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innocent.

Publié le 06/01/2014

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innocent. La justice est la justice ; un Français est un Français. 1 Dreyfus, un innocent, Fayard, 2006. 2 Voir par exemple son excellent Immigration, antisémitisme, et racisme en France, op. cit. 3 Sous la direction d'Yves Lequin, op. cit. 37 La séparation des Églises et de l'État Naissance de la laïcité à la française Le 9 décembre 1905, nul diable au pied fourchu n'a explosé d'un rire de victoire, nul dieu vengeur n'est sorti des nuages pour faire tomber sur la France la foudre de son courroux. Pourtant, la République a pris ce jour-là une décision qui aurait sans doute déclenché des convulsions de terreur chez un homme du Moyen Âge ou chez un sujet de Louis XIV. Après un an de débats passionnés au Parlement, après des bagarres infinies jusqu'au sein de la majorité de gauche qui domine alors la Chambre des députés, et grâce à la finesse stratégique d'un certain Aristide Briand, le député qui en a été le rapporteur, le président de la République promulgue un des textes fondamentaux de la vie publique de notre pays : « la loi de séparation des Églises et de l'État ». L'affaire Dreyfus n'est même pas encore achevée. On voit que la période est riche en grands épisodes fondateurs. Repères - 1795 : première séparation des cultes et de l'État - 1801 : signature du Concordat, le catholicisme de nouveau religion officielle - 1882 : loi Ferry sur la laïcité de l'école - 1884 : autorisation du divorce ; fin des prières au début des sessions parlementaires - 1886 : loi sur laïcisation des personnels enseignants - 1901 : loi sur les associations ; exil de la plupart des congrégations - 1905 (9 décembre) : loi de séparation des Églises et de l'État Une laïcisation par étapes Cette séparation n'est pas une première dans notre histoire. L'État s'était déjà affranchi de tous les cultes plus de cent ans auparavant, à la fin de la Convention puis sous le Directoire, à l'époque de la Révolution. Bonaparte y avait mis fin en signant avec le pape le fameux Concordat de 1801, suivi de textes organisant les deux autres cultes minoritaires, protestant et israélite, et faisant de la religion catholique et des deux autres des institutions publiques, dont le clergé était payé par l'État, et l'organisation maintenue sous sa surveillance. C'est ce système concordataire que la nouvelle loi jette à bas, en le remplaçant par un autre qui repose sur deux principes, énoncés dans ses deux premiers paragraphes : « Article 1 : la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. [...] Article 2 : la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte... » La laïcité à la française était née. Plus d'un siècle plus tard, elle fonctionne encore sur cette base qui semble désormais acceptée par tous. Il n'a pas été simple, pourtant, d'en arriver là. Le lent combat de l'État pour s'émanciper de la tutelle de la religion a été progressif. Le pays a mis plus d'un siècle à franchir peu à peu ce qu'un des grands spécialistes de la question, l'historien Jean Baubérot, a appelé les « seuils de laïcité ». La Révolution, en retirant aux curés la gestion des registres de naissance et de décès, a laïcisé l'état civil. La IIIe République reprend le mouvement, pas à pas : le divorce, permis sous la Révolution puis interdit sous Louis XVIII, est autorisé à nouveau ; les cimetières sont laïcisés ; les hôpitaux, alors encore emplis de frères et de religieuses, le sont aussi ; on lève l'interdiction de travailler le dimanche, comme la prière qui jusque-là ouvrait les sessions du Parlement. Une marche énorme est escaladée lorsque l'État retire à l'Église un de ses domaines de prédilection : l'enseignement. Dans les années 1880, les grands textes impulsés par Jules Ferry et ses successeurs prévoient que l'instruction primaire sera obligatoire et gratuite. Ils prévoient aussi qu'elle sera « laïque ». On commence par rendre neutres les locaux - retrait des crucifix des salles de classe -, puis les programmes - le catéchisme est remplacé par « l'instruction morale et civique ». On passe (en 1886) à la « laïcisation des personnels », autre paire de manches : cela revient en effet à chasser des écoles les milliers de frères et de religieuses qui y travaillaient. Nombre d'entre eux choisissent carrément de quitter la France, cette mauvaise mère. Du côté catholique, l'épisode est vécu comme une « persécution ». Car tout se passe, évidemment, dans un climat politique de grande tension. Le bras de fer entre Église et État a commencé, on s'en souvient, sous la Révolution. Il reprend de plus belle. En 1877, dans un discours fameux, Gambetta a fixé la ligne qui sera celle de tous les républicains : « Le cléricalisme voilà l'ennemi ! » Stricto sensu, le propos pourrait être acceptable par tout le monde : il ne s'agit pas de combattre la religion, mais le cléricalisme, c'est-à-dire sa prétention à vouloir régenter le champ politique. Dans la réalité, beaucoup l'entendent autrement. Avec la lutte anticléricale, de nombreux républicains rêvent d'en finir une fois pour toutes avec ceux qu'ils tiennent pour les ennemis de la liberté humaine, les amis des rois et des puissants, les « corbeaux », la « calotte », comme on dit alors. L'Église, à l'inverse, est vent debout contre les « sans-Dieu » qui la menacent, tous ces francs-maçons perfides qui cherchent à faire triompher l'athéisme satanique. Ferry et ses lois scolaires ont mis les plaies à vif. Une dizaine d'années plus tard, l'affaire Dreyfus y ajoute un peu de sel, qui voit l'immense majorité des hiérarchies catholiques et de leurs journaux afficher la plus franche hostilité au régime. Au début des années 1900, des gouvernements très anticléricaux - en particulier celui d'Émile Combes, « le petit père Combes » comme on le nomme familièrement - veulent en finir avec les nombreux ordres religieux qu'ils perçoivent comme emplis de « moines ligueurs », complotant contre la liberté. Ils promulguent différents textes qui rendent la vie très difficile aux congrégations : nouvel exil horrifié de leurs membres, par dizaines de milliers cette fois. Nouvelle colère du Vatican. Beau prétexte pour la République, qui décide de rompre les relations diplomatiques. C'est le détail qui manquait pour accomplir le geste final. Si les liens avec Rome sont coupés, le Concordat est caduc. La République doit bien trouver un statut pour gérer ses relations avec l'Église, d'où notre texte de 1905, qui officialise le divorce. Il ne met pas fin pour autant à cette guerre entre « les deux France », plus près de dégénérer que jamais. La loi prévoit que les édifices religieux construits jusqu'alors restent propriété de l'État mais qu'ils seront mis à la disposition des fidèles. Comme cela se passe entre un propriétaire et un locataire, il faut procéder au recensement précis de ce que les locaux renferment. Ces inventaires sont menés avec plus ou moins de délicatesse par les fonctionnaires - on exige même parfois d'ouvrir les tabernacles pour compter les hosties. Ils sont plus ou moins bien acceptés par les fidèles. On en arrive ici et là à envoyer la troupe pour défoncer les portes des églises où se sont barricadés les « persécutés » et leurs curés. C'est la « querelle des inventaires ». En mars 1906, dans le département du Nord, une manifestation dérape et un homme est tué. Clemenceau, ministre de l'Intérieur, estime sagement que « quelques chandeliers ne valent pas une révolution » et pousse à l'apaisement. La paix vient donc. Elle est relative. L'histoire des relations entre l'Église catholique et la République, au xxe siècle, est celle d'un feu mal éteint, qui se refroidit parfois, couve toujours et qu'une étincelle suffit à rallumer. En 1914, catholiques et anticléricaux se retrouvent temporairement face à l'ennemi commun ; de nombreux congrégationistes rentrent d'exil ; les prêtres endossent l'uniforme, c'est l'« union sacrée ». Dix ans plus tard, en 1924, le gouvernement de gauche cherche à étendre l'égalité républicaine où elle n'est pas : il veut faire appliquer la loi de Séparation en Alsace-Moselle, qui y avait échappé, les trois départements étant allemands en 1905. Furie locale, manifestations monstres et défaite des laïcards. L'Alsace-Moselle continuera (et continue toujours) à appliquer le Concordat. La parenthèse de Vichy est une divine surprise - selon le mot de Maurras - pour les vieux ennemis de la République : d'innombrables catholiques feront de la résistance, mais dans sa grande majorité l'épiscopat ne ménage pas son soutien à Pétain. Du coup, la Constitution de la IVe République est résolument laïque, comme le sera celle de la Ve : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » précisent les deux textes. Mais dans les années 1950-1960, quelques lois d'influence chrétienne-démocrate ravivent la question par le biais de l'enseignement : les laïques refusent que l'argent public aille à une autre que l'« école publique » et organisent de grandes manifestations contre les textes qui visent à subventionner l'école que les catholiques appellent « l'école libre ». Après la victoire de la gauche de 1981 et sa volonté de réaliser son programme, le camp inverse descend aussi massivement dans la rue pour refuser toute perspective d'un « grand service public unifié de l'éducation » qui conduirait, selon eux, à la nationalisation de leurs écoles. Le statu quo finit par s'établir. Est-il temporaire ? Quoi qu'il en soit, à partir de la fin du xxe siècle, le mot même de laïcité ne semble plus faire peur à grand monde, puisqu'il est revendiqué désormais par l'ensemble des institutions religieuses et toute la classe politique, de gauche à droite. Le moment est donc bienvenu pour glisser à son propos deux remarques. Une loi fille des circonstances La loi de 1905, comme on vient de le voir, est le produit d'une histoire particulière. Elle n'est pas une vérité qui un jour a été révélée à la République par la déesse Raison comme les tables de la Loi le furent par Dieu à Moïse ou le Coran au prophète Mahomet. Elle n'a rien de sacré. Comme toutes les oeuvres humaines, elle est imparfaite et il n'y a aucune raison de s'interdire de penser à l'occasion les moyens de l'améliorer. Par ailleurs, elle fonde un modèle de laïcité qui existe dans peu d'autres pays occidentaux. Contrairement à ce que pensent quelques laïcards trop chauvins, cela ne rend pas forcément ces derniers moins respectueux de la liberté de conscience de leurs citoyens, ou plus soumis à quelque terrible tutelle cléricale. Le rapport à la religion est différent ailleurs parce que, à tel moment de leur histoire, les rapports de force entre le spirituel et le temporel n'ont pas été les mêmes que dans le nôtre. Prenons l'Angleterre - devenue plus tard le Royaume-Uni. Cette nation

« 37 La séparation des Églises etde l’État Naissance delalaïcité àla française Le 9 décembre 1905,nuldiable aupied fourchu n’aexplosé d’unriredevictoire, nuldieu vengeur n’estsortides nuages pourfairetomber surlaFrance lafoudre deson courroux.

Pourtant,laRépublique apris cejour-là une décision quiaurait sansdoute déclenché desconvulsions deterreur chezunhomme duMoyen Âgeouchez un sujet deLouis XIV.

Aprèsunande débats passionnés auParlement, aprèsdesbagarres infiniesjusqu’au seindela majorité degauche quidomine alorslaChambre desdéputés, etgrâce àla finesse stratégique d’uncertain Aristide Briand, ledéputé quienaété lerapporteur, leprésident delaRépublique promulgueundes textes fondamentaux de lavie publique denotre pays : « laloide séparation desÉglises etde l’État ».

L’affaire Dreyfusn’estmême pas encore achevée.

Onvoit que lapériode estriche engrands épisodes fondateurs.

Repères – 1795 : première séparation descultes etde l’État – 1801 : signature duConcordat, lecatholicisme denouveau religionofficielle – 1882 : loiFerry surlalaïcité del’école – 1884 : autorisation dudivorce ; findes prières audébut dessessions parlementaires – 1886 : loisur laïcisation despersonnels enseignants – 1901 : loisur lesassociations ; exildelaplupart descongrégations – 1905 (9 décembre) : loide séparation desÉglises etde l’État Une laïcisation parétapes Cette séparation n’estpasune première dansnotre histoire.

L’États’était déjàaffranchi detous lescultes plusde cent ansauparavant, àla fin delaConvention puissous leDirectoire, àl’époque delaRévolution.

Bonapartey avait misfinensignant aveclepape lefameux Concordat de1801, suividetextes organisant lesdeux autres cultes minoritaires, protestantetisraélite, etfaisant delareligion catholique etdes deux autres desinstitutions publiques, dontleclergé étaitpayé parl’État, etl’organisation maintenuesoussasurveillance.

C’estcesystème concordataire que lanouvelle loijette àbas, enleremplaçant parunautre quirepose surdeux principes, énoncés danssesdeux premiers paragraphes : « Article 1 :laRépublique assurelaliberté deconscience.

Elle garantit lelibre exercice descultes.

[…]Article 2 : laRépublique nereconnaît, nesalarie, nine subventionne aucun culte… » Lalaïcité àla française étaitnée.Plusd’un siècle plustard, ellefonctionne encoresurcette basequi semble désormais acceptéepartous. Il n’a pas étésimple, pourtant, d’enarriver là.Lelent combat del’État pours’émanciper delatutelle delareligion a été progressif.

Lepays amis plus d’un siècle àfranchir peuàpeu cequ’un desgrands spécialistes delaquestion, l’historien JeanBaubérot, aappelé les« seuils delaïcité ».

LaRévolution, enretirant auxcurés lagestion des registres denaissance etde décès, alaïcisé l’étatcivil.LaIIIe République reprendlemouvement, pasàpas : le divorce, permissouslaRévolution puisinterdit sousLouis XVIII, estautorisé ànouveau ; lescimetières sont laïcisés ; leshôpitaux, alorsencore emplisdefrères etde religieuses, lesont aussi ; onlève l’interdiction de travailler ledimanche, commelaprière quijusque-là ouvraitlessessions duParlement.

Unemarche énorme est escaladée lorsquel’Étatretire àl’Église undeses domaines deprédilection : l’enseignement.

Danslesannées 1880, lesgrands textesimpulsés parJules Ferry etses successeurs prévoientquel’instruction primairesera obligatoire etgratuite.

Ilsprévoient aussiqu’elle sera« laïque ».

Oncommence parrendre neutres leslocaux – retrait descrucifix dessalles declasse –,puis lesprogrammes –le catéchisme estremplacé par« l’instruction morale etcivique ».

Onpasse (en1886) àla « laïcisation despersonnels », autrepairedemanches : celarevient en effet àchasser desécoles lesmilliers defrères etde religieuses quiytravaillaient.

Nombred’entreeuxchoisissent carrément dequitter laFrance, cettemauvaise mère.Ducôté catholique, l’épisodeestvécu comme une « persécution ». Car tout sepasse, évidemment, dansunclimat politique degrande tension.

Lebras defer entre Église etÉtat a commencé, ons’en souvient, souslaRévolution.

Ilreprend deplus belle.

En1877, dansundiscours fameux, Gambetta afixé laligne quisera celle detous lesrépublicains : « Lecléricalisme voilàl’ennemi ! » Stricto sensu , le propos pourrait êtreacceptable partout lemonde : ilne s’agit pasdecombattre la religion , mais le cléricalisme , c’est-à-dire saprétention àvouloir régenter lechamp politique. Dans laréalité, beaucoup l’entendent autrement.Aveclalutte anticléricale, denombreux républicains rêventd’en. »

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