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Par contraste avec l'austérité des objets utilitaires, les Bororo placent tout leur luxe et leur imagination dans le costume, ou tout au moins - puisque celui-ci est des plus sommaires - dans ses accessoires.

Publié le 06/01/2014

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Par contraste avec l'austérité des objets utilitaires, les Bororo placent tout leur luxe et leur imagination dans le costume, ou tout au moins - puisque celui-ci est des plus sommaires - dans ses accessoires. Les femmes possèdent de véritables écrins, qui se transmettent de mère à fille : ce sont des parures en dents de singe ou en crocs de jaguar montés sur bois et fixés avec de fines ligatures. Si elles revendiquent ainsi les dépouilles de la chasse, elles se prêtent à l'épilage de leurs propres tempes par les hommes qui confectionnent, avec les cheveux de leurs épouses, de longues cordelettes tressées qu'ils enroulent sur leur tête à la façon d'un turban. Les hommes portent aussi, les jours de fête, des pendentifs en croissant formés d'une paire d'ongles du grand tatou - cet animal fouisseur dont la taille dépasse un mètre et qui s'est à peine transformé depuis l'ère tertiaire - agrémentés d'incrustations de nacre, de franges de plumes ou de coton. Les becs de toucans fixés sur des tiges emplumées, les gerbes d'aigrettes, les longues plumes de la queue des araras jaillissant e fuseaux en bambou ajourés et couverts de blanc duvet collé, hérissent leurs chignons - naturels ou artificiels - comme es épingles à cheveux équilibrant par-derrière les diadèmes de plumes cerclant le front. Parfois, ces ornements sont ombinés en une coiffure composite qui demande plusieurs heures pour être mise en place sur la tête du danseur. J'en ai cquis une pour le Musée de l'Homme en échange d'un fusil, et après des négociations qui se prolongèrent pendant huit ours. Elle était indispensable au rituel, et les indigènes ne pouvaient s'en défaire qu'après avoir reconstitué à la chasse 'assortiment de plumes prescrites, pour en confectionner une autre. Elle se compose d'un diadème en forme d'éventail ; 'une visière de plumes couvrant la partie supérieure du visage ; d'une haute couronne cylindrique entourant la tête, en aguettes surmontées de plumes de l'aigle-harpie ; et d'un disque de vannerie servant à piquer un buisson de tiges ncollées de plumes et de duvet. L'ensemble atteint presque deux mètres de hauteur. Même s'ils ne sont pas en tenue cérémonielle, le goût de l'ornement est si vif que les hommes improvisent onstamment des parures. Beaucoup portent des couronnes : bandeaux de fourrures ornés de plumes, anneaux de annerie également emplumés, tortils d'ongles de jaguar montés sur un cercle de bois. Mais beaucoup moins suffit à les avir ; un ruban de paille séchée, ramassé par terre, rapidement arrondi et peint, fait une coiffure fragile sous laquelle le orteur paradera jusqu'à ce qu'il lui préfère une fantaisie inspirée par une autre trouvaille ; parfois, dans le même but, un rbre sera dépouillé de ses fleurs. Un morceau d'écorce, quelques plumes fournissent aux inlassables modistes prétexte à ne sensationnelle création de pendants d'oreilles. Il faut pénétrer dans la maison des hommes pour mesurer l'activité épensée par ces robustes gaillards à se faire beaux ; dans tous les coins, on découpe, on façonne, on cisèle, on colle ; les oquillages du fleuve sont débités en fragments et vigoureusement polis sur des meules pour faire les colliers et les abrets ; de fantastiques constructions de bambou et de plumes s'échafaudent. Avec une application d'habilleuse, des ommes à carrure de portefaix se transforment mutuellement en poussins, au moyen de duvet collé à même la peau. Si la maison des hommes est un atelier, elle est aussi autre chose. Les adolescents y dorment ; aux heures oisives, les ommes mariés y font la sieste, bavardent et fument leurs grosses cigarettes enroulées dans une feuille sèche de maïs. Ils prennent aussi certains repas, car un minutieux système de corvées oblige les clans, à tour de rôle, au service du baitemannageo. Toutes les deux heures environ, un homme va chercher dans sa hutte familiale une bassine pleine de la ouillie de maïs appelée mingão, préparée par les femmes. Son arrivée est saluée par de grands cris joyeux, au, au, qui rompent le silence de la journée. Avec un cérémonial fixe, le prestataire invite six ou huit hommes et les conduit devant la nourriture où ils puisent avec une écuelle de poterie ou de coquillage. J'ai déjà dit que l'accès de la maison est interdit aux femmes. C'est vrai pour les femmes mariées, car les adolescentes célibataires évitent spontanément de s'en approcher, sachant bien quel serait leur sort. Si, par inadvertance ou provocation, elles traînent trop près, il pourra arriver qu'on les capture pour abuser d'elles. Elles devront d'ailleurs y pénétrer volontairement, une fois dans leur vie, pour présenter leur demande à leur futur mari. XXIII LES VIVANTS ET LES MORTS Atelier, club, dortoir et maison de passe, le baitemannageo est enfin un temple. Les danseurs religieux s'y préparent, certaines cérémonies s'y déroulent hors de la présence des femmes ; ainsi la fabrication et la giration des rhombes. Ce sont des instruments de musique en bois, richement peints, dont la forme évoque celle d'un poisson aplati, leur taille variant entre trente centimètres environ et un mètre et demi. En les faisant tournoyer au bout d'une cordelette, on produit un grondement sourd attribué aux esprits visitant le village, dont les femmes sont censées avoir peur. Malheur à celle qui verrait un rhombe ; aujourd'hui encore, il y a de fortes chances pour qu'elle soit assommée. Quand, pour la première fois, j'assistai à leur confection, on essaya de me persuader qu'il s'agissait d'instruments culinaires. L'extrême répugnance qu'on montra à m'en céder un lot s'expliquait moins par le travail à recommencer que par la crainte que je ne trahisse le secret. Il fallut qu'en pleine nuit je me rendisse à la maison des hommes avec une cantine. Les rhombes empaquetés y furent déposés et la cantine verrouillée ; et on me fit promettre de ne rien ouvrir avant Cuiaba. Pour l'observateur européen, les travaux à nos yeux difficilement compatibles de la maison des hommes s'harmonisent de façon presque scandaleuse. Peu de peuples sont aussi profondément religieux que les Bororo, peu ont un système métaphysique aussi élaboré. Mais les croyances spirituelles et les habitudes quotidiennes se mêlent étroitement et il ne semble pas que les indigènes aient le sentiment de passer d'un système à un autre. J'ai retrouve cette religiosité bon enfant dans les temples bouddhistes de la frontière birmane où les bonzes vivent et dorment dans la salle affectée au culte, rangeant au pied de l'autel leurs pots de pommade et leur pharmacie personnelle et ne dédaignant pas de caresser leurs pupilles entre deux leçons d'alphabet.   Fig. 26. - Un rhombe.   Ce sans-gêne vis-à-vis du surnaturel m'étonnait d'autant plus que mon seul contact avec la religion remonte à une enfance déjà incroyante, alors que j'habitais pendant la Première Guerre mondiale chez mon grand-père, qui était rabbin de Versailles. La maison, adjacente à la synagogue, lui était reliée par un long corridor intérieur où l'on ne se risquait pas sans angoisse, et qui formait à lui seul une frontière impassable entre le monde profane, et celui auquel manquait précisément cette chaleur humaine qui eût été une condition préalable à sa perception comme sacré. En dehors des heures de culte, la synagogue restait vide et son occupation temporaire n'était jamais assez prolongée ni fervente pour meubler l'état de désolation qui paraissait lui être naturel, et que les offices dérangeaient de façon incongrue. Le culte familial souffrait de la même sécheresse. À part la prière muette de mon grand-père au début de chaque repas, rien d'autre ne signalait aux enfants qu'ils vivaient soumis à la reconnaissance d'un ordre supérieur, sinon une banderole de papier imprimé fixée au mur de la salle à manger et qui disait : « Mastiquez bien vos aliments, la digestion en dépend. » Ce n'est pas que la religion eût plus de prestige chez les Bororo : bien au contraire, elle allait de soi. Dans la maison des hommes, les gestes du culte s'accomplissaient avec la même désinvolture que tous les autres, comme s'il s'agissait d'actes utilitaires exécutés pour leur résultat, sans réclamer cette attitude respectueuse qui s'impose même à l'incroyant quand il pénétre dans un sanctuaire. Cet après-midi, on chante dans la maison des hommes comme préparation au rituel public de la soirée. Dans un coin, des garçons ronflent ou bavardent, deux ou trois hommes chantonnent en agitant les hochets, mais si l'un d'eux a envie d'allumer une cigarette ou si c'est son tour de puiser dans la bouillie de mais, il passe l'instrument à un voisin qui enchaine, ou même il continue d'une main en se grattant de l'autre. Qu'un danseur se pavane pour faire admirer sa dernière création, tout le monde s'arrête et commente, l'office parait oublié jusqu'à ce que, dans un autre coin, l'incantation reparte au point où elle avait été interrompue. Et pourtant, la signification de la maison des hommes dépasse encore celle qui s'attache au centre de la vie sociale et religieuse que j'ai essayé de décrire. La structure du village ne permet pas seulement le jeu raffiné des institutions : elle résume et assure les rapports entre l'homme et l'univers, entre la société et le monde surnaturel, entre les vivants et les morts. Avant d'aborder ce nouvel aspect de la culture bororo, il faut que j'ouvre une parenthèse à propos des rapports entre morts et vivants. Sans quoi il serait difficile de comprendre la solution particulière que la pensée bororo donne à un problème universel et qui est remarquablement similaire à celle qu'on rencontre à l'autre bout de l'hémisphère occidental, chez les populations des forêts et prairies du nord-est de l'Amérique septentrionale, comme les Ojibwa, les Menomini et les Winnebago. Il n'existe probablement aucune société qui ne traite ses morts avec égards. Aux frontières mêmes de l'espèce, l'homme de Neanderthal enterrait aussi ses défunts dans des tombes sommairement aménagées. Sans doute les pratiques funéraires varient selon les groupes. Dira-t-on que cette diversité est négligeable, compte tenu du sentiment unanime qu'elle recouvre ? Même quand on s'efforce de simplifier à l'extrême les attitudes envers les morts observées dans les sociétés humaines, on est obligé de respecter une grande division entre les pôles de laquelle le passage s'opère par tout une série d'intermédiaires. Certaines sociétés laissent reposer leurs morts ; moyennant des hommages périodiques, ceux-ci s'abstiendront de troubler les vivants ; s'ils reviennent les voir, ce sera par intervalles et dans des occasions prévues. Et leur visite sera bienfaisante, les morts garantissant par leur protection le retour régulier des saisons, la fécondité des jardins et des femmes. Tout se passe comme si un contrat avait été conclu entre les morts et les vivants : en échange du culte raisonnable qui leur est voué, les morts resteront chez eux, et les rencontres temporaires entre les deux groupes seront toujours dominées par le souci des intérêts des vivants. Un thème folklorique universel exprime bien cette formule ; c'est celui du mort reconnaissant. Un riche héros rachète un cadavre à des créanciers qui s'opposent à l'enterrement. Il donne au mort une sépulture. Celui-ci apparaît en songe à son bienfaiteur et lui promet le succès, à condition que les avantages onquis fassent l'objet d'un partage équitable entre eux deux. En effet, le héros gagne vite l'amour d'une princesse qu'il arvient à sauver de nombreux périls avec l'aide de son protecteur surnaturel. Faudra-t-il en jouir de concert avec le mort ? Mais la princesse est enchantée : moitié femme, moitié dragon ou serpent. Le mort revendique son droit, le héros s'incline et le mort, satisfait de cette loyauté, se contente de la portion maligne qu'il prélève, livrant au héros une épouse humanisée. À cette conception s'en oppose une autre, également illustrée par un thème folklorique que j'appellerai : le chevalier entreprenant. Le héros est pauvre au lieu d'être riche. Pour tout bien, il possède un grain de blé qu'il parvient, à force 'astuce, à échanger contre un coq, puis un porc, puis un boeuf, puis un cadavre, lequel enfin il troque contre une rincesse vivante. On voit qu'ici le mort est objet, et non plus sujet. Au lieu de partenaire avec qui l'on traite, c'est un nstrument dont on joue pour une spéculation où le mensonge et la supercherie ont leur place. Certaines sociétés bservent vis-à-vis de leurs morts une attitude de ce type. Elles leur refusent le repos, elles les mobilisent : littéralement arfois, comme c'est le cas du cannibalisme et de la nécrophagie quand ils sont fondés sur l'ambition de s'incorporer les ertus et les puissances du défunt ; symboliquement aussi, dans les sociétés engagées dans des rivalités de prestige et où es participants doivent, si j'ose dire, appeler constamment les morts à la rescousse, cherchant à justifier leurs

« XXIII LES VIVANTS ETLES MORTSAtelier, club,dortoir etmaison depasse, le baitemannageo est enfin untemple.

Lesdanseurs religieuxs’ypréparent, certaines cérémonies s’ydéroulent horsdelaprésence desfemmes ; ainsilafabrication etlagiration desrhombes.

Ce sont desinstruments demusique enbois, richement peints,dontlaforme évoque celled’unpoisson aplati,leurtaille variant entretrente centimètres environetun mètre etdemi.

Enles faisant tournoyer aubout d’une cordelette, on produit ungrondement sourdattribué auxesprits visitant levillage, dontlesfemmes sontcensées avoirpeur.

Malheur à celle quiverrait unrhombe ; aujourd’hui encore,ilya de fortes chances pourqu’elle soitassommée.

Quand,pourla première fois,j’assistai àleur confection, onessaya deme persuader qu’ils’agissait d’instruments culinaires.L’extrême répugnance qu’onmontra àm’en céder unlot s’expliquait moinsparletravail àrecommencer queparlacrainte quejene trahisse lesecret.

Ilfallut qu’en pleine nuitjeme rendisse àla maison deshommes avecunecantine.

Lesrhombes empaquetés yfurent déposés etlacantine verrouillée ; eton me fitpromettre denerien ouvrir avantCuiaba. Pour l’observateur européen,lestravaux ànos yeux difficilement compatiblesdelamaison deshommes s’harmonisent defaçon presque scandaleuse.

Peudepeuples sontaussi profondément religieuxquelesBororo, peuont un système métaphysique aussiélaboré.

Maislescroyances spirituelles etles habitudes quotidiennes semêlent étroitement etilne semble pasque lesindigènes aientlesentiment depasser d’unsystème àun autre.

J’airetrouve cette religiosité bonenfant danslestemples bouddhistes delafrontière birmaneoùles bonzes viventetdorment danslasalle affectée auculte, rangeant aupied del’autel leurspotsdepommade etleur pharmacie personnelle etne dédaignant pas de caresser leurspupilles entredeuxleçons d’alphabet.   Fig. 26.– Un rhombe.. »

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