - de ce qu'on a nommé l'existentialisme, c'est-à-dire d'une philosophie soucieuse avant tout d'expliciter l'expérience concrète de l'homme et de son comportement, et appuyée tout entière sur des " descriptions " de " situations ", d'attitudes et " d'institutions " (au sens que Husserl donne à Einstellung), portées au niveau de l'universel sous la caution des consignes méthodologiques prescrites par la phénoménologie. Au lieu que si l'on considère aujourd'hui l'ensemble de la pensée heideggerienne, on la voit consciemment décidée à n'être qu'une remise en mouvement du problème " présentement oublié ", qui tisse la trame de toute la pensée occidentale (ce qui signifie pour Heidegger toute la philosophie, qui est aussi la seule philosophie, issue de la Grèce) : le problème de l'être. Quoi qu'il en soit de malentendus plus ou moins importants, la thèse ne semble pas folle qui voudrait concilier les deux points de vue et montrer que, pour Heidegger, le problème de l'être est le problème de la relation de l'homme à l'être (ou, plus récemment, de l'être à l'homme). Si, d'autre part, on rend manifeste que cette relation à l'être est ce qui distingue l'homme de tout autre " étant ", que la compréhension de l'être le définit et qu'ainsi elle fournit le fondement et l'origine de toute explication touchant sa " nature " - plus exactement son propre " être " - alors, on sera autorisé à prétendre que c'est une seule et même chose que de traiter du problème de l'être et que d'expliciter " l'essence " de la condition humaine. Que l'homme soit " naturellement " doué de la compréhension de l'être n'est pas un fait contestable. Mais il n'est pas davantage contestable que, si on cherche à expliciter cette compréhension et à en dire le sens (et non plus seulement à en user pour vivre, travailler, s'entretenir avec autrui ou soi-même, faire de la science, etc.), on ne sort pas aisément des banalités les plus vagues et les plus générales : l'homme " est ", le cheval " est ", le monde " est ", l'oeuvre d'art " est ", et aussi la Cour de cassation, la Révolution française, l'atome, Dieu peut-être et les anges ; chacun comprend le sens de ces phrases, entend que le " verbe " être y est différemment " visé " puisque ces " choses " ne sont pas de la même manière. Quant à penser exactement la nature et le sens de ces différences, qui donc y parvient ? Sont-ce bagatelles ou distinctions byzantines ? Le prétendre, c'est encore avancer une compréhension de l'être, pas plus claire que les autres mais apparemment fausse, puisque aussi bien toutes nos affirmations, toutes nos attitudes et jusqu'à nous-mêmes impliquons cette compréhension, prenons position à son égard, tandis qu'elle fournit, d'autre part, le thème central - et en dernière analyse unique - de toute la réflexion philosophique occidentale. Renoncer à comprendre explicitement l'être, c'est donc renoncer à comprendre vraiment quoi que ce soit. Mais l'importance et l'urgence d'une telle tâche ne nous en fournissent pas magiquement les moyens. On pourrait, il est vrai, s'en tenir à l'histoire de la philosophie puisque, on vient de le dire, elle a fait de cet objet le thème central de ses recherches. Or, il est arrivé que cette histoire, de Platon à Nietzsche, a orienté sa méditation de l'être en une direction qui a compromis et " oublié " le sens de son problème à un point tel qu'elle a été amenée à faire silence et à méconnaître la période d'elle-même où cette déviation n'était pas encore intervenue, la période de la pensée qui précède Platon, la période d'Héraclite et de Parménide. La philosophie platonicienne et post-platonicienne, en effet, est tout entière fondée sur l'identification de l'être et de l'étant que, par l'intermédiaire de l'eidos, Platon inaugure. Alors que l'être est ce qui constitue la présence de la réalité présente (et non, sans plus, cette réalité elle-même), alors qu'il est ce qui permet que nous prenions des " vues " de cette réalité (et non ces " vues " elles-mêmes), le platonisme commence par tenir ces " vues ", sous le nom d'idées, pour l'être lui-même. Il identifie ensuite ces " vues " ou ces idées à l'étant, qui se trouve ainsi " idéalisé ". Certaines traditions post-platoniciennes ont vigoureusement remis en question ce statut autonome de l'idée ; elles n'ont plus jamais contesté la coïncidence de l'étant et de l'être. La métaphysique, sous le nom et les apparences du problème de l'être, ne s'est donc plus préoccupée que d'apories touchant la hiérarchie des étants et, en particulier, de celles qui ont trait à la nature et aux propriétés de l'étant suprême, érigé en mesure de tous les autres. Mais cette coïncidence ne définit nullement - tout au contraire, pense Heidegger - la vérité de l'être et de l'étant ; elle est plutôt l'oubli de cette vérité. Heidegger nomme âge de la métaphysique ou, plus simplement, métaphysique, la période de l'histoire de la pensée qui repose sur cette identité. Une remise en mouvement du problème de l'être devra donc nécessairement s'accompagner d'une " destruction " (le mot figure plusieurs fois dans divers écrits de l'auteur, qui y attache une grande importance) de la métaphysique. Ce ne sera pas là, cependant, une oeuvre purement négative ; il ne faut pas se borner à écarter ou à renverser le point de vue de l'ontologie classique : il faut montrer que l'" oubli " qu'elle pratique a un sens pour le problème de l'être lui-même. L'homme est relation à l'être ; ce qu'il explicite comme la signification de l'être lorsqu'il réfléchit cette relation, importe toujours et nécessairement à cette relation elle-même, alors même que cette explicitation serait non-vérité. Il faut donc repartir à nouveaux frais et reposer le problème de l'être. Comment y procéder et où trouver le fil conducteur de cette recherche ? Les faits viennent ici à notre secours en nous imposant une solution. L'homme est le seul étant capable d'interrogation qui nous soit accessible ; il est aussi le seul qui ait - apparemment - une relation à l'être. Car il ne se rapporte pas seulement aux étants, aux choses en tant que ceux-ci forment le terme immanent ou transcendant de ses propres activités : il prend distance à leur égard et les considère comme étants. Or, nous dit Heidegger au temps de Sein und Zeit, la saisie de l'ét...
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