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abandonner ABANDONNER, verbe transitif.

Publié le 27/09/2015

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abandonner

ABANDONNER, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif. 

A.—  [L'agent est normalement une personne]  Rompre le lien qui attachait à une chose ou à une personne. 

1. [L'objet est une chose] 

a) [Le lien antérieur avec l'objet était un lien de possession réelle] 

—   Renoncer à un pouvoir, à des droits, à la possession d'un bien ou à l'utilisation d'une chose : 

Ø 1. La surcharge rendant la possession des terres onéreuse, l'humble propriétaire abandonna son champ, ou le vendit à l'homme puissant; et les fortunes se concentrèrent en un moindre nombre de mains.

CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSBOEUF, COMTE DE VOLNEY, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,  1791, page 72. 

Ø 2. On dit [proverbialement] n'abandonnez pas les étriers, c'est-à-dire servez-vous bien des avantages que vous avez, ne les quittez point.

JEAN-FRANÇOIS ROLLAND, Dictionnaire du mauvais langage,  1813, page 1. 

Ø 3.... le 3 mai, des cris de Nab, posté à la fenêtre de sa cuisine, annoncèrent que la baleine était échouée sur le rivage de l'île. Harbert et Gédéon Spilett, qui allaient partir pour la chasse, abandonnèrent leur fusil, Pencroff jeta sa hache, Cyrus Smith et Nab rejoignirent leurs compagnons, et tous se dirigèrent rapidement vers le lieu d'échouage.

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 307. 

Ø 4.... la molesquine, (...), commença de lui coller aux chausses. On ne s'en aperçut, hélas! qu'à la fin de la séance, au moment qu'il voulut se lever. Vains efforts! Il tenait à la chaise, et la chaise tenait à lui. Son mince pantalon (nous étions en été) si l'étoffe en était un peu mûre, le fond allait y rester, c'était sûr; il y eut quelques secondes d'angoisse... et puis, non! Sur un nouvel effort, ce fut la molesquine qui céda, doucement, doucement, abandonnant du sien, comme par conciliation.

ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt,  1924, page 459. 

Ø 5. Oh! Mon père, mon père! Si je n'espérais pas que le ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais ici de honte à vos pieds. Il est possible que vous ayez raison, que l'épreuve n'ait pas été poussée jusqu'au bout. Mais Dieu ne m'en voudra pas. Je lui sacrifie tout, j'abandonne tout, je renonce à tout pour qu'il me rende l'honneur.

GEORGES BERNANOS, Dialogues des carmélites,  1948, I, 4, page 1579. 

Remarque : Dans l'exemple 2 l'emploi du verbe est figuré. 

—   Quitter un lieu, ne plus l'occuper; dans la langue du droit \" abandonner le domicile conjugal \",  dans le langage militaire   \" abandonner son poste \" : 

Ø 6. Julien vit le succès de son récit. Il comprit qu'il fallait tenter la dernière ressource : il arriva brusquement à la lettre qu'il venait de recevoir de Paris.

—  J'ai pris congé de monseigneur l'évêque.

—  Quoi, vous ne retournez pas à Besançon! Vous nous quittez pour toujours?

—  Oui, répondit Julien d'un ton résolu; oui, j'abandonne un pays où je suis oublié même de ce que j'ai le plus aimé en ma vie, et je le quitte pour ne jamais le revoir. Je vais à Paris...

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Le Rouge et le Noir, tome 1, 1830, page 219. 

Ø 7. M. Clavier et Caroline rentrèrent dans le salon de plain-pied, dont ils prenaient ordinairement possession l'été, et qu'ils abandonnaient l'hiver à cause de la fraîcheur des murs.

LÉON GOZLAN, Le Notaire de Chantilly,  1836, page 4. 

Ø 8.... maintenant que le général de Wimpffen succédait au général Ducrot, le premier plan de nouveau l'emportait, l'ordre arrivait de réoccuper Bazeilles coûte que coûte, pour jeter les bavarois à la Meuse. N'était-ce pas imbécile de leur avoir fait abandonner une position, qu'il leur fallait à cette heure reconquérir? On voulait bien se faire tuer, mais pas pour le plaisir, vraiment!

ÉMILE ZOLA, La Débâcle,  1892, page 277. 

Ø 9. « Voilà mon Favery épouvanté. Une femme sur les bras, et, qui pis est, une femme bientôt divorcée, libre, qui allait exiger qu'on l'épouse... C'est alors qu'il a eu ce qu'il appelle lui-même son idée de génie. Il a écrit au mari : Monsieur, je reconnais que c'est pour me suivre que votre femme abandonne le domicile conjugal. Salutations. Favery. »

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, page 850. 

Ø 10. Ils sont obsédés par la trahison. Non sans raison... (...).

—  Si ce type abandonne son poste, il doit être fusillé.

ANDRÉ MALRAUX, L'Espoir,  1937, page 636. 

—   Cesser de défendre une cause, renoncer à des principes, à une idée en la rejetant ou simplement en s'en séparant : 

Ø 11. Ici, je vois répandre de dangereuses erreurs; ici je m'aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté, pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques.

MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours,  1793, page 506. 

Ø 12. Cette école pythagoricienne (...) succomba sous les efforts des tyrans. Un d'eux brûla les pythagoriciens dans leur école; et ce fut une raison suffisante sans doute, non pour abjurer la philosophie, non pour abandonner la cause des peuples, mais pour cesser de porter un nom devenu trop dangereux, et pour quitter des formes qui n'auraient plus servi qu'à réveiller les fureurs des ennemis de la liberté et de la raison.

ANTOINE MARQUIS DE CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,  1794, page 49. 

Ø 13.... les croyances religieuses ne sont plus l'unique sphère dans laquelle s'exerce l'esprit humain; sans les abandonner, il commence à s'en séparer, à se porter ailleurs.

FRANÇOIS GUIZOT, Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à la Révolution française, 1828, page 27. 

b) [Le lien avec l'objet était un lien de possession seulement envisagé]  Renoncer à poursuivre une action, une recherche; renoncer à une entreprise, à un projet. D'où l'expression. abandonner la partie, et abandonner en emploi absolu, dans la langue du sport avec le sens de \" renoncer à poursuivre une compétition \") : 

Ø 14. J'ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que certains sauvages de l'Afrique croient à l'immortalité de l'âme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et n'y pensent plus.

NICOLAS-SÉBASTIEN ROCH, DIT DE CHAMFORT, Maximes et pensées,  1794, page 17. 

Ø 15.... sous ses joies vivait un regret, celui de n'avoir pas tué. Quoi! Cette occasion de la guerre passerait donc en vain! Et cela lui laissait un sourd sentiment d'infériorité, analogue à celui qui lui venait jadis en songeant que sur le ring, dans les championnats d'amateurs, il avait battu de ses adversaires aux points, il en avait forcé d'autres à abandonner, mais jamais il n'avait pu réussir un knock-out.

HENRI DE MONTHERLANT, Le Songe,  1922, page 78. 

Ø 16. Bientôt, je me heurtai à des difficultés éternelles. Un jour presque entier consumé à faire, à défaire et à refaire quelque partie de mon poème, j'en ai pris ce dégoût désespéré que connaissent tous les artistes. L'artiste serait peu de chose, s'il n'était le jouet de ce qu'il fait. Je décidai d'abandonner la partie; je m'assurai qu'il fallait renoncer; et voulant rompre par un acte le triste enchantement qui m'enchaînait à mes ébauches, je me suis contraint de sortir.

PAUL VALÉRY, Variété V,  1944, page 121. 

2. [L'objet est une personne (ou un être considéré comme tel); on laisse entendre qu'on mesure les conséquences résultant pour elle de la rupture du lien]  Quitter quelqu'un, s'en séparer; laisser quelqu'un à lui-même, le laisser seul. Antonymes : rester avec quelqu'un, lui rester fidèle : 

Ø 17.... je suis seul? ô Dieux! où sont donc mes amis

Ah! ce coeur qui, toujours à l'amitié soumis,

D'étendre ses liens fit son besoin suprême,

Faut-il l'abandonner, le laisser à lui-même?

ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, Les Amours, amours diverses, 1794, page 110. 

Ø 18.... il faut ordonner à l'âme non de se tirer à quartier, de s'entretenir à part, de mépriser et abandonner le corps (aussi ne le saurait-elle faire que par quelque singerie contrefaite), mais de se rallier à lui, de l'assister, le conseiller, le contrôler et le redresser quand il fourvoie, enfin l'épouser et lui servir de mari, à ce que leurs effets ne paraissent pas divers et contraires, ainsi accordants et uniformes... etc.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1815, page 71. 

Ø 19. Antoine, il faut le dire, avait quelque sujet de prétendre à l'attachement et à la fidélité des siens. Tous ceux qui le quittèrent ne se plaignaient point de lui, mais de Cléopâtre. Au moment de la bataille, son vieil ami Domitius l'ayant abandonné, Antoine lui renvoya généreusement ses serviteurs, ses esclaves, tout ce qui était à lui.

JULES MICHELET, Histoire romaine, tome 2, 1831, page 323. 

Ø 20. Mes amis, dit-elle, en tournant le dos au docteur, allez me chercher un prêtre : je vois que le médecin m'abandonne.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1833, page 64. 

Ø 21. —  Vous avez bien fait de me parler, vous avez bien fait de me prier; car j'allais former un autre plan et m'éloigner de vous. Mais votre âge me rassure, je vous rejoindrai, attendez-moi.

—  Quand cela?

—  Il faut que je calcule nos chances, laissez-moi vous donner le signal.

—  Mais vous ne m'abandonnerez pas, vous ne me laisserez pas seul, vous viendrez à moi, ou vous me permettrez d'aller à vous?

ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Cristo, tome 1, 1846, page 181. 

Ø 22. —  Je vais te faire une confidence, ajouta-t-il (...), si ce nom seul m'émeut, ce nom de Suresnes, c'est que là demeure celle que j'aime, la femme que j'aime, ma femme, mon épouse, mon épouse qui m'a quitté, qui m'a abandonné, qui m'a plaqué car elle m'a laissé tomber la garce, après dix ans de mariage, la méchante, la vilaine, mais je l'aime toujours,...

RAYMOND QUENEAU, Loin de Rueil,  1944, page 84. 

Ø 23. Nous pensons, au contraire que des principes trop abstraits échouent pour définir l'action. Encore une fois, prenez le cas de cet élève; au nom de quoi, au nom de quelle grande maxime morale pensez-vous qu'il aurait pu décider en toute tranquillité d'esprit d'abandonner sa mère ou de rester avec elle Oui, il n'y a aucun moyen de juger. Le contenu est toujours concret, et par conséquent imprévisible; il y a toujours invention.

JEAN-PAUL SARTRE, L'Existentialisme est un humanisme,  1946, page 85. 

—   Exceptionnellement l'agent peut être un inanimé : 

Ø 24. Je vous en prie, écrivez-moi. Moi qui ne croyais pas à l'influence du physique, je sens que mes inquiétudes sont accrues par l'état où je suis, et que mes forces sont prêtes à m'abandonner quand vous ne les soutenez pas.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne,  1792, page 38. 

Ø 25. Chant de Minona.

Colma.

Loin de moi Salgar est errant;

Par-tout règne la nuit profonde;

Sous mes pieds mugit le torrent,

Sur ma tête la foudre gronde,

Pas un asile où me cacher;

Tout me délaisse et m'abandonne.

Je suis seule sur le rocher

Que la sombre mer environne.

PIERRE-MARIE-FRANÇOIS-LOUIS BAOUR-LORMIAN, Ossian, Les Chants de Selma, 1827, page 115. 

3. Abandonner un cheval \" laisser aller librement un cheval en relâchant les rênes \" (confer Dictionnaire de l'Académie Française 1932) : 

Ø 26. Il n'est pas moins dangereux d'abandonner un cheval de trait. Les chevaux (...) venant à tomber peuvent se couronner, et même se tuer.

FRANÇOIS CARDINI, Dictionnaire d'hippiatrique et d'équitation, tome 1, 1848, page 12. 

B.—  [Avec un objet secondaire toujours précédé de à introduisant l'idée de \" confier, remettre ou livrer à \"] 

1. Laisser à quelqu'un la possession ou le soin d'un bien (ou d'une personne), laisser quelque chose à l'entière disposition de quelqu'un Noter l'expression abandonner à quelqu'un le soin de faire quelque chose : 

Ø 27. Si c'est la femme survivante qui a, moyennant une somme convenue, le droit de retenir toute la communauté contre les héritiers du mari, elle a le choix ou de leur payer cette somme, en demeurant obligée à toutes les dettes, ou de renoncer à la communauté, et d'en abandonner aux héritiers du mari les biens et les charges.

Code civil des Français (ou Code Napoléon), 1804, page 282. 

Ø 28. Elle pourrait m'abandonner tout son être et même me donner son coeur sans m'arracher à ce désespoir qui grandit à mesure que je l'approche.

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 248. 

Ø 29.... je pris soudain conscience de ceci : que j'avais assis mon humaine souveraineté sur un crime, de sorte que tout ce qui s'ensuivait en fût conséquemment souillé non seulement toutes mes décisions personnelles, mais même celles des deux fils à qui j'abandonnai la couronne; car je me démis aussitôt de la glissante royauté que m'avait octroyée mon crime.

ANDRÉ GIDE, Thésée,  1946, page 1452. 

Ø 30.... le texte de l'accord équivalait à une transmission pure et simple de la Syrie et du Liban aux Britanniques. Pas un mot des droits de la France, ni pour le présent, ni pour l'avenir. Aucune mention des états du Levant Vichy abandonnait tout à la discrétion d'une puissance étrangère et ne cherchait à obtenir qu'une chose : le départ de toutes les troupes, ainsi que du maximum de fonctionnaires et de ressortissants français.

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Appel, tome 1, 1954, page 164. 

Ø 31. Nos rapports se situaient dans une sphère limpide où ne pouvait se produire aucun heurt. Il ne se penchait pas sur moi, mais me haussait jusqu'à lui et j'avais la fierté de me sentir alors une grande personne. Quand je retombais au niveau ordinaire, c'est de maman que je dépendais; papa lui avait abandonné sans réserve le soin de veiller sur ma vie organique et de diriger ma formation morale.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée,  1958, page 39. 

2. Laisser quelque chose ou quelqu'un en proie à quelque chose (généralement une force hostile).   [Noter l'expression abandonner un ecclésiastique au bras séculier, \" le renvoyer au juge laïque afin qu'il le punisse selon les lois \" (confer Dictionnaire de l'Académie française 1932, et historique II A 2)] : 

Ø 32. Scipion se retira derrière le Pô, derrière la Trébie, abandonnant aux ravages les terres des Gaulois, qui restaient fidèles aux Romains.

JULES MICHELET, Histoire romaine, tome 2, 1831, page 17. 

Ø 33. La loi romaine, qui était celle de tous les ecclésiastiques sans distinction de race, punissait de mort l'imputation calomnieuse d'un crime capital, tel que celui de lèse-majesté; cette loi fut appliquée dans toute sa rigueur, et le synode porta contre le clerc Rikulf une sentence qui l'abandonnait au bras séculier.

AUGUSTIN THIERRY, Récits des temps mérovingiens, tome 2, 1840, page 287. 

Ø 34.... dès qu'un Rebendart de la seconde zone avait volé, déserté, ou violé, le Rebendart ministre venait lui-même au prétoire témoigner contre lui et publiquement le renier. Il est mieux vu d'abandonner un enfant au bagne qu'à l'assistance. Cette vaniteuse humilité suffisait au jury qui acquittait largement. De sorte qu'une espèce d'impunité était octroyée en fin de compte à tous les Rebendart et que leurs écarts publics, vol, grivèlerie, ou exhibition, restaient des affaires et des fautes de famille.

JEAN GIRAUDOUX, Bella,  1926, page 57. 

II.—  Emploi pronominal. S'abandonner. 

A.—  Emploi absolu. 

1. [Correspond à abandonner quelqu'un au sens de \" le laisser à lui-même, le laisser seul \"] :

Ø 35. La Gazette perd les royalistes et la France et l'Europe entière, et ils méritent d'être perdus, des hommes qui s'abandonnent eux-mêmes et revient leur propre existence comme citoyens.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Correspondance générale.  1831, page 175. 

Ø 36. Il [Lamartine] s'est abandonné lui-même, il gît dans une solitude qui semble au premier regard un désert de prosaïsme, il a depuis longtemps abdiqué.

MAURICE BARRÈS, Les Maîtres,  1923, page 234. 

2. Se laisser aller. 

a) Renoncer à agir, à lutter. Antonymes : résister, se défendre : 

Ø 37. Eh bien! la passion était fatale, Hélène ne se défendait plus. Elle se sentait à bout de force contre son coeur. Henri pouvait la prendre, elle s'abandonnait. Alors, elle goûta un bonheur infini à ne plus lutter.

ÉMILE ZOLA, Une Page d'amour,  1878, page 906. 

Ø 38. Songe à ces petits Français, nés dans des maisons en deuil, à l'ombre de la défaite, nourris de ces pensées découragées, élevés pour une revanche sanglante, fatale, et peut-être inutile : car, si petits qu'ils fussent, la première chose dont ils avaient pris conscience, c'était qu'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de justice en ce monde : la force écrase le droit! De pareilles découvertes laissent l'âme d'un enfant dégradée ou grandie pour jamais. Beaucoup s'abandonnèrent : ils se dirent : « puisque c'est ainsi, pourquoi lutter? Pourquoi agir? Rien n'est rien. N'y pensons pas. Jouissons. »

—  Mais ceux qui ont résisté sont à l'épreuve du feu; nulle désillusion ne peut atteindre leur foi :...

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, page 988. 

b) Renoncer à la surveillance ou à la possession de soi-même (antonyme : se tenir); se laisser aller (plan moral), en particulier laisser aller son corps (se donner, dans le langage de l'amour), son âme, son esprit : 

Ø 39. Gisors, du 6 au 24 septembre. C'est ici un lieu où je m'épanouis. J'y suis à l'aise. J'y amuse et je m'y amuse. J'y ai de l'assurance, de la gaieté, de l'esprit et de tous les esprits, —  du gros surtout. Je fais des imitations, des queues de mots, des bêtises, tout ce qui délasse une pensée tendue et une langue obligée de se surveiller. Je me détends et je m'abandonne. Ce sont les vacances de ma tête et de mon caractère. Il y a un grand enfant en moi, que je lâche dans cette maison qui m'a vu petit.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  septembre 1859, page 629. 

Ø 40.... la communauté des plaisirs, des toilettes, des promenades, a fait la ligne de démarcation si mince et si facilement franchie... entre une lorette qui se tient et une marquise qui s'abandonne, que les plus experts, à première vue, peuvent s'y tromper...

ALPHONSE DAUDET, Jack, tome 1, 1876, page 13. 

Ø 41.... elle [Benedetta] ne voulait s'abandonner qu'en légitime union. Et quelle torture, pour cette âme enflammée, que de résister à son amour! Quel continuel combat du devoir, du serment fait à la Vierge, contre la passion...

ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 166. 

Ø 42. LAURENCY, posant son casque sur la table. —  Pourquoi rit-elle

CLOTILDE. —  Je ne sais pas. Elle est très enjouée, maintenant, avec moi. Elle a compris que je ne lui voulais pas de mal.

LAURENCY. —  Elle ne se défie plus. Elle s'abandonne. Toi, ne t'abandonne pas trop. Ne te confie pas à elle.

HENRI-RENÉ LENORMAND, Le Simoun,  1921, page 93. 

c) Ne plus prendre soin de soi-même, se négliger : 

Ø 43. Hélène, (...) était tellement changée, que les époux ne purent, à sa vue, retenir un mouvement de surprise. Elle devait s'abandonner, négliger de se teindre et de se maquiller. Ce n'était plus la poupée d'enfant devenue vieille, aux joues luisantes de fard, aux sourires puérils; c'était une pauvre femme dont les cheveux gris et la face ridée exprimaient une tristesse sale et honteuse.

ÉMILE ZOLA, Madeleine Férat,  1868, page 254. 

Ø 44. Il est évident qu'il s'est produit dans sa vie, en ces années 1812-1813, une catastrophe sentimentale, —  la plus pénible de celles que l'amour lui a réservées, —  et qu'il en est sorti brisé. (...). Il se néglige. Il s'abandonne. Il n'a plus goût à rien.

ROMAIN ROLLAND, Beethoven, tome 1, 1903, page 73. 

—   [L'agent peut aussi être une partie du corps] : 

Ø 45.... il ne s'aperçut pas de la torpeur qui s'emparait de lui : ses muscles se détendirent, ses épaules s'abandonnèrent contre le mur : il dormait.

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, page 883. 

B.—  S'abandonner à..  Se donner, se confier, se livrer à. 

1. S'abandonner à quelqu'un : 

Ø 46. O mères! Apprenez donc à vos enfants à prier dès qu'ils savent cueillir un fruit : leur reconnaissance envers Dieu assurera leur reconnaissance envers vous. Accoutumez-les, au lever et au coucher du soleil, à élever leurs mains et leur coeur vers le ciel. Qu'ils prient en ouvrant et en fermant leurs yeux à la lumière; qu'ils se fassent une douce habitude de mettre leur confiance en Dieu, et de s'abandonner à lui dans toutes les actions de leur vie.

JACQUES-HENRI BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature,  1814, page 133. 

2. S'abandonner à quelque chose : 

—  RELIGION.  S'abandonner à la miséricorde de Dieu, à la grâce divine : 

Ø 47. —  L'important, c'est de se mettre dans la miséricorde de Dieu, et de s'y abandonner en toute confiance, par le sentiment d'un amour vrai et humble qui chasse la crainte, d'un amour confiant de cette bonté, de cette miséricorde infinie. Il est impossible de n'y pas croire de ne pas l'aimer, de ne pas s'y confier.

FÉLIX ANTOINE PHILIBERT DUPANLOUP, Journal intime,  1873, page 340. 

Ø 48. Toute l'économie de notre sanctification personnelle se ramène à cette règle unique : se prêter, s'ouvrir, s'abandonner à la grâce,...

ABBÉ HENRI BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome 3, 1921, page 133. 

—   expression dialectale-régionalisme. s'abandonner aux mouches : 

Ø 49. Abandonner (s'), verbe réflexif —  S'abandonner aux mouches, —  ne plus avoir de souci de sa personne ou de ses intérêts; être dégoûté de tout; jeter le manche après la cognée.

Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l'Anjou (ANATOLE-JOSEPH VERRIER, RENÉ ONILLION)  1908. 

—   [S'abandonner] à un état, un sentiment, un plaisir, une passion, une action. Noter la construction s'abandonner à faire quelque chose : 

Ø 50. Je voudrais savoir si vous finirez par avoir tout à fait de la confiance en moi, si vous vous abandonnerez à m'ouvrir tout à fait votre âme.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres diverses, tome 2, 1793, page 511. 

Ø 51.... ne vous interdisez pas non plus tout à fait ces pensées graves et tristes, quand la nature ou le spectacle de la société vous les envoie. (...). Il est donc bon de sentir la mélancolie dont vous parlez; il serait faible de s'y abandonner sans résistance. Et le moyen d'y résister, c'est de considérer le but nécessairement plus élevé et nécessairement religieux donné par le créateur à notre destinée.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Correspondance générale.  1832, page 244. 

Ø 52. Il n'y avait plus guère que le chevalier de Lacy, dont l'habitation était distante d'une lieue environ, qui la vînt visiter une ou deux fois par semaine. Et encore n'était-ce que lorsque le digne gentilhomme n'avait pas la goutte lui-même, ou que la chasse était fermée; car, tant qu'il pouvait se livrer à son exercice favori il s'y abandonnait avec passion et négligeait sa vieille voisine,...

PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 1, L'Héritage mystérieux, 1859, page 407. 

Ø 53. Je comprenais la vanité de toute intention, de toute poursuite, de tout vouloir. Dans une voluptueuse détresse, je renonçais, je m'abandonnais à ma lassitude, je me confiais en ce repos qui est la mort ou l'éternité.

HENRI, ALBAN FOURNIER, DIT ALAIN-FOURNIER, JACQUES RIVIÈRE, Correspondance, lettre de Jacques Rivière à Alain-Fournier, octobre 1906, page 287. 

Ø 54.... je ne vois pas beaucoup de différence entre un homme qui s'abandonne à la colère et un homme qui se livre à une quinte de toux.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1912, page 144. 

Ø 55. Loin de m'abandonner à une amertume diffuse, je pris de face ma tristesse. Ainsi elle offre sa figure forte et l'on a toujours avantage à se confronter à cet aspect d'une puissance dont il faut redouter la nature insaisissable.

HENRI BOSCO, Le Mas Théotime,  1945, page 120. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 7 249. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 11 018, b) 9 573; XXe.  siècle : a) 9 584, b) 10 532. 

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