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ABREUVER, verbe transitif.

Publié le 27/09/2015

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ABREUVER, verbe transitif.  

Pourvoir abondamment en liquide des êtres vivants, le sol, certains matériaux, de manière à désaltérer ou imbiber jusqu'à saturation. (Emplois figurés possibles dans toutes les constructions). 

I.—  Emploi transitif.  [Sans ou avec objet secondaire] 

A.—  Abreuver + objet direct. 

1. Sens propre. 

a) [L'objet est un animé] 

—   [Animal domestique] :

Ø 1.... je veux un jour, en des bords retirés,

Sur un riche coteau ceint de bois et de prés,

Avoir un humble toit, une source d'eau vive,

Qui parle, et, dans sa fuite et féconde et plaintive,

Nourrisse mon verger, abreuve mes troupeaux.

ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, Souhaits de vie indépendante, 1794, page 150. 

Ø 2. Je m'assis à l'entrée du bocage, sur une des larges pierres qui sont au bord de la fontaine, et où l'on vient encore abreuver les vaches du village.

BARBARA JULIANE VON VIETINGHOFF, BARONNE DE KRÜDENER, Valérie, préface de 1803, page 54. 

Ø 3. La nuit commence à pâlir lorsque nous arrivons sur les bords d'un petit lac, où les porteurs vont boire, abreuver les chevaux et se reposer un instant

ANDRÉ GIDE, Le Retour du Tchad,  1928, page 959. 

—   [Personne] :

Ø 4. Sais-tu, les yeux vers le ciel,

Ce que dit la pauvre veuve?

—  Un ange au fiel qui m'abreuve 

Est venu mêler son miel.

VICTOR HUGO, Les Chants du crépuscule,  1835, page 180. 

Ø 5. Ainsi, je m'exécutais en plein : j'allais voiturer, nourrir, abreuver, loger, héberger mes électeurs;...

LOUIS REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale,  1842, page 330. 

Ø 6. Est-ce que nous n'avons pas une véritable parenté de corps avec cette terre d'où nous sortons, où nous rentrons, qui nous porte, qui nous abreuve, qui nous nourrit comme une nourrice de ses mamelles?

ALPHONSE DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point, 1851, page 440. 

Ø 7. On dit à cette mère d'abreuver son enfant; elle le fait tant bien que mal; on lui dit de pencher plus à droite ou plus à gauche la calebasse qu'elle incline vers la soif de l'enfant

ANDRÉ GIDE, Le Retour du Tchad,  1928, page 925. 

b) [L'objet est un inanimé] 

—   [Un sol, une terre] :

Ø 8. Le printemps naissait sous les palmes; les abricotiers étaient en fleur, bourdonnant d'abeilles; les eaux abreuvaient les champs d'orge;...

ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt,  1924, page 603. 

—   Emplois techniques:

·    CONSTRUCTION.  \" Mettre sur un fond poreux une couche d'huile ou d'enduit pour boucher les pores et rendre la surface lisse. Jeter de l'eau sur une paroi en maçonnerie avant d'appliquer un enduit, de façon à faciliter l'adhérence de celui-ci. \" (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). 

·    EXPLOITATIONS SALINIÈRES.  Abreuver une table ou un oeillet, \" introduire de l'eau de mer concentrée sur les tables salantes ou cristallisoirs. \" (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). 

·    MARINE.  Abreuver un vaisseau, \" y faire entrer de l'eau avant de le lancer, pour voir s'il n'y a pas une voie d'eau. \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

·    MÉTALLURGIE.  \" En fonderie, s'infiltrer dans la masse du sable d'un moule, en parlant du métal liquide. \" (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). 

·    PEAUSSERIE.  Abreuver une fosse, \" recouvrir d'eau ou d'un jus tannant les cuirs empilés dans une fosse entre des couches de tan. \" (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). 

·    PEINTURE.  \" Mettre sur un fond poreux une couche d'huile, d'encollage, de couleur ou de vernis, pour en boucher les pores et en rendre la surface unie. \" (Dictionnaire de l'Académie Française) : 

Ø 9. On dit... abreuver quand on met une couche de colle de Flandre ou d'Angleterre, pour remplir les pores du bois, avant de mettre le vernis,...

PÈRE ANTOINE-JOSEPH PERNÉTY, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, avec un traité pratique des différentes manières de peindre,  1757, page 1. 

·    TONNELLERIE.  Abreuver des tonneaux, des cuves, \" les remplir d'eau pour faire gonfler le bois, et par ce moyen, s'assurer qu'ils ne fuient pas. \" (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes) : 

Ø 10. Abeurver. —  Abeurver le persoué, —  abreuver le pressoir, le remplir d'eau pour obtenir le gonflement du bois et rendre la maie étanche.

GLOSSAIRE ÉTYMOLOGIQUE ET HISTORIQUE DES PATOIS ET DES PARLERS DE L'ANJOU  (ANATOLE-JOSEPH VERRIER, RENÉ ONILLION) TOME 1 1908, page 4. 

Ø 11. Les manutentions de transvasement se faisaient aux mains des désoeuvrés par l'hiver : charpentiers, couvreurs, maçons, qui venaient abreuver et rouler les fûts.

PIERRE HAMP, Vin de Champagne,  1909, page 146. 

2. [L'objet désigne des besoins ou des désirs éprouvés par les hommes]  Emploi figuré : 

Ø 12.... j'ai mis mon patriotisme à braver les dégoûts dont on ne cesse d'abreuver la soif que j'ai montrée d'aider mon pays de ces armes...

PIERRE-AUGUSTIN CARON DE BEAUMARCHAIS, Époques,  1793, page 183. 

Ø 13. Pour me rendre le repos, c'est une religion nouvelle qu'il me faudrait, où personne n'aurait encore puisé. C'est elle que je cherche. C'est là seulement que je pourrai abreuver la soif infinie qui me dévore.

EDGAR QUINET, Ahasvérus,  1833, page 228. 

Ø 14. Accablez-la, foulez-la, abreuvez le désir, gorgez l'appétit, assouvissez la fantaisie; que le bruit des tambourins fasse saigner vos oreilles, que la fumée des viandes vous soulève le coeur de dégoût, et que le rassasiement de la femme vous donne envie de mourir.

GUSTAVE FLAUBERT, La Tentation de Saint Antoine, 1re.  version, 1849, page 270. 

Ø 15. O mon coeur! Je vous ai largement abreuvé.

Ma chair, je vous ai soûlée d'amour.

ANDRÉ GIDE, Les Nourritures terrestres,  1897, page 241. 

B.—  Abreuver + objet direct + objet second (préposition de)  [L'objet direct désigne le plus souvent une personne; l'objet secondaire précise la matière de l'abreuvement] 

1. Sens propre.  [L'objet secondaire désigne un liquide] : 

Ø 16. Il [Jack] essayait même de sourire à sa robuste garde-malade quand elle l'abreuvait de tisanes brûlantes.

ALPHONSE DAUDET, Jack, tome 2, 1862, page 340. 

Ø 17. Place du Tertre, elle [Julie] nourrit sa petite ilote, l'abreuva de vin d'Asti.

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Julie de Carneilhan,  1941, page 139. 

Ø 18. « Quand tu auras abreuvé la terre de tes larmes, jusqu'à une profondeur d'un pied, alors tu te réjouiras de tout. »

ALBERT CAMUS, Les Possédés, adapté de Fédor Dostoïevski, 1959, page 966. 

Remarque : Dans l'exemple suivant l'objet secondaire est remplacé par un circonstanciel de moyen (péroposition avec) : 

Ø 19.... supposons qu'il appelle tous les arts pour orner le lieu de la fête dans ses diverses parties, et qu'il ordonne aux préparateurs d'employer pour la bonne chère toutes les ressources de l'art, et d'abreuver les convives avec ce que les caveaux contiennent de plus distingué;...

JEAN-ANTELME BRILLAT-SAVARIN, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante,  1825, page 268. 

2. Au figuré.  [L'objet secondaire désigne une entité abstraite] 

—   En bonne part : 

Ø 20.... il m'a abreuvé une partie de la nuit d'attentions et de liqueurs fines, mais j'ai néanmoins gardé mon indépendance.

HENRI MURGER, Scènes de la vie de bohème, Préface 1851, page 132. 

Remarque : Exceptionnellement, l'objet désigne une personne : 

Ø 21. Eh! vous faites bien, très-bien, fort bien de commencer vos lettres par vous-même. Servez d'abord le bon vin comme aux noces de Cana, abreuvez-moi de vous, mon amie, qu'est-ce qui peut m'intéresser davantage?

EUGÉNIE DE GUÉRIN, Lettres,  1840, page 350. 

—   Le plus souvent en mauvaise part : 

Ø 22. Je ne m'abuse plus : soigneux de me déplaire,

Il n'est pas un chagrin qu'il ne veuille me faire.

Depuis que de l'hymen le noeud m'attache à lui,

Il m'abreuva de honte, il m'abreuva d'ennui :...

GABRIEL LEGOUVÉ, La Mort de Henri IV,  1806, II, 2, page 367. 

Ø 23. Le Christ pouvait-il mieux choisir le lieu de ses larmes? pouvait-il « arroser de la sueur de sang une terre » plus labourée de misères, plus abreuvée de tristesses, plus imbibée de lamentations?

ALPHONSE DE LAMARTINE, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur, tome 1, 1835, page 426. 

Ø 24. Et toujours lorsqu'elles lui revenaient aux lèvres, ces exquises et funèbres plaintes évoquaient pour lui un site de banlieue, un site avare, muet, où, sans bruit, au loin, des files de gens, harassés par la vie, se perdaient, courbés en deux, dans le crépuscule, alors qu'abreuvé d'amertumes, gorgé de dégoût, il se sentait, dans la nature éplorée, seul, tout seul, terrassé par une indicible mélancolie, par une opiniâtre détresse,...

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, À rebours,  1884, page 274. 

Ø 25.... l'innombrable armée des sans-talents, qui remplit les salles de théâtre et les bureaux de rédaction des journaux, épieront toutes tes actions dont ils feront des crimes, ils t'abreuveront d'outrages. Ils publieront sur toi mille et mille calomnies.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Vie en fleur,  1922, page 544. 

Ø 26. Il est comme « cloué à la croix de sa fiction », il subit « l'influence hypnotisante d'un pan de vie fictif » (Adler). La fiction peut, à un moment donné, revêtir un caractère concret : cet enfant qui a été abreuvé de privations (notamment alimentaires) est pris d'une rage de possession et de conquête,...

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 599. 

II.—  Emploi absolu [L'objet inexprimé est un animé] Sens propre et parfois figuré : 

Ø 27. Du vin! toujours du vin! crie-t-il aux domestiques, qui ne se lassent point d'abreuver à la ronde.

LÉON GOZLAN, Le Notaire de Chantilly,  1836, page 287. 

Ø 28. Il est fêté, nourri, abreuvé, grisé pendant quelques jours, au bout desquels le marié, qui est le maire du village, lui donne une lettre de recommandation pour un ami de Valence.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  mars 1872, page 876. 

Ø 29. À toi, nature, je me rends;

Et ma faim et toute ma soif.

Et, s'il te plaît, nourris, abreuve.

Rien de rien ne m'illusionne;...

ARTHUR RIMBAUD, Derniers vers, Bannières de mai, 1872, page 157. 

Ø 30. Resserré dans un chef-d'oeuvre, l'enthousiasme d'un beau génie se dilatera indéfiniment dans les âmes. La fontaine a jailli si fort qu'elle ne cessera plus dès lors d'abreuver.

MAURICE BARRÈS, Une Enquête aux pays du Levant, tome 2, 1923, page 158. 

Ø 31. Et toi, vieux bétail, il te conduisait comme un jeune berger dans les invisibles prairies dont tu n'eusses rien su dire sinon que pour une minute tu te sentais comme allaité et rassasié et abreuvé.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle,  1944, page 846. 

Ø 32. « Bienheureux », dit l'évangile, « ceux-là qui ont faim et soif de la justice ». Faim et soif comme quelque chose à boire qui abreuve et comme de pain pour le manger qui nourrisse. « Bienheureux », entendez-vous « Faim et soif »... C'est aujourd'hui même qu'il est bon d'avoir faim et soif!

PAUL CLAUDEL, Visages radieux, La Vocation de Saint Louis, 1947, page 769. 

III.—  Emploi réfléchi. S'abreuver.  [Emploi le plus souvent figuré] 

A.   [Avec un complément marquant l'origine]  S'abreuver à  : 

Ø 33.... nul n'aura fait jaillir fontaine plus féconde,

Où, depuis deux mille ans, sans la tarir, le monde

S'abreuve et puise encore, ignorant aujourd'hui

Qu'il boit à cette source et qu'elle coule en lui.

AUGUSTE BRIZEUX, Marie,  1840, page 95. 

Ø 34. C'est devant leurs oeuvres que plus tard, dans les musées, enfin modernisés et ouverts à tous, le peuple aimera se reposer de ses peines et anticiper sur ses vacances, comme les américains, aujourd'hui saturés de rationalisation, vont goulûment s'abreuver aux inquiétantes fantasmagories du surréalisme.

ANDRÉ LHOTE, Peinture d'abord,  1942, page 160. 

B.  [Avec un objet secondaire]  S'abreuver de  : 

Ø 35. Abreuvez-vous journellement des eaux de la crainte du seigneur; abreuvez-vous en constamment, et jusqu'à vous enivrer de cette boisson salutaire.

La crainte du seigneur est une seconde création pour l'homme. Elle éloigne de lui tous les maux.

Elle absorbe toutes les autres craintes.

Elle peut même absorber vos inquiétudes sur cette prescience qui vous tourmente, parce qu'elle peut vous unir à l'action universelle, et à l'éternelle continuité de la lumière.

LOUIS-CLAUDE DE SAINT-MARTIN, L'Homme de désir,  1790, page 94. 

Ø 36. Elle suivait ses gestes, elle combattait avec lui, elle terrassait avec lui, elle s'enivrait de ses triomphes; et, sans le savoir, elle s'abreuvait à longs traits d'un ardent et impérissable amour.

RODOLPHE TOEPFFER, Nouvelles genevoises,  1839, page 90. 

Ø 37. Son cerveau [de Louvel] nourrissait une seule pensée, comme un coeur s'abreuve d'une seule passion.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 3, 1848, page 37. 

Remarque : Le fait d'abreuver jusqu'à saturation, rapproche souvent ce verbe de absorber (exemple 35). 

 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 507. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 1 084, b) 744; XXe.  siècle : a) 607, b) 463. 

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