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l'autoroute qui n'a bientôt été qu'une ligne coupant une grande étendue de sable, Shlomo et moi avons parlé.

Publié le 06/01/2014

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l'autoroute qui n'a bientôt été qu'une ligne coupant une grande étendue de sable, Shlomo et moi avons parlé. Depuis la mort de mon grand-père, jamais je ne m'étais senti aussi libre de poser les questions que je désirais poser sur Bolechow. Nous avons discuté, dans un état de grande excitation, des révélations de la veille ; en particulier de l'insistance d'Anna sur le fait que Frydka s'était cachée avec Shmiel - cette version des événements devait une bonne partie de son attrait au fait qu'elle concordait avec la version dont Tante Miriam avait entendu parler, tant d'années auparavant. Une fois encore, j'ai senti l'urgence derrière l'enthousiasme de Shlomo, l'énergie qui irradiait chaque fait nouveau lié à Bolechow, même quand il s'agissait d'un fait relatif à une famille qui n'était pas la sienne. C'était lui, après tout, qui s'était proclamé chef des « anciens de Bolechow », qui allaient se réunir à l'automne, comme ils le faisaient toujours, pour leur rencontre annuelle. C'était Shlomo qui prenait plaisir à me raconter qui étaient les gens célèbres qui avaient des origines à Bolechow ou dans les environs. Vous connaissez Krauthammer, le journaliste américain ? m'a-t-il demandé. Oui, ai-je dit, je vois qui il est. Une famille de Bolechow ! s'est écrié Shlomo, triomphant. Vraiment ? ai-je dit. Il m'a demandé si ce Krauthammer avait pris contact avec moi lorsque l'article que j'avais écrit sur notre voyage à Bolechow en 2001 était paru. Non, ai-je répondu en souriant, il ne l'avait pas fait. Je lui ai dit qu'une autre figure bien connue dans le monde de l'édition aux Etats-Unis, un homme dont le père était né à Stryj, m'avait contacté après avoir entendu parler de mon voyage en Ukraine, deux ans plus tôt. Wieseltier, ai-je dit, quand Shlomo m'a demandé son nom. Ah ! s'est-il exclamé. Je pense, oui, il y avait une famille Wieseltier à Bolechow aussi. J'ai hoché la tête et expliqué que ce célèbre éditeur, Wieseltier, qui vivait à Washington, m'avait dit qu'il savait avec certitude que la famille de sa mère, les Backenroth, était liée à Bolechow, et qu'il pensait aussi avoir des parents du côté de son père qui avaient vécu à Bolechow avant la guerre, même s'il ne connaissait pas leurs noms. Shlomo a hoché la tête et nous avons été d'accord pour dire que Wieseltier était un nom rare, pas le genre de nom qu'on pouvait confondre avec un autre ou même oublier. Bien sûr que j'ai connu Wieseltier, avait dit Mme Begley après mon retour d'Ukraine, il avait la boulangerie. Je connaissais le père, avait-elle ajouté, sachant que je devais connaître le fils dans un contexte entièrement différent. Puis elle avait poussé un plat de porcelaine blanche sur la nappe dans ma direction et dit, Prenez un autre petit gâteau, vous croyez que c'est moi qui vais les manger ? Regardez ! s'est soudain écrié Shlomo. Il pointait le doigt vers une silhouette qui marchait à côté d'un chameau. Les Bédouins ! Nous ne sommes vraiment pas à Bolechow, ai-je plaisanté. Je pensais à ma grand-mère en 1956, avec un chameau et un Arabe. Il m'a demandé de lui parler plus en détail des interviews que j'avais faites en Australie. Pendant que je lui racontais, aussi bien que je pouvais m'en souvenir, chacune de mes longues conversations avec chacun, il a hoché la tête lentement, se délectant de chaque histoire, de chaque fait, même si c'étaient des histoires et des faits qu'il connaissait déjà très bien luimême. A un moment donné, je lui ai demandé s'il avait jamais entendu parler de l'histoire dont ma mère avait eu écho, il y avait tant d'années : Ils avaient quatre filles magnifiques, ils les ont toutes violées et ils les ont tuées. Où avait-elle entendu ça ? avais-je l'habitude de me demander. Mais lorsque j'avais finalement posé la question, ma mère avait dit, Je ne me souviens plus, il y avait tant d'histoires horribles, je faisais des cauchemars constamment. Donc, alors que Shlomo et moi arrivions à proximité de Beer Sheva, je lui ai demandé ce qu'il pouvait savoir, ce dont il avait peut-être entendu parler. Personne en Australie n'avait donné de détails, lui ai-je dit au milieu du désert qui grésillait autour de nous. Il a fait une petite grimace et haussé tristement les épaules. Tant de choses horribles ont eu lieu pendant les Aktionen, a dit Shlomo, ce n'est pas impossible, bien sûr. Peut-être. Mais en avoir la certitude, c'est impossible pour autant que je sache. J'ai hoché la tête, mais je n'ai rien dit. Peut-être valait-il mieux ne pas connaître certaines choses. Après un silence, il a dit, Vous savez que Régnier aussi était là-bas, en Australie ? Anatol Régnier était l'auteur de Damais in Bolechow, le livre qui racontait comment Shlomo et son cousin Josef, Jack et Bob, et les autres, avaient survécu. J'ai pensé à Meg Grossbard, me racontant combien elle avait trouvé étrange qu'un Allemand, un jour, l'appelle pour lui demander de parler de Bolechow ; et comment elle avait refusé de lui parler, refusé de laisser l'histoire être écrite. Oui, ai-je répondu à Shlomo, je sais qu'il est allé là-bas. Et puis, poursuivant la pensée non dite qui m'avait traversé l'esprit, j'ai dit, avec un demi-sourire, C'est différent d'écrire l'histoire des gens qui ont survécu parce qu'il y a quelqu'un à interviewer, et ils peuvent vous raconter ces histoires étonnantes. En prononçant ces mots, j'ai pensé à Mme Begley qui m'avait dit, un jour, en me regardant froidement, Si vous n'aviez pas une histoire étonnante, vous n'auriez pas survécu. Mon problème, ai-je poursuivi pour Shlomo, c'est que je veux écrire l'histoire de gens qui n'ont pas survécu. De gens qui n'avaient plus d'histoire. Shlomo a hoché la tête et dit, Ha, ha, je vois. Vous savez, a-t-il ajouté au bout d'un moment, ce Régnier, il est allemand, mais il est marié à une célèbre chanteuse israélienne, une très grande star, Nehama Hendel. J'ai dit que j'étais désolé, mais que je n'avais jamais entendu parler d'elle. Elle est très connue en Israël, m'a-t-il dit. Mais elle est morte, il y a quelques années. Il m'est soudain venu à l'esprit de poser une question qui m'avait trotté dans la tête depuis un certain temps. Mon grand-père, ai-je dit à Shlomo, avait l'habitude de me chanter deux chansons quand j'étais petit ; je me demande si c'étaient peut-être des chansons de sa propre enfance, des chansons que son père ou sa mère lui avaient chantées. Des chansons de Bolechow. C'était comment ? a demandé Shlomo. Hé bien, ai-je dit un peu gêné, la première, il avait l'habitude de nous la chanter au moment où nous allions nous coucher. Et c'était vrai : quand nous étions petits et que notre grand-père nous rendait visite, il venait parfois dans nos chambres au moment où on nous mettait au lit et nous chantait cette chanson, dont les paroles vont sans aucun doute paraître bizarres, paraître très plates sur la page, plus encore que les paroles de, disons, « Mayn Shtetele Belz », « Ma Petite Ville de Belz » qui sont après tout assez sentimentales. Si je voulais faire sentir ce qu'avait de singulier la chanson que mon grand-père nous chantait, il faudrait que je ne me contente pas de transcrire les paroles :   Oh pourquoi mon Daniel avez-vous frappé, Mon Daniel ne vous avait rien fait. La prochaine fois que mon Daniel vous frappez A un policier, je vais vous dénoncer ! Hou hou !   Je pourrais, par exemple, essayer de le transcrire un peu différemment, de façon qu'il soit possible de se faire une idée du rythme de cette chanson, qui était pour moi, lorsque j'étais petit, à la fois apaisante (parce que c'était finalement une promesse de protection et de rétribution) et terrifiante (puisqu'elle faisait naître la possibilité incompréhensible que quelqu'un voulait me frapper, moi, un enfant). La transcription aurait alors cette allure :   Oh POURQUOI mon DAN-iel avez-vous FRAP-pé, Mon DAN-iel ne VOUS avait rien fait. La prochaine FOIS que mon DAN-iel vous frappez A un po-LICIER, je vais vous dé-NONCER ! hou HOU!   Mais, bien sûr, même comme cela, il n'y aurait pas moyen de faire sentir les inflexions particulières de la voix presque disparue de mon grand-père (je dis presque disparue, parce que mon grand-père s'est suicidé avant la venue des caméras vidéo, et par conséquent le seul enregistrement que nous ayons de sa voix est la cassette que j'ai faite de lui au cours de l'été 1974, lorsqu'il nous a raconté l'histoire de l'attaque russe, quand il était sorti en courant de la maison, sans ses chaussures. Les voix sont les choses qui s'effacent en premier, dans le cas des gens qui ont vécu avant une certaine époque de l'évolution technologique : personne ne saura jamais à présent a quoi pouvaient ressembler les voix de Shmiel et des autres membres de sa famille). Pour donner une impression plus précise que celle procurée par les simples paroles de cette chanson, que j'ai chantée, assez timidement, à mes propres enfants, et je doute qu'ils la chanteront aux leurs, il faudrait que j'essaie d'imiter la prononciation très particulière d'un habitant de Bolechow, quelque chose comme ceci :   Oh purquoi mon Déniel avez-fus freppé, Mon Déniel né fus avait rien fait. La préchaine fois que mon Déniel vus freppez À un policier, je fais fus dénoncer !

« ma mère avaiteuécho, ilyavait tantd'années : Ils avaient quatrefillesmagnifiques, ilsles ont toutes violées etils les ont tuées.

Où avait-elle entenduça?avais-je l'habitude deme demander.

Maislorsque j'avaisfinalement posélaquestion, mamère avaitdit,Jene me souviens plus,ilyavait tantd'histoires horribles,jefaisais descauchemars constamment.

Donc, alors queShlomo etmoi arrivions àproximité deBeer Sheva, jelui aidemandé cequ'il pouvait savoir, cedont ilavait peut-être entenduparler.Personne enAustralie n'avaitdonnédedétails, lui ai-je ditaumilieu dudésert quigrésillait autourdenous.

Ilafait une petite grimace et haussé tristement lesépaules.

Tantdechoses horribles onteulieu pendant les Aktionen, a dit Shlomo, cen'est pasimpossible, biensûr.Peut-être.

Maisenavoir lacertitude, c'estimpossible pour autant quejesache. J'ai hoché latête, maisjen'ai rien dit.Peut-être valait-ilmieuxnepas connaître certaines choses. Après unsilence, ila dit, Vous savez queRégnier aussiétaitlà-bas, enAustralie ? Anatol Régnier étaitl'auteur de Damais inBolechow, le livre quiracontait comment Shlomoet son cousin Josef,JacketBob, etles autres, avaient survécu.

J'aipensé àMeg Grossbard, me racontant combienelleavait trouvé étrange qu'unAllemand, unjour, l'appelle pourlui demander deparler deBolechow ;et comment elleavait refusé deluiparler, refusédelaisser l'histoire êtreécrite. Oui, ai-je répondu àShlomo, jesais qu'il estallé là-bas.

Etpuis, poursuivant lapensée nondite qui m'avait traversé l'esprit,j'aidit, avec undemi-sourire, C'estdifférent d'écrirel'histoire des gens quiont survécu parcequ'ilya quelqu'un àinterviewer, etils peuvent vousraconter ces histoires étonnantes.

Enprononçant cesmots, j'aipensé àMme Begley quim'avait dit,unjour, en me regardant froidement, Si vous n'aviez pasune histoire étonnante, vousn'auriez pas survécu.

Mon problème, ai-jepoursuivi pourShlomo, c'estquejeveux écrire l'histoire degens quin'ont pas survécu.

Degens quin'avaient plusd'histoire. Shlomo ahoché latête etdit, Ha, ha,jevois.

Vous savez, a-t-ilajouté aubout d'unmoment, ce Régnier, ilest allemand, maisilest marié àune célèbre chanteuse israélienne, unetrès grande star, Nehama Hendel. J'ai ditque j'étais désolé, maisquejen'avais jamaisentendu parlerd'elle. Elle esttrès connue enIsraël, m'a-t-il dit.Mais elleestmorte, ilya quelques années. Il m'est soudain venuàl'esprit deposer unequestion quim'avait trottédanslatête depuis un certain temps.Mongrand-père, ai-jeditàShlomo, avaitl'habitude deme chanter deux chansons quandj'étaispetit;je me demande sic'étaient peut-être deschansons desapropre enfance, deschansons quesonpère ousamère luiavaient chantées.

Deschansons de Bolechow. C'était comment ?a demandé Shlomo. Hé bien, ai-jeditunpeu gêné, lapremière, ilavait l'habitude denous lachanter aumoment où nous allions nouscoucher.

Etc'était vrai:quand nousétions petitsetque notre grand-père nous rendait visite,ilvenait parfois dansnoschambres aumoment oùonnous mettait aulitet nous chantait cettechanson, dontlesparoles vontsansaucun douteparaître bizarres, paraître très plates surlapage, plusencore quelesparoles de,disons, « Mayn Shtetele Belz »,« Ma. »

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