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désir et psychanalyse

Publié le 03/04/2015

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psychanalyse

désir n.m. (angl. Wish; allem. Begierde, Begehren; Wunsch). Man­que inscrit dans la parole et effet de la marque du signifiant sur l'être par­lant.

Le lieu d'où vient pour un sujet son message langagier est appelé Autre, parental ou social. Or, le désir du sujet parlant est le désir de l'Autre. S'il se constitue à partir de lui, il est un man­que articulé dans la parole et le langage que le sujet ne saurait ignorer sans dommages. Comme tel, il est la marge qui sépare, du fait du langage, le sujet d'un objet supposé perdu. Cet objet a est la cause du désir et le support du fantasme du sujet.

LE LIEN DU DÉSIR AU LANGAGE

Dès 1895, la méconnaissance de son désir par le sujet se présentait à S. Freud comme une cause du symptôme. Élève de J. M. Charcot, il en soupçonnait déjà la présence insistante au-delà de l'éta­lage spectaculaire des lésions chez les patientes hystériques. Son travail avec Emmy von N. allait le mettre sur la voie de ce désir. Cette patiente ressentait certaines représentations comme in­compatibles avec elle-même : cra­pauds, chauves-souris, lézards, hom­

me tapi dans l'ombre. Ces figures bestiales surgissaient autour d'elle comme autant d'événements supposés traumatiques. Freud les rapporte à une cause: un désir sexuel. C'est le même fantasme d'effraction qu'il retrouve plus tard chez Dora : une effraction par un animal ou par un homme «contre« la volonté du sujet.

Mais il s'agit d'un désir socialement inavouable dissimulé derrière la con­vention amoureuse d'une innocence maltraitée. Il fait irruption dans la réa­lité, projeté sur des animaux, voire sur des personnes, tous êtres auxquels l'hystérique attribue sa propre sensua­lité. Une telle projection amènera Lacan à cette assertion que le désir du sujet, c'est le désir de l'Autre. L'hysté­rique imagine cet Autre incarné dans un semblable. Avec la cure, elle finit par reconnaître que ce lieu Autre est en elle et qu'elle l'a ignoré, et ce n'est qu'en la sollicitant que Freud obtient que la patiente lui évoque ce qui la tour­mente. Freud fera de même avec d'au­tres, obtenant souvent la sédation partielle des symptômes.

Le lien du désir à la sexualité est donc d'emblée avéré à Freud, de même que sa reconnaissance par la parole. Tour à tour, les modèles physiques, écono­miques et topiques l'aideront à en cer­ner les effets, mais c'est le lien du désir à la parole d'un sujet qui devient très vite le fil conducteur de toute son oeuvre clinique, comme en témoigne ensuite l'Interprétation des réves (1900).

Si le rêve est la réalisation déguisée d'un désir refoulé, Freud sait entendre, à travers les déguisements qu'impose la censure, l'expression d'un désir qui subvertit, dit-il, «les solutions simples de la morale périmée «. Ce faisant, il met au jour l'articulation du désir au langage en découvrant la règle d'inter­prétation: l'association libre. Elle donne accès à ce savoir inconscient à travers lequel est lisible le désir d'un sujet. En suivant la trace des significa‑

tions qui viennent le plus spontané­ment à l'esprit, le sujet peut mettre au jour ce désir que le travail dissimula­teur du rêve a masqué sous des images énigmatiques, inoffensives ou angois­santes. L'interprétation qui en résulte vaut ainsi comme la reconnaissance du désir qui depuis l'enfance ne cesse d'in­sister et détermine, sans qu'il le sache, la destinée du sujet. Voilà pourquoi Freud conclut l'Interprétation des rêves en disant que l'avenir présent pour le rêveur est modelé, par le désir indes­tructible, à l'image du passé. De quelle nature est ce désir?

À cette question répond tout le tra­vail clinique de Freud. Il le conduit à énoncer l'un des paradoxes du désir dans la névrose : le désir d'avoir un désir insatisfait. Le rêve dit «de la bou­chère« (l'Interprétation des rêves) lui en révèle quelques arcanes. En évoquant un rêve où figure du saumon, plat de prédilection de son amie, la patiente en question dit qu'elle encourage son mari, pourtant soucieux de lui faire plaisir, à ne pas satisfaire un désir de caviar, qu'elle lui a néanmoins expri­mé. Freud interprète ces paroles comme désir d'avoir un désir insatis­fait. Il entend le signifiant « caviar « comme la métaphore du désir. Dans la Direction de la cure, Lacan montre à pro­pos de ce rêve comment ce désir s'arti­cule au langage. Non seulement le désir se glisse dans un signifiant qui le repré­sente, le caviar, mais il se déplace aussi le long de la chaîne signifiante qu'é­nonce le sujet lorsque, par association libre, la patiente passe ici du saumon au caviar. Ce déplacement d'un signifiant à un autre, qui momentanément se fixe sur un mot censé représenter l'objet désirable, Lacan l'appelle métonymie. La patiente ne veut pas être satisfaite, comme il est habituel de le constater dans la névrose. Elle préfère à la satis­faction le manque, qu'elle maintient sous la forme de la privation évoquée par le signifiant « caviar «. Si, pour

Lacan, le désir est «la métonymie de manque à être où il se tient«, c'est que le lieu où se tient le désir d'un sujet est une marge imposée par les signifiants eux-mêmes, ces mots qui nomment ce qu'il y a à désirer. Cette marge s'ouvre entre un sujet et un objet que le sujet suppose inaccessible ou perdu. Le glis­sement du désir le long de la chaîne signifiante interdit l'accès à cet objet supposé perdu que le signifiant caviar symbolise ici.

Ce dont témoignent ces remarques de Lacan, c'est que le nom qui nomme l'objet manquant laisse apparaître ce manque, lieu même du désir. Le man­que est un effet du langage: en nom­mant l'objet, le sujet le rate nécessaire­ment. La spécificité du désir de l'hystérique est ici qu'elle fait de ce manque structural, déterminé par le langage, une privation, source d'insa­tisfaction. Il reste que, si le désir est indestructible, c'est que les signifiants particuliers dans lesquels un sujet vient articuler son désir, c'est-à-dire nommer les objets qui le déterminent, demeu­rent indestructibles dans l'inconscient à titre de «traces mnésiques« laissées par la vie infantile. Mais est-ce à dire que le psychanalyste s'en tienne à cette vérité que les névrosés vivent de fic­tions et entretiennent leur insatisfac­tion?

LE DÉSIR ET LA LOI SYMBOLIQUE

Lacan donne une réponse à ce pro­blème dans Séminaire VI, 1958-59, «le Désir et son interprétation «. Si le névrosé en tant qu'homme entretient son insatisfaction, c'est que, enfant, il n'est pas parvenu à articuler son désir à la loi symbolique qui en autoriserait une certaine réalisation. La question est de savoir quelle est cette loi symbo­lique et quelles impasses peuvent en découler pour le désir d'un sujet.

HAMLET

Lacan illustre son propos sur les impas­ses du désir dans la névrose par le des‑

tin de Hamlet. Le drame de Hamlet est de savoir par avance que la trahison, dénoncée par le spectre du père mort, frappe d'inanité toute réalisation de son désir. Mais c'est moins la trahison du roi Claudius qui est en cause que la révélation faite par le spectre à Hamlet de cette trahison. Cette révélation est mortifère puisqu'elle jette le doute sur ce qui garantirait le désir de Hamlet. En effet, la dénonciation du mensonge que représenterait le couple royal rend à Hamlet insupportable le lien du roi et de la reine et l'amène à récuser ce qui fonde symboliquement ce lien sexuel: le phallus. Il conteste que Claudius puisse être le détenteur exclusif du phallus pour sa mère. Du même mou­vement, il s'interdit l'accès d'un désir qui serait en règle avec l'interdit fonda­mental, celui de l'inceste. Il récuse la castration symbolique. Car, pour Freud comme pour Lacan, cette loi symbo­lique est portée par le langage : non naturelle, elle oblige le sujet à renoncer à la mère. Elle le dépossède — symbo­liquement — de cet objet imaginaire qu'est selon Lacan le phallus pour en attribuer la jouissance à un Autre, ici Claudius. Le complexe d'CEdipe, dé­couvert par Freud, prend tout son sens de la rivalité qui oppose l'enfant au père dans l'abord de cette jouissance. Il est aussi remarquable de constater que le judaïsme puis le christianisme, par l'interdit qu'ils faisaient porter sur la convoitise incestueuse et sexuelle, ont mis en place les conditions d'un désir subjectif strictement orienté par le phallus et par la transgression de la loi. La tradition morale n'est pas sans sus­citer les impasses du désir. Elle favorise par les réponses qu'elle donne le refus névrotique ou pervers de la castration.

Hamlet finit ici par substituer à l'acte symbolique de la castration, rendu impossible par la parole empoisonnée du spectre, un meurtre réel qui l'en­traîne lui-même et les siens dans la mort. Le destin de Hamlet est emblé­

matique des impasses du désir dans la névrose qui, si elle prend rarement cette forme radicale, a la même cause pour origine: un évitement de la castra­tion. Si le sujet veut s'accomplir autre­ment que dans cette infinie douleur d'exister dont témoigne Hamlet, ou dans la mort réelle, son désir par une nécessité de langage ne peut qu'en pas­ser par la castration. Car la jouissance est, dit Lacan, interdite à qui parle comme être parlant. Ce que montre aussi la psychopathologie de la vie quotidienne, c'est que le refoulement de toutes les significations sexuelles est inscrit dans la parole : les références trop directes à la jouissance sont éva­cuées des énoncés les plus ordinaires. Elles n'y sont éventuellement admises qu'au titre de mot d'esprit. Tel est donc l'effet de cette loi du langage qui, en même temps qu'elle interdit la jouis­sance, la symbolise par le phallus et refoule de la parole dans l'inconscient les signifiants de la jouissance. Paraît obscène à ce titre le retour trop cru des mots qui évoquent le sexe dans la parole. Telle est aussi pour l'homme la relation du désir sexuel au langage. Pour peu que ce refoulement originaire n'ait pas eu lieu, c'est le désir du sujet qui en subit les conséquences dans la culpabilité ou dans les symptômes.

Pour une femme, l'accès au désir s'avère différent. D'emblée, la castra­tion peut lui apparaître comme la pri­vation réelle d'un organe dont est doté l'enfant mâle ou comme une injuste frustration. Puis elle vient occuper la place imaginaire de cet objet du désir qu'elle représente pour son père en tant que femme. À cet égard, elle vit sou­vent avec difficulté la rivalité qui désor­mais l'oppose à sa mère. Quoi qu'il en soit, il ne lui est pas imposé par le langage de refouler la signification phallique qui pour l'homme sexualise toutes ses pulsions, car elle n'est pas tout entière concernée par un refoule­ment dont elle supporte néanmoins les

effets dans sa relation à l'homme. Ce qui fit dire à Lacan qu'une femme vivait de la castration de son partenaire et y trouvait repérage pour son désir. Enfin, il ne suffit pas de cette référence à la castration pour que le désir puisse être réalisé ; encore faut-il que cette castra­tion, pour ne pas interdire toute réalisa­tion du désir, vienne ainsi trouver appui dans ce que Lacan appelle le Nom-du-Père.

ANTIGONE

Car c'est de cette référence au Nom-du-Père', lui aussi purement symbo­lique, que le désir assumé tient son assise. Le sujet désirant s'autorise à jouir précisément parce qu'il impute au père réel cette autorisation symbolique à désirer, le Nom-du-Père, sans laquelle la castration, propre au langage, laisse­rait le sujet insatisfait et souffrant. Il aurait à renoncer à tout désir, comme le montre la pathologie du sujet «nor­mal«: son état dépressif. Pour faire comprendre cette relation du désir au Nom-du-Père, Lacan choisit de faire de la conduite d'Antigone l'attitude la plus illustrative de l'Ethique de la psycha­nalyse.

Contrairement à Hamlet, le désir d'Antigone n'est pas frappé d'inanité par l'empoisonnement d'une parole sans issue; elle sait ce qui fonde l'exis­tence de son désir: sa fidélité au nom légué par son père à son frère Polynice, Nom-du-Père ici. La limite que ce nom définit pour les décisions et les actes est celle où se tient Antigone et c'est ce nom que veut bafouer Créon, qui décide de laisser exposé le cadavre du guerrier mort. Contre le Bien revendi­qué par Créon, l'ordre de la cité et la raison d'État en l'occurrence, elle oppose son désir, fondé sur ce lien symbolique. La tragédie montre qu'à l'horizon de ce Bien invoqué par les maîtres et les philosophes, pour­voyeurs d'une morale périmée, le pire se dessine. Car l'issue atroce de la

tragédie procède directement de la volonté propre à Créon de faire le Bien contre le désir d'Antigone. Ainsi, pour Lacan, le Bien est-il, avec le service des biens — honorabilité, propriété, al­truisme, biens de tous ordres —, por­teur de cette jouissance mortelle puisqu'il rompt les amarres avec le désir.

La conduite d'Antigone a paru excessive à maint commentateur clas­sique. L'audace de Lacan est sans doute d'avoir montré, contre les morales tra­ditionnelles fondées sur le Bien, que le désir ne pouvait se soutenir que de son excès même par rapport à la jouis­sance, que recouvrent tout bien, tout ordre moral ou toute instance ordinale, quelle qu'elle soit. Cet excès du désir est emblématique de l'épreuve que constitue pour un sujet la cure analy­tique, et la seule faute qu'il puisse commettre est à l'encontre de son désir: céder sur son désir ne peut que laisser ce sujet désorienté. Le sujet dépouillera donc dans la cure le «scru­tin de sa propre loi« et prendra le risque de l'excès.

L'OBJET, CAUSE DU DÉSIR

Qu'est-ce qu'en dernier lieu le sujet est amené à découvrir ? Tout d'abord, comme le dit Lacan, qu'« il n'y a pas d'autre bien que ce qui peut servir à payer le prix pour l'accès au désir«, mais surtout que ce désir n'est ni un besoin naturel ni une demande.

Il se distingue radicalement du besoin naturel, comme en témoigne par exemple la mise en place de la pul­sion orale. Au cri de l'enfant, la mère répond en l'interprétant comme une demande, c'est-à-dire un appel signi­fiant à la satisfaction. L'enfant se trouve donc dépendre dès les premiers jours d'un Autre dont la conduite procède du langage. S'il revient à la mère de répondre à cette demande, elle ne tente de la satisfaire que parce qu'au-delà du cri elle suppose la demande d'un

enfant. Cette demande n'a de significa­tion que dans le langage. En la suppo­sant, elle implique donc l'enfant dans le champ de la parole et du langage. Mais l'enfant n'accède au désir proprement dit qu'en isolant la cause de sa satis­faction, qui est l'objet, cause du désir: le mamelon. Or, il ne l'isole que s'il en est frustré, c'est-à-dire si la mère laisse place au manque dans la satisfaction de la demande. Le désir advient alors au-delà de la demande comme manque d'un objet. C'est par la cession de cet objet que l'enfant se constitue comme sujet désirant.

Le sujet entérine la perte de cet objet par la formation d'un fantasme qui n'est autre que la représentation imagi­naire de cet objet supposé perdu. Car c'est une coupure symbolique qui sépare désormais le sujet d'un objet supposé perdu. Cette coupure est simultanément constitutive du désir, comme manque, et du fantasme qui va succéder à l'isolement de l'objet perdu. L'excitation réelle du sujet dans la poursuite de ce qui le satisfait va donc avoir comme point de butée un man­que et un fantasme qui fait en quelque sorte écran à ce manque et qui resurgira dans la vie sexuelle du sujet. L'excita­tion n'est donc pas destinée à atteindre le but biologique que serait, par exemple, la satisfaction instinctive du besoin naturel par la saisie réelle de quelque chose, comme chez l'animal. L'excitation réelle du sujet fait le tour d'un objet qui s'avère insaisissable, et constitue la pulsion. L'existence du sujet désirant par rapport à l'objet de son fantasme est un montage, qui pro­cède de l'inscription du manque dans le désir de la mère puisqu'il revient d'abord à la mère, puis au père, d'ins­crire ce manque pour l'enfant, un man­que non pas naturel mais propre au langage. Le langage et la coupure dont il est le porteur sont reçus comme Autres par le sujet. Ils portent avec eux le manque. C'est pourquoi Lacan dit

que le désir du sujet est le désir de l'Autre. Il en est de même de tous les autres objets du fantasme — anal, sco-pique, vocal, phallique, voire littéral —dont la perte creuse aussi cette marge du désir, ce manque et qui seront eux aussi à des titres divers les supports du fantasme. Cet objet, support du fan­tasme et cause du désir, Lacan l'appelle objet a. Dans «Subversion du sujet et dialectique du désir« (Écrits, 1965), il note d'un algorithme la relation du

sujet à l'objet a: $        a.

Tel est donc ce sujet de l'inconscient qui poursuit à travers les méandres de son savoir inconscient la cause évanes­cente de son désir, cet objet supposé perdu si souvent évoqué dans les rêves. Il appartient en dernier lieu à la castra­tion de refouler les pulsions qui ont présidé à la mise en place de ce mon­tage et de sexualiser tous les objets causes du désir sous l'égide du phallus. Au terme d'une analyse, ces objets sup­posés perdus, supports du fantasme, apparaissent sous le jour qui est le leur, à savoir ce qui ne se laisse pas saisir: le rien. Car si l'objet est évanescent, c'est au rien qu'en dernière instance le désir a affaire, comme à sa cause unique.

 

Cette relation du désir au rien qui le soutient peut permettre au sujet mo­derne de vivre par le discours psycha­nalytique un désir différent de celui auquel les névrosés s'attachent par tra­dition. Ch. Melman le montre dans son dernier séminaire sur le Refoule­ment: ce désir autre n'aurait plus à trou­ver appui sur la convoitise interdite et du même coup encouragée par la reli­gion, refusant de privilégier le phallus, comme objet de désir. Il s'agit d'un désir qui, sans ignorer son existence et les commandements de la Loi, ne se mettrait plus au service de la morale.

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