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DÉRANGER, verbe transitif.

Publié le 08/01/2016

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DÉRANGER, verbe transitif.  

A.—  [Le complément d'objet désigne un inanimé] 

1. [Le complément d'objet désigne un objet]  Déplacer ce qui était rangé. Sur les tables, les papiers et les livres s'entassaient, sans qu'on les dérangeât de place (ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, page 176) : 

Ø 1. —  Voulez-vous me donner la bouteille de cognac et deux verres, dis-je à la bonne. (...)

La bouteille était au fond d'un placard, il fallut déranger tout un rideau de flacons, de carafes vides.

JEAN-GEORGES SOULÈS, DIT RAYMOND ABELLIO, Heureux les pacifiques,  1946, page 139. 

—   [Le complément d'objet désigne un lieu relativement aux objet qu'il contient]  Vous avez dérangé toute ma chambre (Dictionnaire de l'Académie française.  1835, 1878) : 

Ø 2.... sa bibliothèque a été dérangée par son domestique. Elle se précipite. (...) Ah! Ils vont voir, les livres qui se sauvent, les livres qui se couchent!

JULES RENARD, Journal,  1908, page 1212. 

—  Emploi pronominal passif. Rien de ce qui était dans la malle ne s'est dérangé pendant le voyage (Dictionnaire de l'Académie française. ). 

2. Par extension.  [Le complément d'objet désigne un ensemble organisé, un état, un développement temporel]  Troubler le bon fonctionnement, l'état ou le déroulement normal. Cet orage va déranger le temps (Dictionnaire de l'Académie Française). L'amour (...) dérange la vie, ôte le repos, compromet la réputation (JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 57 ). Quand un fait impertinent dérange une théorie, rien n'est plus simple que de le nier (ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Foire sur la Place, 1908, page 687) : 

Ø 3.... j'avais fait pis encore : j'avais dérangé le chignon de Justine. Or, Justine tenait pour intangible l'ordre de sa coiffure.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Petit Pierre,  1918, page 222. 

Ø 4.... j'ai eu l'estomac dérangé cette nuit par des conserves qui ne devaient pas être fraîches, du cassoulet. Ça m'a donné la migraine, sans compter la colique...

RAYMOND QUENEAU, Pierrot mon ami,  1942, page 136. 

SYNTAXE : Déranger le cerveau, les habitudes, les projets, les plans de quelqu'un; déranger le cours, l'équilibre, l'ordre de quelque chose. 

—  Emploi pronominal passif. On ne joue plus tant à la Cour; la santé du roi se dérange plus souvent (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi, tome 11, 1851-62, page 531 ). Il la pria de lui ajuster quelque pli qui s'était dérangé (ÉLÉMIR BOURGES. Le Crépuscule des dieux 1884, page 163) : 

Ø 5. Bréguet fait une montre qui pendant vingt ans ne se dérange pas, et la misérable machine, à travers laquelle nous vivons, se dérange et produit la douleur au moins une fois par semaine.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Rome, Naples et Florence, tome 1, 1817, page 163. 

B.—  [Le complément d'objet désigne un animé] 

1. [Le complément d'objet désigne un animé humain ou animal]  Faire lever, déplacer en causant quelque gêne. Lulu Maublanc arriva en retard et dérangea tout le monde pour aller prendre sa place (MAURICE DRUON, Les Grandes familles, tome 1, 1948, page 102) : 

Ø 6. Je suis si bon que je ne dérange jamais le chat qui dort à la place où j'écris : je vais faire un petit tour de promenade.

JULES RENARD, Journal,  1902, page 773. 

—  Emploi pronominal réfléchi. « Good night », Madame, bonne nuit. Ne vous dérangez pas. Restez assise (PAUL CLAUDEL, L'Échange,  1894, III, page 712) : 

Ø 7. On lui adressait [à Maigret] le plus souvent un bonjour de la main. Seul le commissaire de police, M. Mansuy, qui l'avait présenté à ces messieurs, se dérangeait pour lui serrer la main.

GEORGES SIMENON, Les Vacances de Maigret,  1948, page 23. 

2. Par extension. 

a) [Le complément d'objet désigne un animé humain ou animal]  Troubler dans ses occupations, gêner. Déranger quelqu'un dans son travail. Il était désemparé dans cet appartement vide, (...) on ne venait pas à tout instant le déranger, le consulter, l'appeler ailleurs (JACQUES CHARDONNE, L'Épithalame,  1921, page 318) : 

Ø 8.... je montais dans les tours, faisant lever des vols de pigeons, ou bien dérangeant de leur sommeil des chauves-souris et des chouettes.

JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Le Roman d'un enfant,  1890, page 191. 

Ø 9. J'ai répondu un peu brutalement hier, à Em. qui me dérangeait de ma lecture; j'en suis resté attristé tout le soir.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1914, page 450. 

·    Familier.  [À la forme interrogative, pour marquer l'impatience, la mauvaise humeur]  Alors vous voilà, garçon? Est-ce que çà vous dérangerait de me servir un café-crème? (JEAN-PAUL SARTRE, Le Mur,  1939, page 110 ). 

—  emploi absolu. Il avait peur (...) de déranger, d'introduire sa crasse et ses poux dans cet intérieur tout propre (MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 327) : 

Ø 10. —  Ce n'était pas vous que j'attendais.

—  Si je dérange, je puis très bien revenir à un autre moment, quand vous voudrez.

ÉDOUARD ESTAUNIÉ, L'Ascension de Monsieur Baslèvre,  1919, page 67. 

—  Emploi pronominal réfléchi.  Se déplacer en abandonnant ses occupations. Un de ces enterrements comme celui de la vieille dame Cotin (...) pour laquelle un évêque s'était dérangé (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers,  1936, page 12) : 

Ø 11. De fin août aux vendanges (...), les fabricants de politique vérifièrent l'esprit du vigneron. M. Blondel, cafetier de Reims, décoré des palmes académiques, se dérangea pour connaître si le pays malheureux gardait néanmoins sa foi au député.

PIERRE HAMP, Vin de Champagne,  1909, page 123. 

·    Spécialement.  Se mettre de côté pour laisser passer quelqu'un ou quelque chose : 

Ø 12.... elle marchait prestement, sur le milieu du pavé. (...) Derrière elle, (...) une malle-poste au grand galop se précipitait comme une trombe. En voyant cette femme qui ne se dérangeait pas, le conducteur se dressa par-dessus la capote, et le postillon criait aussi...

GUSTAVE FLAUBERT, Trois contes, Un Coeur simple, 1877, page 59. 

Se déranger de sa route. Quitter une trajectoire prévue. Il [Duroy] avançait brutalement dans la rue pleine de monde (...) poussant les gens pour ne point se déranger de sa route (GUY DE MAUPASSANT, Bel-Ami,  1885, page 4 ). 

·    Au figuré.  [Le sujet désigne un animé humain]  Se démener pour rendre service à quelqu'un : 

Ø 13. La mère (...) ne pouvait pas dire combien elle était reconnaissante « au bon monsieur d'avant monsieur ». (...) Ce bon monsieur s'était tellement « dérangé » pour eux. Jamais il ne les eût laissés dans l'ennui pour leur loyer ou pour le reste.

JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 1, 1933, page 254. 

b) [Le complément d'objet désigne un animé humain]  Troubler la santé de quelqu'un. J'ai mangé hier un peu plus qu'à l'ordinaire, et cela m'a dérangé (Dictionnaire de l'Académie française.  1835, 1878). 

—  Spécialement, familier, emploi pronominal passif.  Perdre la santé mentale. C'est plus un homme, c'est un vrai tambour de sottises! (...) Plus il vieillit plus il se dérange! Plus il se fêle! (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 551 ). 

c) [Le complément d'objet désigne un animé humain]  Troubler dans sa façon d'être, de penser. Pourquoi Dieu ne reste-t-il pas chez lui et vient-il nous déranger? Notre malheureuse vie est si courte! Qu'il nous y laisse du moins en paix! (PAUL CLAUDEL, La jeune fille Violaine,  1901, IV, page 641) : 

Ø 14. Le prêtre (...) qui est un homme instruit et naïf, ne revient pas de cette théorie. (...) Que l'infini tienne dans le fini, est une proposition qui le dérange. Il fait observer que le contenu ne peut être plus grand que le contenant..

LOUIS VEUILLOT, Les Odeurs de Paris,  1866, page 213. 

Remarque : Cet emploi est familier pour Dictionnaire de l'Académie. 

—  emploi absolu. Les femmes ne comprennent pas qu'elles dérangent, ne comprennent pas cette impatience qu'elles créent dans un homme jeune (HENRI DE MONTHERLANT, Les Lépreuses,  1939, page 1516 ). 

—  Spécialement, vieux.  Détourner de sa vie rangée. Les mauvaises compagnies l'ont dérangé (Dictionnaire de l'Académie française. ). 

·    Emploi pronominal réfléchi.  Abandonner sa vie rangée. Francueil se refroidit, ou plutôt il se dérange; il court les soupers, il s'enivre tout de bon, il n'est plus aussi exact ni attentif auprès de son amie (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi, tome 2, 1851-62, page 200) : 

Ø 15. Et quand la servante vient raconter à demi-voix qu'une telle s'est fait avorter, qu'on dit, ou que la fille d'étable se dérange avec un vieux, qu'est-ce que ça peut lui faire?

PAUL CLAUDEL, La Jeune fille Violaine,  1892, III, page 530. 

Remarque : On rencontre dans la documentation a) Quelques exemples du participe présent adjectivé dérangeant, ante.α   Qui dérange. ) [Correspond à B 2 a] D'autres lettres accompagnent des manuscrits : l'auteur a besoin de savoir ce que je pense de ses poèmes (...) À quel point peuvent être dérangeants ces appels! (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, 1951, page 1194 ). β ).) [Correspond à B 2 c] La forteresse poussait maintenant au milieu de nous, lancinante en effet comme une dent neuve, et c'en était fini du repos, elle était là, l'image même de la gêne, —  installée, régnante, dérangeante, incompréhensible, —  la morsure légère et continue d'une pointe fine, élançant jusqu'aux extrêmes terminaisons nerveuses l'inquiétude d'un subtil aiguillon (JULIEN GRACQ, Le rivage des Syrtes, 1951, page 136). b) Le déverbal dérange, substantif féminin [correspond à B 2 a]  Fait de se déranger. J'aurais ben v'nu à la préfecture, mais pisque j'peux vous voir ici, m'sieu l'Préfet, autant éviter une dérange (GYP, Grande vie!!! 1891, page 64). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 2 100. (dérangeant : 56) Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 1 908, b) 4 310; XXe.  siècle : a) 3 371, b) 2 965. 

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