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MORALE

Publié le 02/04/2015

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morale

MORALE____________________________________

Par morale on entend au moins trois choses ; une doctrine indiquant les fins que l'homme se propose et les moyens d'y parvenir ; un ensemble de prescriptions destinées à régler la conduite des hommes ; un ensemble de valeurs (le bien, le mal, le permis, le méprisable, etc.) permettant d'évaluer la moralité des actions. La première conception est plutôt celle de l'antiquité (qui fait de la morale une doctrine du bonheur) ; la troisième est plus particulièrement celle de Nietzsche ; la seconde est la plus courante dans la société occi­dentale : elle correspond à la conception chrétienne qui fait de la morale essentiellement une contrainte. La conception des fins de l'action, les règles de conduite ou les valeurs morales peuvent être l'objet de descriptions à caractère sociologique (science des moeurs) ; elles peuvent aussi être l'objet d'élaborations philosophiques visant à les fonder rationnellement. C'est ce qu'on entend généralement par philosophie morale.

La plupart des systèmes philosophiques débouchent sur une théorie morale (au point que pour certains — stoïcisme ou épicurisme — la philosophie est une règle de vie) ; certains philosophes ont cependant été préoccupés par ce qu'on peut nommer une théorie de la morale : ainsi Hume essaie-t-il de montrer surtout comment nous en venons à crpire en une règle morale (quelle qu'elle soit), G. Moore (Principia Ethica, 1903), R.M. Hare (The Language of morals, 1952) cherchent à définir le statut précis des énoncés prescriptifs ou évaluatifs. On reconnaît aujourd'hui que la philosophie ne saurait avoir un rôle fondateur dans la connaissance ; pourquoi l'aurait-elle dans la morale ?

1.    La doctrine des fins et l'inconditionné

Une fois posée une fin I a I « je veux A «, les moyens d'atteindre cette fin (1) dépendent de notre connaissance de la causalité naturelle : sachant par exemple que B est cause de A, pour vouloir A il  me faut vouloir B ; dans la mesure où l'enchaînement des moyens en vue d'une fin dépend de la causalité, leur connaissance est le fait d'une science déter­minée. A l'inverse, en adméttant que les énoncés scienti­fiques soient uniquement des énoncés descriptifs du type « tout C cause D «, il est impossible de déduire à partir de cet énoncé un énoncé prescriptif (2) du type « il faut vouloir X «. Il peut paraître légitime d'admettre I b « qui veut la fin veut les moyens « (encore que l'universalité de cette maxime fasse problème dans tous les cas où le moyen et la fin font l'objet d'une évaluation morale différente) ; dès lors, de I a I et de I b I, on peut déduire l'énoncé condi­tionnel « si je veux A alors il me faut vouloir B « ; mais je

ne puis savoir ce que je dois vouloir à moins d'un énoncé conditionnel , c' « si je veux C alors il me faut vouloir A « établi dans les mêmes conditions. On est donc rejeté à l'infini ; une doctrine des fins, est un ensemble d'énoncés conditionnels établis d'après la connaissance des enchaî­nements de causalité ; ou bien elle n'indique pas pourquoi je dois vouloir quelque chose plutôt qu'autre chose, ou bien elle est la position d'une fin inconditionnée, mais alors il faut pouvoir en justifier le caractère inconditionné. On pourrait le faire en établissant la vérité d'un énoncé descriptif du type I d I « tous les hommes veulent le bonheur « ; dans ce cas, il est peut-être possible d'établir ce que je dois vouloir pour atteindre le bonheur ; mais on aboutit à un paradoxe : pour pouvoir vouloir ce qui me procure le bonheur, il faut que mon vouloir soit libre par rapport aux déterminations causales mais si mon vouloir lui-meme est inconditionné, pourquoi serait-il soumis à la condition de vouloir le bonheur ? L'énoncé , d , n'est-il pas injustifiable sous sa forme descriptive, et pour qu'il Soit inconditionné, sa véritable forme n'est-elle pas l'énoncé I e « je veux le bonheur «, mais dans ce cas, n'est-ce pas la possibilité de fonder rationnellement le choix d'une fin dernière qui disparaît ?

2.   La règle morale et le devoir

Une règle morale est un énoncé prescriptif indiquant ce qu'on doit faire, elle exprime donc une obligation. Il y a trois formes d'obligations : les nécessités naturelles, les obli­gations juridiques (3) et les obligations morales. Les deux dernières ont cette particularité qu'elles peuvent être trans­gressées (il n'y a ni morale ni loi sans transgression). Plusieurs caractères distinguent les règles juridiques des règles morales ; les premières sont clairement instituées, leur trans­gression est suivie d'effets (poursuites, sanctions), elles portent par conséquent sur des actions manifestes, visibles ; les secondes ne sont pas instituées, leur transgression n'est pas nécessairement suivie d'effets (on punit certes l'enfant qui ment, le groupe social isole ceux qui transgressent les tabous moraux, mais ces sanctions ne sont nullement auto­matiques), elles ne portent pas simplement sur les actions extérieurement contrôlables, mais aussi sur des actions mettant en jeu seulement l'intériorité (« on ne doit pas penser du mal de son prochain «). On peut donc concevoir que l'obligation juridique est externe (contrainte, sanction) et que l'obligation morale est interne. Mais pourquoi dois-je vouloir quelque chose plutôt qu'autre chose ? On pourrait répondre : pour me conformer à la loi morale, c'est-à-dire à la règle qui dicte mon devoir. Mais alors cela suppose une autre règle morale exprimée par l'énoncé j f I « Je dois agir conformément aux règles morales. « La justification de cette règle a été le problème essentiel de la philosophie morale et la doctrine kantienne passe pour l'avoir résolu. Supposons que j'agisse conformément au devoir parce que je me

propose une fin quelconque (gagner le Paradis, passer pour vertueux, éviter les ennuis, être heureux, etc.) ; si cette fin est contradictoire avec la règle morale qui détermine mon devoir, j'abandonnerai celle-ci. La seule solution pour que j'agisse toujours conformément au devoir est que j'agisse toujours par devoir. Le devoir devient la nécessité d'accomplir une action uniquement par respect de la règle morale. Cela n'est possible que si la règle morale elle-même ne contient aucune détermination particulière (empirique) ; par conséquent, une règle d'action est morale seulement en tant qu'elle est universelle.

H s'ensuit que la règle morale absolue, qui contient en elle-même la necessité exprimée par I f , est l'impératif catégo­rique I g I « agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle «. On peut faire divers reproches à la doctrine kantienne :

1 — Elle ne correspond pas à ce qu'on entend habituel­lement par « morale «, à savoir un ensemble de règles déter­minées.

2 — Toutes les règles morales existant dans diverses sociétés n'en sont pas déductibles ; Kant en conclut que ces dernières ne concernent pas la morale mais les moeurs : si d'aventure il existait des moeurs incompatibles avec l'impératif catégo­rique, il faudrait les juger immorales ; quant aux autres, il faudrait déduire de j g I que c'est une règle morale que de se conformer aux moeurs de son pays.

3 — Il se peut que si nous « agissons par devoir «, ce soit simplement parce que nous avons intériorisé une règle comme I f I, nous agirions donc non par devoir au sens kantien, mais conformément au devoir.

4 — Pour parer à l'objection précédente, il faudrait montrer que g I est une nécessité absolue : Kant le fait en posant qu'il s'agit d'une loi universelle de la raison ; en quoi cela serait-il autre chose qu'une pétition de principe ?

5 — L'idée kantienne selon laquelle la loi morale doit être universelle et absolue, correspond à un rapport subjectif que nous aurions avec les lois morales : elle revient à affirmer en quelque sorte que la raison pour laquelle on suit un principe moral, réside dans la croyance en son absoluité et en son universalité. Outre qu'il existe des principes qu'on suit en sachant fort bien qu'ils sont relatifs, il peut se faire même qu'on ne dispose d'aucun principe moral qui soit l'objet d'une telle croyance ; nous suivons peut-être les règles morales par le fait du conditionnement ou par l'assimilation inconsciente d'interdits quelconques ; dans ce cas, selon Kant, nous serions de part en part immoraux ; c'est en ce sens qu'il a raison d'affirmer que la liberté est un postulat moral : si nous ne sommes pas absolument libres et conscients, la moralité définie par Kant n'a aucun sens.

3. Les valeurs morales

La morale donne lieu à des énoncés évaluatifs, attribuant les prédicats « être bien « ou « être mal «, l'attribution de l'un passant habituellement pour la négation de l'autre. On pourrait penser que ces énoncés sont déductibles soit d'une doctrine des fins, soit d'un système des règles morales. Dans le premier cas, la valeur morale est attribuée à tous les moyens qui permettent d'atteindre la fin dernière, ainsi qu'à cette fin. Dans le second cas, elle est attribuée aux actions conformes au système de règles morales. Le seul choix d'une fin peut être considéré comme la position d'une valeur. Une prescription peut être déduite (de façon conditionnelle) d'une évaluation : « L'action B est moralement mauvaise ; si je veux agir moralement, je ne dois pas faire l'action B. «

Cependant, l'évaluation est par sa nature quelque chose de plus large qu'un système de prescriptions : on peut toujours demander quelle est la valeur du système. Kant suppose qu'une action est moralement bonne quand elle est accomplie par devoir. Supposons qu'on trouve qu'une action accomplie par devoir soit contraire au bonheur, à la santé ou à n'importe quoi ; il apparaîtrait alors que Kant a sim­plement posé que la moralité était une valeur absolue. Admettons que Kant ait démontré rationnellement la néces­sité de poser que la moralité soit une valeur suprême ; il apparaîtrait qu'il a simplement posé la raison comme valeur suprême. Tel est finalement le ressort de la critique nietzschéenne : ce qui est originaire, c'est la position des valeurs. N'est-ce pas alors que toute position de valeur (même si elle a des causes) est injustifiable ? Il n'y a pas de morale privilégiée, non que toutes les morales aient la même valeur mais que nous les jugeons toujours à partir d'un point de vue, constitué par d'autres valeurs.

1.   Voir bonheur.

2.   Voir valeur.

 

3.   Voir droit.

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