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Dans d'autres endroits enfin, les guerres de Louis XIV ont beaucoup contribué à cimenter une identité commune, sur une base à laquelle nous ne pensons pas souvent non plus : la haine de la barbarie française.

Publié le 06/01/2014

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louis xiv
Dans d'autres endroits enfin, les guerres de Louis XIV ont beaucoup contribué à cimenter une identité commune, sur une base à laquelle nous ne pensons pas souvent non plus : la haine de la barbarie française. Ce sera le cas après un des épisodes les plus atroces de la période, le sac du Palatinat (1689). Une fois encore, le prétexte de la guerre était mince. Philippe d'Orléans, le frère de Louis, est marié à une princesse allemande que l'on appelle « la Palatine », parce que son père est le maître de cet État du Saint Empire. Le père meurt, l'héritage est disputé. Curieusement, Louis XIV se pique de défendre avec force les intérêts menacés de la pauvre belle-soeur (qui n'avait rien demandé et en sera horrifiée) : il lance ses troupes. Les méthodes employées sont de celles qui, aujourd'hui, conduiraient droit devant un tribunal. Elles font d'autant plus horreur, nous dit l'historien de l'Allemagne Joseph Rovan2, qu'elles ne doivent rien aux aléas de la guerre mais sont froidement « ordonnancées dans le luxe d'un cabinet ministériel », celui de Louvois, élégant ministre de la Guerre et authentique criminel en dentelles. Quinze ans plus tôt, lors d'une précédente guerre, la région a déjà été pacifiée par Turenne. Le retour des Français dépasse tout ce qu'on peut imaginer, alors, en épouvante : la terre est brûlée, les villes et les villages sont détruits méthodiquement, les habitants qui n'ont pas fui et osent protester sont mutilés ou froidement assassinés. La ville d'Heidelberg gardera longtemps quelques ruines intactes pour montrer au monde de quoi la France était capable. Durant des décennies, nous dit Seignobos, dans le Palatinat même, par haine, on continuera à donner aux chiens les noms des maréchaux coupables de ces exactions. Le continent entier en sera atterré. On cite toujours les conséquences culturelles de l'hégémonie française sur les pratiques culturelles de la fin du xviie siècle et du xviiie : elles sont indéniables. Grâce ou à cause de Louis XIV, l'Europe parle français, l'Europe pense français et le continent se couvre des « petits Versailles » que les princes se font construire sur le modèle du nôtre. N'oublions pas non plus les conséquences des exactions des soudards du Grand Roi. Le sac du Palatinat, nous explique Henry Bogdan dans son Histoire de l'Allemagne3, a beaucoup fait « pour développer un sentiment national allemand ». Le pays n'existe pas encore en tant que tel mais ses élites sont déjà soudées par un projet commun : pouvoir un jour se venger de ce que la France leur a fait subir. La misère des campagnes et les grandes famines du règne La société du xviie est profondément inégalitaire, nul n'en doute. Écoutons l'excellent Pierre Goubert, déjà cité, qui en a étudié de près la structure, et la résume ainsi : « Neuf sujets du roi Louis travaillaient de leurs mains rudement et obscurément pour permettre au dixième de se livrer à des activités bourgeoises [...] ou simplement à la paresse. » La vie paysanne, nous apprend-il, est dure et courte. On se marie tard parce qu'il faut un peu de bien pour s'établir, on meurt jeune, si on a la chance, bien sûr, d'avoir survécu à la petite enfance : les taux de mortalité infantile sont terribles. Et qui s'en soucie ? « La mort d'un cheval, dit notre historien, est plus grave que la mort d'un enfant. » Seule l'Angleterre et les Provinces-Unies voient leur population augmenter, ailleurs elle stagne. L'impôt est écrasant. Parfois, on n'en peut plus et une révolte éclate, vite réprimée dans le sang par les armées du roi. La misère est endémique, des bandes errent dans les campagnes et sont repoussés des villes par les « chassegueux », des hommes armés de bâtons que les autorités emploient spécialement à cet effet. On ne sait pas grandchose des « sans feu ni lieu » qui couraient les chemins, louaient leurs bras pour une moisson ici ou un petit travail ailleurs, et dépérissaient quand il n'y en avait plus. C'est que parfois, comme les plaies sur l'Égypte, tombent sur le pays ces fléaux qui le ravagent depuis toujours, cette maudite trinité : la peste, la guerre, la famine. On les prend pour des calamités contre lesquelles il n'y a rien à faire qu'à subir. Certaines, pourtant, par leur ampleur, dépassent l'imaginable. Goubert a étudié tout particulièrement la « famine de l'avènement » qui frappe en 1661. On cite aussi le « grand hyver » de 1709, tellement glacial, tellement sinistre qu'il vit les loups affamés entrer dans les villes pour y chercher un peu de chair à mordre. Arrêtons-nous un instant sur le pire de ces désastres : la très grande famine des années 1692-1694. Deux années de suite, les récoltes sont gâchées par des pluies, des gels, des printemps glaciaux suivis par des étés pourris. Le grain manque, les prix montent, les pauvres ne peuvent plus acheter. Les plus fragiles meurent d'abord - les bandes d'errants dont on parlait, les enfants abandonnés. Le reste suit peu à peu. Tout un peuple glisse au tombeau de faim, d'empoisonnement, de maladie - dans ce contexte sanitaire, le typhus et le scorbut ont bien vite fait leur réapparition. Au total, près d'un sujet du royaume sur dix disparaît. Entre un million et demi et deux millions d'enfants, d'adultes, de vieillards crevant au bord des chemins l'écume aux lèvres, ou agonisant sur des paillasses des pires fièvres, des maladies les plus atroces, usés d'avoir dû avaler pendant des mois des ordures, du pain de glands, de la bouillie d'herbe, des restes de carnes. Voilà ce que l'on découvre au hasard des livres. Que faire de ce chiffre proprement ahurissant ? S'en servir pour montrer l'indifférence du temps à la souffrance des contemporains ? Ce serait faux. À chaque famine, des voix se sont élevées. En 1661 Bossuet, en chaire, sermonnait les puissants : « Ils meurent de faim ! Oui messieurs, ils meurent de faim dans vos terres, dans vos châteaux. » Au moment de la catastrophe de 1692-1694, l'autre grand évêque du siècle, Fénelon, écrit sa fameuse « lettre à Louis XIV », réquisitoire implacable contre un roi qui n'aime plus que « sa gloire et sa commodité », et ruine son pays pour faire la guerre : « Au lieu de tirer de l'argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir. La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provisions. » L'évêque n'a pas signé la lettre, le roi ne la lira pas, mais l'accusation est là. À quoi cela sert-il ? Pas à grand-chose. Partout, des actions de charité se mettent en place. À Paris, le roi, compatissant, fera distribuer « des aumônes à ses peuples... ». Ses ministres, successeurs de Colbert, font ce qu'ils peuvent pour trouver de l'argent. On essaie aussi de trouver du blé qui n'ait pas été accaparé par les armées, on fait même venir du riz d'Égypte, mais bien peu. Le clergé distribue du pain, sort les reliques et organise des processions. Cette famine, selon un spécialiste cité dans France baroque, France classique4, « a fait pratiquement autant de morts que la guerre de 14 mais en deux ans ». Qu'y peut-on ? C'est Dieu qui l'a voulu. Faut-il tenir Louis XIV pour directement responsable de cette catastrophe ? Les choses sont plus complexes. On peut au moins garder à l'esprit cet autre visage du grand siècle, un temps où la mort de deux millions de personnes, faute de pain, n'apparaît comme rien d'autre qu'une fatalité. 1 La France de la monarchie absolue, op. cit. 2 Histoire de l'Allemagne, des origines à nos jours, « Points », Le Seuil, 1999. 3 « Tempus », Perrin, 2003. 4 « Bouquins », Robert Laffont, 1999.
louis xiv

« retour desFrançais dépassetoutcequ’on peutimaginer, alors,enépouvante : laterre estbrûlée, lesvilles etles villages sontdétruits méthodiquement, leshabitants quin’ont pasfuietosent protester sontmutilés ou froidement assassinés.Laville d’Heidelberg garderalongtemps quelquesruinesintactes pourmontrer aumonde de quoi laFrance étaitcapable.

Durantdesdécennies, nousditSeignobos, danslePalatinat même,parhaine, on continuera àdonner auxchiens lesnoms desmaréchaux coupablesdeces exactions.

Lecontinent entierensera atterré.

Oncite toujours lesconséquences culturellesdel’hégémonie françaisesurlespratiques culturelles dela fin du xvii e  siècle etdu xviii e  : elles sontindéniables.

Grâceouàcause deLouis XIV, l’Europeparlefrançais, l’Europe pensefrançais etlecontinent secouvre des« petits Versailles » quelesprinces sefont construire surle modèle dunôtre.

N’oublions pasnon plus lesconséquences desexactions dessoudards duGrand Roi.Lesac du Palatinat, nousexplique HenryBogdan dansson Histoire del’Allemagne 3 , a beaucoup fait« pour développer un sentiment nationalallemand ».

Lepays n’existe pasencore entant quetelmais sesélites sontdéjàsoudées par un projet commun : pouvoirunjour sevenger deceque laFrance leurafait subir.

La misère descampagnes etles grandes famines durègne La société duxviie est profondément inégalitaire,nuln’en doute.

Écoutons l’excellent PierreGoubert, déjàcité, qui enaétudié deprès lastructure, etlarésume ainsi :« Neuf sujetsduroi Louis travaillaient deleurs mains rudement etobscurément pourpermettre audixième deselivrer àdes activités bourgeoises […]ousimplement à la paresse. » Lavie paysanne, nousapprend-il, estdure etcourte.

Onsemarie tardparce qu’ilfautunpeu debien pour s’établir, onmeurt jeune, sion ala chance, biensûr,d’avoir survécu àla petite enfance : lestaux demortalité infantile sontterribles.

Etqui s’en soucie ? « Lamort d’uncheval, ditnotre historien, estplus grave quelamort d’un enfant. » Seulel’Angleterre etles Provinces-Unies voientleurpopulation augmenter, ailleursellestagne. L’impôt estécrasant.

Parfois,onn’en peut plusetune révolte éclate,viteréprimée danslesang parlesarmées du roi.

Lamisère estendémique, desbandes errentdanslescampagnes etsont repoussés desvilles parles« chasse- gueux », deshommes armésdebâtons quelesautorités emploient spécialement àcet effet.

Onnesait pasgrand- chose des« sans feunilieu » quicouraient leschemins, louaientleursbraspour unemoisson iciou unpetit travail ailleurs, etdépérissaient quandiln’y enavait plus. C’est queparfois, commelesplaies surl’Égypte, tombent surlepays cesfléaux quileravagent depuistoujours, cette maudite trinité :lapeste, laguerre, lafamine.

Onlesprend pourdescalamités contrelesquelles iln’y arien à faire qu’àsubir.

Certaines, pourtant,parleur ampleur, dépassent l’imaginable.

Goubertaétudié tout particulièrement la« famine del’avènement » quifrappe en1661.

Oncite aussi le« grand hyver »de1709, tellement glacial,tellement sinistrequ’ilvitles loups affamés entrerdanslesvilles pourychercher unpeu dechair à mordre.

Arrêtons-nous uninstant surlepire deces désastres : latrès grande faminedesannées 1692-1694. Deux années desuite, lesrécoltes sontgâchées pardes pluies, desgels, desprintemps glaciauxsuivispardes étés pourris.

Legrain manque, lesprix montent, lespauvres nepeuvent plusacheter.

Lesplus fragiles meurent d’abord – les bandes d’errants dontonparlait, lesenfants abandonnés.

Lereste suitpeu àpeu.

Tout unpeuple glisseau tombeau defaim, d’empoisonnement, demaladie –dans cecontexte sanitaire, letyphus etlescorbut ontbien vite faitleur réapparition.

Autotal, prèsd’un sujet duroyaume surdixdisparaît.

Entreunmillion etdemi etdeux millions d’enfants, d’adultes,devieillards crevantaubord deschemins l’écumeauxlèvres, ouagonisant surdes paillasses despires fièvres, desmaladies lesplus atroces, usésd’avoir dûavaler pendant desmois desordures, du pain deglands, delabouillie d’herbe, desrestes decarnes. Voilà ceque l’ondécouvre auhasard deslivres.

Quefaire decechiffre proprement ahurissant ?S’enservir pour montrer l’indifférence dutemps àla souffrance descontemporains ? Ceserait faux.Àchaque famine, desvoix se sont élevées.

En1661 Bossuet, enchaire, sermonnait lespuissants : « Ilsmeurent defaim ! Ouimessieurs, ils meurent defaim dans vosterres, dansvoschâteaux. » Aumoment delacatastrophe de1692-1694, l’autregrand évêque dusiècle, Fénelon, écritsafameuse « lettreàLouis XIV », réquisitoire implacablecontreunroi qui n’aime plus que« sa gloire etsa commodité », etruine sonpays pour fairelaguerre : « Aulieudetirer del’argent dece pauvre peuple, ilfaudrait luifaire l’aumône etlenourrir.

LaFrance entière n’estplusqu’un grandhôpital désoléet sans provisions. » L’évêquen’apas signé lalettre, leroi nelalira pas, mais l’accusation estlà. À quoi celasert-il ? Pasàgrand-chose.

Partout,desactions decharité semettent enplace.

ÀParis, leroi, compatissant, feradistribuer « desaumônes àses peuples… ».

Sesministres, successeurs deColbert, fontcequ’ils peuvent pourtrouver del’argent.

Onessaie aussidetrouver dublé qui n’ait pasétéaccaparé parlesarmées, on fait même venirdurizd’Égypte, maisbienpeu.

Leclergé distribue dupain, sortlesreliques etorganise des processions.

Cettefamine, selonunspécialiste citédans France baroque, Franceclassique 4 , « a fait pratiquement autantdemorts quelaguerre de14mais endeux ans ».

Qu’ypeut-on ? C’estDieuquil’avoulu. Faut-il tenirLouis XIV pourdirectement responsabledecette catastrophe ? Leschoses sontpluscomplexes.

On peut aumoins garder àl’esprit cetautre visage dugrand siècle, untemps oùlamort dedeux millions de personnes, fautedepain, n’apparaît commeriend’autre qu’unefatalité.. »

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