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à voyager, ce que nous avions, d'une certaine façon, c'était une histoire sur les problèmes de proximité et de distance.

Publié le 06/01/2014

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histoire
à voyager, ce que nous avions, d'une certaine façon, c'était une histoire sur les problèmes de proximité et de distance. D'un côté, nous avions tant appris, tant de faits, une telle quantité de détails, précisément parce que nous étions allés à la rencontre de ceux qui y étaient, qui avaient vécu de si près l'événement en question. Et même ces informations, ces faits, auraient disparu si nous n'étions pas arrivés à temps pour recueillir auprès de ces gens ce qui était important pour nous - auraient disparu parce que les protagonistes de notre histoire, Shmiel, Ester, les filles, les quatre filles dont nous connaissons les noms désormais, étaient inévitablement des personnages secondaires dans les histoires de ceux qui avaient survécu. Dans les récits que nous avions entendus en Australie, en Israël, en Suède et au Danemark, les Jäger ne pouvaient être rien de plus que les amis, les voisins, les camarades de classe, mais certainement pas les mères, les pères, les soeurs, les frères, ceux auxquels on ne cesse de penser. C'est pourquoi, si nous n'avions pas trouvé les rares survivants de Bolechow, Shmiel et sa famille auraient été encore plus perdus, égarés, disparus, à mesure que les héritiers de ceux qui avaient survécu ne se souviendraient, le temps passant, que de ce qui était important pour eux - les Greene, les Grunschlag, les Goldsmith, les Grossbard, les Adler, les Reinharz, les Freilich et les Kulberg - et, inévitablement, laisseraient le reste disparaître, les noms des voisins, des amis, des camarades de classe de ces survivants, noms qui cesseraient de signifier quoi que ce soit, avec le temps, exactement comme j'ai laissé tomber à l'eau les noms que j'avais entendus au cours de ma quête des Jäger, les noms qui ne jouaient pas un rôle central dans mon histoire. Etre en vie, c'est avoir une histoire à raconter. Etre en vie, c'est précisément être le héros, le centre de l'histoire de toute une vie. Lorsque vous n'êtes rien de plus qu'un personnage mineur dans l'histoire d'un autre, cela signifie que vous êtes véritablement mort. Toutefois, je sais bien qu'il est possible même pour des personnages secondaires d'avoir une existence dans l'ombre, possible pour des figurants de perdurer dans le présent, à supposer que quelqu'un veuille raconter leur histoire. Que serait mon grand-père aujourd'hui si je ne m'étais pas assis à ses pieds quand j'étais petit garçon et que j'apprenais par coeur les histoires qu'il me racontait ? - des histoires qui ne parlent en un sens que de lui, bien entendu, et qui, en ce sens, sont agréables à entendre, simplement parce qu'il y a du plaisir à connaître quelque chose d'intéressant, ce qui est le plaisir de la connaissance, du savant ; mais qui, en un autre sens, parlent du fait d'être membre d'une famille particulière et sont par conséquent dignes d'intérêt pour un plus grand nombre de gens et, pour cette raison même, dignes d'être préservées. Les voyages que nous avons faits nous ont mis dans un rapport de proximité avec un passé que nous pensions avoir perdu pour toujours, tout comme les parents qui l'avaient habité. Et de ce passé, nous avons sauvé une quantité de faits concernant ces parents. Qu'avions-nous appris après tous ces voyages ? Il était sourd, elle avait de jolies jambes, elle était sympathique, il était intelligent, une fille était distante, ou peut-être « facile », une fille aimait les çarçons ou peut-être aimait se faire désirer. Elle était un papillon ! Il avait deux camions, il avait apporté les premières fraises, elle tenait sa maison de façon impeccable, c'était un gros bonnet, ils jouaient aux cartes, les dames faisaient du crochet, elle était prétentieuse, hoch Nase ! C'était une bonne épouse, une bonne mère, une bonne femme au foyer : que dire d'autre ? Ils l'appelaient le « roi », elle portait ses livres comme ça, elle avait les yeux bleus mais avec un quartier brun là, elles allaient au cinéma, elles allaient faire du ski, elles jouaient au volley-ball, elles jouaient au basket-ball, elles faisaient du ping-pong ! Il a eu la première radio, l'antenne était tellement haute, deux hommes seulement à Bolechow avaient des voitures et il était l'un d'eux. Ils allaient à la shul ou n'y allaient pas, ou n'y allaient que pour les grandes fêtes ; ils récitaient les prières liturgiques, ils faisaient des tsimmes pour le Nouvel An, ils allaient chez ce boucher polonais et mangeaient des saucisses en secret ! Il aimait tellement sa femme, oh oh oh oh ! C'était une gentille famille, une jolie famille. C'était une autre vie, c'était une autre vie. Nous avions appris tout ça, que nous ne savions pas auparavant - simplement parce que, au moment où les survivants, les gens qui avaient vu ces choses et s'en souvenaient, ont commencé à mourir, nous avons su où ils étaient et nous nous sommes approchés d'eux pour entendre ce qu'ils avaient à dire. Nous avons appris tout ça et, naturellement, nous avons appris leurs histoires aussi, les histoires des narrateurs ; et c'est donc devenu une partie de notre histoire aussi. Les cachettes, le bunker, le grenier, les rats, la forêt, les faux certificats de naissance, les granges. Et il y a l'histoire du présent : les gens que nous avons rencontrés et à qui nous avons parlé, leurs familles, la nourriture que nous avons mangée, les rapports que nous avons établis maintenant, aujourd'hui, à 99,2 chances contre 1. Et grâce à tous ces voyages, grâce à tous ces rapprochements, j'ai trouvé quelque chose d'autre : un frère que je n'avais jamais vraiment connu auparavant, un homme au coeur tendre et aux sentiments profonds, un artiste qui parle peu et voit beaucoup, et s'inquiète plus que moi de ce qu'éprouvent les gens, un homme dont j'ai cassé le bras autrefois, en partie parce que j'étais jaloux d'un nom qu'il portait. Voilà pour la proximité et tout ce qu'elle vous apporte. Et le reste ? Car, en dépit du fait que nous nous sommes rapprochés de ceux qui y étaient, il est resté un problème de distance. Une distance physique, tout d'abord, à l'époque où tout s'est passé, une différence spatiale entre l'endroit où se trouvaient les survivants et l'endroit où se trouvaient nos parents disparus : différentes maisons au début, différents Lager ensuite, différentes cachettes enfin. A partir d'un certain moment, il est devenu tout simplement impossible de savoir ce qui arrivait aux autres gens. Il y avait aussi une sorte de distance psychologique : lorsque vous êtes d'une histoire qui est devenue, par nécessité, un récit de survie animale, il n'y a pas beaucoup de place pour les digressions, pour broder à votre guise d'autres épisodes concernant d'autres gens. Et aujourd'hui, plus encore, s'est instauré un autre type de distance, la distance de six décennies entre le présent et le passé, une crevasse qui s'est ouverte entre le vécu et le relaté, un vide dans lequel tant de choses se sont engouffrées. Parce que tant de temps s'était écoulé et tant de choses avaient disparu, il ne restait plus que des fragments énigmatiques : fragments qui, maintenant que nous avions parlé à chacun et qu'il n'y en avait plus d'autres à trouver, étaient en nombre fini et ne pourraient jamais, c'était clair désormais, se rassembler pour former une image complète. Le garçon blond n'était pas juif - il l'aimait tellement aussi. Elle est allée retrouver des amies, je crois. Elle a été emmenée dans cet endroit et, un jour et demi plus tard, elle était nue, debout sur une planche, et elle a été abattue. Elle écoutait le piano, tandis qu'on obligeait l'homme à s'asseoir sur le poêle bridant. Elle a été violée. Elle a peut-être été violée : c'est possible. La première Aktion a eu lieu en octobre. Il devait faire froid. Ils ont été emmenés et poussés dans un fourgon à bestiaux, et ils sont entrés dans les chambres à gaz, c'était au cours de la deuxième Aktion. C'était en septembre. C'était en août. C'était la mère, le père, la plus jeune. C'était la mère et la fille. Elle travaillait dans la fabrique de barils, elle s'était trouvé une place à l'intérieur, quand tout le monde était dehors, dans le froid! Elle était encore en vie en 41, elle était encore en vie en 42, elle était avec Zimmerman et plus personne ne l'a jamais revue. Non, elle était avec Halpern, elle était très loyale envers ses sympatia, elle était facile, qui sait ? Elle était avec les Babij, elle a été tuée en même temps qu'eux en 43, qui peut le dire, la dernière personne à l'avoir vue est partie en 42. Elle est venue un jour au Arbeitsamt, elle a parlé à une fille qui s'appelait Lew et à un homme qui s'appelait Altmann. Elle était dans ses bras au moment où son amie a dit, Allez, embrasse-moi. Ils sont restés assis dans cette cour pendant trois jours et ont vu des enfants qu'on jetait par les fenêtres, Mme Grynberg debout, hébétée, avec des débris sanguinolents entre les jambes. Elle a rejoint les Babij avec sa soeur. Elle est restée en ville. Il l'aimait tellement. Il l'a cachée chez lui. Zey zent behalten bay a lererin. Une professeur polonaise les cachait chez elle. Elle était enceinte, mais pas de Ciszko. La bonne les a trahis, un voisin les a vus. Elle était seule, elle était avec son père. C'était Ciszko, elle était professeur de dessin. Une femme. Sedlak. Shedlak. Serlak. Szedlak. Szedlakowna. Szedlakowa. Personne ne sait où elle vivait. Impossible à dire. Il y a bien longtemps, j'ai commencé ma quête dans l'espoir d'apprendre comment ils étaient morts, parce que je voulais inscrire une date sur un arbre généalogique, parce que je pensais que mon grand-père, qui lorsque j'étais enfant avait l'habitude de m'emmener dans les cimetières où il se mettait à parler aux morts, mon grand-père dont je connaissais les défauts mais que j'adorais quand même, qui avait fait des dépressions nerveuses, qui s'était suicidé, pourrait connaître le repos - une idée sentimentale, j'en conviens - si j'étais capable de répondre enfin à la question après laquelle, lorsque je la lui posais, il se contentait de répéter, avec un haussement d'épaules et un hochement de la tête qui disaient qu'il ne voulait pas en parler : Qu'est-il arrivé à Oncle Shmiel ? Il se réfugiait alors dans un silence inhabituel et je m'étais promis de trouver, un jour, la réponse : ça s'était passé là, ça s'était passé à ce moment-là ; une fois que nous saurions, nous pourrions aller quelque part où poser une pierre sur une tombe et lui parler, à Shmiel, à lui aussi. Nous étions partis pour apprendre précisément où, quand et comment il était mort, ils étaient morts ; et, pour l'essentiel, nous avons échoué. Mais dans l'échec nous avons compris, presque accidentellement, que jusqu'à ce que nous fassions ces voyages, personne n'avait jamais pensé à demander ce qui ne peut être inscrit sur un arbre généalogique : comment ils avaient vécu, qui ils avaient été. Au moment où nous sommes revenus de Copenhague, j'étais conscient de l'ironie de l'affaire - à la fin, nous avions appris bien plus sur ce que nous ne cherchions pas que sur ce que nous étions partis chercher. Evidemment, une bonne partie de nos voyages avait pris cette tournure. C'était donc la distance, ai-je pensé quand j'en ai eu fini avec tous mes voyages, qui m'empêcherait toujours, en fin de compte, de raconter l'histoire que j'avais espéré pouvoir raconter : une histoire qui aurait un début, un milieu et une fin. Une histoire qui, comme les histoires de mon grand-père, commencerait avec tout le temps possible, accélérerait à mesure que ses linéaments devenaient apparents, les personnages, les personnalités et l'intrigue, et s'achèverait sur quelque chose de mémorable, sur une chute ou sur une tragédie dont on se souviendrait toujours. Nous avions appris tellement plus que ce que nous avions imaginé possible, mais tout compte fait, je ne pouvais raconter une histoire complète, je ne pouvais pas sauver ça pour eux ou pour mon grand-père, ou encore pour moi. Et cependant, après ce dernier voyage au Danemark, alors que je ruminais sur ce problème de proximité et de distance depuis quelque temps, je repensais à la petite anecdote d'Alena sur cette jeune femme qui écrivait sur sa grand-mère. D'un côté, il y avait la grand-mère, la personne à qui il était arrivé des choses terribles et qui pouvait être assise à moins d'un mètre d'une personne comme sa petite-fille ou moi, une personne jeune et fascinée, et raconter son histoire. D'un autre côté, il y avait la petite-fille qui, en raison de la distance, du passage du temps et de la défaillance des mémoires, aurait à combler, inévitablement, les lacunes afin de transformer les faits bruts en histoire. J'ai compris que ce que m'avait raconté Alena ce soir-là pouvait être lu comme une sorte de fable sur l'éternel conflit entre ce qui s'est passé et le récit de ce qui s'est passé, une fable qui pointe vers le triomphe inéluctable du narrateur, même si
histoire

« liturgiques, ilsfaisaient des tsimmes pour leNouvel An,ilsallaient chezceboucher polonais et mangeaient dessaucisses ensecret ! Ilaimait tellement safemme, ohoh ohoh ! C'était unegentille famille, unejolie famille.

C'étaituneautre vie,c'était uneautre vie. Nous avions appristoutça,que nous nesavions pasauparavant – simplement parceque,au moment oùles survivants, lesgens quiavaient vuces choses ets'en souvenaient, ont commencé àmourir, nousavons suoù ilsétaient etnous noussommes approchés d'euxpour entendre cequ'ils avaient àdire. Nous avons appris toutçaet, naturellement, nousavons appris leurshistoires aussi,les histoires desnarrateurs ;et c'est donc devenu unepartie denotre histoire aussi.Lescachettes, le bunker, legrenier, lesrats, laforêt, lesfaux certificats denaissance, lesgranges.

Etilya l'histoire duprésent :les gens quenous avons rencontrés etàqui nous avons parlé,leurs familles, lanourriture quenous avons mangée, lesrapports quenous avons établis maintenant, aujourd'hui, à99,2 chances contre1.Et grâce àtous cesvoyages, grâceàtous ces rapprochements, j'aitrouvé quelque chosed'autre :un frère quejen'avais jamaisvraiment connu auparavant, unhomme aucœur tendre etaux sentiments profonds,unartiste quiparle peu etvoit beaucoup, ets'inquiète plusquemoi decequ'éprouvent lesgens, unhomme dont j'ai cassé lebras autrefois, enpartie parcequej'étais jaloux d'unnom qu'ilportait.

Voilàpourla proximité ettout cequ'elle vousapporte.

Etlereste ?Car, endépit dufait que nous nous sommes rapprochés deceux quiyétaient, ilest resté unproblème dedistance.

Unedistance physique, toutd'abord, àl'époque oùtout s'est passé, unedifférence spatialeentrel'endroit où se trouvaient lessurvivants etl'endroit oùsetrouvaient nosparents disparus :différentes maisons audébut, différents Lager ensuite, différentes cachettesenfin.Apartir d'uncertain moment, ilest devenu toutsimplement impossibledesavoir cequi arrivait auxautres gens.Ily avait aussi unesorte dedistance psychologique :lorsque vousêtesd'une histoire quiest devenue, parnécessité, unrécit desurvie animale, iln'y apas beaucoup deplace pourles digressions, pourbroder àvotre guised'autres épisodes concernant d'autresgens.Et aujourd'hui, plusencore, s'estinstauré unautre typededistance, ladistance desix décennies entre leprésent etlepassé, unecrevasse quis'est ouverte entrelevécu etlerelaté, unvide dans lequel tantdechoses sesont engouffrées. Parce quetant detemps s'étaitécoulé ettant dechoses avaient disparu, ilne restait plusque des fragments énigmatiques :fragments qui,maintenant quenous avions parléàchacun et qu'il n'yenavait plusd'autres àtrouver, étaientennombre finietne pourraient jamais,c'était clair désormais, serassembler pourformer uneimage complète.

Legarçon blondn'était pasjuif – il l'aimait tellement aussi.Elleestallée retrouver desamies, jecrois.

Elleaété emmenée dans cet endroit et,unjour etdemi plustard, elleétait nue,debout surune planche, etelle aété abattue.

Elleécoutait lepiano, tandisqu'onobligeait l'homme às'asseoir surlepoêle bridant. Elle aété violée.

Elleapeut-être étéviolée :c'est possible.

Lapremière Aktionaeu lieu en octobre.

Ildevait fairefroid.

Ilsont étéemmenés etpoussés dansunfourgon àbestiaux, etils sont entrés dansleschambres àgaz, c'était aucours deladeuxième Aktion.C'étaiten septembre.

C'étaitenaoût.

C'était lamère, lepère, laplus jeune.

C'était lamère etlafille.

Elle travaillait danslafabrique debarils, elles'était trouvé uneplace àl'intérieur, quandtoutle monde étaitdehors, danslefroid! Elleétait encore envie en41, elle était encore envie en42, elle était avecZimmerman etplus personne nel'ajamais revue.Non,elleétait avecHalpern, elle était trèsloyale envers sessympatia, elleétait facile, quisait ?Elle était aveclesBabij, ellea été tuée enmême tempsqu'eux en43, qui peut ledire, ladernière personne àl'avoir vueest partie en42.

Elle estvenue unjour auArbeitsamt ,elle aparlé àune fillequis'appelait Lewetà un homme quis'appelait Altmann.Elleétait dans sesbras aumoment oùson amie adit, Allez,. »

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