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celle de la nature délicate des relations entre Ukrainiens et Juifs, avant et après la guerre, n'étant pas la moindre.

Publié le 06/01/2014

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celle de la nature délicate des relations entre Ukrainiens et Juifs, avant et après la guerre, n'étant pas la moindre. Lorsque j'avais écrit un article sur notre premier voyage à L'viv, trois ans plus tôt, j'avais voulu souligner le contraste entre le refrain que j'avais toujours entendu mon grand-père répéter - les Allemands étaient méchants, les Polonais étaient pires, mais les Ukrainiens étaient les pires de tous (et comment pouvait-il le savoir de toute façon ? qu'est-ce qu'il avait entendu dire ?) - et la réception à laquelle nous avions eu droit partout où nous étions allés en Ukraine, la chaleur spontanée, la générosité et l'amitié que chaque Ukrainien rencontré nous avait manifestées. Il me semblait que le contraste avait quelque chose à voir avec un point spécifique de l'histoire et aussi avec le temps de façon plus générale. Sans aucun doute parce que je me situe entièrement en dehors de l'événement, il est possible pour moi de penser que des choses faites par certains et même de nombreux Ukrainiens pendant la guerre étaient le résultat de circonstances historiques très spécifiques, et il est difficile pour moi de croire que les atrocités commises par les Ukrainiens contre les Juifs en 1942 sont une expression naturelle d'un caractère essentiel­lement ukrainien, pas plus que je ne peux croire que les atrocités des Serbes commises contre les musulmans de Bosnie en 1992 sont une expression naturelle d'un caractère essentiellement serbe. Je suis donc, peut-être naïvement, peu enclin à condamner les « Ukrainiens » en général, même si je sais que de nombreux Ukrainiens ont commis des atrocités. Toutefois, je suis prêt à accepter d'autres généralisations, par exemple celle qui concerne le ressentiment féroce d'une classe de gens qui, à la fois, ont été des subalternes et se sont perçus comme tels, particulièrement lorsque ces gens ont subi une oppression intolérable - celle imposée par Staline qui a délibérément fait mourir de faim entre cinq et sept millions d'Ukrainiens de 1932 à 1933, ce qui constitue une tragédie nationale qui a galvanisé les Ukrainiens, tout comme l'Holocauste est une tragédie nationale qui a galvanisé les Juifs -, ce ressentiment féroce d'une telle classe de gens, dans des circonstances particulières, pourra exploser en sauvagerie bestiale contre ceux qu'ils jugent responsables de leurs souffrances, même si c'est parfaitement injuste. Et, je le sais, il est plus facile de tenir pour responsables ceux qui sont nos intimes. Plus généralement, je pensais que la différence entre Les Ukrainiens étaient les pires de tous et ce que nous avons découvert lorsque mes frères, ma soeur et moi sommes allés en Ukraine et y avons été si bien traités par des Ukrainiens qui savaient que nous étions juifs était clairement liée au sujet qui m'intéressait, c'est-à-dire ce qui se perd avec le passage du temps. Pour moi, il est évident que les habitudes et les attitudes culturelles sont, elles aussi, érodées par le temps, et même s'il est vrai qu'un antisémitisme féroce a fait rage au sein de la population ukrainienne d'endroits comme Bolechow, je voulais croire que ce n'était plus le cas - que je n'avais pas plus de raisons de craindre de voyager en Ukraine que de voyager en Allemagne, même si certains des survivants que je connaissais m'avaient mis en garde. Soyez très prudent quand vous retournerez là-bas, m'avait averti Meg, au moment où nous nous apprêtions à repartir d'Australie. Pourquoi, avais-je demandé, vous pensez qu'ils haïssent encore les Juifs ? Elle m'avait jeté un regard un peu las et avait dit, C'est peu dire. Et, en effet, certains des survivants à qui j'avais fait part de mon amitié pour Alex et, plus généralement, de la réception plaisante des Ukrainiens, m'avaient ri au nez ou, pire, dit que les Ukrainiens n'avaient été gentils avec nous que parce que nous étions américains, parce qu'ils pensaient que nous avions de l'argent à leur donner. Vous n'y étiez pas, vous n'avez rien vu, m'avait dit quelqu'un lorsque j'avais soutenu que les Ukrainiens que j'avais rencontrés, à qui j'avais parlé, avaient été si chaleureux, si accueillants, si gentils avec nous ; et qu'aurais-je pu répondre moi qui juge impossible d'établir des analogies faciles entre différents types d'expériences que les gens de mon milieu, de mon pays et de ma génération ont pu faire et celles faites par certaines personnes pendant la guerre ? Lorsque certains survivants secouaient la tête et me disaient que je ne pouvais rien savoir des Ukrainiens sur la base de mes seules expériences, je concevais qu'ils pussent avoir raison : peut-être que trop de variables avaient changé, peut-être qu'il était impossible de savoir tout simplement, tout comme il est impossible de savoir ce que c'était que d'être dans un convoi à destination de Belzec en 1942 en montant dans le fourgon à bestiaux du musée de l'Holocauste à Washington. Moi, mieux que quiconque, je savais très bien quelles étaient les racines de cette animosité généralisée à l'égard des Ukrainiens - après tout, les survivants auxquels j'avais parlé avaient vu de leurs propres yeux des bébés juifs empalés sur des fourches ukrainiennes et jetés par les fenêtres et projetés contre les murs par des Ukrainiens et piétinés par des Ukrainiens, comme le nouveauné de Mme Grynberg avait été piétiné quelques minutes après avoir été mis au monde, alors que le cordon ombilical pendait encore entre ses jambes ; eux, et non moi, avaient été les témoins d'une sauvagerie animale si féroce que - c'est un fait établi - les Allemands avaient dû parfois la contenir. Ils l'avaient vu, je ne l'avais pas vu et ne verrais jamais une chose pareille. Pourtant, cette réticence à envisager quoi que ce soit de bon chez les Ukrainiens me frappe par son irrationalité, puisque chaque survivant à qui j'ai parlé a été sauvé par un Ukrainien. Je ne le leur ai pas dit, mais il me semble que les Juifs, plus que n'importe qui d'autre, devraient être conscients du danger qu'il y a à condamner des populations entières. J'ai donc parlé de tout cela avec Alex pendant mon séjour, ouvertement et franchement. Parce qu'il est historien de formation, tout comme je suis helléniste, il essaie de voir les choses dans leur complexité, se méfie des généralisations, tout comme j'aime regarder les problèmes à travers la lunette de la tragédie grecque qui nous apprend, entre autres, que la véritable tragédie n'est jamais une confrontation directe entre le Bien et le Mal, mais plutôt, de façon plus exquise et plus douloureuse à la fois, un conflit entre deux conceptions du monde irréconciliables. La tragédie de certaines régions de l'Europe de l'Est entre, disons, 1939 et 1944 était, en ce sens, une véritable tragédie puisque - comme je l'ai signalé auparavant - les Juifs de Pologne orientale, qui savaient qu'ils allaient souffrir s'ils se retrouvaient sous domination nazie, avaient accueilli les Soviétiques comme des libérateurs en 1939 quand la Pologne orientale leur avait été cédée provisoirement, comme on le verrait ; tandis que les Ukrainiens de Pologne orientale, qui avaient connu une oppression inimaginable pendant les années 1920 et 1930, avaient vu dans la cession de la Pologne orientale à l'Union soviétique un désastre national et considéré les nazis comme des libérateurs en 1941. Ce n'est pas, évidemment, une formule qui peut tout expliquer, les bébés sur les fourches et les cordons ombilicaux ; mais c'est du moins plus complexe et par conséquent probablement plus correct que la formule qui consiste à envisager les Ukrainiens comme les pires de tous. Alex et moi avons souvent parlé de ce genre de choses au cours de notre séjour et, à la fin, il a haussé les épaules, soupiré et dit, en se faisant l'écho d'autres personnes à qui j'avais parlé ces dernières années, Écoute, il y a eu des gens qui étaient bons et d'autres qui étaient méchants. Mais c'est venu plus tard. A l'aéroport, le jour de mon retour à L'viv, j'ai serré Alex dans mes bras et je l'ai présenté à Froma. J'ai pris des nouvelles de sa femme, Natalie, et de leur fils studieux, Andriy, qu'Alex appelle toujours Andrew en ma présence, et de sa fille au visage lunaire, Natalie, qui devaient avoir grandi tous les deux, depuis que je les avais vus pour la dernière fois, au cours de ce somptueux dîner d'adieu dans leur appartement pour mes frères, ma soeur et moi. Tout va très bien ! a dit Alex. Il a refusé de nous laisser porter quoi que ce soit, pas même une sacoche d'ordinateur, lorsque nous sommes sortis de l'étrange petit aéroport dans le soleil éclatant. Garée le long du trottoir, une VW Passat bleue. Non ! s'est-il écrié quand j'ai fait un salut un peu théâtral en direction de la voiture. Ce n'est pas la voiture que tu connaissais, c'est le même modèle, mais ce n'est pas la même voiture. Celle-ci est neuve. La même, mais différente ! Nous sommes partis rapidement vers l'hôtel. C'est à ce moment-là, ou peut-être un peu plus tard, qu'il a ri de son rire sonore et dit, Tu ne vas pas le croire, mais Andrew a appris tout seul à parler yiddish !   C'était un mardi. Le vendredi, nous irions en voiture à Bolekhiv. C'était bien de pouvoir passer un peu de temps à L'viv. La première fois que j'étais venu dans cette ville, j'avais été tellement anxieux à l'idée de ce que nous allions pouvoir trouver à Bolekhiv que je n'avais guère prêté attention à la visite de la ville que nous avions faite avant et après le passage dans la ville de ma famille. Cette fois-ci, je me plais à croire que nous avons tout vu. De nombreux lieux historiques liés à la vie juive disparue n'ont pas, je dois le souligner, disparu et sont simplement, dirait-on, les mêmes, mais différents. Un bon exemple de cette situation : l'immeuble quelque peu excentrique, à la fois rebondi et plaisant à regarder avec ses petites tourelles, qui se trouve au numéro 27 de T. Shevchenko Prospekt et s'appelle désormais le Desertnyi Bar. Pour certains, néanmoins, il est mieux connu sous le nom de Szkocka Café, le Café Écossais, qui se trouvait, dans une vie précédente, sur une avenue appelée Akademichna - un nom assez approprié étant donné que le café était le lieu de rendez-vous d'un groupe célèbre et influent de mathématiciens, connu sous le nom d'école de Lwów. L'école de Lwów était dominée par le mathématicien polonais, Stefan Banach, qui fit un travail séminal dans un domaine appelé l'analyse fonctionnelle et qui, en compagnie d'un autre mathématicien de Lwów, Hugo Steinhaus, créa en 1929 la revue Studia mathematica qui, avec la revue fondée à Varsovie, Fundamenta mathematica, devint l'une des premières revues du monde actif et influent des mathématiques polonaises pendant l'entre-deux-guerres. C'est la forte activité de l'école de Lwôw qui nous ramène au Café Ecossais, puisque c'était le lieu de réunion préféré des membres de ce groupe. C'est Banach qui avait acheté le grand cahier, objet de légende par la suite, dans lequel, au cours de conversations animées alimentées par de nombreux cafés, des problèmes épineux étaient notés, ainsi que leur solution, parfois. A la fin de chaque réunion, ce carnet était confié au chef de rang du café qui, lorsque le groupe se réunissait un autre soir, le ressortait de sa cachette ultrasecrète où il reprenait place dès leur départ. L'école de Lwów et ce monde animé et influent des mathématiques polonaises ne devaient jamais se remettre des effets dévastateurs de l'occupation nazie, qui décima les rangs du professorat polonais, aussi bien catholique que juif. Banach et Steinhaus survécurent à la guerre, au prix d'horribles privations. Banach, qui était né près de Cracovie en 1892 et était par conséquent de la même génération qu'Oncle Shmiel, et qui, comme c'était un enfant illégitime, portait le nom de sa mère et non celui de son père (chose qui pouvait arriver, nous le savons, même à des enfants légitimes), a été arrêté par les nazis et privé du statut éminent qu'il avait avant la guerre, a été contraint de travailler dans un laboratoire consacré aux maladies infectieuses où, pendant toute l'Occupation, le grand mathématicien a passé ses journées à nourrir les poux qui devaient être utilisés pour les expériences. Il a survécu à la guerre pendant trois semaines et il est mort d'un cancer du poumon en août 1945. Steinhaus, né quelques années avant son collègue, était juif, ce qui veut dire que, après l'arrivée des nazis, les poux étaient le cadet de ses soucis. Il s'est caché et a souffert de sévères privations, la faim n'étant pas la moindre, même si, comme dit de lui un de ses biographes, encore à ce moment-là son esprit affûté et infatigable travaillait sur une multitude de projets et d'idées - ce en quoi il n'était pas dans une situation très différente de celle de Klara Freilich qui, comme nous le savons, réfléchissait à des problèmes de mathématique elle aussi, cachée sous terre en

« la tête etme disaient quejene pouvais riensavoir desUkrainiens surlabase demes seules expériences, jeconcevais qu'ilspussent avoirraison :peut-être quetrop devariables avaient changé, peut-être qu'ilétait impossible desavoir tout simplement, toutcomme ilest impossible desavoir ceque c'était qued'être dansunconvoi àdestination deBelzec en1942 en montant danslefourgon àbestiaux dumusée del'Holocauste àWashington.

Moi,mieux que quiconque, jesavais trèsbien quelles étaient lesracines decette animosité généralisée à l'égard desUkrainiens – aprèstout,lessurvivants auxquelsj'avaisparléavaient vude leurs propres yeuxdesbébés juifsempalés surdes fourches ukrainiennes etjetés parlesfenêtres et projetés contrelesmurs pardes Ukrainiens etpiétinés pardes Ukrainiens, commelenouveau- né de Mme Grynberg avaitétépiétiné quelques minutesaprèsavoirétémis aumonde, alors que lecordon ombilical pendaitencoreentresesjambes ;eux, etnon moi, avaient étéles témoins d'unesauvagerie animalesiféroce que– c'est unfait établi – lesAllemands avaientdû parfois lacontenir.

Ilsl'avaient vu,jene l'avais pasvuetne verrais jamaisunechose pareille. Pourtant, cetteréticence àenvisager quoiquecesoit debon chez lesUkrainiens mefrappe par son irrationalité, puisquechaquesurvivant àqui j'aiparlé aété sauvé parunUkrainien.

Jene le leur aipas dit,mais ilme semble quelesJuifs, plusquen'importe quid'autre, devraient être conscients dudanger qu'ilya àcondamner despopulations entières. J'ai donc parlé detout celaavec Alexpendant monséjour, ouvertement etfranchement.

Parce qu'il esthistorien deformation, toutcomme jesuis helléniste, ilessaie devoir leschoses dans leur complexité, seméfie desgénéralisations, toutcomme j'aimeregarder lesproblèmes à travers lalunette delatragédie grecquequinous apprend, entreautres, quelavéritable tragédie n'estjamais uneconfrontation directeentreleBien etleMal, mais plutôt, defaçon plus exquise etplus douloureuse àla fois, unconflit entredeuxconceptions dumonde irréconciliables.

Latragédie decertaines régionsdel'Europe del'Est entre, disons, 1939et1944 était, encesens, unevéritable tragédiepuisque– comme jel'ai signalé auparavant – lesJuifs de Pologne orientale, quisavaient qu'ilsallaient souffrirs'ilsseretrouvaient sousdomination nazie, avaient accueilli lesSoviétiques commedeslibérateurs en1939 quand laPologne orientale leuravait étécédée provisoirement, commeonleverrait ;tandis quelesUkrainiens de Pologne orientale, quiavaient connuuneoppression inimaginable pendantlesannées 1920 et 1930, avaient vudans lacession delaPologne orientale àl'Union soviétique undésastre national etconsidéré lesnazis comme deslibérateurs en1941.

Cen'est pas,évidemment, une formule quipeut toutexpliquer, lesbébés surlesfourches etles cordons ombilicaux ;mais c'est du moins pluscomplexe etpar conséquent probablement pluscorrect quelaformule qui consiste àenvisager lesUkrainiens comme les pires detous.

Alex etmoi avons souvent parlé de cegenre dechoses aucours denotre séjour et,àla fin, ila haussé lesépaules, soupiréetdit, en sefaisant l'échod'autres personnes àqui j'avais parlécesdernières années,Écoute,ilya eu des gens quiétaient bonsetd'autres quiétaient méchants. Mais c'estvenu plustard.

Al'aéroport, lejour demon retour àL'viv, j'aiserré Alexdans mes bras etjel'ai présenté àFroma.

J'aipris desnouvelles desafemme, Natalie,etde leur fils studieux, Andriy,qu'Alex appelletoujours Andrewenma présence, etde safille auvisage lunaire, Natalie, quidevaient avoirgrandi touslesdeux, depuis quejeles avais vuspour la dernière fois,aucours decesomptueux dînerd'adieu dansleurappartement pourmesfrères, ma sœur etmoi.

Tout vatrès bien ! adit Alex.

Ilarefusé denous laisser porter quoiquecesoit, pas même unesacoche d'ordinateur, lorsquenoussommes sortisdel'étrange petitaéroport dans lesoleil éclatant.

Garéelelong dutrottoir, uneVWPassat bleue.Non !s'est-il écriéquand j'ai fait unsalut unpeu théâtral endirection delavoiture.

Cen'est paslavoiture quetu connaissais, c'estlemême modèle, maiscen'est paslamême voiture.

Celle-ciestneuve.

La même, maisdifférente !. »

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