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ACHARNER, verbe transitif.

Publié le 01/10/2015

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ACHARNER, verbe transitif.  

A.—  Emploi transitif, vieux, rare,  VÉNERIE.  

1. Donner le goût de la chair : 

Ø 1. On acharne les chiens en leur donnant le goût et l'appétit de la chair.

JACQUES-JOSEPH BAUDRILLART. Chasses.  1834. 

2. Lancer un faucon ou un chien de chasse à la poursuite du gibier : 

Ø 2. Parmi les personnes qui emploient le verbe acharner, combien peu savent qu'il signifie proprement lancer le faucon sur la chair?

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Vie littéraire, tome 1, 1888, page 295. 

—  Au figuré. 

·    [Avec une idée d'hostilité]  Acharner contre ou sur : 

Ø 3. On sait avec quelle fureur ils [mes calomniateurs] ont acharné contre moi la populace de la plume...

PIERRE-AUGUSTIN CARON DE BEAUMARCHAIS, Époques,  1793, page 77. 

·    [Avec une idée d'obstination]  Acharner à : 

Ø 4. Toute ma volonté n'est pas de trop, qui m'acharne à ce travail où je ne cherche plus avantage.

ANDRÉ GIDE, Journal,  février 1918, page 670. 

3. Acharner un leurre. Le garnir de chair. 

—  Au figuré : 

Ø 5. Depuis long-temps je voulais trancher mon existence qui me lasse et m'importune, mon leurre était encore acharné de quelque espoir, je remettais de jour en jour; enfin, misérable porte-faix des misères humaines, je romps sous le fardeau, et viens le déposer.

PETRUS BOREL, Champavert, les contes immoraux, Passereau, l'écolier, 1833, page 192. 

4. Attirer (l'oiseau) à l'aide du tiroir : 

Ø 6. On dit acharner l'oiseau sur le tiroir, soit au poing avec le tiroir, ou en attachant le tiroir au leurre.

JACQUES-JOSEPH BAUDRILLART. Chasses.  1834. 

B.—  Emploi pronominal, usuel.  [Le sujet désigne un animé personnel ou une force agissant à la manière d'une personne] 

1. [L'idée dominante est celle d'hostilité]  S'acharner + préposition + substantif animé ou inanimé..  Poursuivre avec une hostilité opiniâtre. 

—  S'acharner contre : 

Ø 7.... le vent hargneux du nord (...) s'acharnait contre le toit.

GUY DE MAUPASSANT, Une Vie,  1883, page 90. 

Ø 8. On l'a bien vu dans cette affaire Dreyfus où l'opinion publique était aussi peu disposée que possible à manifester la moindre sympathie en faveur du condamné, tandis qu'une notable partie de la presse s'acharnait contre lui, en sa qualité de Juif, avec une ardeur sans pareille.

GEORGES CLEMENCEAU, L'iniquité,  1899, page 14. 

Ø 9.... c'est contre ce réalisme-là que s'acharne, au contraire, l'« intellectualisme » tel que l'entendait Éleuthère.

HENRI MASSIS, Jugements, tome 2, 1924, page 228. 

—  S'acharner sur : 

Ø 10.... il lança quelques jurons et force soupirs en exigeant de l'espace et de l'air, puis, comme on s'acharnait sur lui de plus belle, à son corps défendant, et qu'on le persécutait de cris et de prières en le serrant contre les poitrines au point de l'empêcher de jouer des poumons selon ses besoins, il se renfrogna pour tout de bon et montra les gencives...

LÉON CLADEL, Ompdrailles, le tombeau des lutteurs,  1879, page 46. 

Ø 11. Et voilà, couché devant leurs pas le squelette du village. Ce n'est plus qu'un tas d'os brisés sur lequel s'acharne le vent. Le long fleuve d'air mugit dans les maisons vides. Les ossements luisent sous la lune.

JEAN GIONO, Colline,  1929, page 95. 

Remarque : Dans les exemples suivants, la préposition est à par référence archaïsante au sens propre en vénerie avec l'interférence probable de l'idée (et de la construction) de s'attacher à : 

Ø 12. Les souvenirs de la terre les poursuivent encore; leurs passions sans but s'acharnent à leur coeur; elles s'agitent sur le passé, qui leur semble encore moins irrévocable que leur éternel avenir.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Corinne ou l'Italie, tome 1, 1807, page 76. 

Ø 13. Est-ce parce que je vous aime que vous êtes affligée? Le sort s'acharne à tout ce qui m'entoure de près ou de loin!

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1872, page 46. 

—  S'acharner après : 

Ø 14. Quoique la procédure soit environnée du plus profond mystère, (...), et dirigée par le fiscal général Rassi, dont la seule charité chrétienne peut m'empêcher de dire du mal, mais qui a fait sa fortune en s'acharnant après les malheureux accusés comme le chien de chasse après le lièvre; quoique le Rassi, dis-je, dont votre imagination ne saurait s'exagérer la turpitude et la vénalité, ait été chargé de la direction du procès par un prince irrité, j'ai pu lire les trois dépositions du Vetturino.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, La Chartreuse de Parme,  1839, page 202. 

Remarque : 1. L'ordre de fréquence croissante des prépositions est le suivant : après, contre, sur. 2. Les prépositions contiennent des souvenirs précis de l'emploi du verbe comme terme de vénerie Sur rappelle le vol du faucon qui fonce sur sa proie; dans après se perçoit l'image de chiens courant derrière le gibier; contre renvoie à l'affrontement ultime entre le poursuivant et le poursuivi. 3. L'idée d'hostilité est particulièrement nette lorsque le complément prépositionnel désigne un animé personnel ou animal. La nuance péjorative apparaît là avec une netteté particulière. 

2. [L'idée dominante est celle d'opiniâtreté] 

a) Construction prépositive.  Persévérer avec opiniâtreté. 

—  Rare.  [Le complément est un inanimé]  S'acharner dans : 

Ø 15. Il brossait son carrelage, cirait le dessous du lit, commençait la lessive de son linge, d'un mouchoir, d'une chemise, la recommençait deux fois, trois fois, dix fois, s'acharnait dans une stupide besogne inutile, pour s'épuiser, s'occuper, donner à cette étrange bête qui habitait son crâne et qu'on nomme la pensée un aliment, quelque chose à dévorer.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 282. 

—   [Le complément est un verbe à l'infinitif ou un substantif]  S'acharner à : 

Ø 16. Les Pélasges industrieux ont été traités par les races guerrières de l'antiquité, comme la ville de Tyr le fut par les Assyriens de Salmanazar et Nabucadnézar, qui, par deux fois, s'acharnèrent à sa perte;...

JULES MICHELET, Histoire romaine, tome 1, 1831, page 21. 

Ø 17.... il avait les bronches faibles, et respirait avec peine. Asthme, catarrhe, bronchite, s'acharnaient après lui : et la trace des luttes qu'il lui fallait subir (...) était gravée dans les plis douloureux de sa longue figure, maigre et rasée.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Révolte, 1907, page 552. 

Remarque : 1. À est de beaucoup la préposition la plus fréquente après s'acharner. 2. Dans certains emplois avec un infinitif, s'acharner a la valeur d'une sorte de semi-auxiliare de l'amplification : 

Ø 18.... il est des hommes faits pour éprouver tous les malheurs, des hommes que le destin s'acharne à poursuivre sans relâche, et sur qui pèse invariablement la main de la fatalité.

JEAN-HENRI-FERDINAND LA MARTELIÈRE, Robert, chef des brigands, 1793, IV, 5, page 46. 

b) Emploi absolu : 

Ø 19. Elle ne m'aime point du tout. Elle est dans un tourbillon qui l'étourdit. Elle ne m'aimera jamais. Je m'use et m'acharne sans but et sans espoir. Il faut guérir de ceci comme d'une maladie.

BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Journaux intimes,  septembre 1814, page 410. 

Ø 20. Le paysan fut admirable d'endurance et de foi. Comme les fourmis qui refont grain à grain leur fourmilière bouleversée, il refit le patrimoine motte à motte. Plus la désolation était grande, plus il s'acharnait. Sa fidélité à la terre malade tenait de la grandeur...

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, tome 3, 1932, page 98. 

C.—  Principales associations notées.   

1. Syntagmes. Acharner comporte toujours l'idée d'obstination, appliquée à une entreprise quelconque (s'acharner sans but, BENJAMIN CONSTANT, Journaux intimes, 1803-1816, page 410; s'acharner à ses tâches quotidiennes, ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, page 225) ou accompagnée d'hostilité (s'acharner à détruire, IDEM, ibidem, Les Amies, 1910, page 1144; s'acharner à la poursuite, HONORÉ DE BALZAC, Un Épisode sous la Terreur, 1846, page 434; s'acharner à poursuivre, Mme COTTIN, Mathilde, 1805, page 323; s'- à vaincre, HONORÉ DE BALZAC, Annette et le criminel, 1824, page 125) souvent vigoureuse (s'acharner à le faire souffrir, JORIS-KARL HUYSMANS, Marthe, 1876, page 27); association avec persécuter, se ruer, confer infra. Lutte ou entreprise peuvent s'exercer au point de vue des idées (s'acharner à convaincre, JEAN ET JÉRÔME THARAUD, Dingley, L'illustre écrivain, 1906, page 119; la passion qui s'acharne, GEORGE SAND, Histoire de ma vie, 1855, page 59; s'acharner à prouver, HENRI DE MONTHERLANT, Les Lépreuses, 1939, page 1373 et LOUIS-FERDINAND CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, page 80), et l'adversaire, être représenté par une force abstraite : la fatalité s'acharne, ANDRÉ GIDE, Souvenirs de la Cour d'Assises, 1913, page 640; la fatalité qui s'acharne, ÉDOUARD ESTAUNIÉ, L'empreinte, 1896, page 245; le malheur s'acharne, ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, page 236. 

2.  Association paradigmatique :  acharner/combattre (ALPHONSE DE LAMARTINE, Voyage en Orient, 1835, page 325), acharner/exterminer (JULES MICHELET, L'Oiseau, 1856, page 85), acharner/persécuter (HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 1886, page 529). 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 593. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 278, b) 864; XXe.  siècle : a) 1 490, b) 922. 

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