Dictionnaire en ligne: ENTREPRISE, substantif féminin.

Dictionnaire en ligne: ENTREPRISE, substantif féminin. A.— 1. Action d'entreprendre quelque chose; ce que quelqu'un entreprend. Une entreprise difficile, de longue haleine; échouer, réussir dans son entreprise : Ø 1. J'espère que vous comprenez maintenant la portée de l'entreprise philosophique et historique, que je me propose d'exécuter avec vous et devant vous. Le but est bon, je le crois, mais la route sera longue; ce n'est pas en quelques mois, en une année que nous pourrons arriver au terme. VICTOR COUSIN. Histoire de la philosophie du XVIIIe. siècle tome 1, 1829, page 31. Ø 2. Un voyage en Espagne est encore une entreprise périlleuse et romanesque; il faut payer de sa personne, avoir du courage, de la patience et de la force. THÉOPHILE GAUTIER, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1843, page 261. Ø 3. Cet idéal irréalisable, en tant qu'il hante mon projet de moi-même en présence d'autrui, n'est pas assimilable à l'amour en tant que l'amour est une entreprise, c'est-à-dire un ensemble organique de projets vers mes possibilités propres. JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, page 433. · Esprit d'entreprise : Sur leur front éclatoient l'audace, l'esprit d'entreprise et d'aventure (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs ou le Triomphe de la religion chrétienne, tome 3, 1810, page 44 ). · Homme d'entreprise : Ø 4. Comme la plupart des hommes d'entreprise, avec un discernement très vif des obstacles matériels, il tenait peu de compte des résistances d'en bas, des opinions générales,... CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 1, 1834, page 50. 2. Spécialement. Action agressive, en particulier, opération militaire : Ø 5. Je l'ai revu au moment où l'on partait pour l'expédition de Crimée. Il considérait cette entreprise comme très-hasardeuse et la voyait avec crainte. ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondance avec Henry Reeve, 1854, page 149. Ø 6.... vous excitez les Marocains à défendre par la force leur autonomie contre les entreprises de l'étranger. JEAN JAURÈS, Le Guêpier marocain, 1914, page 107. · Vieilli. Entreprise contre, sur. Partout et de tout temps les moines ont fait payer cher les entreprises contre leurs biens temporels (PROSPER MÉRIMÉE, Les Faux Démétrius, 1853, page 191) : Ø 7. La vigueur de cette harangue [de Marchenoir] parut avoir dégoûté Bohémond de toute entreprise nouvelle sur son adversaire intraitable dont il admirait, d'ailleurs, l'intransigeance... LÉON BLOY, La Femme pauvre, 1897, page 171. — Tentative de séduction : Ø 8. Tant de réserve, de la part d'une vénérable dame qui devait pourtant avoir passé l'âge où les entreprises des jeunes gens sont à craindre, lui semblait exagérée [à de Géry] . ALPHONSE DAUDET, Le Nabab, 1877, page 163. B.— ÉCONOMIE. 1. Mise en oeuvre de capitaux et d'une main-d'oeuvre salariée en vue d'une production ou de services déterminés : Ø 9.... « jamais gouvernement n'a été aussi favorable au développement de toutes les facultés actives, ni à faire naître, à exciter cette énergie qui conduit également aux spéculations du commerce et à celles des manufactures et des défrichemens. La surface des États-Unis n'offre aux yeux qu'un vaste système d'activité et d'entreprises ». [Propos d'un colon du Vermont] . MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York, tome 1, 1801, page 171. Ø 10.... une banque d'escompte, ou toute autre qui met en circulation des billets au porteur, ne saurait par conséquent fournir aux entreprises agricoles, manufacturières ou commerciales, aucuns fonds pour construire des bâtimens et des usines, creuser des mines et des canaux, défricher des terres incultes, entreprendre des spéculations lointaines, aucuns fonds, en un mot, destinés à être employés comme capitaux engagés, qu'on ne peut pas résoudre en monnaie au moment qu'on veut. JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique, 1832, page 306. · Esprit d'entreprise : Ø 11. C'est à la suppression des maîtrises, des jurandes, de toutes les gênes imposées à l'industrie, qu'il faut attribuer l'accroissement des manufactures et l'esprit d'entreprise qui s'est montré de toutes parts. GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 1 1817, 1817, page 225. — DROIT CIVIL. Contrat d'entreprise. Synonymes : louage d'ouvrage, louage d'industrie. " Différent du contrat de travail par l'absence d'un lien de subordination entre celui qui entreprend le travail et celui pour le compte de qui il est effectué " (Dalloz, Nouveau répertoire de droit, 1963, au mot entreprise). — À l'entreprise, par entreprise. Au moyen d'un contrat d'entreprise. La construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise (Code civil des Français (ou Code Napoléon) 1804, article 1798, page 326 ). Dès-lors ces mêmes fabriques s'érigèrent en bureau de deuil, et se chargèrent, par entreprise, du soin d'honorer les morts (VICTOR-JOSEPH ÉTIENNE, DIT DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée-d'Antin, tome 5, 1814, page 107 ). Les renouvellements généraux se font par grands chantiers, en régie ou à l'entreprise (CHARLES BRICKA, Cours de chemins de fer, tome 1, 1894, page 509 ). — Avoir, faire des entreprises. Le mari a eu des entreprises pour les hôpitaux (JOSEPH FIÉVÉE, La Dot de Suzette, 1798, page 143 ). [A. H.] fit quelques entreprises partielles dans les transports militaires (HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, page 21) : Ø 12. Voilà cent soixante-huit francs, se disait le maire, que me coûte M. Valenod. Il faut absolument que je lui dise deux mots fermes sur son entreprise des fournitures pour les enfants trouvés. HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, page 61. 2. Par métonymie. Unité économique combinant des capitaux et une main-d'oeuvre salariée en vue de la production de biens, ou de leur commercialisation. Les grandes entreprises; les petites et moyennes entreprises. Synonyme : firme : Ø 13. [La classe ouvrière devra] être représentée de droit, par ses syndicats, dans les conseils d'administration des six mille sociétés anonymes, civiles ou commerciales qui détiennent le grand commerce et la grande industrie. Elle aura intérêt à exiger, à obtenir qu'une part des actions soit réservée de droit, en toute entreprise, aux organisations ouvrières, afin qu'ainsi, peu à peu, le prolétariat pénètre au centre même de la puissance capitaliste, et que la société nouvelle sorte de l'ancienne avec cette force irrésistible « d'évolution révolutionnaire » dont a parlé Marx. JEAN JAURÈS, Études socialistes, 1901, page 30. Ø 14. J'étais par hasard tombé dans la cellule d'une usine du XXe, une entreprise de petit outillage mécanique... PAUL NIZAN, La Conspiration, 1938, page 230. Ø 15. La réalité ne connaît que des entreprises où l'inégalité entre main-d'oeuvre et entrepreneur, toujours possible, est fréquente en fait et où l'exercice de l'autorité par le chef de l'entreprise à l'égard de son personnel, de sa clientèle et de ses concurrents est bien plus décisif que sa capacité théorique d'appareil enregistreur des conventions imposées par le marché. FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe. siècle. 1964, page 86. — Chef d'entreprise. · Synonyme : entrepreneur (confer ce mot B 1) : Ø 16. Nous verrons, en parlant des profits de l'ouvrier, quel avantage donne sur lui au chef d'entreprise la position de l'un et de l'autre; mais il est bon de remarquer les autres avantages dont un chef d'entreprise, s'il est habile, peut tirer parti. Il est l'intermédiaire entre toutes les classes de producteurs, et entre ceux-ci et le consommateur. Il administre l'oeuvre de la production; il est le centre de plusieurs rapports; il profite de ce que les autres savent et de ce qu'ils ignorent, et de tous les avantages accidentels de la production. JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique, 1832, page 371. · Personne qui, sans être nécessairement propriétaire, dirige une entreprise. (Confer entrepreneur exemple 3). Les rapports de l'employeur avec l'employé, de l'ouvrier avec le chef d'entreprise (ÉMILE DURKHEIM, De la division du travail social. 1893, page 11) : Ø 17. Mme. de Fontanin allait de chambre en chambre, ouvrant les portes avec l'autorité d'un chef d'entreprise, inspectant tout d'un oeil averti, vérifiant au passage la propreté des lavabos, la température des radiateurs,... ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Épilogue, 1940, page 853. — Comité* d'entreprise. — Entreprise nationalisée. Ancienne entreprise privée, dont la propriété est transférée à l'État (d'après Dictionnaire de droit de A. Perraud-Charmantier (RAYMOND BARRAINE) 1974). — Entreprise pilote, TRAVAUX PUBLICS. " Entreprise mandatée pour les négociations extérieures, etc. lorsqu'un groupe de sociétés est chargé de l'exécution d'un travail d'ensemble " (Centre International du Droit des Affaires (CIDA) 1973). — Entreprise publique. " Entreprise d'État ou locale, généralement communale " (Dictionnaire de droit de A. Perraud-Charmantier (RAYMOND BARRAINE) 1974). Remarque : L'entreprise se distingue de l'établissement qui représente une unité de production techniquement individualisée, mais juridiquement dépendante; elle se distingue de la société, qui seule possède une personnalité morale et un patrimoine; elle se distingue des trusts, combinats, konzerns, holdings qui constituent des groupes d'entreprises. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 3 206. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 5 177, b) 2 397; XXe. siècle : a) 3 032, b) 6 104. Forme dérivée du verbe "entreprendre" entreprendre ENTREPRENDRE, verbe transitif. A.— Entreprendre quelqu'un, contre quelqu'un. [Le plus souvent dans des emplois figurés] . S'attaquer à. 1. Entreprendre quelqu'un.. Engager une discussion serrée pour l'amener à changer de point de vue, le convaincre : Ø 1. Mais je ne sais pourquoi, monsieur le chevalier, c'est toujours moi que vous entreprenez, ni pourquoi je me laisse toujours entraîner où vous voulez. Vous m'avez essoufflé au pied de la lettre avec votre malheureux Locke. Pourquoi ne promenez-vous pas de même notre ami le sénateur? JOSEPH, COMTE DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, tome 1, 1821, page 535. Ø 2. L'ennemi, vers le milieu de 1915, décida de forcer tous les industriels à travailler pour lui. Fort adroitement, il entreprit les patrons isolément, l'un après l'autre, pour vaincre plus aisément les résistances. MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, page 127. — Tenter de séduire : Ø 3.... je la rejoignis sur un divan de sa chambre, et c'est là qu'elle commença de m'entreprendre. — Mon jeune ami... Vous permettez que je vous appelle ainsi, dit-elle, profitons vite de ce que nous voici tous deux seuls. (...) Et, tout en protestant qu'elle ne s'adressait qu'à mon âme ou à je ne sais quoi d'intérieur, elle ne laissait pas de porter ses mains à mon front, puis,... ANDRÉ GIDE, Thésée, 1946, page 1426. — Rare, concret. Harceler, attaquer : Ø 4. Le taureau, de la droite, décocha un coup de corne qui frôla le jeune homme sans le toucher. Sur un signe d'Alban les péons l'entreprirent, le firent changer de place. HENRI DE MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, page 539. · [Le complément désigne un objet] S'occuper de, s'attaquer à. Une autre équipe les entreprend [les arbres] à la minute même de leur chute (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928, page 49 ). 2. Entreprendre contre.. Engager une action hostile contre. Un peu curieux de voir ce que les Chargnait allaient entreprendre contre Valentin (HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, 1930, page 133 ). Quand la France se sent unie, il n'y a pas à entreprendre contre elle (PAUL VALÉRY, Variété IV, 1938, page 142 ). B.— Entreprendre + substantif désignant une action ou son résultat ou + de + infinitif. 1. Mettre à exécution un projet nécessitant de longs efforts, la réunion de moyens, une coordination, etc. Entreprendre des études, des recherches, l'ascension de l'Éverest. Pendant que le grand Linné entreprend l'oeuvre immense de la classification de tous les êtres organisés (PAUL VALÉRY, Variété V, 1944, page 264) : Ø 5. Son amitié généreuse, jointe au zèle de la science, a pu seule lui faire entreprendre la tâche minutieuse et fatigante qu'il a remplie si patiemment. PIERRE CABANIS. Rapports du physique et du moral de l'homme, tome 1, 1808, page XXXI. Ø 6. Mais son activité est souvent improductive et même malfaisante, parce que, parfois, il veut faire ce qui est au-dessus de ses forces, ou fait ce que personne ne contrôle. Il n'entreprend guère ou il abandonne bientôt les réformes les plus nécessaires, qui, pour réussir, demandent une énergie persévérante;... ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution. 1856, page 138. — Entreprendre de + infinitif. Pinette se pencha sur ses souliers et entreprit de les délacer (JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme, 1949, page 73) : Ø 7. Or, les jours solennels où le vieux Peter Tannenwalder entreprenait de lire à haute voix quelques pages de son livret, surtout s'il ne trouvait pas, comme ce soir-là, ses lunettes, il fallait à la famille la patience des anges de la procession. JOSEPH PEYRÉ, Matterhorn, 1939, page 84. — En emploi absolu. Agir. Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. Je me sens découragé et un sentiment pénible à l'épigastre m'ôte toute idée suivie, toute force pour entreprendre et continuer (MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal, 1818, page 120 ). La femme est faite pour être arrivée, et rivée; l'homme est fait pour entreprendre, et se détacher (HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles, 1936, page 1010 ). 2. Engager une opération commerciale ou industrielle. Voilà pourquoi notre gouvernement [le gouvernement américain] (...) encourage les compagnies qui entreprennent la construction des ponts, l'ouverture des routes et des canaux (MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York, tome 3, 1801, page 163 ). [Auguste] m'a conseillé de vous écrire par avance au sujet de la manutention de notre papier. Si M. Calluau peut entreprendre cette fourniture, alors j'irai vous voir (HONORÉ DE BALZAC, Correspondance, 1833, page 377 ). — Rare, en emploi absolu. La difficulté que nous avions à vivre nous forçait d'entreprendre. On prit une boutique sur le boulevard Saint-Martin (...) et l'on essaya d'y établir un cabinet de lectures et un petit débit de papeterie (JULES MICHELET, Mémorial, 1822, page 187 ). C.— Entreprendre sur.. Empiéter sur. Quoi qu'il en soit, le guerrier périssant pour avoir entrepris sur les droits des pontifes (JULES MICHELET, Histoire romaine, tome 1, 1831, page 68 ). Son joueur supposé de la bourse lui parut propre à devenir son âme damnée, et il entreprit sur les droits divins en créant un homme (HONORÉ DE BALZAC, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, 1837, page 85 ). Remarque : Jusqu'à son édition de 1878, Dictionnaire de l'Académie Française signale un emploi « embarrasser, rendre perclus ». Il est sorti de l'usage. On ne le trouve dans la documentation que chez Chateaubriand : Ma poitrine s'entreprit; je respirois avec peine (Essai historique, politique et moral sur les Révolutions, tome 1, 1797, page VI; confer aussi Mémoires, tome 1, 1848, page 435). Toujours jusqu'en 1878, Dictionnaire de l'Académie Française signale l'emploi adjectival correspondant à cet emploi : " Entrepris est aussi adjectif et signifie : embarrassé, perclus. J'ai la tête toute entreprise, Il a le bras entrepris ". DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ) donne également cet emploi, avec des exemples de Lesage et Voltaire. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 870. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 2 920, b) 2 071; XXe. siècle : a) 1 929, b) 3 190.