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crucifix sur un pont d'Abbeville, le chevalier de La Barre,

Publié le 06/01/2014

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crucifix sur un pont d'Abbeville, le chevalier de La Barre, vingt et un ans, a le poing, la langue puis la tête tranchés par cinq bourreaux : il n'avait pas retiré son chapeau devant une procession et possédait dans sa chambrette un exemplaire du Dictionnaire philosophique, c'est bien la preuve qu'il était coupable. Défense de Voltaire Oui, nous pourrions ici, dans la perspective qui est la nôtre, tourner la page de ce chapitre. Que dire d'autre qu'on ne trouve chez tant d'excellents spécialistes2. De plus, montrer tant d'admiration pour ce mouvement des Lumières, comme on vient de le faire, ne revient-il pas à enfoncer une porte ouverte ? Quel besoin de les défendre ? Eh bien justement. Pour comprendre ce point, attardons-nous enfin sur un nom, un nom immense que l'on n'a pas encore prononcé, celui de Voltaire. Nous le gardions, pour ainsi dire, pour la bonne bouche. L'homme (1694-1778) résume le siècle. Il lui a donné sa grandeur, il en a connu les bassesses. À trente-deux ans, il est rossé dans la rue par les laquais d'un noble à qui, la veille, il avait parlé un peu vertement. Il veut obtenir réparation de cette humiliation. C'est lui qu'on embastille - telle était la justice. Il a écrit sur tout, beaucoup. Il a touché à tous les genres, surtout ceux qu'on ne lit plus, des tragédies pompeuses, d'interminables poèmes épiques. Il nous a aussi fait deux cadeaux admirables. Le premier est une arme : l'ironie, la célèbre ironie voltairienne dont il se sert pour railler ses adversaires ou toucher au coeur son grand ennemi, le fanatisme, qu'il appelle l'« infâme ». « Écrasons l'infâme » est un leitmotiv qui revient dans ses lettres dès qu'il s'agit de ce qu'il déteste, la superstition, le sectarisme, l'étroitesse d'esprit, les vérités qui se croient révélées. Le second est un principe, il est fort nouveau pour son temps et toujours jeune dans le nôtre : la tolérance. Il la met en oeuvre dans ses livres, il la pratique dans la vie. Avec l'affaire du chevalier de La Barre, dont on a parlé - les livres coupables retrouvés dans la chambre du jeune homme sont de sa plume -, le moment emblématique de la légende voltairienne est l'affaire Calas. À Toulouse, on retrouve pendu un des fils de cet homme sans histoire qui n'a qu'un défaut : il est protestant. La cause est aussitôt entendue : le père a assassiné l'enfant car celui-ci voulait revenir de l'« Erreur » et se faire catholique. Calas est torturé atrocement et condamné à mort par le parlement de Toulouse. Voltaire, mis au courant par un autre des fils, doute d'abord, puis peu à peu comprend l'horreur d'une instruction à charge, qui n'a été dictée que par les préjugés religieux. Il entame à ses frais une entreprise qui nous semble commune et qui ne l'était pas : une contre-enquête. Il découvre la réalité : le fils s'est suicidé. Le père est mort pour rien. Il faudra à celui que l'on appelle le « patriarche de Ferney », du nom de son domaine de la frontière suisse, soulever les montagnes de l'indifférence et du mépris, envoyer des lettres enflammées à tous les esprits influents, à tous les puissants et à ceux qui ne le sont pas, pour obtenir enfin ce qui n'est que justice : la réhabilitation du faux coupable. Nous voulions, un instant, nous attarder sur le grand Voltaire pour nous intéresser à un aspect de sa postérité sur lequel on insiste trop peu : la haine dont il est encore l'objet. Le sentiment n'est pas nouveau. L'auteur du Traité sur la tolérance est mort célébré par l'Europe, encensé par Paris, et détesté par le parti réactionnaire et dévot qu'il n'avait jamais ménagé, il est vrai. L'attaque reprend de plus belle depuis la fin du xxe siècle. Elle le dépasse d'ailleurs, et va de pair avec un mouvement de pensée qui a un but plus large : instruire un nouveau procès aux Lumières dans leur ensemble. Il recoupe des intellectuels divers, le plus souvent de sensibilité religieuse, qu'importe leur religion, chrétienne, juive, musulmane. En France, le très célèbre archevêque de Paris, Mgr Lustiger, avait tiré les premières cartouches dans les années 1980. Le cardinal allemand Mgr Ratzinger est vite venu le seconder avec une puissance de feu décuplée par son nouveau statut : sous le nom de Benoît XVI, il est devenu pape. On peut résumer leur raisonnement ainsi : en tuant Dieu et en prétendant libérer l'homme, les Lumières n'ont fait que déchaîner son orgueil, et cette folie a conduit à toutes les horreurs du xxe siècle, les totalitarismes, les camps de concentration. Quand il s'agit de Voltaire, la plupart se contentent d'une exécution encore plus sommaire : comment peut-on aimer Voltaire ? Il est antisémite. L'attaque se répand. Ne l'esquivons pas. On peut même aller jusqu'à comprendre le fondement psychologique de ce ressentiment. Les Lumières ont été très dures avec la religion en général et l'Église romaine en particulier. On a parlé déjà du leitmotiv voltairien « écrasons l'infâme », dont de nombreux catholiques pensent qu'il les vise particulièrement. Citons, parmi cent autres exemples, cette lettre de l'auteur de Candide à son ami le philosophe Helvétius, pour se moquer des querelles spirituelles qui agitaient l'époque : « Il faut étrangler le dernier jésuite avec le boyau du dernier janséniste. » On peut entendre que les descendants actuels des deux tendances aient toujours du mal à digérer la plaisanterie. Par ailleurs, on l'a dit, Voltaire en a connu d'autres. On pourrait s'amuser à suivre la trace de toutes les attaques dont il a fait l'objet de son vivant et depuis sa mort, et constater à quel point elle s'adapte aux préoccupations de l'époque. Dans le manuel d'histoire de France de Segond, diffusé à des milliers d'exemplaires au début du xxe siècle, l'auteur s'offusque d'abord de ce que ce « brillant touche-à-tout fit un mauvais usage de son génie en s'attaquant à la religion chrétienne ». Il ajoute ensuite : « On ne peut oublier enfin qu'il eut le triste courage d'applaudir aux victoires de Frédéric II sur la France. » Le point est exact, il le fit. Au xviiie siècle, on considère encore les campagnes militaires comme de nos jours les matchs de football, on se sent le droit d'être d'un camp ou d'un autre, le nationalisme absolu du xixe siècle n'est pas né, et Voltaire par ailleurs n'est jamais en retard d'un compliment à tous ceux dont il cherche la protection. On comprend l'intérêt de balancer l'anecdote à la veille de 1914 : c'était un mauvais Français ! Aujourd'hui, tout le monde s'en fout bien. On a donc changé d'accusation. Cela la rend-elle plus juste ? Soyons clair. Aucune critique n'est interdite contre quiconque. Les philosophes ont souffert dans leur chair des lois réprimant le blasphème. On ne va pas les rétablir pour punir ceux qui blasphèment les philosophes. En outre, il y a tant de vraies critiques à faire des Lumières. La plupart des penseurs luttaient pour les libertés individuelles, de pensée, de croire, mais quand ils se sont piqués de s'engager dans la politique de leur temps, ils se sont bien trompés. Catherine II de Russie pouvait faire croire à son ami Diderot à quel point il inspirait son action, elle a écrasé la Russie comme tous les autres avant elle. Voltaire, dans un rôle fantasmé de conseiller suprême de son cher Fréderic, chez qui il vivait à Berlin, s'est cru l'Aristote d'un nouvel Alexandre le Grand. Il n'a été que le courtisan d'un roi autoritaire. Aucun n'a jamais voulu comprendre qu'un despote éclairé est d'abord un despote. Nul d'entre eux n'a vraiment aimé le peuple, ni compris ses aspirations à la démocratie. « Je ne saurais souffrir, disait Voltaire, que mon perruquier soit législateur. » Enfin, en prétendant débarrasser l'homme de la tutelle religieuse, ce siècle nous a vendu une pensée religieuse elle aussi, par bien des aspects. Songez à cette grande invention d'Adam Smith et des économistes d'alors, qui est toujours un dogme aujourd'hui de la pensée libérale : on peut laisser se défouler les intérêts privés en libérant totalement le marché du commerce et de l'industrie parce qu'une « main invisible » le rend vertueux par nature. Remplacez la main par la Providence, c'est du Bossuet. Que dire de la notion de progrès, imposée par cette époque, l'idée d'un continuum qui mène forcément l'humanité vers un mieux toujours et finira dans l'apothéose et le bonheur éternel ? On se croirait dans la Bible. Le xxe siècle, avec ses guerres, ses horreurs, nous a appris qu'aucun progrès n'est jamais continu, et que certains ratés peuvent être des désastres. Revenons à ce point : Volaire serait donc antisémite. Qu'en est-il exactement ? Une chose est sûre : à maintes reprises, Voltaire a écrit des choses sur les Juifs qui nous heurtent profondément : « le peuple le plus abominable de la terre » n'est pas la pire. On a souvent expliqué cette animosité tenace par sa haine du catholicisme : en tapant sur le peuple de l'Ancien Testament, il frappait à la source, en quelque sorte. On peut faire un raisonnement parallèle avec ses écrits contre les musulmans. Sa pièce Mahomet ou le fanatisme est insupportable aujourd'hui, à moins qu'on ne lui rende son sous-texte : l'auteur était d'autant plus dur avec le fanatisme du prophète de l'islam qu'il était très dangereux de l'être contre celui des chrétiens. De grands voltairiens expliquent aussi qu'il est anachronique de parler d'« antisémitisme » à propos des Lumières. La notion est du xixe siècle. On ferait mieux de parler d'« antijudaïsme », c'est-à-dire de haine d'une religion, et non d'une communauté considérée comme une « race », cela nuance les choses. Peu importe. En tant que telles, d'innombrables phrases écrites par Voltaire sont devenues illisibles. Cela ne concerne pas seulement les Juifs. On a cité ses horreurs sur la démocratie. On peut en trouver d'autres, plus terribles encore, sur les Noirs. Pour contrer, une fois encore, le récit biblique de la Genèse, notre philosophe était polygéniste, c'est-à-dire intimement persuadé que les Noirs et les Blancs ne descendaient pas du même couple et n'étaient donc pas de la même espèce, postulat aussi faux qu'intolérable. Qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement que Voltaire était, comme tout autre, englué dans les préjugés de son temps. Il en a combattu beaucoup. Comme n'importe quel individu vivant à n'importe quelle époque, il en a conforté d'autres. Il faut se souvenir toutefois d'une chose qui change tout. En nous montrant qu'il n'existait pas de vérité révélée, mais que la vérité était un but ultime qui ne pouvait se dévoiler que peu à peu, il est le premier à nous avoir donné les outils intellectuels qui nous permettent de remettre en cause les préjugés. Les catholiques de son époque ne disaient pas moins de bêtises sur les Juifs, les Noirs, la religion. S'ils avaient triomphé et réussi à faire taire à jamais toute parole critique, les Juifs d'aujourd'hui vivraient toujours dans des ghettos, les protestants continueraient de ramer aux galères, les esclaves n'auraient toujours, pour se consoler du fouet, que les sermons de braves curés leur enseignant que la vraie liberté n'est pas de ce monde. Ne mélangeons donc pas tout. Hitler n'avait pas besoin de Voltaire. Souvenons-nous que tous ceux qui ont combattu le nazisme l'ont fait au nom de la liberté, de l'égalité, et de la tolérance : ce sont les principes que nous ont légués les Lumières. 1 « Que sais-je ? », PUF, 1968. 2 Outre les synthèses déjà citées de Zysberg et Méthivier, on peut suggérer Lumières Histoire et dictionnaire du temps des (« Bouquins », Robert Laffont, 1995) de Jean de Viguerie, et citer, parmi les grands dix-huitiémistes, les noms des historiens français Arlette Farge et Roger Chartier, et de l'Américain Robert Darnton, grand spécialiste de l'histoire du livre.

« Par ailleurs, onl’adit, Voltaire enaconnu d’autres.

Onpourrait s’amuser àsuivre latrace detoutes lesattaques dont ila fait l’objet deson vivant etdepuis samort, etconstater àquel point elles’adapte auxpréoccupations de l’époque.

Danslemanuel d’histoire deFrance deSegond, diffuséàdes milliers d’exemplaires audébut du xx e  siècle, l’auteur s’offusque d’aborddeceque ce« brillant touche-à-tout fitun mauvais usagedeson génie en s’attaquant àla religion chrétienne ».

Ilajoute ensuite : « Onnepeut oublier enfinqu’ileutletriste courage d’applaudir auxvictoires deFrédéric II surlaFrance. » Lepoint estexact, ille fit.

Au xviii e  siècle, onconsidère encore lescampagnes militairescommedenos jours lesmatchs defootball, onsesent ledroit d’être d’uncamp ou d’un autre, lenationalisme absoluduxixe  siècle n’estpasné,etVoltaire parailleurs n’estjamais enretard d’un compliment àtous ceux dont ilcherche laprotection.

Oncomprend l’intérêtdebalancer l’anecdote àla veille de 1914 : c’était unmauvais Français ! Aujourd’hui, toutlemonde s’enfout bien.

Onadonc changé d’accusation.

Cela la rend-elle plusjuste ? Soyons clair.Aucune critique n’estinterdite contrequiconque.

Lesphilosophes ontsouffert dansleurchair deslois réprimant leblasphème.

Onnevapas lesrétablir pourpunir ceuxquiblasphèment lesphilosophes.

Enoutre, ilya tant devraies critiques àfaire desLumières.

Laplupart despenseurs luttaientpourleslibertés individuelles, de pensée, decroire, maisquand ilsse sont piqués des’engager danslapolitique deleur temps, ilsse sont bien trompés.

Catherine II deRussie pouvait fairecroire àson ami Diderot àquel point ilinspirait sonaction, ellea écrasé laRussie comme touslesautres avantelle.Voltaire, dansunrôle fantasmé deconseiller suprêmedeson cher Fréderic, chezquiilvivait àBerlin, s’estcrul’Aristote d’unnouvel Alexandre leGrand.

Iln’a été que le courtisan d’unroiautoritaire.

Aucunn’ajamais voulucomprendre qu’undespote éclairéestd’abord undespote. Nul d’entre euxn’avraiment aimélepeuple, nicompris sesaspirations àla démocratie.

« Jenesaurais souffrir, disait Voltaire, quemon perruquier soitlégislateur. » Enfin,enprétendant débarrasser l’hommedelatutelle religieuse, cesiècle nousavendu unepensée religieuse elleaussi, parbien desaspects.

Songezàcette grande invention d’AdamSmithetdes économistes d’alors,quiesttoujours undogme aujourd’hui delapensée libérale : on peut laisser sedéfouler lesintérêts privésenlibérant totalement lemarché ducommerce etde l’industrie parce qu’une « maininvisible » lerend vertueux parnature.

Remplacez lamain parlaProvidence, c’estduBossuet. Que diredelanotion deprogrès, imposée parcette époque, l’idéed’uncontinuum quimène forcément l’humanité versunmieux toujours etfinira dansl’apothéose etlebonheur éternel ? Onsecroirait danslaBible.

Le xx e  siècle, avecsesguerres, seshorreurs, nousaappris qu’aucun progrèsn’estjamais continu, etque certains ratés peuvent êtredesdésastres. Revenons àce point : Volaire seraitdoncantisémite.

Qu’enest-ilexactement ? Unechose estsûre : àmaintes reprises, Voltaireaécrit deschoses surlesJuifs quinous heurtent profondément : « lepeuple leplus abominable de laterre » n’estpaslapire.

Onasouvent expliqué cetteanimosité tenaceparsahaine ducatholicisme : en tapant surlepeuple del’Ancien Testament, ilfrappait àla source, enquelque sorte.Onpeut faireun raisonnement parallèleavecsesécrits contre lesmusulmans.

Sapièce Mahomet oulefanatisme est insupportable aujourd’hui,àmoins qu’onneluirende sonsous-texte : l’auteurétaitd’autant plusduravec le fanatisme du prophète del’islam qu’ilétait trèsdangereux del’être contre celuideschrétiens. De grands voltairiens expliquent aussiqu’ilestanachronique deparler d’« antisémitisme » àpropos desLumières. La notion estdu xixe  siècle.

Onferait mieux deparler d’« antijudaïsme », c’est-à-diredehaine d’une religion, et non d’une communauté considéréecommeune« race », celanuance leschoses.

Peuimporte.

Entant quetelles, d’innombrables phrasesécritesparVoltaire sontdevenues illisibles.Celaneconcerne passeulement lesJuifs.

Ona cité seshorreurs surladémocratie.

Onpeut entrouver d’autres, plusterribles encore,surlesNoirs.

Pourcontrer, une foisencore, lerécit biblique delaGenèse, notrephilosophe était polygéniste , c’est-à-dire intimement persuadé quelesNoirs etles Blancs nedescendaient pasdumême couple etn’étaient doncpasdelamême espèce, postulat aussifauxqu’intolérable. Qu’est-ce quecela signifie ? Toutsimplement queVoltaire était,comme toutautre, englué danslespréjugés de son temps.

Ilen acombattu beaucoup.

Commen’importe quelindividu vivantàn’importe quelleépoque, ilen a conforté d’autres.

Ilfaut sesouvenir toutefois d’unechose quichange tout.Ennous montrant qu’iln’existait pas de vérité révélée, maisquelavérité étaitunbut ultime quinepouvait sedévoiler quepeu àpeu, ilest lepremier à nous avoir donné lesoutils intellectuels quinous permettent deremettre encause lespréjugés.

Lescatholiques de son époque nedisaient pasmoins debêtises surlesJuifs, lesNoirs, lareligion.

S’ilsavaient triomphé etréussi à faire taire àjamais touteparole critique, lesJuifs d’aujourd’hui vivraienttoujoursdansdesghettos, lesprotestants continueraient deramer auxgalères, lesesclaves n’auraient toujours,pourseconsoler dufouet, quelessermons de braves curésleurenseignant quelavraie liberté n’estpasdecemonde.. »

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