Devoir de Philosophie

de châteaux de cartes ou de coquilles.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

de châteaux de cartes ou de coquilles. Plutôt que des palais solidement fixés à la terre, ce sont des maquettes, cherchant ainement à atteindre l'existence par la rareté et la dureté des matériaux. Dans les temples de l'Inde, l'idole est la divinité ; c'est là quelle réside, sa présence réelle rend le temple précieux et redoutable, et justifie les précautions dévotes : ainsi le verrouillage des portes, sauf aux jours de réception du dieu. À cette conception, l'Islam et le bouddhisme réagissent de façons différentes. Le premier exclut les idoles et les détruit, ses mosquées sont nues, seule la congrégation des croyants les anime. Le second substitue les images aux idoles et n'éprouve pas de gêne à multiplier les premières, puisque aucune n'est effectivement le dieu mais l'évoque, et que le nombre même favorise l'oeuvre de l'imagination. À côté du sanctuaire hindou qui loge une idole, la mosquée est déserte sauf d'hommes, et le temple bouddhiste abrite une foule d'effigies. Les centres gréco-bouddhiques, où l'on circule avec peine dans une champignonnière de statues, de chapelles et de pagodes, annoncent l'humble kyong de la frontière irmane où sont alignées des figurines toutes semblables et fabriquées en série. Je me trouvais dans un village mogh du territoire de Chittagong au mois de septembre 1950 ; depuis plusieurs jours, je egardais les femmes porter chaque matin au temple la nourriture des bonzes ; pendant les heures de sieste, j'entendais es coups de gong qui scandaient les prières et les voix enfantines chantonnant l'alphabet birman. Le kyong était situé en lisière du village, au sommet d'une petite butte boisée pareille à celles que les peintres tibétains aiment à représenter dans les lointains. À son pied se trouvait le jédi c'est-à-dire la pagode : dans ce pauvre village, elle se réduisait à une onstruction de terre de plan circulaire, s'élevant en sept paliers concentriques aménagés en gradins, dans un enclos arré en treillage de bambou. Nous nous étions déchaussés pour gravir la butte dont la fine argile détrempée était douce à nos pieds nus. De part et d'autre du raidillon, on voyait les plants d'ananas arrachés la veille par les villageois choqués ue leurs prêtres se permissent de cultiver des fruits, puisque la population laïque subvenait à leurs besoins. Le sommet ffrait l'aspect d'une placette entourée, de trois côtés, de hangars de paille abritant de grands objets de bambou tendus e papiers multicolores comme des cerfs-volants, et destinés à orner les processions. Du dernier côté s'élevait le temple, ur pilotis comme les huttes du village dont il différait à peine par ses plus grandes dimensions et le corps carré à toit de haume qui dominait le bâtiment principal. Après la grimpée dans la boue, les ablutions prescrites semblaient toutes aturelles et dépourvues de signification religieuse. Nous entrâmes. La seule lumière était celle qui tombait du haut de la anterne formée par la cage centrale, juste au-dessus de l'autel où pendaient des étendards de chiffons ou de nattes, et elle qui filtrait à travers le chaume des parois. Une cinquantaine de statuettes de laiton fondu s'entassaient sur l'autel à ôté duquel était suspendu un gong ; on voyait aux murs quelques chromolithographies pieuses et un massacre de cerf. e plancher en gros bambous refendus et tressés, brillant du frottement des pieds nus, était, sous nos pas, plus souple u'un tapis. Il régnait une paisible atmosphère de grange et l'air sentait le foin. Cette salle simple et spacieuse qui araissait une meule évidée, la courtoisie des deux bonzes debout auprès de leurs paillasses posées sur des châlits, la ouchante application qui avait présidé à la réunion ou à la confection des accessoires du culte, tout contribuait à me approcher plus que je ne l'avais jamais été de l'idée que je pouvais me faire d'un sanctuaire. « Vous n'avez pas besoin de aire comme moi », me dit mon compagnon en se prosternant à quatre reprises devant l'autel, et je respectai cet avis. ais c'était moins par amour-propre que par discrétion : il savait que je n'appartenais pas à sa confession, et j'aurais raint d'abuser des gestes rituels en lui donnant à croire que je les tenais pour des conventions : pour une fois, je n'aurais essenti nulle gêne à les accomplir. Entre ce culte et moi, aucun malentendu ne s'introduisait. Il ne s'agissait pas ici de 'incliner devant des idoles ou d'adorer un prétendu ordre surnaturel, mais seulement de rendre hommage à la réflexion écisive qu'un penseur, ou la société qui créa sa légende, poursuivit il y a vingt-cinq siècles, et à laquelle ma civilisation e pouvait contribuer qu'en la confirmant. Qu'ai-je appris d'autre, en effet, des maîtres que j'ai écoutés, des philosophes que j'ai lus, des sociétés que j'ai isitées et de cette science même dont l'Occident tire son orgueil, sinon des bribes de leçons qui, mises bout à bout, econstituent la méditation du Sage au pied de l'arbre ? Tout effort pour comprendre détruit l'objet auquel nous nous tions attachés, au profit d'un effort qui l'abolit au profit d'un troisième et ainsi de suite jusqu'à ce que nous accédions à 'unique présence durable, qui est celle où s'évanouit la distinction entre le sens et l'absence de sens : la même d'où nous tions partis. Voilà deux mille cinq cents ans que les hommes ont découvert et ont formulé ces vérités. Depuis, nous 'avons rien trouvé, sinon - en essayant après d'autres toutes les portes de sortie - autant de démonstrations upplémentaires de la conclusion à laquelle nous aurions voulu échapper. Sans doute, j'aperçois aussi les dangers d'une résignation trop hâtive. Cette grande religion du non-savoir ne se fonde as sur notre infirmité à comprendre. Elle atteste notre aptitude, nous élève jusqu'au point où nous découvrons la vérité ous forme d'une exclusion mutuelle de l'être et du connaître. Par une audace supplémentaire elle a - seule avec le arxisme - ramené le problème métaphysique à celui de la conduite humaine. Son schisme s'est déclaré sur le plan ociologique, la différence fondamentale entre le Grand et le Petit Véhicule étant de savoir si le salut d'un seul dépend ou on du salut de l'humanité tout entière. Pourtant, les solutions historiques de la morale bouddhiste confrontent à une glaçante alternative : celui qui a épondu par l'affirmative à la question précédente s'enferme dans un monastère ; l'autre se satisfait à bon compte, par la ratique d'une égoïste vertu. Mais l'injustice, la misère et la souffrance existent ; elles fournissent un terme médiateur à ce choix. Nous ne sommes as seuls, et il ne dépend pas de nous de rester sourds et aveugles aux hommes, ou de confesser exclusivement 'humanité dans nous-mêmes. Le bouddhisme peut rester cohérent tout en acceptant de répondre aux appels du dehors. eut-être même, dans une vaste région du monde, a-t-il trouvé le maillon de la chaîne qui manquait. Car, si ce dernier oment de la dialectique menant à l'illumination est légitime, alors tous les autres qui le précèdent et lui ressemblent le ont aussi. Le refus absolu du sens est le terme d'une série d'étapes dont chacune conduit d'un moindre sens à un plus grand. Le dernier pas, qui a besoin des autres pour s'accomplir, les valide tous en retour. À sa manière et sur son plan, chacun correspond à une vérité. Entre la critique marxiste qui affranchit l'homme de ses premières chaînes - lui nseignant que le sens apparent de sa condition s'évanouit dès qu'il accepte d'élargir l'objet qu'il considère - et la ritique bouddhiste qui achève la libération, il n'y a ni opposition ni contradiction. Chacune fait la même chose que l'autre un niveau différent. Le passage entre les deux extrêmes est garanti par tous les progrès de la connaissance, qu'un ouvement de pensée indissoluble qui va de l'Orient à l'Occident et s'est déplacé de l'un vers l'autre - peut-être eulement pour confirmer son origine - a permis à l'humanité d'accomplir dans l'espace de deux millénaires. Comme les royances et les superstitions se dissolvent quand on envisage les rapports réels entre les hommes, la morale cède à 'histoire, les formes fluides font place aux structures et la création au néant. Il suffit de replier la démarche initiale sur lle-même pour découvrir sa symétrie ; ses parties sont superposables : les étapes franchies ne détruisent pas la valeur de elles qui les préparent : elles la vérifient. En se déplaçant dans son cadre, l'homme transporte avec soi toutes les positions qu'il a déjà occupées, toutes celles u'il occupera. Il est simultanément partout, il est une foule qui avance de front, récapitulant à chaque instant une otalité d'étapes. Car nous vivons dans plusieurs mondes, chacun plus vrai que celui qu'il contient, et lui-même faux par apport à celui qui l'englobe. Les uns se connaissent par l'action, les autres se vivent en les pensant, mais la contradiction pparente, qui tient à leur coexistence, se résout dans la contrainte que nous subissons d'accorder un sens aux plus roches et de le refuser aux plus lointains ; alors que la vérité est dans une dilatation progressive du sens, mais en ordre nverse et poussée jusqu'à l'explosion. En tant qu'ethnographe, je cesse alors d'être seul à souffrir d'une contradiction qui est celle de l'humanité tout ntière et qui porte en soi sa raison. La contradiction demeure seulement quand j'isole les extrêmes : à quoi sert d'agir, si a pensée qui guide l'action conduit à la découverte de l'absence de sens ? Mais cette découverte n'est pas mmédiatement accessible : il faut que je la pense, et je ne puis la penser d'un seul coup. Que les étapes soient douze omme dans la Boddhi ; qu'elles soient plus nombreuses ou qu'elles le soient moins, elles existent toutes ensemble et, our parvenir jusqu'au terme, je suis perpétuellement appelé à vivre des situations dont chacune exige quelque chose de oi : je me dois aux hommes comme je me dois à la connaissance. L'histoire, la politique, l'univers économique et social, e monde physique et le ciel même m'entourent de cercles concentriques dont je ne puis m'évader par la pensée sans oncéder à chacun une parcelle de ma personne. Comme le caillou frappant une onde dont il annelle la surface en la raversant, pour atteindre le fond il faut d'abord que je me jette à l'eau. Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions, les moeurs et les coutumes, que j'aurai assé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à laquelle elles e possèdent aucun sens, sinon peut-être celui de permettre à l'humanité d'y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque ne place indépendante et que l'effort de l'homme - même condamné - soit de s'opposer vainement à une déchéance niverselle, il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la ésagrégation d'un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus rande et qui sera un jour définitive. Depuis qu'il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu'à l'invention des engins tomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu - et sauf quand il se reproduit lui-même -, l'homme 'a rien fait d'autre qu'allègrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus usceptibles d'intégration. Sans doute a-t-il construit des villes et cultivé des champs ; mais, quand on y songe, ces objets ont eux-mêmes des machines destinées à produire de l'inertie à un rythme et dans une proportion infiniment plus élevés ue la quantité d'organisation qu'ils impliquent. Quant aux créations de l'esprit humain, leur sens n'existe que par apport à lui, et elles se confondront au désordre dès qu'il aura disparu. Si bien que la civilisation, prise dans son nsemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tentés de voir la chance u'a notre univers de survivre, si sa fonction n'était de fabriquer ce que les physiciens appellent entropie, c'est-à-dire de 'inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établissent une communication entre les deux interlocuteurs, endant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d'information, donc une organisation plus grande. lutôt qu'anthropologie, il faudrait écrire « entropologie » le nom d'une discipline vouée à étudier dans ses anifestations les plus hautes ce processus de désintégration. Pourtant, j'existe. Non point, certes, comme individu ; car que suis-je sous ce rapport, sinon l'enjeu à chaque instant emis en cause de la lutte entre une autre société, formée de quelques milliards de cellules nerveuses abritées sous la ermitière du crâne, et mon corps, qui lui sert de robot ? Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l'art ne peuvent me ervir de refuge, mythes désormais passibles, aussi par l'intérieur, d'une sociologie d'un nouveau genre qui naîtra un jour et ne leur sera pas plus bienveillante que l'autre. Le moi n'est pas seulement haïssable : il n'a pas de place entre un nous et un rien. Et si c'est pour ce nous que finalement j'opte, bien qu'il se réduise à une apparence, c'est qu'à moins de me étruire - acte qui supprimerait les conditions de l'option - je n'ai qu'un choix possible entre cette apparence et rien. Or, l suffit que je choisisse pour que, par ce choix même, j'assume sans réserve ma condition d'homme : me libérant par là 'un orgueil intellectuel dont je mesure la vanité à celle de son objet, j'accepte aussi de subordonner ses prétentions aux xigences objectives de l'affranchissement d'une multitude à qui les moyens d'un tel choix sont toujours déniés. Pas plus que l'individu n'est seul dans le groupe et que chaque société n'est seule parmi les autres, l'homme n'est seul ans l'univers. Lorsque l'arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s'abîmer dans le vide creusé par notre fureur ; tant ue nous serons là et qu'il existera un monde - cette arche ténue qui nous relie à l'inaccessible demeurera, montrant la oie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l'homme l'unique aveur qu'il sache mériter : suspendre la marche, retenir l'impulsion qui l'astreint à obturer l'une après l'autre les fissures uvertes au mur de la nécessité et à parachever son oeuvre en même temps qu'il clôt sa prison ; cette faveur que toute ociété convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation ; où elle place son oisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance, vitale pour la vie, de se déprendre et qui consiste - adieu sauvages ! adieu voyages ! - pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d'interrompre son labeur de ruche, à saisir l'essence de ce qu'elle fut et continue d'être, en deçà de la pensée et au delà de la société : dans la contemplation d'un minéral plus beau que toutes nos oeuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d'un lis ; ou dans le clin d'oeil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu'une entente involontaire permet parfois d'échanger avec un chat.   12 octobre 1954 - 5 mars 1955

« Mais l’injustice, lamisère etlasouffrance existent ;ellesfournissent unterme médiateur àce choix.

Nousnesommes pas seuls, etilne dépend pasdenous derester sourds etaveugles auxhommes, oudeconfesser exclusivement l’humanité dansnous-mêmes.

Lebouddhisme peutrester cohérent toutenacceptant derépondre auxappels dudehors. Peut-être même,dansunevaste région dumonde, a-t-iltrouvé lemaillon delachane quimanquait.

Car,sice dernier moment deladialectique menantàl’illumination estlégitime, alorstouslesautres quileprécèdent etlui ressemblent le sont aussi.

Lerefus absolu dusens estleterme d’uneséried’étapes dontchacune conduitd’unmoindre sensàun plus grand.

Ledernier pas,quiabesoin desautres pours’accomplir, lesvalide tousenretour.

Àsa manière etsur son plan, chacun correspond àune vérité.

Entrelacritique marxiste quiaffranchit l’hommedeses premières chanes– lui enseignant quelesens apparent desacondition s’évanouit dèsqu’il accepte d’élargir l’objetqu’ilconsidère –et la critique bouddhiste quiachève lalibération, iln’y ani opposition nicontradiction.

Chacunefaitlamême chosequel’autre à un niveau différent.

Lepassage entrelesdeux extrêmes estgaranti partous lesprogrès delaconnaissance, qu’un mouvement depensée indissoluble quivade l’Orient àl’Occident ets’est déplacé del’un vers l’autre –peut-être seulement pourconfirmer sonorigine – apermis àl’humanité d’accomplir dansl’espace dedeux millénaires.

Commeles croyances etles superstitions sedissolvent quandonenvisage lesrapports réelsentre leshommes, lamorale cèdeà l’histoire, lesformes fluidesfontplace auxstructures etlacréation aunéant.

Ilsuffit dereplier ladémarche initialesur elle-même pourdécouvrir sasymétrie ; sesparties sontsuperposables : lesétapes franchies nedétruisent paslavaleur de celles quilespréparent : elleslavérifient. En sedéplaçant danssoncadre, l’homme transporte avecsoitoutes lespositions qu’iladéjà occupées, toutescelles qu’il occupera.

Ilest simultanément partout,ilest une foule quiavance defront, récapitulant àchaque instantune totalité d’étapes.

Carnous vivons dansplusieurs mondes,chacunplusvraique celui qu’ilcontient, etlui-même fauxpar rapport àcelui quil’englobe.

Lesuns seconnaissent parl’action, lesautres sevivent enles pensant, maislacontradiction apparente, quitient àleur coexistence, serésout danslacontrainte quenous subissons d’accorder unsens auxplus proches etde lerefuser auxplus lointains ; alorsquelavérité estdans unedilatation progressive dusens, maisenordre inverse etpoussée jusqu’àl’explosion. En tant qu’ethnographe, jecesse alorsd’être seulàsouffrir d’unecontradiction quiestcelle del’humanité tout entière etqui porte ensoi saraison.

Lacontradiction demeureseulement quandj’isolelesextrêmes : àquoi sertd’agir, si la pensée quiguide l’action conduit àla découverte del’absence desens ? Maiscette découverte n’estpas immédiatement accessible :ilfaut quejelapense, etjene puis lapenser d’unseulcoup.

Quelesétapes soientdouze comme danslaBoddhi ; qu’ellessoientplusnombreuses ouqu’elles lesoient moins, ellesexistent toutesensemble et, pour parvenir jusqu’au terme,jesuis perpétuellement appeléàvivre dessituations dontchacune exigequelque chosede moi : jeme dois auxhommes commejeme dois àla connaissance.

L’histoire,lapolitique, l’universéconomique etsocial, le monde physique etleciel même m’entourent decercles concentriques dontjene puis m’évader parlapensée sans concéder àchacun uneparcelle dema personne.

Commelecaillou frappant uneonde dontilannelle lasurface enla traversant, pouratteindre lefond ilfaut d’abord quejeme jette àl’eau. Le monde acommencé sansl’homme etils’achèvera sanslui.Les institutions, lesmœurs etles coutumes, quej’aurai passé mavieàinventorier etàcomprendre, sontuneefflorescence passagèred’unecréation parrapport àlaquelle elles ne possèdent aucunsens,sinon peut-être celuidepermettre àl’humanité d’yjouer sonrôle.

Loinquecerôle luimarque une place indépendante etque l’effort del’homme –même condamné –soit des’opposer vainement àune déchéance universelle, ilapparaît lui-même commeunemachine, peut-être plusperfectionnée quelesautres, travaillant àla désagrégation d’unordre originel etprécipitant unematière puissamment organiséeversuneinertie toujours plus grande etqui sera unjour définitive.

Depuisqu’ilacommencé àrespirer etàse nourrir jusqu’à l’invention desengins atomiques etthermonucléaires, enpassant parladécouverte dufeu –et sauf quand ilse reproduit lui-même –,l’homme n’a rien faitd’autre qu’allègrement dissocierdesmilliards destructures pourlesréduire àun état oùelles nesont plus susceptibles d’intégration.

Sansdoute a-t-ilconstruit desvilles etcultivé deschamps ; mais,quand onysonge, cesobjets sont eux-mêmes desmachines destinées àproduire del’inertie àun rythme etdans uneproportion infinimentplusélevés que laquantité d’organisation qu’ilsimpliquent.

Quantauxcréations del’esprit humain, leursens n’existe quepar rapport àlui, etelles seconfondront audésordre dèsqu’il aura disparu.

Sibien quelacivilisation, prisedansson ensemble, peutêtredécrite comme unmécanisme prodigieusement complexeoùnous serions tentésdevoir lachance qu’a notre univers desurvivre, sisa fonction n’étaitdefabriquer ceque lesphysiciens appellententropie,c’est-à-dire de l’inertie.

Chaqueparoleéchangée, chaqueligneimprimée établissent unecommunication entrelesdeux interlocuteurs, rendant étaleunniveau quisecaractérisait auparavantparunécart d’information, doncuneorganisation plusgrande. Plutôt qu’anthropologie, ilfaudrait écrire« entropologie » lenom d’une discipline vouéeàétudier dansses manifestations lesplus hautes ceprocessus dedésintégration. Pourtant, j’existe.Nonpoint, certes, comme individu ; carque suis-je souscerapport, sinonl’enjeu àchaque instant remis encause delalutte entre uneautre société, forméedequelques milliardsdecellules nerveuses abritéessousla termitière ducrâne, etmon corps, quiluisert derobot ? Nila psychologie, nilamétaphysique, nil’art nepeuvent me servir derefuge, mythes désormais passibles,aussiparl’intérieur, d’unesociologie d’unnouveau genrequinaîtra unjour. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles