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LUMIÈRES (PHILOSOPHIE DES)

Publié le 02/04/2015

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philosophie

LUMIÈRES (PHILOSOPHIE DES)_______________

On désigne sous ce nom le courant philosophique caractéristique du XVllle siècle ; ses partisans et ses détracteurs sont unanimes dans la définition qu'ils en donnent ; le curé Meslier dans le Testament qu'à sa mort (1729) il laisse à ses paroissiens affirme que « les seules lumières de la raison naturelle sont capables de conduire les hommes à la perfection de la science et de la sagesse « ; Kant, dans sa

ponse à la question « qu'est-ce que les lumières «, soutient : « Aie e courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.« Hegel enfin, dans la Phénoménologie de l'Esprit, voit dans l'Aufleriing une affirmation de la raison et une dénonciation de la foi, auxquelles il reprochera leur étroitesse.

La définition historique et géographique des Lumières est difficile ; le phénomène est européen : on peut rattacher aux Lumières les Anglais Toland (1670-1722), Hume, les Allemands Wolff (1679-1754) et Lessing (1729-1761), les Français Montesquieu, Voltaire

(1694-1778), Diderot (1), d'Alembert (2), Helvetius (1715-1771), La Mettrie (1709-1751), d'Holbach (1723-1789), Buffon. Si on carac­térise l'esprit des Lumières par le modernisme, on peut le faire

remonter à la querelle des Anciens et des Modernes (1687), et son

rationalisme dépend étroitement des oeuvres de Richard Simon (Histoire critique du Vieux Testament, 1678), Fontenelle (1657-1757), Bayle (1647-1706), Newton et Locke. Les années

1750 revêtent cependant une importance caractéristique : l'Esprit des Lois de Montesquieu paraît en 1748, le Discours de Rousseau en 1754, le Siècle de Louis XIV de Voltaire en 1751, l'Histoire naturelle de Buffon commence à être publiée en 1749, et le premier tome de l'Encyclopédie paraît en 1751. Ce dernier ouvrage offre une particu­larité essentielle : sa conception même d'une totalisation ponctuelle, et sans cesse à compléter du savoir théorique et technique, dépend des thèmes essentiels de l'Aufkarung ; sa réalisation, soit par contri­bution directe des auteurs qu'on vient de citer, soit par compilation de leurs oeuvres ou de celles d'autres auteurs (ainsi Condillac), donne une image complète de la pensée des Lumières ; sa diffusion et les

ennemis politiques que Diderot n'a cessé d'affronter, représentent bien leur combat. C'est pourquoi on peut dire, avec une approxi‑

mation grossière qui n'est pourtant pas une erreur, que le siècle des

Lumières s'étend de la publication du premier tome de l'Encyclo­pédie, jusqu'à celle du 11e volume des planches en 1772 (3), et que l'Encyclopédie en donne une image qui peut suffire.

1.         L'esprit des Lumières

La philosophie des Lumières est avant tout une idéologie, dont la formulation et l'expansion sont corrélatives de la montée de la bourgeoisie européenne et du déclin de la féodalité, déjà plus qu'amorcée par la centralisation monar­chique. Mandeville (1670-1733) dans sa Fable sur les abeilles en annonce les thèmes : il s'agit de redistribuer les rangs sociaux en fonction des initiatives et des responsabilités personnelles, alors que dans la féodalité chacun reçoit la place à laquelle sa naissance le prédestine. Les concepts idéologiques qui naissent au XVIIIe siècle sont autant de façons de repenser la société autour de ces deux nouvelles valeurs que sont l'utilité et le bonheur individuel. Par là les Lumières nient toute transcendance divine ou hiérarchique au profit d'un pluralisme politico-religieux, qui tient sa valeur d'une certaine conception de l'homme, être rationnel qui doit réaliser son bonheur dans ses oeuvres terrestres. L'abbé de Saint-Pierre crée le mot bienfaisance pour ne plus avoir recours à la « charité « ; le cosmopolitisme est conçu comme le sens unitaire de la communauté humaine ; on perçoit l'humanité avec une compassion tendre et active pour tous les maux qui affligent l'espèce humaine ; en créant

le mot civilisation, Mirabeau le père (dans l'Ami des hommes, ou Traité de la population, 1757), entend désigner une action qui se poursuit, celle par laquelle l'homme entre dans une histoire, où il se définit par ses progrès. Le progrès est bien l'invention du siècle : pour intéressant que soit le Tableau historique des progrès de l'esprit humain de Condorcet (1743-1794), il ne fait que reprendre des thèmes déjà arrivés à leur formulation définitive chez Turgot (1727-1781) et d'Alembert. Il était alors naturel que cette idéologie se réalisât aussi bien dans le réformisme autoritaire du despotisme éclairé que dans la Révolution française ou l'amorce du colonialisme : dans chaque cas, c'est l'idéologie des Lumières — la « civilisation « — qui tend à se réaliser.

2.           Une nouvelle épistémologie

Le XVIIIe siècle est anticartésien (4) : il remplace les systèmes métaphysiques du XVIIe siècle par un dictionnaire où le savoir est rangé selon l'ordre alphabétique des mots, l'évidence par la certitude expérimentale et l'innéisme idéaliste par l'empirisme.

Descartes concevait son rapport à la science qui le précédait dans la séparation de l'erreur et de la vérité, effectuée dans le doute solitaire par un sujet qui découvre en lui-même la raison de toute évidence. Pour les Lumières, la science est une oeuvre collective (5), elle possède une histoire, et n'a d'autres limites que notre perception du monde par où nous saisissons la réalité des faits sur lesquels elle porte. L'ceuvre de Newton a en effet montré la vanité des spécu­lations cartésiennes, la nécessité d'en passer par l'expression mathématique de l'expérience, et la continuité historique d'une acquisition de connaissances commencée avec Galilée. L'universalité de la science est indépendante des spéculations métaphysiques sur l'essence du monde : les géomètres s'entendent entre eux, même s'ils ne sont pas d'accord sur la nature de l'espace. Ce qu'a été l'ceuvre de Newton pour la matière, celle de Locke l'est pour l'esprit.

L'empirisme des Lumières ne correspond pas à ['image triviale qu'on en donne, d'une raison perdue dans la poussière des faits ; il répond à deux déterminations essentielles : élaborer une connaissance positive de l'esprit (psychologie), du processus de connaissance et de ses instruments (notamment le langage) ; donner un sens à la méthode expérimentale des sciences (6). La genèse empiriste de la connaissance permet ainsi de comprendre comment se façonne au cours du temps une raison dont l'universalité est garantie par celle des sens : la philosophie des Lumières est un rationalisme empiriste.

3.           Un paradigme ambigu la nature

Descartes géométrise le monde ; la pensée des Lumières, malgré le succès de la mécanique, refuse ce géométrisme : la nature possède une consistance propre. Cette consistance, elle ne l'acquiert pas seulement parce qu'avec l'histoire

naturelle apparaît une science de la nature extra-mathé­matique, visant non le corps mais la vie, et permettant à Diderot des spéculations abstraites sur l'évolution (7) des espèces ; elle l'acquiert parce que l'idée de nature joue au XV II Ie siècle le rôle multiple d'opérateur épistémo­logique (8), de norme universelle et de valeur fondatrice. La notion d'état de nature est bien un opérateur épistémo­logique ; supposer l'homme dans l'état de nature, ce n'est ni se livrer à des spéculations sur l'origine historique de l'homme, ni faire le rêve d'une époque paradisiaque à jamais révolue, c'est en se donnant la possibilité de faire varier en une expérience de pensée les constituants de notre connais­sance, de notre morale, de notre religion et de notre société, pouvoir les décrire. C'est la même démarche qu'effectuent Buffon ou Condillac lorsque, pour montrer comment nos facultés et nos connaissances s'engendrent, ils font l'hypothèse d'une statue acquérant peu à peu sensibilité et raison au contact du monde. La nature est une norme universelle : le droit naturel ou la religion naturelle, ce sont ces éléments irréductibles qui, par définition, doivent être présents en tout droit et en toute religion historique, et auxquels, par leur universalité, se peuvent réduire tout droit et toute religion rationnellement conçus. La nature est bien une valeur fondatrice : c'est le droit naturel qu'on oppose aux injustices de la société (9), c'est la religion naturelle qu'on oppose aux fanatismes et superstitions religieuses. Ce paradigme est d'autant plus ambigu qu'il ne vaut que par sa fonction dans une pensée qui ne cesse d'affirmer que le progrès des Lumières, c'est-à-dire des arts, des techniques et des sciences, peut seul assurer le bonheur de l'homme : par où se voit bien, pour le lecteur moderne, comment la nature est toujours la valeur culturelle que détermine l'état histo­rique d'un certain type de société.

1. 1713-1784, directeur de l'Encyclopédie, il défend dans ses ouvrages philosophiques un empirisme sensualiste, et un natura­lisme l'amenant au déisme, puis à un matérialisme vitaliste : Lettre sur les aveugles, 1749, Lettre sur les sourds et muets, 1751, Pensées sur l'interprétation de la nature, 1753, Le Rêve de d'Alembert, 1769, Supplément au Voyage de Bougainville, 1772.

2. 1717-1783, co-directeur de l'Encyclopédie en ce qui concerne les sciences, il en rédige le Discours préliminaire, mais abandonne l'entreprise en 1759; mathématicien et physicien, ses Essais d'éléments de philosophie (1711) reprennent les idées qu'il développait dans les articles du Dictionnaire, et constituent une présentation remarquable d'une théorie empiriste et positiviste de la connaissance et de la science.

3. Le 17e et dernier volume du texte est publié en 1766.

4. Cf. l'article « cartésianisme « de l'Encyclopédie.

5. Voir Bacon (Le Discours préliminaire de l'Encyclopédie reprend sa classification des sciences).

6. Voir Condillac.

7. Voir Darwin.

8. Cf. J. Ehrard, L'Idée de nature en France à l'aube des Lumières, Paris, 1963.

9. Sur le rôle de la notion de droit naturel dans l'idéologie révolutionnaire, cf. B. Groetuyssen, Philophie de la Révolution française, 1956.

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