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2 Le visage collé à la vitre, Yvan était entouré de voyageurs silencieux, patientant comme lui jusqu'au prochain arrêt du métro.

Publié le 06/01/2014

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2 Le visage collé à la vitre, Yvan était entouré de voyageurs silencieux, patientant comme lui jusqu'au prochain arrêt du métro. « Franklin D. Roosevelt ». Yvan laissa s'écouler le flot des passagers pour gagner tranquillement la sortie. Il contourna la place et franchit l'avenue des Champs-Élysées avant d'emprunter l'avenue Matignon. N'ayant pas pris de petit déjeuner, il fit halte au café Berkeley, un plaisir qu'il s'offrait à l'occasion. Il s'assit dans un angle de la salle, près du zinc. On le connaissait, et le serveur, après l'avoir salué du bar, vint lui apporter le journal et prendre sa commande. Yvan le parcourut, cherchant les échos de la vente à laquelle il avait pris part la veille. Souvent, la presse se contentait d'aligner des chiffres, passant sous silence le travail des professionnels. Il bougonnait, comme à son habitude, quand retentit la sonnerie de son portable. Henry Dumont cherchait à le joindre. Il décrocha. -- Je ne te savais pas si matinal, Henry. Mais son correspondant semblait d'humeur sombre. -- J'ai une nouvelle préoccupante à t'apprendre. Yvan pressa le garçon de déposer la tasse de café et le croissant devant lui. -- C'est en rapport avec la vente d'hier ? -- Non, c'est au sujet du professeur Faure... Il a fait un malaise dans la rue. Les secours l'ont transporté aux urgences de la Pitié-Salpêtrière. J'en ai été informé tard dans la soirée. -- Il m'avait pourtant assuré qu'il se sentait mieux. J'aurais dû insister pour le faire raccompagner... Son état est sérieux ? -- Ça m'en a tout l'air. J'ai fait appeler le service, on l'a hospitalisé en cardio. Je n'en sais pas davantage et je n'ai pas le temps d'y passer. Yvan hésita à dire qu'il avait ce document à remettre au professeur, trop long à expliquer. -- Je m'en charge. Il raccrocha, sortit un billet de cinq euros, le posa sur la table et fila sans même avoir touché au croissant. La nouvelle qu'il venait d'apprendre le bouleversait plus qu'il ne l'aurait imaginé. Le professeur Faure comptait parmi les maîtres dont l'enseignement lui avait révélé sa vocation. Il l'avait encouragé et soutenu de ses conseils avisés. D'invisibles liens s'étaient tissés entre eux qui menaçaient de se rompre. Un pressentiment. Yvan courut comme un diable en direction de la bouche de métro. À l'accueil de l'hôpital, l'hôtesse lui indiqua le service et le numéro de la chambre. Troisième étage. Comme l'ascenseur tardait à venir, Yvan s'engouffra dans l'escalier et se rua dans le couloir, slalomant entre des chariots et provoquant le regard courroucé d'une aide-soignante dont il avait manqué renverser le plateau. Un interne surgit dans son dos. -- Qui cherchez-vous ? -- Le professeur Lucien Faure. Je suis un de ses anciens élèves. L'interne hocha la tête. -- Pas de visite trop longue. L'état de ce patient n'est pas fameux. Ne le fatiguez pas davantage. Avant qu'Yvan trouve quoi lui répondre, l'interne avait disparu. Arrivé devant la porte de la chambre, Yvan inspira profondément et toqua d'un doigt qu'il s'efforça de rendre le plus léger possible, puis il tendit l'oreille. N'obtenant pas de réponse, il poussa doucement la porte. Le professeur était alité, ses bras reposant au-dessus des draps. Il avait le teint livide et semblait somnoler. -- Professeur Faure, risqua Yvan, la voix altérée par l'émotion. Le vieil homme, très affaibli, plissa le coin des lèvres et entrouvrit les yeux. -- Ah, c'est vous ? fit-il dans un souffle. -- J'ai appris ce matin que vous aviez eu un souci de santé, et je tenais absolument à vous voir. Votre dossier, vous l'avez oublié hier chez Christie's, vous vous souvenez ? Faure voulut se redresser, mais il ne put que marquer son impatience à demeurer allongé. -- Oui, le dossier, murmura-t-il. -- Je l'avais rangé parmi mes affaires en attendant de vous le restituer. Yvan hésita à poursuivre, était-ce bien le moment ? Le professeur l'interrogeait du regard. Se doutait-il que... -- La salamandre, c'est bien celle de François Ier, n'est-ce pas ? finit par ajouter Yvan, guettant l'approbation du vieil homme. -- La salamandre, c'est la moitié de ma vie... -- J'avoue qu'elle m'a intrigué. J'ai... enfin... j'ai juste voulu, par simple curiosité... vous comprenez. À l'époque, j'avais suivi avec un vif intérêt votre cours sur les codes de la Renaissance. À l'évocation de ce souvenir, le professeur parut recouvrer des forces. Sa parole devint plus distincte, bien qu'oppressée. -- Une simple introduction. Mais tout cela est bien plus important que vous ne pouvez le soupçonner. J'ai été trop égoïste, Yvan, je m'en rends compte maintenant. -- Égoïste ? -- Je n'en ai parlé à personne, reprit Faure, tentant à nouveau de se redresser. Je pensais trouver seul, voyez-vous ? Mais aujourd'hui, ce qui compte, c'est de ne pas laisser se perdre un secret considérable, un legs majeur des plus grands esprits de la Renaissance. François Ier, Léonard de Vinci et bien d'autres... Faure se montrait de plus en plus agité. Il était parvenu à se tenir assis, adossé à l'oreiller, et luttait avec la sonde accrochée à son bras gauche comme s'il voulait s'en défaire. Yvan se tenait près de lui, une main posée sur son épaule. -- De quoi parlez-vous ? -- Trente ans de recherches, et je suis loin d'en avoir terminé, il y a tant de zones d'ombre ! Mais vous, Yvan ? Dites-moi que vous y parviendrez... -- Moi ? -- Ces plans que vous avez vus dans le dossier, ils devraient vous parler. Vous savez ce qu'ils représentent, n'est-ce pas ? fit le professeur en désignant de la main les documents qu'Yvan avait rapportés. Vous découvrirez comment les interpréter, vous le pouvez. Yvan écarquilla les yeux, c'était si brusque, inimaginable. -- Professeur, avec le respect que je vous dois, ce sont vos recherches, et je n'ai ni les capacités ni le temps de les poursuivre. -- Taisez-vous et écoutez-moi. Ces plans sont encore confidentiels. Il s'était mis à trembler de tout son corps. -- Peut-être serait-il préférable que vous vous allongiez ? suggéra Yvan, mais Faure l'agrippa par un pan de la veste, autant pour s'y retenir que pour capter son attention. -- Non, non... Savez-vous au moins ce que vous allez trouver ? souffla-t-il au prix d'efforts de plus en plus pénibles. Ces codes mènent à un dépôt secret, des archives. Un trésor artistique, qui sait ? Promettez-moi de continuer, j'ai tant donné de moi dans ce projet, tant d'années... Faites-le pour moi, pour la vérité historique. C'est ce que je vous ai enseigné : l'histoire. N'abandonnez pas, Yvan. J'ai confiance en vous, et ne soyez pas aussi égoïste que moi, soyez juste prudent, conclut-il avant d'émettre un râle effrayant. Des hoquets le secouèrent, il étouffait. Yvan pressa plusieurs fois le bouton d'appel des infirmiers. -- Professeur, allongez-vous... Les mains crispées du moribond ne desserraient pas leur étreinte. Yvan dut se pencher au-dessus du lit pour aider le malade à reprendre appui sur l'oreiller. -- Puisque vous connaissez ce beau mystère, je... je vous prie de le taire, balbutia Faure en portant les mains à ses yeux. -- De quel mystère parlez-vous ? questionna Yvan, le visage tout près de la bouche du professeur, qui perdait sa respiration. -- Les clés... Il faut les clés... Le 8... Un soubresaut le raidit soudain, puis un long soupir s'échappa de ses lèvres. Yvan considéra avec stupeur le visage pétrifié de son maître. -- Professeur Faure, professeur Faure ! Vous m'entendez ? Un vertige le saisit. La main du professeur, inerte, s'accrochait encore à lui. L'infirmière qui venait d'entrer dans la chambre lui demanda de sortir un instant. Lucien Faure était décédé.   Parti se remettre de ses émotions dans la cour de l'hôpital, Yvan se saisit du dossier qu'il avait rangé dans sa mallette. Il jeta un oeil sur la mystérieuse salamandre. Celle-ci venait d'entrer dans sa vie par un coup du destin, et elle ne le lâcherait plus... 3 Deux ans plus tôt, Yvan avait été sollicité par le directeur des études en Sorbonne pour intervenir devant des étudiants en master d'histoire de l'art. Il s'agissait, en complément des cours, de leur fournir un aperçu sur les métiers en rapport avec cette filière. Certains se destinaient à la conservation préventive, d'autres à la gestion culturelle. Yvan avait été flatté autant qu'embarrassé par la proposition de l'université parisienne. -- Je comprends votre désir de convier des professionnels à prendre part à vos programmes, mais voilà, je ne suis pas enseignant. Je sais présider des ventes. Quant à assurer des cours, c'est autre chose. -- Quelqu'un d'aussi brillant que vous saura se montrer pédagogue. Nos élèves ont besoin de votre regard et de votre expérience pour s'orienter vers leur emploi futur. Cet argument n'était pas fait pour le convaincre. Une telle responsabilité... Sans compter qu'il n'avait aucune envie d'avoir à faire le gendarme entre les travées. Le souvenir qu'il avait gardé, comme étudiant, de certains cours dans des amphithéâtres bondés et bruyants, ne lui donnait guère envie d'inverser les rôles. Son interlocuteur devina sa pensée. -- Vous n'aurez pas à faire la discipline, nos étudiants se montrent très intéressés par ces conférences. Ils les réclament. Yvan demanda à réfléchir un instant. Cet aspect des choses lui avait échappé. Après tout, il aurait ainsi l'occasion de former de futurs confrères et de garder le contact avec la jeune génération. -- Nous saurons nous adapter à vos prétentions, avait ajouté le directeur, misant sur l'aspect financier pour emporter sa décision. -- Laissons de côté l'intérêt pécuniaire... Si j'accepte, c'est pour partager un savoir auquel je tiens beaucoup, mais je ne voudrais pas passer à côté de mon auditoire. -- Tentons l'expérience. Je suis certain que vous y prendrez plaisir, et vous serez surpris de découvrir la soif de connaissances qui anime nos élèves. C'est ainsi qu'Yvan tint sa première conférence en Sorbonne.   Après des débuts hésitants, il avait fini par maîtriser l'exercice et par y prendre goût. Ce matin-là, pourtant, son assurance devait le quitter de manière absurde. À son arrivée, l'amphithéâtre était déjà rempli et bruissait de conversations. Yvan prit place derrière la table disposée au milieu de l'estrade. Ce remue-ménage lui était devenu familier et sa seule présence suffisait à le dissiper. Tout en installant ses affaires, il parcourut du regard l'assemblée. Cet instant lui procurait un sentiment d'autorité naturelle. Le respect du maître n'avait pas disparu, ce constat l'avait étonné, mais il jouissait d'une certaine popularité parmi les étudiants. Ses propos visaient à dépoussiérer l'histoire de l'art de tout académisme, et à l'incarner à travers des personnages et des récits qui touchaient la sensibilité des auditeurs. Il n'attendait pas de ces derniers qu'ils courbent le dos et s'acharnent à prendre des notes, mais qu'ils lèvent les yeux pour se représenter de manière concrète l'atelier de Rembrandt ou la foule des amateurs déambulant au Salon des indépendants. Enfin, il tenait à piquer leur curiosité à travers ses propres interrogations. Au cours de ce dernier trimestre, il comptait traiter de la circulation des oeuvres dans les sphères économiques et marchandes, et des raisons pour lesquelles la cote d'un artiste pouvait grimper en flèche ou rendre si peu compte de la notoriété acquise auprès des institutions. Il avait déjà abordé les principes du mécénat contemporain, au-delà des paris spéculatifs et des montages fiscaux qui souvent le justifiaient. Yvan n'ignorait pas l'appétit de son auditoire pour les chiffres et les montants exorbitants que pouvaient atteindre certaines oeuvres sur le marché. Il avait donc réservé son intervention du jour à cette question, et préparé un dossier spécifique dans lequel figuraient des cas d'école. Il évoquerait l'exemple de cette oeuvre acquise en secret lors d'une exposition dans l'une des salles de la Sorbonne. Yvan prit son inspiration et jeta un regard vers le porte-documents qu'il avait posé sur la table, et dont le contenu devait lui permettre d'étayer son cours. Un début de panique s'empara de lui quand il réalisa qu'à la place de son plan de cours se trouvait le dossier du professeur Faure, frappé de la salamandre. Comment avait-il pu glisser ce dossier dans sa serviette sans y prendre garde ? Un flash surgit dans son esprit : le regard chaviré du professeur à l'agonie et son ultime exhortation à poursuivre son oeuvre. Yvan, pris au dépourvu, serra les poings. Faire face. Il composerait sans notes. Un silence absolu régnait dans l'amphithéâtre, comme si chacun retenait son souffle avant le début de la séance. Yvan s'éclaircit la gorge et masqua la salamandre de la main, maudissant son étourderie. -- Aujourd'hui, je souhaite aborder avec vous un domaine important de mon activité. Je vous ferai donc partager mon expérience des salles des ventes et, j'espère, vous ferai découvrir ce qu'est réellement le métier de commissaire-priseur. Du premier au dernier rang, personne ne bougeait. L'attente était palpable et le conférencier sentit tous les regards rivés sur lui. -- Je tiens d'abord à balayer certains préjugés et à corriger la vision que l'on peut avoir de ce métier. Dans « commissaire-priseur », il y a « commissaire ». On associe aisément ce mot au registre de

« considérable, unlegs majeur desplus grands espritsdelaRenaissance.

François Ier,Léonard deVinci et bien d’autres… Faure semontrait deplus enplus agité.

Ilétait parvenu àse tenir assis, adossé àl’oreiller, etluttait avec lasonde accrochée àson bras gauche commes’ilvoulait s’endéfaire.

Yvansetenait prèsdelui, une main posée surson épaule. — De quoiparlez-vous ? — Trente ansderecherches, etjesuis loind’en avoir terminé, ily a tant dezones d’ombre ! Mais vous, Yvan ? Dites-moi quevous yparviendrez… — Moi ? — Ces plansquevous avezvusdans ledossier, ilsdevraient vousparler.

Voussavez cequ’ils représentent, n’est-cepas ?fitle professeur endésignant delamain lesdocuments qu’Yvanavait rapportés.

Vousdécouvrirez commentlesinterpréter, vouslepouvez. Yvan écarquilla lesyeux, c’était sibrusque, inimaginable. — Professeur, aveclerespect quejevous dois, cesont vosrecherches, etjen’ai niles capacités ni le temps deles poursuivre. — Taisez-vous etécoutez-moi.

Cesplans sontencore confidentiels. Il s’était misàtrembler detout soncorps. — Peut-être serait-ilpréférable quevous vousallongiez ? suggéraYvan,maisFaure l’agrippa par un pan delaveste, autant pours’yretenir quepour capter sonattention. — Non, non…Savez-vous aumoins ceque vous alleztrouver ? souffla-t-il auprix d’efforts deplus en plus pénibles.

Cescodes mènent àun dépôt secret, desarchives.

Untrésor artistique, quisait ? Promettez-moi decontinuer, j’aitant donné demoi dans ceprojet, tantd’années… Faites-lepourmoi, pour lavérité historique.

C’estceque jevous aienseigné : l’histoire.N’abandonnez pas,Yvan.

J’ai confiance envous, etne soyez pasaussi égoïste quemoi, soyez justeprudent, conclut-il avantd’émettre un râle effrayant. Des hoquets lesecouèrent, ilétouffait.

Yvanpressa plusieurs foislebouton d’appel desinfirmiers. — Professeur, allongez-vous… Les mains crispées dumoribond nedesserraient pasleur étreinte.

Yvandutsepencher au-dessus du litpour aider lemalade àreprendre appuisurl’oreiller. — Puisque vousconnaissez cebeau mystère, je…jevous priedeletaire, balbutia Faureenportant les mains àses yeux. — De quelmystère parlez-vous ? questionnaYvan,levisage toutprès delabouche duprofesseur, qui perdait sarespiration. — Les clés…Ilfaut lesclés… Le8… Un soubresaut leraidit soudain, puisunlong soupir s’échappa deses lèvres.

Yvanconsidéra avec stupeur levisage pétrifié deson maître. — Professeur Faure,professeur Faure !Vousm’entendez ? Un vertige lesaisit.

Lamain duprofesseur, inerte,s’accrochait encoreàlui.

L’infirmière quivenait d’entrer danslachambre luidemanda desortir uninstant.

LucienFaureétaitdécédé.   Parti seremettre deses émotions danslacour del’hôpital, Yvansesaisit dudossier qu’ilavait rangé danssamallette.

Iljeta unœil sur lamystérieuse salamandre.

Celle-civenaitd’entrer danssavie par uncoup dudestin, etelle nelelâcherait plus…. »

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