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Donc sur l'Occupation vous savez déjà, a dit Malcia, après que nous avons terminé le dessert et sommes retournés nous asseoir, épuisés, dans nos fauteuils.

Publié le 06/01/2014

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Donc sur l'Occupation vous savez déjà, a dit Malcia, après que nous avons terminé le dessert et sommes retournés nous asseoir, épuisés, dans nos fauteuils. Comme cela m'était arrivé lors du déjeuner à la Bolechow de Meg à Sydney, j'ai pensé, Bientôt il n'y aura plus personne qui sache cuisiner ces plats. Euh, ai-je dit, nous ne savons pas vraiment. Je veux dire que nous savons ce qui s'est passé en général, mais nous ne savons rien de spécifique sur ce qui leur est arrivé à eux. Je ne voulais pas lui fournir la moindre information ; je voulais voir ce qu'elle savait, sans rien suggérer. Les Jäger, a-t-elle dit. Ce qui leur est arrivé, c'est ce qui est arrivé à tout le monde. Elle a soupiré. Mais elle a ajouté immédiatement après, Et Frydka, elle avait une relation avec le fils d'un Polonais, le voisin. Frydka, encore une fois, ai-je pensé. Mais j'ai dit, Ciszko Szymanski. Elle a hoché la tête. Et il y avait quelqu'un qui... Elle s'est tournée vers Shlomo pour obtenir le mot qu'elle cherchait et elle lui a dit quelque chose. Quelqu'un qui les a délationnés, a dit Shlomo. Dénoncés, ai-je dit. Oui. Malcia a hoché la tête de nouveau. Frydka. Après la conversation avec Anna Stern, je doutais de pouvoir apprendre quoi que ce fût de neuf ; certainement rien de plus dramatique et émouvant que Si vous la tuez, vous devriez me tuer aussi ! Pourtant, je voulais procéder méthodiquement. Très bien, ai-je dit, je veux avancer tout doucement ici. Mais Malcia se souvenait de différentes choses et elle faisait défiler son histoire. Ils les ont dénoncés, et ils l'ont trouvée, et elle était enceinte. Enceinte ? ai-je dit. Je me suis redressé dans mon fauteuil et je l'ai regardée. Enceinte ? a dit Malcia en s'adressant à Shlomo pour s'assurer que c'était le bon mot. Il a hoché la tête. C'était le bon mot. Enceinte. J'ai dit, Attendez, je veux revenir en arrière, une seconde. Frydka était avec ce garçon polonais, Ciszko Szymanski. Ils sortaient ensemble, il l'aimait bien ? Malcia a dit quelque chose à Shlomo qui s'est tourné vers moi et a dit, Elle dit qu'il l'a sauvée, qu'il a essayé de la cacher. Malcia a hoché la tête et a repris son récit en anglais. Pour la cacher, a-t-elle dit. Et ils vivaient ensemble. Je n'étais pas sûr d'avoir compris ; je voulais des détails plus spécifiques. Ils avaient vécu ensemble où ? Malcia a dit, Dans sa maison à lui, à lui. Il la cachait dans sa maison ? ai-je dit, sidéré. Cela ne m'était jamais venu à l'esprit. Malcia a hoché la tête, plus pour elle-même que pour moi. Elle a dit, Oui. Et ils les ont trouvés, ils les ont trouvés et elle était enceinte. C'est ce qu'on m'a dit. Shlomo, lisant mes pensées, est intervenu. Dis-moi, a-t-il dit à Malcia, et son père, Shmiel, il n'était pas là ? Elle a secoué la tête avec lenteur et avec insistance : Non. Il l'aimait beaucoup, a-t-elle poursuivi, et il lui a dit qu'il veut la cacher. Il l'aime beaucoup et elle l'aime bien. Et c'était pour elle, comment disons-nous, une mazel. Et il la cache, mais il y a des gens méchants qui savaient que... Sa voix a déraillé. Elle avait l'air pensive. Shlomo m'a dit à voix basse. Donc une partie de l'histoire était vraie. Quelqu'un a trahi Frydka. Une partie de l'histoire, ai-je pensé. Et pourquoi pensions-nous que c'était vrai ? Parce que quelqu'un d'autre, quelqu'un qui n'était pas présent non plus quand ça s'était passé, quelqu'un qui avait réussi à rester caché et qui avait seulement entendu dire, après la fin de la guerre, ce qui était arrivé à Frydka, l'avait entendu dire de quelqu'un d'autre, qui l'avait entendu dire de quelqu'un d'autre encore ; et parce qu'un certain détail tiré de cette histoire de troisième main concordait maintenant avec un détail que Malcia avait entendu rapporté par quelqu'un d'autre, qui l'avait entendu rapporté par quelqu'un d'autre encore. Frydka avait été cachée et trahie. Mais qu'en était-il de Shmiel, maintenant ? J'avais l'impression de marcher dans des sables mouvants. On l'a trahie, a dit Malcia. Oui. Et vous n'avez aucune idée de qui il pouvait s'agir ? ai-je demandé. Malcia a été très terre à terre. Elle a levé les mains. Les voisins. Les Ukrainiens. J'étais encore en train de me faire à l'idée de cette nouvelle version : pas de Shmiel, pas d'institutrice polonaise anonyme, seulement Frydka et Ciszko. Shlomo a dû lire dans mes pensées, parce qu'il m'a regardé et s'est tourné ensuite vers Malcia pour dire, Parce que, vous comprenez, nous avons entendu une histoire selon laquelle Frydka et Lorka avaient rejoint Babij. Malcia a fait une grimace très négative -- de dédain même. Non, non ! OK, ai-je dit. Donc, la dernière chose que nous sachions au sujet de Frydka, c'est qu'elle se cachait avec lui et que quelqu'un les a dénoncés... Malcia a hoché la tête. Ils l'ont tuée et lui aussi. J'ai vu sa mère après la guerre. Sa mère ? C'était intéressant. J'ai demandé, Et qu'a-t-elle dit ? Malcia a eu l'air amusée. Qu'estce qu'elle dit ? Elle a dit, C'était un garçon idiot ! Elle m'a jeté un regard subtil, compliqué. Elle a dit, Il a payé ça de sa vie. Je voulais continuer à faire pression sur elle pour obtenir d'autres détails. Alors vous êtes tombée sur Mme Szymanska après la guerre... Nous ne sommes pas tombés sur elle, elle est venue nous voir. Nous avions un magasin après la guerre à Breslau... Wroclaw ? ai-je demandé. « Breslau », je le savais, est le nom allemand de ce qui est aujourd'hui Wroclaw, tout comme « Lemberg » est l'ancien nom de L'viv. Froma et moi, épuisés par nos marches forcées dans Prague, avions pleuré de rire un jour à propos de la différence entre l'orthographe du mot et la façon dont il est prononcé : Vrotzwohf. Ce n'est que plus tard que j'ai appris comment prononcer certaines lettres en polonais. Malcia a hoché la tête et souri. Oui, Wroclaw. Elle se souvenait de l'adresse où elle avait vécu à ce moment-là. Rynek szesc. Ringlplatz sechs. 6, place du Marché. Reprenant le fil de son récit sur la mère de Ciszko Szymanski, elle a dit, Elle est venue, elle savait que nous avions un magasin. Tout le monde cherche un visage qu'il connaît. Parce qu'elle voulait nous voir. Elle a pleuré, elle a poussé des cris et nous avons parlé. Malcia m'a regardé et, comme pour expliquer l'émotion dont elle se souvenait, elle a dit, Les gens de Bolechow. Puis elle a ajouté, Elle a parlé du fils. Elle a dit combien il était idiot ! Malcia a crié le mot idiot comme avait dû le faire Mme Szymanska autrefois. Elle a poursuivi, Il donnait sa vie pour cette fille. Mais il l'aimait vraiment beaucoup. Telle mère, telle fille, ai-je pensé. Elle me regardait fixement. Elle a dit, Et pour elle, c'était un mitziyeh, vous savez ce que c'est un mitziyeh ? J'ai fait non de la tête et elle a fait un geste de la main droite, comme elle aimait le faire, le pouce et deux doigts joints, comme on pourrait le faire pour indiquer qu'un plat a besoin d'une pincée de sel. Shlomo a dit, Un mitziyeh... c'est quelque chose, quelque chose, vous savez bien, quelque chose de spécial. (Plus tard, j'ai regardé mitziyeh dans un dictionnaire d'hébreu de 1938 dont j'avais hérité de mon grand-père et j'ai appris ce que ça signifiait vraiment : une trouvaille, une découverte ; une chose précieuse. Il est intéressant de voir, plus loin, que le mot est lié au verbe mâtzâh, qui signifie découvrir, deviner ; trouver ; tomber sur, rencontrer, découvrir ; échoir à, arriver à. Quel genre de culture pouvait bien être cette culture des Hébreux, me suis-je demandé en regardant cela, des mois après mon interview des Reinharz, une culture dans laquelle les notions de tomber sur, de rencontrer et de découvrir sont inextricablement liées à l'idée de quelque chose de précieux ?) Malcia a hoché la tête très vigoureusement et s'est écriée, Pour rester en vie ! Pour rester en vie ! Qui a une telle mazel ? Qui a une telle chance ? J'ai pensé alors à quelque chose que m'avait dit ma mère à Sydney, après avoir fini de parler avec Jack Greene sur mon portable. Pourquoi ma famille n'a-t-elle pas survécu ? avait-elle dit d'une voix remplie de larmes. Pas même un seul ? Après avoir raccroché, je l'avais répété à Jack qui avait dit, Ecoutez, c'était simplement une question de chance, c'est tout. A présent, tout en écoutant Shlomo et Malcia, il m'est venu à l'esprit que, même si elle était morte à la fin,

« Il la cachait danssamaison ?ai-je dit,sidéré.

Celanem'était jamaisvenuàl'esprit. Malcia ahoché latête, pluspour elle-même quepour moi.Elleadit, Oui.

Etils les ont trouvés, ils les ont trouvés etelle était enceinte.

C'estcequ'on m'adit. Shlomo, lisantmespensées, estintervenu.

Dis-moi,a-t-ilditàMalcia, etson père, Shmiel, il n'était paslà? Elle asecoué latête avec lenteur etavec insistance :Non. Il l'aimait beaucoup, a-t-ellepoursuivi, etillui adit qu'il veut lacacher.

Ill'aime beaucoup et elle l'aime bien.Etc'était pourelle,comment disons-nous, une mazel.

Et illa cache, maisilya des gens méchants quisavaient que... Sa voix adéraillé.

Elleavait l'airpensive.

Shlomom'aditàvoix basse.

Doncunepartie de l'histoire étaitvraie.

Quelqu'un atrahi Frydka. Une partie de l'histoire, ai-jepensé.

Etpourquoi pensions-nous quec'était vrai?Parce que quelqu'un d'autre,quelqu'un quin'était pasprésent nonplus quand ças'était passé, quelqu'un qui avait réussi àrester cachéetqui avait seulement entendudire,après lafin delaguerre, ce qui était arrivé àFrydka, l'avaitentendu diredequelqu'un d'autre,quil'avait entendu direde quelqu'un d'autreencore;et parce qu'un certain détailtirédecette histoire detroisième main concordait maintenant avecundétail queMalcia avaitentendu rapporté parquelqu'un d'autre, qui l'avait entendu rapporté parquelqu'un d'autreencore.

Frydkaavaitétécachée ettrahie. Mais qu'en était-il deShmiel, maintenant ?J'avais l'impression demarcher dansdessables mouvants.

Onl'atrahie, adit Malcia.

Oui. Et vous n'avez aucune idéedequi ilpouvait s'agir?ai-je demandé. Malcia aété très terre àterre.

Ellealevé lesmains.

Lesvoisins.

LesUkrainiens. J'étais encore entrain deme faire àl'idée decette nouvelle version:pas deShmiel, pas d'institutrice polonaiseanonyme, seulement FrydkaetCiszko.

Shlomo adû lire dans mes pensées, parcequ'ilm'aregardé ets'est tourné ensuite versMalcia pourdire,Parce que,vous comprenez, nousavons entendu unehistoire selonlaquelle FrydkaetLorka avaient rejoint Babij. Malcia afait une grimace trèsnégative —de dédain même. Non, non ! OK, ai-je dit.Donc, ladernière chosequenous sachions ausujet deFrydka, c'estqu'elle se cachait avecluietque quelqu'un lesadénoncés... Malcia ahoché latête.

Ilsl'ont tuée etlui aussi.

J'aivusamère après laguerre.

Sa mère ? C'était intéressant.

J'aidemandé, Etqu'a-t-elle dit?Malcia aeu l'air amusée.

Qu'est- ce qu'elle dit?Elle adit, C'était ungarçon idiot ! Elle m'a jeté unregard subtil,compliqué.

Elleadit, Ilapayé çade savie. Je voulais continuer àfaire pression surelle pour obtenir d'autres détails. Alors vousêtestombée surMme Szymanska aprèslaguerre.... »

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