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1 Il jeta un regard à sa montre.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

1 Il jeta un regard à sa montre. Plus que dix minutes... Yvan Sauvage parcourut ses fiches pour la énième fois, de quoi le maintenir sous pression. Expert en art et commissaire-priseur, il s'apprêtait à réaliser l'une des ventes les plus courues de l'année. Dans la grande salle des enchères de Christie's, des pièces rares ayant appartenu à la dernière lignée royale française allaient changer de mains. Près de cinq cents lots provenant pour l'essentiel de l'appartement de la rue de Miromesnil seraient adjugés au plus offrant. Yvan, sourd à l'agitation qui l'entourait, se remémorait les annotations qu'il avait surlignées au Stabilo. Chaque détail, chaque mot comptait, et pouvait relancer ou non les enchères. Il finit par lâcher ses fiches. Trop fébrile, le trac le gagnait. Malgré son expérience, rien ne changerait jamais, il avait besoin de cette montée d'adrénaline avant d'affronter la salle. La météo annonçait une chaleur inhabituelle en ce début de printemps, il fallait espérer que le climatiseur ne leur ferait pas défaut. Dans le brouhaha alentour, Yvan perçut l'écho d'une voix qui lui était familière. Il tourna la tête et reconnut la silhouette un peu voûtée et la coupe en brosse d'un ancien camarade de l'école du Louvre, Henry Dumont. Ce dernier avait fait une brillante carrière et dirigeait le service du patrimoine au ministère de la Culture. Les deux condisciples déjeunaient ensemble de temps à autre pour échanger des potins et s'informer des dernières nouvelles touchant au marché de l'art. Henry Dumont s'entretenait à cet instant avec le professeur Faure, un de leurs enseignants de l'époque. À la retraite depuis de nombreuses années, ce spécialiste de la Renaissance française semblait avoir conservé les traits immuables d'une vieillesse sans âge. Yvan fit un détour pour les saluer. Leur discussion roulait sur l'une des marottes du professeur Faure, les arcanes secrètes du règne des Valois. Ce sujet d'études finirait par l'enterrer, mais la passion brillait comme au premier jour dans les yeux de l'érudit. Faure et Dumont, quoique habitués des lieux, n'étaient pas venus pour enchérir, mais pour la fièvre qui émanerait de cette vente exceptionnelle. -- Mon cher Yvan, je compte sur vous pour conserver leur valeur à ces pièces historiques, dit le professeur Faure. -- Il fera des miracles, affirma Dumont avec un clin d'oeil ironique. Yvan soupira. -- N'en rajoutez pas, par pitié... Nous serons trois commissaires-priseurs à nous relayer pour présider les enchères. La succession de Mgr le comte de Paris et de Mme la comtesse de Paris est un véritable challenge. Ça devrait durer une dizaine d'heures. Soudain, Faure, sans doute incommodé par la foule, porta la main à sa poitrine, pâlit et chancela. En voulant prendre appui sur un guéridon, il laissa tomber au sol le dossier qu'il portait sous le bras. Aussitôt, Yvan se précipita pour soutenir le vieil homme. -- Professeur, tout va bien ? -- Oui, oui, juste un vertige, rien de méchant, la chaleur sans doute. Je vais aller me chercher un rafraîchissement si vous le voulez bien. -- Je vous y conduis..., fit Yvan en adressant un signe de tête rassurant à Dumont. Il entraîna Faure quelques pas plus loin, à l'écart des techniciens qui installaient les objets de la vente. -- Ne perdez pas de temps, Yvan, votre pupitre vous attend. -- Vous ne voulez pas que je fasse appeler un médecin ? Le vieil homme fit un geste de dénégation. -- Laissez, ce n'est pas la première fois, et je me sens déjà mieux. -- Comme vous voudrez, mais promettez-moi de vous ménager. -- Filez, Yvan, vous avez à faire. Il n'avait pas tort, on l'attendait déjà. -- À bientôt, professeur. Yvan se fraya un passage dans les coulisses devenues impraticables, signe que tout allait commencer d'un instant à l'autre. Malgré la cohue, il eut la présence d'esprit de repérer le dossier que Faure avait laissé choir pendant son malaise, s'en saisit et chercha des yeux Henry Dumont pour le lui confier. Mais celui-ci s'était volatilisé. Yvan rangea les documents dans la mallette qu'il conservait avec lui. Il les lui rapporterait, ce serait l'occasion de revoir le vieux maître et de prendre de ses nouvelles.   Le catalogue Christie's était consulté avec attention par les collectionneurs du monde entier. Près de deux mille personnes avaient défilé dans les salons où étaient exposés les objets de la succession. On les avait mis en scène dans des décors d'époque aux éclairages tamisés. Tout avait été conçu pour ressusciter les riches heures de la Maison de France. Yvan avait le redoutable privilège d'ouvrir la vente. S'offrir les reliques d'une dynastie royale était un luxe réservé aux plus fortunés. Toutefois, on comptait dans l'assistance des amateurs aux revenus modestes, mais animés d'une telle passion qu'ils n'hésiteraient pas à s'endetter sur cinq ou dix ans pour arracher un trophée. La monarchie avait encore ses dévots. Pour les successeurs, la vente de ces biens représentait un moment solennel. Les objets les plus chers au coeur de la famille n'avaient pas été intégrés au catalogue. Dans ce genre d'affaires, les négociations pouvaient s'avérer âpres. Comme chaque fois, des membres de la parenté étaient dans le public. Il arrivait que certains rachètent un meuble, un tableau, un bibelot. L'estimation de l'ensemble des lots avoisinait ce jour-là un million d'euros. Au vu de l'engouement suscité dès l'ouverture, les commissaires-priseurs affichaient une certaine confiance, leurs prix de réserve en attestaient. La convoitise rendait les gens nerveux. À mesure que les lots partaient et que les bras se tendaient, l'effervescence gagnait la salle, des grognements ou de petits cris se faisaient entendre. On s'épongeait le front... Les souvenirs de Louis XVI s'envolèrent pour près de trois cent mille euros, dont cent mille pour une bourse brodée par Marie-Antoinette. La plume avec laquelle le roi Louis-Philippe avait signé l'acte d'abdication du 24 février 1848 fut adjugée pour la somme de quinze mille euros. Les téléphones et la cellule internet accéléraient la cadence des offres. Une journée comme celle-ci avait de quoi mettre sur le flanc le plus chevronné des « teneurs de marteau ». C'était au commissaire-priseur de donner le tempo et d'accorder les violons. Il orchestrait la vente, attribuait les rôles, suscitait chez certains un regard ébloui pour avoir emporté la timbale, chez d'autres du dépit pour s'être fait souffler l'affaire. Les enchères tenaient des courses hippiques et de la roulette du casino. Pour rien au monde, Yvan n'aurait manqué le spectacle. Tout l'excitait, depuis la prisée permettant d'estimer les biens et la mise en place des pièces jusqu'au tourbillon final. La valeur sentimentale d'une oeuvre acquise dans de telles circonstances était sans égale. La fureur de l'achat se portait ce jour-là sur des reliques chargées d'histoire, de prestigieux débris, inestimables pour certains, et qu'Yvan n'entendait pas brader. C'était servir l'intérêt d'une famille mais aussi respecter la mémoire d'un nom. Sa tâche accomplie, Yvan eut une pensée fugace pour Lise, la femme avec laquelle, il y avait peu de temps encore, il partageait toutes ses émotions. Son visage se crispa. Il s'efforça de balayer aussitôt ce souvenir. -- Yvan, ça va ? lui lança un de ses confrères. -- Mais oui... Quelle vente, n'est-ce pas ? -- Couronnée de succès, c'est le cas de le dire... Félicitations, mon cher. Yvan sourit à demi, mal à l'aise. Son interlocuteur jeta un regard autour de lui, comme pour découvrir les raisons de ce trouble, mais la salle était vide. Yvan ne s'attarda pas. Son confrère le vit s'éloigner à grandes enjambées, serrant contre lui sa mallette. Celle-ci renfermait un dossier dont la couverture portait la reproduction d'une gravure ancienne. Une salamandre. L'animal mythique du bestiaire médiéval s'y lovait dans les flammes en crachant des gouttes d'eau. * Épuisé par la journée, Yvan s'affala dans le canapé et desserra son noeud de cravate avant d'envoyer valser ses mocassins sur le tapis. Il appréciait d'autant plus ce moment de détente qu'il avait le sentiment d'avoir remporté une bataille. Il contempla la mallette en cuir qu'il avait nonchalamment déposée à côté de lui. Elle ne l'avait pas quitté depuis près de dix ans. Il caressa le cuir tanné, toujours aussi souple sous la pulpe des doigts. C'était le premier cadeau que Lise lui avait offert. Aujourd'hui, il y tenait plus que jamais. Il laissa tomber sa tête en arrière et ferma les yeux. Lise était partie loin, très loin, de l'autre côté de l'Atlantique, à Manhattan. Ding... Le carillon venait de sonner. Yvan fit la moue avant de bondir. Il avait complètement oublié ce rendez-vous. Il rangea quelques affaires traînant sur le bar et courut ouvrir. -- Bonsoir, monsieur Sauvage. Je ne vous dérange pas ? Nous avions rendez-vous ce soir, fit l'agent immobilier, perchée sur des talons aiguilles, la mèche gothique, le vernis mauve, toute de cuir vêtue. Un couple la suivait. Il souhaitait acheter la maison et revenait la visiter. -- Entrez, dit Yvan d'une voix sourde tant il avait du mal à masquer sa fatigue. Il partit ensuite s'isoler dans son bureau, laissant la vamp faire son travail. Il sortit le contenu de sa mallette et mit ses dossiers de côté pour examiner celui égaré par le professeur Faure. Il passa la main sur la salamandre et colla son visage sur le papier pour en sentir l'odeur d'encre. Ce dossier ne lui appartenait pas, et Faure avait la réputation de ne rien divulguer de ses travaux en cours. Sans doute n'apprécierait-il pas qu'un tiers en prenne connaissance sans y avoir été autorisé... Un coup frappé à la porte incita Yvan à refermer aussitôt le porte-documents. L'agent immobilier, une main crispée sur la sangle de son sac, le considérait avec une expression bizarre, à la fois sévère et réjouie. -- C'est fait... Mes clients se portent acquéreurs du bien, mais ils posent une condition. Yvan lui adressa un regard qui dut lui paraître idiot tant il se sentait étranger à l'affaire. Il n'en suivit pas moins la commerciale dans le salon pour s'expliquer avec les acheteurs. Le mari prit la parole, sur un signe de tête de son épouse. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, flottant dans un complet veston tel que les flics en portaient jadis dans les films de série noire. Le genre à se faire engueuler chez lui. -- La maison nous convient, la proposition faite par l'agence également. Toutefois, nous aurions besoin d'emménager dans deux semaines. -- Deux semaines ? lâcha Yvan, surpris, persuadé d'avoir mal compris. Trouver un autre logement dans un délai aussi court me semble difficilement envisageable. -- C'est une offre ferme et nous avons toutes les garanties, lui glissa l'agent entre ses dents. Elle était pressée de conclure. Yvan n'avait plus le temps de peser sa décision. En réalité, il n'avait guère le choix. -- C'est entendu, vous pourrez disposer des lieux dans quinze jours. Il était résigné mais soulagé. Il lui fallait en finir au plus tôt, déserter sa vie d'avant. Les visiteurs repartis, Yvan regagna son bureau et contempla à nouveau la salamandre qui ornait la page de couverture du dossier. Il ne ferait qu'y jeter un oeil, juré. Tout en feuilletant les premières pages, de lointains souvenirs remontèrent à la surface. Il retourna à la page de garde, fronça les sourcils et s'abîma dans sa lecture jusque tard dans la nuit.

« ses dévots.

Pourlessuccesseurs, lavente deces biens représentait unmoment solennel.

Lesobjets les plus chers aucœur delafamille n’avaient pasétéintégrés aucatalogue.

Danscegenre d’affaires, les négociations pouvaients’avérerâpres.Comme chaquefois,desmembres delaparenté étaientdansle public.

Ilarrivait quecertains rachètent unmeuble, untableau, unbibelot.

L’estimation del’ensemble des lots avoisinait cejour-là unmillion d’euros.

Auvude l’engouement suscitédèsl’ouverture, les commissaires-priseurs affichaientunecertaine confiance, leursprixderéserve enattestaient. La convoitise rendaitlesgens nerveux.

Àmesure queleslots partaient etque lesbras setendaient, l’effervescence gagnaitlasalle, desgrognements oudepetits crissefaisaient entendre.

Ons’épongeait le front… Lessouvenirs deLouis XVI s’envolèrent pourprèsdetrois cent mille euros, dontcentmille pour une bourse brodée parMarie-Antoinette.

Laplume aveclaquelle leroi Louis-Philippe avaitsigné l’acte d’abdication du24 février 1848futadjugée pourlasomme dequinze milleeuros.

Lestéléphones etla cellule internet accéléraient lacadence desoffres.

Unejournée commecelle-ciavaitdequoi mettre surle flanc leplus chevronné des« teneurs demarteau ».

C’étaitaucommissaire-priseur dedonner letempo et d’accorder lesviolons.

Ilorchestrait lavente, attribuait lesrôles, suscitait chezcertains unregard ébloui pour avoir emporté latimbale, chezd’autres dudépit pours’être faitsouffler l’affaire.

Lesenchères tenaient descourses hippiques etde laroulette ducasino.

Pourrienaumonde, Yvann’aurait manqué le spectacle.

Toutl’excitait, depuislaprisée permettant d’estimerlesbiens etlamise enplace despièces jusqu’au tourbillon final.Lavaleur sentimentale d’uneœuvre acquise dansdetelles circonstances était sans égale.

Lafureur del’achat seportait cejour-là surdes reliques chargées d’histoire, deprestigieux débris, inestimables pourcertains, etqu’Yvan n’entendait pasbrader.

C’étaitservirl’intérêt d’unefamille mais aussi respecter lamémoire d’unnom. Sa tâche accomplie, Yvaneutune pensée fugacepourLise, lafemme aveclaquelle, ily avait peu de temps encore, ilpartageait toutessesémotions.

Sonvisage secrispa.

Ils’efforça debalayer aussitôt ce souvenir. — Yvan, çava ? luilança unde ses confrères. — Mais oui…Quelle vente,n’est-ce pas ? — Couronnée desuccès, c’estlecas deledire… Félicitations, moncher. Yvan sourit àdemi, malàl’aise.

Soninterlocuteur jetaunregard autourdelui, comme pour découvrir lesraisons decetrouble, maislasalle étaitvide.

Yvan nes’attarda pas.Sonconfrère levit s’éloigner àgrandes enjambées, serrantcontreluisa mallette.

Celle-cirenfermait undossier dontla couverture portaitlareproduction d’unegravure ancienne.

Unesalamandre.

L’animalmythique du bestiaire médiéval s’ylovait danslesflammes encrachant desgouttes d’eau. * Épuisé parlajournée, Yvans’affala danslecanapé etdesserra sonnœud decravate avant d’envoyer valsersesmocassins surletapis.

Ilappréciait d’autantpluscemoment dedétente qu’ilavait le sentiment d’avoirremporté unebataille.

Ilcontempla lamallette encuir qu’il avait nonchalamment déposée àcôté delui.

Elle nel’avait pasquitté depuis prèsdedix ans.

Ilcaressa lecuir tanné, toujours aussi souple souslapulpe desdoigts.

C’étaitlepremier cadeauqueLise luiavait offert.

Aujourd’hui, ily tenait plusquejamais.

Illaissa tomber satête enarrière etferma lesyeux.

Liseétait partie loin,trèsloin, de l’autre côtédel’Atlantique, àManhattan. Ding… Lecarillon venaitdesonner.

Yvanfitla moue avantdebondir.

Ilavait complètement oublié ce rendez-vous.

Ilrangea quelques affairestraînant surlebar etcourut ouvrir. — Bonsoir, monsieurSauvage.

Jene vous dérange pas ?Nousavions rendez-vous cesoir, fit l’agent immobilier, perchéesurdes talons aiguilles, lamèche gothique, levernis mauve, toutedecuir vêtue.

Uncouple lasuivait.

Ilsouhaitait acheterlamaison etrevenait lavisiter. — Entrez, ditYvan d’une voixsourde tantilavait dumal àmasquer safatigue. Il partit ensuite s’isolerdanssonbureau, laissantlavamp fairesontravail.

Ilsortit lecontenu desa mallette etmit ses dossiers decôté pour examiner celuiégaré parleprofesseur Faure.Ilpassa lamain sur lasalamandre etcolla sonvisage surlepapier pourensentir l’odeur d’encre.

Cedossier nelui appartenait pas,etFaure avaitlaréputation denerien divulguer deses travaux encours.

Sansdoute n’apprécierait-il pasqu’un tiersenprenne connaissance sansyavoir étéautorisé… Un coup frappé àla porte incita Yvanàrefermer aussitôtleporte-documents.

L’agentimmobilier, une main crispée surlasangle deson sac, leconsidérait avecuneexpression bizarre,àla fois sévère et réjouie.

— C’est fait…Mesclients seportent acquéreurs dubien, maisilsposent unecondition. Yvan luiadressa unregard quidut luiparaître idiottantilse sentait étranger àl’affaire.

Iln’en suivit pas moins lacommerciale danslesalon pours’expliquer aveclesacheteurs.

Lemari pritlaparole, surun signe detête deson épouse.

C’étaitunhomme d’unecinquantaine d’années,flottantdansuncomplet veston telque lesflics enportaient jadisdans lesfilms desérie noire.

Legenre àse faire engueuler chez lui.

— La maison nousconvient, laproposition faiteparl’agence également.

Toutefois,nousaurions besoin d’emménager dansdeuxsemaines.. »

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