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BOUCHER2, BOUCHÈRE, substantif.

Publié le 04/11/2015

Extrait du document

BOUCHER2, BOUCHÈRE, substantif.  

I.—  Boucher, substantif masculin. 

A.—  Vieilli.  Homme qui abat lui-même le bétail dont il vend ensuite la viande au détail : 

Ø 1. « Madame, l'agneau est gras; voilà le boucher qui vient le demander : faut-il le lui donner? » Je me récriai, je me précipitai sur l'agneau, je demandai ce que le boucher voulait en faire et ce que c'était qu'un boucher. La cuisinière me répondit que c'était un homme qui tuait les agneaux, les moutons, les petits veaux et les belles vaches pour de l'argent. (...). L'idée de ces scènes horribles et dégoûtantes, préliminaires obligés d'un de ces plats de viande que je voyais servis sur la table, me fit prendre la nourriture animale en dégoût et les bouchers en horreur.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Les Confidences,  1849, page 77. 

Ø 2. A partir de 1931, des camions enlevaient la viande dans les tueries particulières des bouchers limousins pour la déposer devant l'étal des détaillants parisiens;...

MAURICE WOLKOWITSCH, L'Élevage dans le monde,  1966, page 178. 

Remarque : De nos jours, l'abattage du bétail n'est autorisé qu'aux abattoirs où il est pratiqué par des tueurs* également appelés, depuis peu, abatteurs de bestiaux (confer DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT ) Supplément 1970). 

—  Par analogie, péjoratif.  [Le plus souvent en parlant d'un chef d'État ou d'armées] .  Homme aux instincts sanguinaires, prodigue —  ou du moins peu économe —  de sang humain versé : 

Ø 3.... et ce que Jésus-Christ est pour l'église, Toussaint Turelure le sera pour moi, indissoluble. Lui, le boucher de 93, tout couvert du sang des miens, Il me prendra dans ses bras chaque jour et il n'y aura rien de moi qui ne soit à lui,...

PAUL CLAUDEL, L'Otage,  1911, II, 2, page 270. 

Ø 4. Henri V était une sorte de boucher. Il disait qu'une guerre sans massacres ressemblait à de l'andouille sans moutarde, et il fit égorger les chevaliers français qu'il retenait prisonniers, après leur avoir ôté leurs armes.

JULIEN GREEN, Journal,  1943, page 37. 

·    Par exagération, familier.  Chirurgien, médecin peu adroit : 

Ø 5. C'est Jude par un seul cheveu qui sauve et qui tire au ciel

L'homme de lettres, l'assassin et la fille de bordel.

Il est le médecin à moitié boucher qui fend comme avec un couteau

Le pécheur qui a le diable au corps et dont on n'aura l'âme qu'avec la peau.

PAUL CLAUDEL, Corona Benignitatis Anni Dei,  1915, page 409. 

B.—  Usuel.  Homme qui tient un commerce de viande au détail (infra II bouchère). L'étal, l'étalage d'un boucher. Un couteau de boucher. Le corps des bouchers : 

Ø 6.... il me faisait arrêter devant toutes les boutiques de boucher et, me montrant avec orgueil les longes de veau et les quartiers de boeuf, il me disait en souriant d'admiration : —  N'est-ce pas qu'il est joli? Il abusa même de ma confiante innocence jusqu'à me mener au marché des viandes.

MAXIME DU CAMP, En Hollande,  1859, page 16. 

Ø 7.... le magasin est l'occasion d'un contact avec la campagne, renforcé très souvent par l'habitude des tournées : au passage, le boucher vend le beefsteak dominical, mais surtout il recense les lots des bêtes bientôt promises à la vente, au besoin il négocie un achat. L'idée d'abattre dans les régions de production et d'expédier la viande au lieu du bétail vif n'est pas nouvelle :...

MAURICE WOLKOWITSCH, L'Élevage dans le monde,  1966, page 178. 

·    Péjoratif.  [En tant que symbole d'un certain type humain] :

Ø 8. La scène du barbottage de la toilette, montrant le boucher dans l'homme du monde, avant qu'il ait endossé le plastron de soirée : c'est vraiment pas mal.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1889, page 1060. 

Ø 9. Dans ces yeux clairs surmontés de sourcils touffus, ce nez écrasé et cette barre formidable de la bouche tombante, prolongée par des rides profondes qui, du nez, rejoignent le menton, dans ce large visage plat, dans ce cou massif, il y a du boxeur, du dogue et du boucher.

ANDRÉ MALRAUX, Les Conquérants,  1928, page 36. 

—  Garçon boucher. Aide du boucher. Ouvrier boucher. 

·    Par métaphore : 

Ø 10. Cuvillier-Fleury. Une certaine ignobilité de visage et d'esprit. Michiels a une idée, dit-il; c'est possible, mais il la porte au bout d'une pique. Ce sont les garçons bouchers de la littérature.

—  Entrez dans la place l'épée nue, si vous voulez, et comme des gentilshommes, mais non pas le coutelas en main comme des valets de bourreau. Michiels, Pelletan : des critiques sans probité et sans pudeur...

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Mes poisons,  1869, page 33. 

—  Boucher-charcutier. \" Boucher (...) traitant également la viande de porc \" (Dictionnaire des métiers et appellations d'emploi, 1955) (Confer viande de boucherie*). 

II.—  Bouchère, substantif féminin Épouse du boucher (supra I B); femme qui tient un commerce de viande au détail (supra I B) : 

Ø 11. Une des curiosités de Francfort qui disparaîtra bientôt, j'en ai peur, c'est la boucherie. (...). Les bouchers sanglants et les bouchères roses causent avec grâce sous des guirlandes de gigots.

VICTOR HUGO, Le Rhin,  1842, page 253. 

Ø 12. Le lendemain, elle dit à Christophe que la bouchère voulait le voir. Il alla chez elle. Il la trouva à son comptoir, au milieu des cadavres de bêtes.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Foire sur la place, 1908, page 667. 

—  ART CULINAIRE.  Locution adverbiale. À la bouchère ou, absolument, bouchère : 

Ø 13.... le menu comportait... des oeufs aux rognons, dits « bouchère », dans un court-jus doré d'une perfection invraisemblable...

LÉON DAUDET, Vers le roi,  1920, page 89. 

Remarque : Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse) et Nouveau Larousse illustré mentionnent entre-côte à la bouchère, \" Entre-côte grillée et servie sans autre assaisonnement que du poivre et du sel \" Côtelettes à la bouchère, \" Côtelettes qui n'ont pas été parées, c'est-à-dire rognées \" (repris dans sa seconde partie par Larousse du XXe.  siècle en six volumes). 

—  Emploi adjectival, néologisme. Viande bouchère. Synonyme : péjoratif de viande de boucherie* :  

Ø 14. Tout [dans le Triomphe de la mort, de Breughel] est rouge vin, noir verdâtre et du brun dés labours en dégel. Toutes ces couleurs sont les couleurs de l'intérieur d'un homme; des couleurs d'étal, de viande bouchère...

JEAN GIONO, Triomphe de la vie,  1941, page 53. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 690. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 701, b) 1 015; XXe.  siècle : a) 1 186, b) 1 076. 

BOUCHER1, verbe transitif.  

I.—  [Avec une idée d'emplissage] 

A.—  [Le complément d'objet désigne un orifice, un creux souvent accidentel]  Remplir, combler. Boucher un trou : 

Ø 1. À l'étage supérieur, (...) on bouchait avec du plâtre les petits trous que les opérations précédentes avaient laissés.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 250. 

Ø 2. Il est possible que les Turcs, en convertissant la plupart des églises grecques en mosquées, aient fait combler ou boucher des cryptes...

ALBERT LENOIR, L'Architecture monastique, tome 1, 1852, page 360. 

—  Par métaphore : 

Ø 3. Mathématiciens, physiciens, philosophes et politiques ont, tous, les yeux hors de la tête; au lieu d'ouvrir des passages, ils bouchent tous les trous. « Avec un sac de plâtre, disait le maçon, on fait tenir pour dix ans une maison qui branle ». Ainsi, confondant les métiers, les penseurs plâtrent et replâtrent,...

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1931, page 990. 

Ø 4. L'autre [Rodolphe] continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 207. 

Ø 5.... eux-mêmes baptisaient du mot monstres leurs vers à l'état d'ébauche et de premier jet et où les trous sont bouchés avant la reprise et le parfait achèvement du travail par des mots sans signification.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1890, page 1168. 

1. Emplois spéciaux.   DROIT.  vieilli. Boucher les vues d'une maison. \" Murer celles de ses fenêtres qui voient de trop près sur une propriété voisine, contrairement à la coutume, à la loi \" (Dictionnaire de l'Académie Française). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. et du XX-20e. siècle (Pierre Larousse), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN ) 1892 et DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET 1965. 

—  MARINE.  Boucher une voie d'eau. Synonyme : Aveugler* une voie d'eau :  

Ø 6. Le rocher, jusqu'à un certain point, bouchait l'avarie et gênait le passage de l'eau. Il faisait obstacle. L'ouverture désobstruée, il serait impossible d'aveugler la voie d'eau et de franchir les pompes.

VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 207. 

—  TECHNOLOGIE.   [Chez les doreurs]  Boucher d'or moulu. \" Réparer les ouvrages qui ont quelque petit défaut après avoir été brunis \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré et DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892. 

2. Locution figurée. Boucher un trou. 

a) Remplir une place restée inoccupée ou devenue vacante (confer bouche*-trou) : 

Ø 7. Impossible de l'oublier, on l'a trop vu; il habite dans l'imagination de chacun, (...) la maîtresse de la maison le trouve sous sa plume quand, dans sa liste d'invités, elle a besoin de boucher un trou.

HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris, Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, page 183. 

Ø 8. Madame de Gueldre fit de son mieux pour boucher les nombreux trous de la conversation languissante.

SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Une Passionnette,  1891, page 240. 

Ø 9. Je suis en train de déjeuner. On sonne. C'est le jeune Simond qui me sollicite pour boucher le trou que fait à l'Echo la désertion de Mendès et de Silvestre.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1895, page 784. 

·    Par transposition, abstrait : 

Ø 10. Quelle digne femme que cette mère abandonnée, qui ne demandait rien, qui ne voulait rien accepter, qui était toute bardée de fierté blessée... et repinçait le gosse, en douce pour boucher les silences.

HERVÉ BAZIN, La Part du pauvre,  1954, page 11. 

b) Payer, rembourser une dette : 

Ø 11. 333 000 francs de droit d'auteur, cela bouchera juste tous les grands trous. Je n'aurai plus qu'à entamer le remboursement de ma mère, et après, ma foi, je serai bien à l'aise.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1833, page 393. 

B.—  Par extension. 

1. [Le complément d'objet désigne une ouverture aménagée dans un bâtiment]  Fermer : 

Ø 12. La fenêtre, un volet la bouche;

...

THÉOPHILE GAUTIER, Émaux et camées,  1852, page 63. 

2. [Le complément d'objet désigne quelque chose qui est vide ou qui apparaît comme tel] 

a) [Dans l'organisme]  En boucher un coin (populaire). Remplir l'estomac, le charger. 

—  Par métaphore : 

Ø 13. Pour les repas de corps, les noces, les festins,

La Revue des deux mondes 

Peut en boucher deux coins aux pires intestins,

Ou le ciel me confonde!

RAOUL PONCHON, La Muse au cabaret,  1920, page 119. 

—  Emploi pronominal d'auteur : 

Ø 14. Manger... c'est s'approprier par destruction, c'est en même temps se boucher avec un certain être.

JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant,  1943, page 706. 

—  Figuré. En boucher un coin, une surface à quelqu'un. Le remplir d'étonnement : 

Ø 15. « Oh! Ben alors!... Oh! Ben alors!... » Il était couillonné le gendarme de retrouver un piston pareil... « Ah! Ça c'est un particulier!... » Il savait pas quoi conclure... ça lui en bouchait plusieurs coins...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 673. 

b) [Concerne l'espace]  Occuper : Le salon était plein... des hommes, immobiles le long des murs, bouchaient les intervalles (ÉMILE ZOLA, Une Page d'amour,  1878, page 893) : 

Ø 16. Sur les pins plantés pour boucher les vides, les pousses de 1933 ont été rongées par les lapins alors qu'elles émergeaient de la neige,...

VALÉRY LARBAUD, Journal,  1934, page 304. 

Ø 17. Sa beauté rayonnait sur un monde trop grand pour mon coeur et où ma place n'était prévue que pour boucher un coin,...

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 243. 

—  Particulièrement, néologisme.  [Dans le domaine des phénomènes atmosphériques]  Couvrir, obscurcir : 

Ø 18. Philippe ne se remet pas tout de suite à faucher. Il souffle un peu, appuyé sur la faux, regarde si le temps ne menace pas, si des nuages ne bouchent pas l'horizon...

JULES RENARD, Nos frères farouches,  1910, page 186. 

·    Par métaphore : 

Ø 19.... au lieu d'emplir le siècle de lumière, il [Hugo] a failli le boucher de la masse épaisse de sa rhétorique.

ÉMILE ZOLA, Documents littéraires, Études et portraits, 1881, page 70. 

·    Emploi pronominal à sens passif.  [Le sujet désigne le ciel]  Se couvrir, se charger de nuages, s'obscurcir. Par métonymie.  [Le sujet désigne le temps]  Se couvrir, devenir mauvais. Le temps va se boucher (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 241) : 

Ø 20. Le ciel se bouchait de plus en plus. Une cavalerie de nuages galopait dans le jour tombant, en suivant les crêtes : du mauvais temps pour le lendemain.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 267. 

—  Au figuré. Mais tout ce qu'il disait prenait un air faux, dit pour boucher du vide (HENRI POURRAT, Ibidem,  1931, page 84) : 

Ø 21. D'ailleurs, les rayons poussaient toujours, on en avait essayé deux nouveaux en décembre, afin de boucher les vides de la morte-saison d'hiver :...

ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 789. 

Ø 22. Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu'aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule,...

PAUL VERLAINE, Mes prisons,  1893, page 382. 

II.—  [Avec une idée d'obstacle] 

A.—  Faire obstacle au passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. 

1. [Le complément d'objet désigne une bouteille, un flacon...]  Introduire un bouchon* dans le goulot. Boucher une bouteille. Boucher un flacon à l'émeri* (confer bouchon* à l'émeri également) : 

Ø 23. Ayant rempli d'eau bouillante un flacon d'un litre, puis l'ayant hermétiquement bouché, il le renverse sur une cuve à mercure; l'eau une fois refroidie, il le débouche sous le métal, pour y introduire un demi-litre d'oxygène pur...

JEAN ROSTAND, La Genèse de la vie,  1943, page 84. 

—  Par analogie : 

Ø 24. Je compte, au contraire, obstruer ce déversoir à son orifice, le boucher hermétiquement,...

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 171. 

2. [Le sujet désigne une chose, le complément d'objet désigne un tuyau, une conduite, une canalisation...]  Engorger, obstruer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. Le chauffeur, (...) dit que le sable avait dû boucher le carburateur (ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1560 ). 

·    Par métaphore : 

Ø 25.... enfin tout ce qui peut servir aux hommes, au lieu de leur boucher l'esprit, de les rendre superstitieux et de les aider à tuer le temps.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 2, 1870, page 388. 

Ø 26. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard,  1881, page 430. 

—  Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 27. —  Jamais contents les locataires, on dirait des prisonniers, faut qu'ils fassent de la misère à tout le monde!... C'est leurs cabinets qui se bouchent... Un autre jour c'est le gaz qui fuit... C'est leurs lettres qu'on leur ouvre!...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 334. 

·    Par métaphore : 

Ø 28. Vainement, Pierre s'efforça de l'instruire [le cardinal Sarno] de l'émouvoir, désolé de le sentir si fermé, si indifférent. Et il s'aperçut que cette intelligence, vaste et pénétrante dans le domaine où elle évoluait depuis quarante ans, se bouchait dès qu'on la sortait de sa spécialité.

ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 275. 

—  Spécialement.  MÉDECINE.   [Le complément d'objet désigne un canal, un conduit naturel de l'organisme]  Synonyme : oblitérer* :  

Ø 29. Les rapports anatomiques des fosses nasales et de l'arrière-gorge avec le conduit lacrymal permettent de rendre compte des divers accidents, (...) Rien ne prouve le moins du monde qu'il y eût carie; il y avait le conduit naturel que bouchait un obstacle incomplet, et cet obstacle cédait en partie si l'on pressait. De tels cas sont assez simples.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 114. 

Ø 30. Un soir, à Mürren, par exemple. Au pied de la montagne, on boit vite une bière froide qui vous fracasse les tempes à bout portant. Le funiculaire part entre les mûriers. Peu à peu, les oreilles se bouchent, le nez se débouche; on arrive.

JEAN COCTEAU, Le Grand écart,  1923, page 11. 

Ø 31. Tant que l'expectoration peut libérer l'arbre bronchique des mucosités qui le bouchent, et tant que le coeur tient, l'animal peut vivre calmement et avec un exercice très modéré.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944, page 99. 

·    Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 32. La phlébite, surtout visible à la jugulaire, se traduit par un engorgement chaud et douloureux sur une partie du trajet de la veine au bord inférieur de l'encolure. Au niveau de la plaie de saignée apparaît un peu de suppuration. Dans les cas graves, la veine peut se boucher complètement par un caillot assez long qui remonte vers l'auge.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944 page 193. 

B.—  Par analogie avec l'emploi supra II A 2 

1. [Le complément d'objet désigne une voie de circulation]  Encombrer, barrer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose ou de quelqu'un : 

Ø 33.... il se produit alors comme un reflux dans toute la ligne, les bêtes épouvantées se pressent, s'empilent; non-seulement la rue est barrée, mais elle est bouchée, et l'on a devant soi une sorte d'obstacle confus, hérissé de jambes, surmonté de têtes,...

EUGÈNE FROMENTIN, Un été dans le Sahara,  1857, page 141. 

Ø 34.... comme la Méchain bouchait la porte, il [Saccard] dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir.

ÉMILE ZOLA, L'Argent,  1891, page 313. 

Ø 35. Les soldats de Crucha, s'étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 144. 

Ø 36. Un défilé d'hurluberlus (...) il en surgissait toujours d'autres!... Ils bouchaient la circulation.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 531. 

Ø 37. Pour les corps pesants, opaques, ceux qui vous bouchent l'entrée du métro ou vous froissent les côtes les soirs de feu d'artifice, je me fie à peu près [dans les statistiques] aux fonctionnaires de dénombrement...

ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 126. 

—  Par métaphore. 

·    Boucher la voie, les routes... à quelqu'un. Semer, sur son chemin, des obstacles qui rendent sa progression difficile ou impossible : 

Ø 38. Je ne connaissais qu'eux. Ils me fermaient l'horizon, ils me bouchaient le ciel, le coeur, toutes les avenues de la vie.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 240. 

Ø 39. Ne vous obstinez pas dans ma direction; vous vous y épuiseriez. (...). Mais, si cette voie-là vous est bouchée, elle n'est pas la seule.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 931. 

·    Boucher les issues à quelqu'un. Lui fermer toute possibilité de faire quelque chose : 

Ø 40. La période qui suivit fut pour Rambert à la fois la plus facile et la plus difficile. C'était une période d'engourdissement. Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1306. 

·    Boucher (une carrière). Encombrer (une carrière) et en gêner ou en empêcher l'accès : 

Ø 41. Nous sommes inondés de fils, enfin! On ne voit que cela : ils bouchent toutes les carrières; ce sont des survivances qui barrent tout... C'est que les moeurs, voyez-vous, défont terriblement les lois...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Renée Mauperin,  1864, page 229. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 42. Puis toutes les carrières s'encombrent et se bouchent par cette vulgarisation des aptitudes, des capacités. Un jour viendra où il n'y aura plus que des têtes, des plumes. Nous marchons à n'avoir plus de bras...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1861, page 871. 

·    Boucher l'avenir (à quelqu'un). Lui borner ou lui fermer ses perspectives d'avenir : 

Ø 43. —  C'est trop fort, grondait-il. On dirait que tout complote pour m'empêcher de percer, de prendre mon vol, de débuter avec éclat. On dirait que tout le monde se ligue pour me boucher l'avenir. Et voilà pourtant un bouquin qui devrait partir tout seul avec son titre épatant : le vent dans les voiles.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 196. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 44. Un homme... n'a pas le droit, sous peine de se boucher l'avenir, d'accepter certaines fonctions subalternes; il s'y dévalorise...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 202. 

2. [Le mot est utilisé pour signifier qu'il est fait obstacle, dans les emplois concrets, au passage de quelque chose jusqu'aux sens, et, dans les emplois figurés, au passage de quelque chose jusqu'à la conscience] .

a) Boucher la vue. Faire obstacle, faire écran au regard; empêcher de voir : 

Ø 45. Maintenant, (...) on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d'air libre; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s'élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument,...

ÉMILE ZOLA, L'Assommoir,  1877, page 737. 

·    Au figuré : 

Ø 46. Il s'agissait de bien faire tourner l'enquête : poser surtout Gilbert en victime et boucher ainsi la vue de ceux qui voudraient regarder le passé de trop près.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 263. 

—  Boucher les yeux de quelqu'un (figuré). L'empêcher de s'apercevoir de quelque chose, lui masquer la réalité, l'aveugler : 

Ø 47. [Josépha :] — ... Y a-t-il un de vous qui ait assez aimé une femme... pour se laisser si bien bander les yeux qu'il n'ait pas pensé qu'on les lui bouchait afin de l'empêcher de voir le gouffre où... on l'a lancé.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 375. 

Ø 48. Oh, quand j'étais dans ce pays, avec une figure où tous les passants pouvaient me lire et ma voix qui muait, et mes désirs qui me bouchaient les yeux... comme j'étais peu le maître de moi-même, et comme j'étais inconscient même de mon esclavage!

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 299. 

·    Emploi pronominal, au figuré. Se boucher les yeux. Refuser de voir les choses telles qu'elles sont : 

Ø 49. C'était là l'évidence. Bien entendu, on pouvait toujours s'efforcer de ne pas la voir, se boucher les yeux et la refuser, mais l'évidence a une force terrible qui finit toujours par tout emporter.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1357. 

—  Par métonymie. Boucher le jour. Le masquer, faire écran au passage de la lumière : 

Ø 50.... pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe seul restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour, de ses larges épaules.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 26. 

·    Au figuré. Boucher l'horizon : 

Ø 51. Mais le pire, quand on habite une prison sans barreaux, c'est qu'on n'a pas même conscience des écrans qui bouchent l'horizon.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 277. 

b) Boucher ses oreilles (à quelque chose). Les obturer avec ses doigts, sa main (pour ne pas entendre quelque chose). Figuré.  Ne pas vouloir entendre pour ne pas savoir; vouloir ignorer : 

Ø 52. François ne pouvait se mentir plus longtemps, ni boucher ses oreilles à la rumeur qui montait.

RAYMOND RADIGUET, Le Bal du comte d'Orgel,  1923, page 86. 

Remarque : Noter, sur ce modèle, un emploi d'auteur boucher son âme : 

Ø 53. Il [l'artiste moderne] peint, il peint; et il bouche son âme, et il peint encore jusqu'à ce qu'il ressemble enfin à l'artiste et à la mode...

CHARLES BAUDELAIRE, Curiosités esthétiques,  1867, page 219. 

—  Au figuré, emploi pronominal. Se boucher les oreilles : 

Ø 54.... mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1847, page 24. 

·    [Sur ce modèle]  Rare : 

Ø 55. Dans la cuisine chaude où Léonie me bousculait tendrement, je me défendais de ces mauvais souvenirs, j'aurais voulu me boucher la mémoire.

MARCEL AYMÉ, Le Vaurien,  1931, page 186. 

Ø 56. Parce que tu le veux bien que tu te bouches l'oreille, l'intelligence et la bonne foi, que tu te prêtes bénévolement à cette élasticité commode à l'espace.

ALEXANDRE ARNOUX, Le Seigneur de l'heure,  1955, page 75. 

Remarque : Les expressions se boucher les yeux et se boucher les oreilles, qui rendent compte d'un même état d'esprit (refus de savoir, refus de la réalité, de l'évidence) se rencontrent associées : 

Ø 57. Mais c'est le contraire, c'est exactement le contraire qui me frappe si fort. C'est notre immense bonne volonté à nous boucher les yeux et les oreilles. C'est notre lutte désespérée contre l'évidence.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 308. 

c) Boucher son nez, ses narines. Pincer son nez, comprimer ses narines, pour ne pas respirer quelque odeur désagréable. 

·    Par métaphore : 

Ø 58.... mais la ferveur extasiée, l'aventure révolutionnaire ou religieuse bouchent les narines et rendent insensibles à la puanteur...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 120. 

·    Emploi pronominal. Se boucher le nez. 

Par métaphore : 

Ø 59. Diable! Je n'ai rien de la vieille dame sentimentale, je veux regarder la réalité en face, et sans me boucher le nez, si elle pue.

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 146. 

Remarque : On rencontre dans la documentation les composés a) Bouche-bouteilles, substantif masculin invariable, néologisme, technologie. Machine servant à effectuer le bouchage des bouteilles (confer Raymond Brunet, Le Matériel vinicole, 1925, page 496; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965 qui écrit bouche-bouteille, substantif masculin; confer d'autre part boucheur*). b) Bouche-four, substantif masculin, technologie. Synonyme de bouchoir* (confer L. Vincent, George Sand et le Berry, 1919, page 356). c) Bouche-nez, substantif masculin invariable, métiers : \" Masque de cuir percé de trous et quelquefois recouvert de filasse que, dans certaines fabrications ou manipulations, les ouvriers se mettent sur le visage pour se garantir contre les émanations dangereuses \" (Dictionnaire des dictionnaires (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892; également attesté dans le Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842, Dictionnaire universel de la langue française (Louis-Nicolas Bescherelle) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Dictionnaire de la langue française (Émile Littré), Nouveau Larousse illustré et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965). d) Bouche-oeil, substantif masculin, familier, rare. \" Somme d'argent que l'on donne à quelqu'un pour obtenir de lui qu'il ferme les yeux sur quelque chose, pour acheter son silence, sa complicité... \" Pour ne pas voir, il faut ou se boucher les yeux, ou avoir reçu un bouche-oeil (Léon Daudet, L'Avant-guerre, 1913, page 211) (attesté dans Grand Larousse de la langue française en six volumes et comme terme argotique, sous la forme bouche(-)l'oeil dans Les excentricités du langage français (Lorédan Larchey) 1880 : \" Pièce de cinq, dix ou vingt francs dans l'argot des filles qui font allusion à la pantomime de certaines enchères \" et dans le Dictionnaire historique des argots français (Gaston Esnault) 1965 : \" C'est une pantomime, pour se faire ouvrir une porte, de se poser une pièce d'or sur la paupière (campagnards, soldats, 1er.  Empire) \". e) Bouche-pores, substantif masculin invariable, néologisme, technologie : \" Préparation à base de gomme —  laque et de matières plastiques, destinée au remplissage des pores du bois avant vernissage, des rainures de parquet, etc. \" (Dictionnaire de la chimie et de ses applications (CLÉMENT DUVAL, RAYMONDE DUVAL, ROGER DOLIQUE) 1959; confer également Charles Coffignier, Couleurs et peintures, 1924, page 744; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes qui enregistre de plus bouche-porage : \" Phase du vernissage du bois \" et bouche-porer : \" Pratiquer le bouche-porage \"). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 568. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 413, b) 976; XXe.  siècle : a) 1 152, b) 846. 

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