AIGUÉ, -ÉE, adjectif.

AIGU, -UË, adjectif.  

I.—  Emploi adjectival. 

A.—  [En parlant d'un objet, d'un phénomène physique] 

1. [En parlant d'un objet physique, naturel ou manufacturé]  Qui se termine en pointe, en tranchant, qui coupe. 

a) L'objet qualifié est, en raison de sa forme, capable de percer ou de trancher : 

Ø 1. L'os aigu d'albatros, qui sert aux tatoueurs maoris, avait, en lignes serrées et profondes, sillonné cinq fois son visage.

JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 3, 1868, page 103. 

Ø 2. Le croc du tisonnier, forgé, aplati au marteau, aigu et long comme une lame de couteau, avait plongé tout entier dans l'orbite.

MAURICE GENEVOIX, Raboliot,  1925, page 349. 

Ø 3. Le sous-main en cuir épais était marqué au chiffre du docteur, ainsi que le buvard. Devant l'encrier, il y avait un large coupe papier en ivoire et un plus petit, plus mince, plus aigu, pour ouvrir les lettres.

GEORGES SIMENON, Les Vacances de Maigret,  1948, page 119. 

b) [L'objet qualifié ressemble aux précédents par sa forme]  Qui se termine en pointe. Pignon aigu : 

Ø 4. Chacune de ces maisons a pignon sur rue, pignon aigu comme une flèche d'église, pignon triomphal.

JULES MICHELET, Journal,  juillet 1840, page 339. 

Ø 5. Cette silhouette noire se fondait dans la pénombre. Seul s'éclairait, dans une sorte de clair-obscur chimérique, le fin visage aigu, pointu, triangulaire, un visage presque sans pommettes et sans joues et comme écrasé sous une chevelure accablante et sombre, trop lourde.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 108. 

Remarque : Autres syntagmes montagne aiguë, ombre aiguë (sur un cadran solaire), écriture aiguë. 

—  Emplois spéciaux.  BOTANIQUE.  Feuilles aiguës. Synonymes : acuminées, lancéolées, subulées :  

Ø 6. C'était une plante de triste mine, herbacée, à feuilles alternes, ovales, aiguës et géminées, avec de grandes fleurs rouges en forme de clochettes monopétales et soutenues par un pédoncule axillaire.

JULES VERNE, Les Cinq cents millions de la Bégum,  1879, page 139. 

·    GÉOMÉTRIE.  Angle aigu. Angle inférieur à 90o. Triangle, dièdre aigu. Dont tous les angles sont aigus : 

Ø 7.... alors son corps est également appuyé sur les deux jambes. L'angle que celle qui est la plus avancée fait avec le tarse est obtus; celui de l'autre est aigu. 

GEORGES CUVIER, Leçons d'anatomie comparée, tome 1, 1805, page 486. 

·    VÉNERIE.  Ongles aigus (d'une bête). Synonyme : acérés :  

Ø 8. Ce renard-là est dit « charbonnier ». Rousse ou grise, la bête est armée de dents longues et tranchantes, d'ongles aigus qui prennent sur le sol. C'est une admirable bête carnassière.

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Chez nous, tome 2, 1923, page 131. 

2. Par analogie.  [En parlant de l'effet produit sur les sens par un phénomène physique ou physiologique]  Qui produit une sensation ou une impression particulièrement vive : 

Ø 9. C'était le sifflet de Quasimodo. Elle le saisit avec une convulsion d'espérance, le porta à ses lèvres, et y siffla de tout ce qui lui restait de force. Le sifflet rendit un son clair, aigu, perçant. 

VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris,  1832, page 438. 

Ø 10. Le Nil baisse chaque jour davantage; la chaleur est aiguë comme une brûlure.

MAXIME DU CAMP, Le Nil, Égypte et Nubie,  1854, page 221. 

Ø 11.... le froid aigu faisait craquer les arbres.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Le Loup, 1882, page 1244. 

Ø 12. Pas de coco, c'est pour la petite classe! à nous l'eau vinaigrée qui blanchit les lèvres et tiraille l'estomac, les citronnades aiguës, les menthes qu'on fabrique soi-ême avec les feuilles fraîches de la plante, l'eau-de-vie chipée à la maison et empâtée de sucre, le jus des groseilles vertes qui fait regipper.

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Claudine à l'école,  1900, page 250. 

Ø 13. Et ce feuillage n'est plus d'un vert sombre, presque noir, semblable au vert des forêts du Congo, mais d'un vert aigu, joyeux, vibrant comme ces champs d'orge rencontrés soudain au défaut d'une dune, en Tunisie, après des lieues de sable roux.

ANDRÉ GIDE, Le Retour du Tchad,  1928, page 950. 

Remarque : Autres syntagmes couleur, cri, froid, fumet, lumière, parfum, rire, son aigu. 

—  Emplois spéciaux.  ACOUSTIQUE, MUSIQUE.  De fréquence élevée : 

Ø 14. La voix vibrante de Blanche dominait, coupée, parfois, par le timbre plus aigu et aigre de Xavier.

FRANÇOIS MAURIAC, Le Mystère Frontenac,  1933, page 124. 

Ø 15. Aigu. Qualité du son placé dans la région élevée de l'échelle musicale, par opposition au mot grave, appliqué aux sons placés dans le bas de l'échelle des sons.

Dictionnaire général de l'art musical (PAUL ROUGNON)  1935. 

·    GRAMMAIRE (GRECQUE ou LATINE d'une part, FRANÇAISE d'autre part).  Accent aigu, syllabe, voyelle aiguë : 

Ø 16. Accent aigu. Dénomination empruntée aux grammairiens latins (accentus acutus traduisant le oxeia prosôidia du grec) pour désigner l'élévation du son (équivalent en grec ancien à une quinte au maximum d'après Denys d'Halicarnasse) qui constitue le ton ou accent de hauteur. Plus particulièrement, le terme est appliqué quelquefois au ton dit ascendant, qui part du grave pour aboutir à l'aigu sur une même syllabe. Le signe graphique dit accent aigu est employé avec des valeurs diverses, par exemple en français pour noter le timbre fermé de l'e, comme dans été, en métrique pour signaler la place du temps marqué, etc.

PRÉCIS DE STYLISTIQUE FRANÇAISE  (JULES MAROUZEAU) Lexique.  1951. 

Remarque : L'épithète aigu, en tant que signe graphique, suggère aussi une idée de pointe, et relève donc, sous ce rapport de A 2 supra. 

B.—  Au figuré. 

1. [En parlant d'un organe des sens ou d'une fonction de l'esprit]  Dont l'action va plus loin, dont le fonctionnement est plus vif que d'ordinaire. Synonymes : perçant, pénétrant. Odorat aigu, intelligence aiguë. 

—  Par extension. 

a) [En parlant d'un acte ou d'une manifestation de ces organes ou de ces fonctions]  Regard aigu, remarque aiguë : 

Ø 17. Je me trouvai alors en face du tribunal, et je me hâtai à mon tour d'embrasser l'assemblée d'un regard large et effaré, pendant que ses regards fixes, aigus et pénétrants me criblaient comme des flèches, car c'était moi qui faisait ce jour-là les principaux honneurs du spectacle.

CHARLES NODIER, La Fée aux miettes,  1831, page 125. 

Ø 18. 21 novembre. Le républicanisme de mon ami Charles Edmond est plus âpre, plus aigu, plus agressif ces temps-ci.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  novembre 1860, page 837. 

Remarque : Autres syntagmes esprit aigu, vision aiguë des choses, etc. 

b) Avec une nuance agressive.  [En parlant d'un sentiment, d'une parole, etc.]  Épigramme aiguë : 

Ø 19. Il est bien peu de femmes qui ne se soient trouvées, une fois dans leur vie... en face d'une interrogation précise, aiguë, tranchante... 

HONORÉ DE BALZAC, Ferragus,  1834, page 64. 

Ø 20. Elle [sa mère] haïssait Suzanne d'une haine aiguë, faite de passion exaspérée et de jalousie déchirante, étrange jalousie de mère et de maîtresse...

GUY DE MAUPASSANT, Bel-Ami,  1885, page 391. 

—  Par métonymie.  [En parlant d'une personne dont les actes, les paroles ou les manifestations sont aigus]  Synonyme : acide :  

Ø 21. Renversé dans un fauteuil, un peu à l'écart du cercle principal, il [Boulanger] affectait un air ennuyé et lassé. L'aigu Clemenceau semble avoir entrevu ce qui se passait dans l'esprit de cet auditeur muet...

MAURICE BARRÈS, L'Appel au soldat,  1900, page 104. 

2. [En parlant d'une situation critique]  Qui par la rapidité de son évolution menace d'avoir une issue fatale si une intervention énergique ne l'arrête. 

a) MÉDECINE.  Il est atteint d'une maladie aiguë. Pneumonie aiguë. Ophtalmie aiguë. Traité des maladies aiguës (Dictionnaire de l'Académie Française) : 

Ø 22. Leur usage [les eaux saumâtres] produit différentes espèces de maladies, tant aiguës, que chroniques, toutes accompagnées d'un état d'atonie remarquable, et d'une grande débilité du système nerveux.

PIERRE CABANIS. Rapports du physique et du moral de l'homme, tome 2, 1808, page 73. 

Ø 23. Le péritoine est traversé, les intestins sont déchirés; dans quelques heures une péritonite aiguë se déclarera, et demain tout sera fini.

MAXIME DU CAMP, Mémoires d'un suicidé,  1853, page 111. 

b) DIPLOMATIE et.  langue commune. Crise aiguë : 

Ø 24. Cet homme éminent [Sikorski] ... était irremplaçable. Dès le lendemain de sa disparition, la crise russo-polonaise prit l'allure d'un conflit aigu. 

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Unité, 1956, page 205. 

II.—  Emploi comme substantif et adverbe. 

A.—  [Avec une valeur de substantif neutre] 

1. MUSIQUE.  L'aigu. Son élevé dans l'échelle musicale. Passer du grave à l'aigu : 

Ø 25. Le gémissement, le râle, le cri, avec toutes les nuances de l'aigu et du grave, du croissant et du décroissant, du continu et du saccadé, émeuvent encore bien plus que les gestes et que les mouvements du visage; car l'oreille est soupçonneuse étant un sens de nuit.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Système des beaux-arts,  1920, page 79. 

Ø 26. Le plus fragile de ma personne, et ce qui de moi a le plus vieilli, c'est ma voix; cette voix que j'avais, il y a quelque dix ans encore, forte, souple, diverse, c'est-dire capable de passer du grave à l'aigu à ma guise...

ANDRÉ GIDE, Journal,  12 juillet 1942, page 127. 

2. Littéraire, péjoratif.  [Suivi d'un complément de nom, préposition de]  Synonyme : acuité :  

Ø 27. Les miracles de guérison, de l'antiquité à nos jours, agissent presque toujours sur les muscles. Presque tous ne font que rendre au malade le mouvement et la volonté de la locomotion. C'est toujours le « levez-vous et marchez ». Ils n'enlèvent jamais l'aigu d'une douleur. 

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  août 1867, page 370. 

Ø 28. Ils sont venus au monde blessants et un constant exercice aiguise leur cruauté, maintient l'aigu, la pointe de leur cruauté. De leur blessement. Même quand ils ne se veulent pas de mal, ils s'en font.

CHARLES PÉGUY, Victor-Marie, Comte Hugo,  1910, page 778. 

Remarque : Cet emploi substantival a une valeur plus concrète, plus imagée que le substantif abstrait acuité (exemple 24 : l'aigu, la pointe de leur cruauté); il est le résultat d'une transformation substantivale de l'emploi épithète : une douleur aiguë-› l'aigu d'une douleur. 

—  emploi absolu. Tourner à l'aigu : 

Ø 29. Sur ces questions de propriété, les disputes tournaient à l'aigu, laissaient des rancunes de plusieurs jours.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 198. 

B.—  Substantif masculin. Un aigu. [Pour désigner une personne] :

Ø 30. Ainsi, Halévy, nous avons échangé une paire de témoins. Mais pour faire des économies nous avons échangé la même. Où en eussions-nous d'ailleurs trouvé des (tout) pareils, une deuxième paire. Julien Benda, Robert Dreyfus, deux aigus. 

CHARLES PÉGUY, Victor-Marie, Comte Hugo,  1910, page 819. 

C.—  Emploi comme adverbe, rare.  [En construction de complément interne d'un verbe exprimant la production d'un son] :

Ø 31. TOBY-CHIEN. —  (...) il [le chat] ne descendit point (...) en miaulant aigu pour exprimer l'impossibilité où il se trouvait d'obéir...

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Sept dialogues de bêtes,  1905, page 52. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 2 715. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 2 551, b) 4 342; XXe.  siècle : a) 5 491, b) 3 739. 

AIGUÉ, -ÉE, adjectif.  

Vieux, inusité  \" Trempé d'eau. \" (Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842). 

Remarque : 1. N'est pas attesté dans les autres dictionnaires Mais Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Paul Robert) Supplément 1970 signale la forme verbale aiguer : \" s'approvisionner en eau (d'un navire) \". 2. Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842 signale en outre le sens \" rendu aigu \", qui se rattache, s'il existe, à aigu, et représente alors un aigüé, lui-même forme modernisée de l'ancien français agüé \" rendu aigu, aiguisé \" (confer Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe.  siècle (Frédéric Godefroy)).