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Des controverses infinies La colonisation a été et reste un sujet passionnel.

Publié le 06/01/2014

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Des controverses infinies La colonisation a été et reste un sujet passionnel. Les plaies ouvertes lors de cette période, ou lors des guerres qui y ont mis fin, sont toujours à vif, et les controverses qui en découlent infinies. Quel est le bilan économique de cet épisode ? Pendant longtemps, il semblait entendu que les colonies étaient pour les métropoles un citron dont elles cherchaient à extraire tout le jus. À partir des années 1980, certains ont faite leur la thèse d'un historien de l'économie devenu célèbre, Jacques Marseille, qui prouvaient le contraire. En fait, la colonisation a coûté très cher à la France, notamment parce que, pour des raisons politiques, elle surpayait les biens coloniaux. Et après ?, pourrait-on rétorquer à notre tour. D'abord le prix fort ainsi payé servait sans aucun doute à enrichir les riches exploitants coloniaux, sûrement pas les populations elles-mêmes. Ensuite, cela ne résoud pas la question des dommages causés aux colonies par le bouleversement de leurs agricultures en monocultures - hévéa, cacao, café - dévolues uniquement à la satisfaction des besoins de la métropole. Enfin, si le système n'a même pas l'excuse de la cupidité, cela rend sa domination encore plus inacceptable. N'oublions pas aussi, disent ses défenseurs, les infrastructures laissées par la présence française, et les bienfaits dont la métropole a gratifié les colonies. Il ne faut pas les nier, en effet, mais rappeler aussi combien ils furent limités. Il n'y a que dans les belles brochures de propagande que la France sème à foison, dans les lointaines savanes, les hôpitaux et les écoles. La réalité fut plus modeste et très contrastée. Dans les années 1930, à Madagascar, le taux de scolarisation des « indigènes », comme on disait, atteint presque 25 %. En Algérie, juste avant la guerre de 1914, après plus de quatre-vingts ans de domination française, il est de 2 %... Et si, dans de nombreux endroits, on construit, il faut savoir à quel prix ont été parfois payées ces constructions. Nul en Afrique n'a oublié le coût humain du chantier du chemin de fer Congo-Océan : conditions d'hygiène épouvantables, coups, chaleur et travail forcé ont joué à plein - 17 000 malheureux y ont laissé leur vie. « Un Noir par traverse », disaiton en exagérant un peu, mais pas tant. Parmi ceux qui furent les agents de la colonisation, on trouve beaucoup de gens remarquables, d'administrateurs intègres, de médecins dévoués, de maîtres d'école sincèrement emplis de leur noble mission. Tous ne furent pas des brutes racistes, loin s'en faut. Nombreux le furent, ne les oublions pas non plus. « Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête », écrit André Gide dans le livre célèbre qu'il publie à son retour du Congo2. Dans ce récit de voyage, il dénonce les excès dont se rendaient coupables les pires vecteurs de l'exploitation : les sociétés concessionnaires, ces grandes compagnies privées à qui l'État avait délégué la gestion des ressources du pays, faute de pouvoir s'en occuper. Le récit de Gide est moins isolé qu'on ne le croit, d'ailleurs. L'histoire coloniale est émaillée de scandales qui bouleversent la métropole, quand elle les apprend. Dès les premiers temps de la « pacification de l'Algérie », quelques généraux français, prétextant les horreurs dont se rendent coupables les Arabes, en inventent d'autres : par trois fois, durant l'été 1845, ils allument des feux devant les grottes où se sont réfugiés des villageois pour les asphyxier. La nouvelle des « enfumades » indigne Paris, provoque des incidents à la Chambre et, selon le très rigoureux Dictionnaire de la France coloniale, suscite des pétitions jusque dans les écoles. En 1898-1899, deux officiers français, Voulet et Chanoine, à la tête d'un millier d'hommes, dirigent une « mission » au Tchad et, peut-être pris de folie, répandent terreur et barbarie partout où ils passent, massacrant des populations, brûlant les villages. Alerté, Paris finit par envoyer un colonel constater ce qui se passe. Il est abattu par les deux déments alors qu'il approche de la colonne. La presse s'empare de l'affaire, il est vrai que le scandale est énorme : détruire des villages, c'est une chose, mais tirer sur un officier français... En 1903, en Oubangui-Chari (l'actuelle République centrafricaine), deux petits fonctionnaires coloniaux, cherchant un moyen, diront-ils, de « méduser les indigènes pour qu'ils se tiennent tranquilles », se saisissent de l'un d'entre eux et le font sauter vivant à la dynamite. Nous sommes le 14 juillet. La date était mal choisie. La nouvelle déclenche en France un tel tollé que le gouvernement décide de dépêcher sur place le vieux Brazza, celui-là même qui avait conquis la région vingt ans auparavant pour lui apporter les bienfaits du progrès. Il sera tellement atterré de ce qu'il y découvrira qu'il mourra sur le bateau du retour. L'étonnant est que rien de tout cela ne pousse quiconque à ce qui nous semble aujourd'hui évident : remettre en cause le système lui-même. Une pure domination raciste Car il est bien là, ce point têtu auquel on vient enfin. L'histoire coloniale était viciée dans son principe même : elle n'a jamais été autre chose que l'organisation d'une domination raciste. Nul ne s'en cachait, la chose avait été officialisée dès le départ par Jules Ferry, un de ses plus grands apôtres. Le 28 juillet 1885, dans le brouhaha d'un grand débat parlementaire sur les fondements de la politique coloniale, il en donne les tenants et les aboutissants : les « races supérieures ont des droits parce qu'elles ont des devoirs : le devoir de civiliser les races inférieures ». Ce sentiment de supériorité n'est pas une spécificité française, tous les peuples européens pensaient la même chose au même moment, tous se vivaient comme les seuls « civilisés » quand le reste du monde était, par définition, peuplé de « sauvages ». Par ailleurs, la République prend soin d'habiller sa « mission civilisatrice » des plus nobles oripeaux. Toutes les conquêtes coloniales, nous rappelle La République coloniale3, ont été initiées sous des prétextes humanitaires : il s'agit toujours de sauver des peuples d'affreux despotes ou de les arracher à des pratiques horribles. L'esclavage en est une. Deux mois après qu'il a obtenu la soumission de Madagascar, le général Gallieni le fait abolir et reçoit pour cela une magnifique médaille de la grande société antiesclavagiste de Paris. Quelques semaines plus tard, il introduit dans la Grande Île le « travail forcé » : l'organisation d'épouvantables corvées auxquelles sont soumis de force, et sans contrepartie de salaire, les « indigènes ». L'histoire se répétera partout. Partout, la République arrive avec la Déclaration des droits de l'homme en bandoulière, partout, elle se hâte bien vite de rappeler que, dans les faits, il faudra attendre pour les mettre en oeuvre. Dans toutes les colonies règne à partir des années 1880 le « Code de l'indigénat », qui crée un statut particulier pour les habitants des pays soumis. Les colons sont des citoyens de plein droit, les gens qu'ils viennent dominer, non. Ils ne bénéficieront jamais d'aucune des libertés dont la France se proclame la championne, ni les droits politiques, ni le droit de réunion, ni les droits syndicaux : ils deviennent des parias dans leur propre pays. Bien sûr, ce siècle n'est pas d'une pièce, l'histoire coloniale est émaillée des noms de grands réformateurs qui rêvèrent d'en changer le cours. Ils n'y arriveront jamais. Napoléon III n'est guère favorable à l'idée de coloniser l'Algérie en y transplantant des métropolitains. Il rêve plutôt d'un grand « royaume arabe » avec lequel notre pays serait allié et propose pour cela de hâter la naturalisation française d'une nombreuse élite locale. Les fonctionnaires coloniaux veillent, les ordres de l'empereur ne seront pas appliqués. Sitôt la chute du régime, les choses reprennent comme avant. En 1871, nous explique encore La République coloniale, le Parlement prévoit de donner aux colons d'Algérie 100 000 hectares de terres. Il ne dit pas un mot des gens qui y vivaient jusqu'alors, sauf pour mentionner les punitions prévues pour ceux qui résisteraient aux spoliations. Il faut un demi-siècle encore et des circonstances particulières pour que l'image des colonisés évolue un peu. Pendant la guerre de 1914 on a besoin d'hommes. Le général Mangin a l'idée de « la force noire », ces puissants soldats des colonies qui vont sauver la métropole. En Afrique (et aussi en Indochine), on recrute à tour de bras, souvent en employant la force, d'ailleurs. Grâce au courage dont ils font preuve dans les tranchées, la représentation des dominés changent : le « sauvage » d'hier devient le brave tirailleur naïf mais robuste, le fameux « y a bon banania ! ». Pour autant la ségrégation est toujours là : sur 30 000 Algériens aux armées, on compte 250 officiers. Et quand Paris tente des réformes, comme au moment du Front populaire, qui prévoit d'élargir le droit de vote à quelques milliers d'autochtones, elles sont à nouveau systématiquement torpillées par les colons : ils ne veulent rien perdre de leurs petits privilèges ni de leur immense supériorité. Après la Seconde Guerre mondiale et la lutte contre le nazisme, un vent d'émancipation souffle sur le monde. Quelques-uns des excès les plus criants du système sont enfin supprimés, comme le travail forcé ou le Code de l'indigénat. La citoyenneté de plein droit n'arrive toujours pas. En Algérie, jusqu'en 1958, on vote selon un « double collège » qui dénote une conception très particulière de l'équité électorale : la voix d'un « Français » vaut celle de 7 « musulmans ». Tout un symbole. 1 À ceux qui veulent en savoir plus sur la colonisation sous ses divers aspects, on conseillera deux livres : le France coloniale Dictionnaire de la (Flammarion, 2007), très riche, très clair, et faisant la part à toutes les thèses sans exclusive. Et, à propos de l'incroyable dépeçage de tout le continent noir, l'ouvrage savoureux et remarquable du Néerlandais Henri Wesseling, l'Afrique 2 (« Folio », Gallimard, 2002). Voyage au Congo, Gallimard, 1927. 3 Coécrit par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès, Hachette littératures, 2006. Le Partage de

« pour lesmétropoles uncitron dontellescherchaient àextraire toutlejus.

Àpartir desannées 1980,certains ont faite leurlathèse d’unhistorien del’économie devenucélèbre, JacquesMarseille, quiprouvaient lecontraire.

En fait, lacolonisation acoûté trèscher àla France, notamment parceque,pour desraisons politiques, ellesurpayait les biens coloniaux.

Etaprès ?, pourrait-on rétorquerànotre tour.D’abord leprix fortainsi payé servait sansaucun doute àenrichir lesriches exploitants coloniaux,sûrementpaslespopulations elles-mêmes.

Ensuite,celane résoud paslaquestion desdommages causésauxcolonies parlebouleversement deleurs agricultures en monocultures –hévéa, cacao,café–dévolues uniquement àla satisfaction desbesoins delamétropole.

Enfin,sile système n’amême pasl’excuse delacupidité, celarend sadomination encoreplusinacceptable. N’oublions pasaussi, disent sesdéfenseurs, lesinfrastructures laisséesparlaprésence française, etles bienfaits dont lamétropole agratifié lescolonies.

Ilne faut paslesnier, eneffet, maisrappeler aussicombien ilsfurent limités.

Iln’y aque dans lesbelles brochures depropagande quelaFrance sèmeàfoison, dansleslointaines savanes, leshôpitaux etles écoles.

Laréalité futplus modeste ettrès contrastée.

Danslesannées 1930,à Madagascar, letaux descolarisation des« indigènes », commeondisait, atteint presque 25 %.EnAlgérie, juste avant laguerre de1914, aprèsplusdequatre-vingts ans dedomination française,ilest de2 %… Etsi, dans de nombreux endroits,onconstruit, ilfaut savoir àquel prixontétéparfois payées cesconstructions.

NulenAfrique n’a oublié lecoût humain duchantier duchemin defer Congo-Océan : conditionsd’hygièneépouvantables, coups, chaleur ettravail forcéontjoué àplein –17 000 malheureux yont laissé leurvie.« Un Noirpartraverse », disait- on enexagérant unpeu, mais pastant. Parmi ceuxquifurent lesagents delacolonisation, ontrouve beaucoup degens remarquables, d’administrateurs intègres, demédecins dévoués,demaîtres d’écolesincèrement emplisdeleur noble mission.

Tousnefurent pas des brutes racistes, loins’en faut.

Nombreux lefurent, neles oublions pasnon plus.

« Moins leBlanc est intelligent, plusleNoir luiparaît bête », écritAndré Gidedans lelivre célèbre qu’ilpublie àson retour duCongo 2 . Dans cerécit devoyage, ildénonce lesexcès dontserendaient coupables lespires vecteurs del’exploitation : les sociétés concessionnaires, ces grandes compagnies privéesàqui l’État avaitdélégué lagestion desressources du pays, faute depouvoir s’enoccuper. Le récit deGide estmoins isoléqu’on nelecroit, d’ailleurs.

L’histoirecolonialeestémaillée descandales qui bouleversent lamétropole, quandellelesapprend.

Dèslespremiers tempsdela« pacification del’Algérie », quelques généraux français,prétextant leshorreurs dontserendent coupables lesArabes, eninventent d’autres : par trois fois,durant l’été1845, ilsallument desfeux devant lesgrottes oùsesont réfugiés desvillageois pourles asphyxier.

Lanouvelle des« enfumades » indigneParis,provoque desincidents àla Chambre et,selon letrès rigoureux Dictionnaire delaFrance coloniale , suscite despétitions jusquedanslesécoles. En 1898-1899, deuxofficiers français, VouletetChanoine, àla tête d’un millier d’hommes, dirigentune« mission » au Tchad et,peut-être prisdefolie, répandent terreuretbarbarie partoutoùilspassent, massacrant des populations, brûlantlesvillages.

Alerté,Parisfinitparenvoyer uncolonel constater cequi sepasse.

Ilest abattu par lesdeux déments alorsqu’ilapproche delacolonne.

Lapresse s’empare del’affaire, ilest vrai que lescandale est énorme : détruiredesvillages, c’estunechose, maistirersurunofficier français… En 1903, enOubangui-Chari (l’actuelleRépublique centrafricaine), deuxpetits fonctionnaires coloniaux,cherchant un moyen, diront-ils, de« méduser lesindigènes pourqu’ils setiennent tranquilles », sesaisissent del’un d’entre eux etlefont sauter vivantàla dynamite.

Noussommes le14 juillet.

Ladate était malchoisie.

Lanouvelle déclenche enFrance untel tollé quelegouvernement décidededépêcher surplace levieux Brazza, celui-là même qui avait conquis larégion vingtansauparavant pourluiapporter lesbienfaits duprogrès.

Ilsera tellement atterré de cequ’il ydécouvrira qu’ilmourra surlebateau duretour.

L’étonnant estque rien detout celanepousse quiconque àce qui nous semble aujourd’hui évident :remettre encause lesystème lui-même.

Une pure domination raciste Car ilest bien là,cepoint têtuauquel onvient enfin.

L’histoire colonialeétaitviciée danssonprincipe même :elle n’a jamais étéautre chose quel’organisation d’unedomination raciste.Nulnes’en cachait, lachose avaitété officialisée dèsledépart parJules Ferry, undeses plus grands apôtres.

Le28 juillet 1885,danslebrouhaha d’un grand débat parlementaire surlesfondements delapolitique coloniale, ilen donne lestenants etles aboutissants : les« races supérieures ontdes droits parcequ’elles ontdes devoirs : ledevoir deciviliser lesraces inférieures ». Ce sentiment desupériorité n’estpasune spécificité française,touslespeuples européens pensaientlamême chose aumême moment, toussevivaient commelesseuls « civilisés » quandlereste dumonde était,par définition, peupléde« sauvages ».

Parailleurs, laRépublique prendsoind’habiller sa« mission civilisatrice » des plus nobles oripeaux.

Touteslesconquêtes coloniales, nousrappelle La République coloniale 3 , ont étéinitiées sous desprétextes humanitaires : ils’agit toujours desauver despeuples d’affreux despotes oudeles arracher à. »

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