ACHETER, verbe transitif. Définition

ACHETER, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif.  Obtenir contre paiement la propriété et l'usage. 

A.—  [L'objet désigne un animal ou quelque objet vénal] 

1. En général. 

a) Construction directe : 

Ø 1. Tout vice vient d'oisiveté, tout désordre public vient du manque de travail. Ces gens donc, chaque fois que simplement ils achètent une terre et la revendent, font bien, font une chose utile;...

PAUL-LOUIS COURIER, Pamphlets politiques, Lettres au rédacteur du \"Censeur\", 1819-1820, page 19. 

Ø 2. Incapable de résister à une envie, elle s'engouait d'un bibelot qu'elle avait vu, n'en dormait pas, courait l'acheter, le troquait contre un autre, et gâchait les étoffes, perdait ses bijoux, gaspillait l'argent, aurait vendu sa chemise pour une loge d'avant-scène.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 183. 

Ø 3. Il était habillé d'un costume neuf, acheté tout fait dans un magasin.

PAUL BOURGET, Nos actes nous suivent,  1926, page 21. 

b) Construction indirecte. 

—   [Avec un complément indiquant le bénéficiaire de l'achat] 

·    Acheter à : 

Ø 4. Il se crut prudent d'investir la somme dans une villa qu'il acheta à sa fiancée près de Nüremberg.

FRANCIS AMBRIÈRE, Les Grandes vacances,  1946, page 317. 

·    Acheter pour : 

Ø 5. —  Ce sont de belles castagnettes assorties à ton costume, que ton grand-père est allé acheter pour toi au bazar de la rue Saint-Dizier...

SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Souvenirs d'une petite fille, tome 2, 1928, page 159. 

Ø 6. Je n'avais aucun autre rendez-vous jusqu'au dîner, mais je me trouvai assez désorienté pour éprouver l'envie d'acheter un bouquet de muguet pour Gina et décider de lui apporter.

RAYMOND ABELLIO, Heureux les pacifiques,  1946, page 158. 

—   [Avec un complément indiquant le vendeur] 

·    Acheter de. Rare : 

Ø 7. Son père s'arrêtait pour causer avec cette forte campagnarde, dont les épaules, dans ce temps-là, comme aujourd'hui, crut se rappeler Florentine, étaient recouvertes du même vieux chandail d'homme, bruni au soleil. Ils achetaient d'elle, des petits cornichons au vinaigre dont Azarius était friand.

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion,  1945, page 303. 

·    Acheter à. Usuel : 

Ø 8. Je vous ai dit que c'était un montreur d'animaux savants. Il les achète à des dresseurs, principalement à Voussois, qui habite dans le midi.

RAYMOND QUENEAU, Pierrot mon ami,  1942, page 157. 

Ø 9. J'ai dû acheter ça un jour à un mendiant ou à un colporteur. Il y a des années que c'est dans ce tiroir.

GEORGES SIMENON, Les Vacances de Maigret,  1948, page 173. 

Remarque : \" À quel marchand avez-vous acheté cela ou de quel marchand? Le premier est plus usité dans le langage ordinaire, mais voilà toute la différence. D'après Lafaye, on dira le premier quand on voudra aller trouver le marchand pour acheter un objet semblable, et le second quand on aura seulement l'intention d'indiquer la provenance : à désignant vers qui l'on est allé, à qui l'on s'est adressé et de désignant de qui on tient la chose achetée. Mais l'usage confond tout à fait ces deux emplois. \" (LITTRÉ.) 

·    Acheter chez : 

Ø 10.« Seigneur, me disais-je, pour celui-là seul qui gratte sa terre, plante l'olivier et sème l'orge, sonne l'heure des métamorphoses dont il ne saurait se réjouir s'il achetait son pain chez le marchand.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle,  1944, page 952. 

Ø 11. Madame Mabille tenait l'épargne pour une vertu capitale; elle eût jugé immoral d'acheter chez un fournisseur les produits qui pouvaient se fabriquer à la maison : pâtisserie, confitures, lingerie, robes et manteaux.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée,  1958, page 273. 

—   [Avec un complément indiquant le lieu] 

·    Acheter à : 

Ø 12.... je suis un peu pressé, je pars. J'ai encore deux sacs d'avoine à acheter au marché.

LÉON GOZLAN, Le Notaire de Chantilly,  1836, page 15. 

Ø 13.... sur chaque croix flottait un petit drapeau, de ces drapeaux d'enfant qu'on achète au bazar, et cela tout claquant donnait à ce champ de morts un air joyeux d'escadre en fête.

ROLAND LECALELÉ, DIT ROLAND DORGELÈS, Les Croix de bois,  1919, page 36. 

Ø 14.... elle avait pensé s'arrêter au Quinze-cents pour donner des nouvelles de Daniel à Florentine, et acheter à une épicerie de la rue Notre-Dame quelques provisions pour le souper.

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion,  1945, page 284. 

c) Construction absolu : 

Ø 15. Il avait travaillé, trafiqué, acheté et vendu. Mais tout le monde en avait fait autant. Il fallait vivre. Et qui possédait quelque chose avait été trop heureux d'en pouvoir faire argent.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 462. 

—   Syntagmes fréquents.  1.  Verbe + substantif : acheter des livres, des journaux (Honoré de Balzac, Les Illusions perdues, 1843, page 293; Jules Michelet, Journal, août 1845, page 618; Edmond et Jules de Goncourt, Journal, août 1858, page 525; Henri de Montherlant, Les Bestiaires, 1926, page 395; Roger Martin du Gard, Les Thibault, 1929, page 1317); acheter des terres, des maisons (Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, dits Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan, tome 2, 1870, page 139; Maurice Barrès, Mes cahiers, tome 1, 22 juin 1896 - mai 1897, page 133; André Maurois, La Vie de Disraëli, 1923, page 61); acheter du pain, des denrées alimentaires (Émile Zola, La Débâcle, 1892, page 476; Jean Jaurès, Études socialistes, 1901, page 127; Léon Frapié, La Maternelle, 1904, page 98); acheter une charge [magistrature] (Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine, 1856, page 505; Émile Zola, L'Argent, 1891, page 91); acheter tout fait (dans la langue de la confection) (confer exemple 3). 2.  Verbe + adverbe (ou équivalent).  a)  Indiquant le prix :  acheter cher, très cher (Maxence Van der Meersch, Invasion 14, 1935, page 35; Albert Camus, Requiem pour une nonne, 1956, page 898); acheter à prix d'or (André Gide, Paul Valéry, Correspondance, septembre 1891, page 124); acheter bon marché (Emmanuel Mounier, Traité du caractère, 1946, page 325); acheter à vil prix (Maxence Van der Meersch, Invasion 14, 1935, page 18); acheter à bas prix (Simone de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, page 513); acheter à votre prix (Jean Giraudoux, L'Apollon de Bellac, 1942, 7, page 68); acheter à son prix (Jean Giraudoux, L'Apollon de Bellac, 1942, 7, page 114).  b)  Indiquant la manière, la quantité :  acheter à crédit (André Gide, Journal, 1891, page 25; Léon-Paul Fargue, Le Piéton de Paris, 1939, page 32); acheter en douce (Elsa Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 27); acheter à tour de bras (Simone de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, page 292); acheter tout ce qui vous tombe sous la main (Blaise Cendrars, Bourlinguer, 1948, page 249). 

—   Proverbes.  [En parlant d'une boisson et par extension de denrées qu'on achète]  Qui bon l'achète, bon le boit (Dictionnaire de l'Académie Française 1835 et 1878). Qui achète ce qu'il ne peut, vend après ce qu'il ne veut. Acheter tête et queue. Acheter bien cher (Dictionnaire universel de la langue française (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845). 

2. Par extension, familier ou argotique. 

a) Acheter chat en poche. \" Conclure légèrement un marché sans avoir examiné l'objet qu'on achète. \" (Dictionnaire de la langue verte (HECTOR FRANCE) 1907) : 

Ø 16.... les gens du monde admirent cela comme ils admirent la science de M. Babinet et les sermons de l'abbé Lacordaire, achetant chat en poche du moment qu'on leur a persuadé que c'était comme il faut.

PROSPER MÉRIMÉE, Lettres à une inconnue, tome 2, 1870, page 284. 

b) Acheter à la course. \" Voler en passant un objet quelconque à un étalage. \" (Charles Virmaitre, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, 1894). 

c) Acheter à la foire d'empoigne. Voler (Confer Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l'Anjou (ANATOLE-JOSEPH VERRIER, RENÉ ONILLION) 1908). 

B.—  [L'objet désigne une personne ou une chose qui normalement n'est pas vénale]  Acheter des voix, le suffrage, le silence de quelqu'un (Dictionnaire de l'Académie Française). 

1. [L'objet désigne une personne ou une collectivité] 

a) Obtenir par corruption le concours ou l'assentiment de quelqu'un : 

Ø 17.... jamais on ne m'a vu acheter aucune voix, ni aucun parti par des promesses, de l'argent ou des places;...

EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 1, 1823, page 179. 

Ø 18. Le rédacteur devient un « salarié » (...) «... la plupart dont la plume est l'unique gagne-pain, se résignent, deviennent des valets. » Aussi, partout « le chantage sous toutes ses formes, les éloges vendus, le silence acheté... »

CHARLES MAURRAS, L'Avenir de l'intelligence,  1905, page 87. 

Ø 19. On n'achète plus les juges, et aucun justiciable ne se risquerait à leur graisser la patte. (La Fouchardière).

L'Œuvre.  28 février 1941. 

b) Vieux. Acheter un homme. Payer un remplaçant pour faire le service militaire à votre place : 

Ø 20. On avait toujours eu l'intention de faire un cadeau à Jack à sa majorité pour lui acheter un homme et lui permettre de s'établir.

ALPHONSE DAUDET, Jack, tome 2, 1876, page 85. 

c) Familier et argotique. Acheter quelqu'un. \" Se moquer de lui, le tourner en dérision, se payer sa tête \". (Dictionnaire de la langue verte (HECTOR FRANCE) 1905). 

2. [L'objet est un abstrait]  Obtenir quelque chose au prix d'un sacrifice, de peines ou de difficultés vaincues : 

Ø 21. C'est trop acheter un peu de renommée, que de la payer par vingt ans de fatigues, de voyages et d'erreurs.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Correspondance générale, tome 1, 1848, page 225. 

Ø 22.... ce dernier [Lafouasse] , (...) se plaignait que la piqûre fût douloureuse; mais, enfin, on pouvait bien souffrir un peu, pour acheter de la bonne santé.

ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal,  1893, page 52. 

Ø 23. Si ardente qu'elle fût elle-même, si pressée de conquérir ce premier homme qu'elle eût aimé, elle n'était pas assez folle pour l'acheter du prix de sa vie quand elle voyait tant d'autres moyens de le séduire plus simplement.

PIERRE LOUÿS, Aphrodite,  1896, page 206. 

II.—  Emploi pronominal. 

A.—  Emploi réfléchi. S'acheter quelque chose Acheter pour soi (confer supra acheter quelque chose à quelqu'un) : 

Ø 24. Il avait cru réaliser des rêves, il avait tenté de s'acheter des choses, de se payer du bon temps. Il s'offrit un foulard de soie blanche, une épingle de cravate en fer à cheval, une montre.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 184. 

Ø 25. Un jour, à treize ans, ayant reçu de son père un billet de cinquante francs pour aller s'acheter de l'encre à stylo, à charge de rapporter la monnaie, Brunet était revenu avec le visage changé.

HENRI DE MONTHERLANT, Le Démon du bien,  1937, page 1353. 

—  Familier. S'acheter une conduite. \" Mener une conduite plus régulière. \" (Lucien Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien, L'Argot ancien et moderne, 1878) : 

Ø 26.... quand il avait appris que Vincent avait fait entrer Nadine dans son gang, il lui avait sérieusement sonné les cloches. Et il l'avait expédié pour un mois en Afrique. Vincent avait affirmé au retour qu'il s'était acheté une conduite :...

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 233. 

B.—  Emploi passif. 

1. S'acheter..  Être acheté : 

Ø 27.... maintenant que je reviens d'Arras je suis de mon groupe plus que jamais? J'ai acquis un lien de plus. J'ai renforcé en moi ce sentiment de communauté qui est à savourer dans le silence. Israël et Gavoille ont subi des risques plus durs, peut-être, que les miens. Israël a disparu. Mais, de cette promenade d'aujourd'hui, je ne devais pas revenir non plus. Elle me donne un peu plus de droit de m'asseoir à leur table, et de me taire avec eux. Ce droit-là s'achète très cher.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 355. 

Ø 28. Il sait (...) qu'une liberté commune s'achète par une critique et un combat recommencés chaque jour. C'est assez pour que les contradictions des progrès, sans être résolues, puissent être surmontées.

FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe.  siècle.  1964, page 466. 

2. S'acheter par..  Être acheté en échange de... : 

Ø 29. Chaque progrès dans l'art d'écrire ne s'achète que par l'abandon d'une complaisance.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1920, page 684. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 7772. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 11470, b) 13137; XXe.  siècle : a) 12686, b) 8593.