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10 boîtes d'allumettes....................................... 100 grammes de poivre (pour salaisons)......... 2 têtes d'ail.......................................................

Publié le 06/01/2014

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10 boîtes d'allumettes....................................... 100 grammes de poivre (pour salaisons)......... 2 têtes d'ail........................................................ 4 boîtes de lait condensé (pour nourrisson).... 5  kg de riz.......................................................... 30 litres de farine de manioc............................ 6 kg de xarque  (viande séchée)........................   TOTAL  0,500  3  1,500  5  3.500  2,500  8      5  3  3 20 17,500 75 48   341   Il faut ajouter, dans un budget annuel, les cotonnades dont une coupe vaut, en 1938, de 30 à 120 milreis ; les haussures, de 40 à 60 milreis la paire ; le chapeau, 50 à 60 milreis, enfin les aiguilles, les boutons et le fil, et les médicaments dont la consommation est effarante. À titre d'indication, le comprimé de quinine (il en faudrait un par jour pour chaque membre de la famille) ou d'aspirine coûte 1 milreis. Rappelons qu'à la même époque, sur le Machado, une rès belle « saison » (la récolte de caoutchouc dure d'avril à septembre, la forêt étant infranchissable pendant les pluies) rapporte 2 400 milreis (la fina se vend à Manaus, en 1936, aux environs de 4 milreis le kilo, dont le producteur reçoit la moitié). Si le seringueiro n'a pas d'enfant en bas âge, s'il ne mange que le produit de sa chasse et la « farine » de manioc u'il cultive et fabrique lui-même en plus de son travail saisonnier, son budget alimentaire minimum absorbe à lui seul ette recette exceptionnelle. Qu'il soit ou non à son compte, le patron vit dans la terreur de la banqueroute, et celle-ci le guette si ses clients isparaissent avant d'avoir remboursé ses avances. Aussi, son contremaître armé veille sur le fleuve. Peu de jours après avoir quitté les Tupi-Kawahib, une rencontre étrange faite sur la rivière restera dans mon souvenir comme l'image même du seringal ; je transcris d'après mon carnet de route à la date du 3 décembre 1938 : « Vers 10 heures, temps gris et ou. À la rencontre de nos pirogues, une petite montaria menée par un homme maigre, sa femme - grosse mulâtresse à cheveux crépus - et un enfant de dix ans environ. Ils sont épuisés et la femme finit ses phrases en larmes. Ils reviennent 'une expédition de six jours sur le Machadinho, onze cachoeiras (chutes) dont une, Jaburu, avec varação por terra (portage de l'embarcation) à la recherche d'un de leurs fregueses qui a fui avec sa compagne, emmenant une pirogue et ses affaires, après s'être fourni d'aviação et avoir laissé un billet disant que a mercadoria é muito cara e não tem oragem pagar a conta (la marchandise est trop chère et il n'a pas le courage de payer la note). Les gens, employés du compadre Gaetano, affolés par leur responsabilité, sont partis à la recherche du fugitif afin de s'en saisir et de le remettre au patron. Ils ont le rifle. » Le rifle est le nom qu'on donne à la carabine - généralement une Winchester cal. 44 - qui sert à la chasse et ventuellement à d'autres usages. Quelques semaines plus tard, je relevai le texte de l'affiche suivante, à la porte du magasin de la Calama Limitada situé au confluent du Machado et du Madeira :   L'EXTRAORDINAIRE ARTICLE DE LUXE comprenant graisse, beurre et lait seront seulement vendus à crédit sur un ordre spécial du patron. En cas contraire, ils seront seulement vendus à vue ! Argent, ou autre article équivalent.   On pouvait lire cette autre affiche immédiatement au-dessous :   LE CHEVEU LISSE Même chez les personnes de couleur ! Si crépus ou ondulés que soient les cheveux, même, chez les personnes de couleur, ils deviennent lisses par l'usage continu de la très nouvelle préparation Alisante En vente à « La Grande Bouteille », rue Uruguayana, Manaus.   En effet, l'accoutumance à la maladie et à la misère est si grande que la vie du seringal n'est pas toujours sinistre. Sans doute le temps est loin où les hauts prix du caoutchouc avaient permis de construire aux confluents des auberges de planches, bruyants tripots où les seringueiros perdaient en une nuit la fortune de quelques années, et repartaient le lendemain tout recommencer, sollicitant l'aviação d'un patrão compatissant. J'ai vu une de ces ruines, encore connue sous le nom de Vatican, évocateur de splendeurs disparues. Le dimanche, on s'y rendait vêtu d'un pyjama de soie rayée, chapeau mou et souliers vernis, pour écouter des virtuoses exécutant en solistes des airs variés à coups de revolvers de divers calibres. Personne ne peut plus acheter de pyjama de luxe dans le seringal. Mais un charme équivoque continue d'y être importé par ces jeunes femmes qui mènent une existence incertaine de concubinage avec les seringueiros. Cela s'appelle casar na igreja verde, « se marier dans la verte église ». Cette mulherada, c'est-à-dire le groupe des femmes, se cotise parfois pour organiser un bal, donnant chacune cinq milreis, ou le café, ou le sucre, ou prêtant leur baraque un peu plus vaste que les autres, leur lanterne approvisionnée pour la nuit. Elles arrivent en robe légère, fardées et coiffées, baisent en entrant la main des maîtres de maison. Mais le fard est moins pour donner l'illusion d'être belle que les apparences de la santé. Sous le rouge et la poudre, elles ont dissimulé leur vérole, leur phtisie et le paludisme. Elles sont venues, en souliers à talon, du barracão de seringueiro où elles sont installées avec « l'homme », en loques et échevelées tout le reste de l'année, ce soir pimpantes : mais il leur a fallu tout de même traverser en robe de bal deux ou trois kilomètres dans la boue par des sentiers de la forêt. Et pour se parer, elles se sont lavées, habillées à la nuit dans les igarapés (ruisseaux) sordides, sous la pluie, car il a plu toute la journée. Le contraste est bouleversant, entre ces frêles pparences de civilisation et la réalité monstrueuse qui attend à la porte. Les robes maladroitement coupées font saillir des formes typiquement indiennes : seins très hauts et placés presque ous les aisselles, écrasés par la tension du tissu qui doit contenir un ventre proéminent ; petits bras et jambes maigres, de joli dessin ; attaches très fines. L'homme, en pantalon de toile blanche, gros souliers et veste de pyjama, vient inviter sa partenaire. (Comme on l'a dit plus haut, ces femmes ne sont pas mariées. Ce sont des companheiras ; tantôt amasiadas, c'est-à-dire « en ménage », antôt desocupadas, « inoccupées, disponibles »). Il la conduit par la main jusqu'au milieu du palanque de paille de babassu, éclairé par une bruissante lampe à pétrole, le farol. On hésite quelques secondes pour attendre le temps fort arqué par la caracachá, la boîte à clous agitée par un danseur désoeuvré ; et l'on part : 1,2-3 ; 1,2-3 ; etc. Les pieds traînent sur le plancher monté sur pilotis et qui résonne de ces frottements. On danse des pas d'un autre âge. Surtout la desfeitera composée de ritournelles entre lesquelles la musique de 'accordéon (accompagnant parfois le violão et le cavaquinho) s'arrête pour permettre à tous les cavaliers d'improviser, chacun à son tour, un distique plein de sous-entendus railleurs ou amoureux, auxquels les dames doivent, à leur tour, répondre de même façon, non sans difficulté d'ailleurs, car elles sont confuses, com vergonha ; les unes se dérobent en rougissant, les autres placent à toute vitesse un couplet inintelligible, comme des petites filles récitant leur eçon. Voici celui qui fut, un soir à Urupa, improvisé à notre sujet :   Um é médico, outro professor, outro fiscal do Museu, Escolhe entr'os três quai é o seu.   (L'un est médecin, l'autre professeur, l'autre inspecteur du musée ; choisis entre tous les trois celui qui sera le tien.) Heureusement la pauvre fille à qui il était destiné ne sut quoi répliquer. Quand le bal dure plusieurs jours, les femmes changent de robe tous les soirs. Après les Nambikwara à l'âge de pierre, ce n'était déjà plus le XVIe siècle où m'avaient ramené les Tupi-Kawahib, mais ertainement encore le XVIIIe, tel qu'on peut l'imaginer dans les petits ports des Antilles ou sur la côte. J'avais traversé un continent. Mais le terme, tout proche, de mon voyage m'était d'abord rendu sensible par cette remontée du fond des temps. NEUVIÈME PARTIE LE RETOUR

« de planches, bruyantstripotsoùles seringueiros perdaient enune nuit lafortune dequelques années,etrepartaient le lendemain toutrecommencer, sollicitantl’ aviação d’un patrão compatissant. J’aivuune deces ruines, encore connue sous lenom deVatican, évocateur desplendeurs disparues.Ledimanche, ons’y rendait vêtud’un pyjama desoie rayée, chapeau mouetsouliers vernis,pourécouter desvirtuoses exécutant ensolistes desairs variés àcoups derevolvers de divers calibres.

Personne nepeut plusacheter depyjama deluxe dans le seringal.

Mais uncharme équivoque continue d’y être importé parcesjeunes femmes quimènent uneexistence incertaine deconcubinage avecles seringueiros.

Cela s’appelle casar naigreja verde, « se marier danslaverte église ».

Cette mulherada, c’est-à-dire legroupe desfemmes, se cotise parfois pourorganiser unbal, donnant chacunecinqmilreis, oulecafé, oulesucre, ouprêtant leurbaraque un peu plus vaste quelesautres, leurlanterne approvisionnée pourlanuit.

Ellesarrivent enrobe légère, fardées etcoiffées, baisent enentrant lamain desmaîtres demaison.

Maislefard estmoins pourdonner l’illusion d’êtrebellequeles apparences delasanté.

Souslerouge etlapoudre, ellesontdissimulé leurvérole, leurphtisie etlepaludisme.

Ellessont venues, ensouliers àtalon, du barracão deseringueiro où elles sontinstallées avec« l’homme », enloques et échevelées toutlereste del’année, cesoir pimpantes : maisilleur afallu toutdemême traverser enrobe debal deux ou trois kilomètres danslaboue pardes sentiers delaforêt.

Etpour separer, ellessesont lavées, habillées àla nuit dans les igarapés (ruisseaux) sordides,souslapluie, carila plu toute lajournée.

Lecontraste estbouleversant, entrecesfrêles apparences decivilisation etlaréalité monstrueuse quiattend àla porte. Les robes maladroitement coupéesfontsaillir desformes typiquement indiennes :seinstrèshauts etplacés presque sous lesaisselles, écrasésparlatension dutissu quidoit contenir unventre proéminent ; petitsbrasetjambes maigres, de joli dessin ; attaches trèsfines. L’homme, enpantalon detoile blanche, grossouliers etveste depyjama, vientinviter sapartenaire.

(Commeonl’adit plus haut, cesfemmes nesont pasmariées.

Cesont des companheiras  ; tantôt amasiadas, c’est-à-dire « enménage », tantôt desocupadas, «  inoccupées, disponibles »).

Illa conduit parlamain jusqu’au milieudu palanque de paille de babassu, éclairé parune bruissante lampeàpétrole, le farol.

On hésite quelques secondes pourattendre letemps fort marqué parla caracachá, la boîte àclous agitée parundanseur désœuvré ; etl’on part : 1,2-3 ; 1,2-3 ; etc.Lespieds tranent surleplancher montésurpilotis etqui résonne deces frottements. On danse despasd’un autre âge.Surtout la desfeitera composée deritournelles entrelesquelles lamusique de l’accordéon (accompagnant parfoisle violão et le cavaquinho) s’arrête pourpermettre àtous lescavaliers d’improviser, chacunàson tour, undistique pleindesous-entendus railleursouamoureux, auxquelslesdames doivent, à leur tour, répondre demême façon,nonsans difficulté d’ailleurs, carelles sontconfuses, com vergonha ; les unes se dérobent enrougissant, lesautres placent àtoute vitesse uncouplet inintelligible, commedespetites fillesrécitant leur leçon.

Voiciceluiquifut, unsoir àUrupa, improvisé ànotre sujet :   Um émédico, outroprofessor, outrofiscaldoMuseu, Escolhe entr’ostrêsquai éo seu.   (L’un estmédecin, l’autreprofesseur, l’autreinspecteur dumusée ; choisisentretouslestrois celui quisera letien.) Heureusement lapauvre filleàqui ilétait destiné nesut quoi répliquer. Quand lebal dure plusieurs jours,lesfemmes changent derobe touslessoirs. Après lesNambikwara àl’âge depierre, cen’était déjàplusleXVI esiècle oùm’avaient ramenélesTupi-Kawahib, mais certainement encoreleXVIII e, tel qu’on peutl’imaginer danslespetits portsdesAntilles ousur lacôte.

J’avais traversé un continent.

Maisleterme, toutproche, demon voyage m’était d’abord rendusensible parcette remontée dufond des temps.. »

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