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prérogatives au moyen d'évocations des ancêtres et de tricheries généalogiques.

Publié le 06/01/2014

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prérogatives au moyen d'évocations des ancêtres et de tricheries généalogiques. Plus que d'autres, ces sociétés se entent troublées par les morts dont elles abusent. Elles pensent que ceux-ci leur rendent la monnaie de leur ersécution : d'autant plus exigeants et querelleurs vis-à-vis des vivants que ces derniers cherchent à profiter d'eux. Mais u'il s'agisse de partage équitable, comme dans le premier cas, ou de spéculation effrénée comme dans le second, l'idée ominante est que, dans les rapports entre morts et vivants, on ne saurait éviter de faire part à deux. Entre ces positions extrêmes, il y a des conduites de transition : les Indiens de la côte ouest du Canada et les Mélanésiens font comparaître tous leurs ancêtres dans les cérémonies, les contraignant à témoigner en faveur de leurs escendants ; dans certains cultes d'ancêtres, en Chine ou en Afrique, les morts gardent leur identité personnelle mais seulement pendant la durée de quelques générations : chez les Pueblo du sud-ouest des États-Unis, ils cessent tout de suite d'être personnalisés comme défunts mais se partagent un certain nombre de fonctions spéciales. Même en Europe, où les morts sont devenus apathiques et anonymes, le folklore conserve des vestiges de l'autre éventualité avec la croyance qu'il existe deux types de morts : ceux qui ont succombé à des causes naturelles et qui forment une cohorte d'ancêtres protecteurs ; tandis que les suicidés, assassinés ou ensorcelés se changent en esprit malfaisants et jaloux. Si nous nous bornons à considérer l'évolution de la civilisation occidentale, il n'est pas douteux que l'attitude spéculatrice s'est progressivement effacée au profit de la conception contractuelle des rapports entre morts et vivants, celle-ci faisant place à une indifférence annoncée peut-être par la formule de l'Évangile : laissez les morts ensevelir les morts. Mais il n'y a aucune raison de supposer que cette évolution corresponde à un modèle universel. Plutôt, il semble ue toutes les cultures aient eu obscurément conscience des deux formules, mettant l'accent sur l'une d'elles tout en herchant par des conduites superstitieuses à se garantir de l'autre côté (comme d'ailleurs nous continuons nous-mêmes le faire, en dépit des croyances ou de l'incroyance avouées). L'originalité des Bororo, et des autres peuples que j'ai cités n exemple, provient de ce qu'ils se sont clairement formulé les deux possibilités, qu'ils ont construit un système de royances et de rites correspondant à chacune ; enfin, des mécanismes permettant de passer de l'une à l'autre, avec 'espoir de les concilier toutes deux. Je m'exprimerais d'une façon imparfaite si je disais qu'il n'y a pas pour les Bororo de mort naturelle : un homme n'est as pour eux un individu, mais une personne. Il fait partie d'un univers sociologique : le village qui existe de toute ternité, côte à côte avec l'univers physique, lui-même composé d'autres êtres animés : corps célestes et phénomènes étéorologiques. Cela, en dépit du caractère temporaire des villages concrets, lesquels (en raison de l'épuisement des errains de culture) restent rarement plus de trente ans au même endroit. Ce qui fait le village n'est donc ni son terroir ni es huttes, mais une certaine structure qui a été décrite plus haut et que tout village reproduit. On comprend ainsi ourquoi, en contrariant la disposition traditionnelle des villages, les missionnaires détruisent tout. Quant aux animaux, ils appartiennent pour partie au monde des hommes, surtout en ce qui concerne les poissons et es oiseaux, tandis que certains animaux terrestres relèvent de l'univers physique. Ainsi les Bororo considèrent-ils que leur orme humaine est transitoire : entre celle d'un poisson (par le nom duquel ils se désignent) et celle de l'arara (sous 'apparence duquel ils finiront leur cycle de transmigrations). Si la pensée des Bororo (pareils en cela aux ethnographes) est dominée par une opposition fondamentale entre nature t culture, il s'ensuit que, plus sociologues encore que Durkheim et Comte, la vie humaine relève selon eux de l'ordre de a culture. Dire que la mort est naturelle ou antinaturelle perd son sens. En fait et en droit, la mort est à la fois naturelle et anticulturelle. C'est-à-dire que chaque fois qu'un indigène meurt, non seulement ses proches mais la société tout entière sont lésés. Le dommage dont la nature s'est rendue coupable envers la société entraîne au détriment de la remière une dette, terme qui traduit assez bien une notion essentielle chez les Bororo, celle de mori. Quand un ndigène meurt, le village organise une chasse collective, confiée à la moitié alterne de celle du défunt : expédition contre a nature qui a pour objet d'abattre un gros gibier, de préférence un jaguar, dont la peau, les ongles, les crocs onstitueront le mori du défunt. Au moment de mon arrivée à Kejara, un décès venait de se produire ; malheureusement, il s'agissait d'un indigène mort au loin, dans un autre village. Je ne verrais donc pas la double inhumation qui consiste à déposer d'abord le cadavre dans une fosse couverte de branchages au centre du village, jusqu'à ce que les chairs se soient putréfiées, puis à laver les ossements dans le fleuve, les peindre et les orner de mosaïques de plumes collées, avant de les immerger dans un panier au fond d'un lac ou d'un cours d'eau. Toutes les autres cérémonies auxquelles j'ai assisté se sont déroulées conformément à la tradition, y compris les scarifications rituelles des parents à l'endroit où le tombeau provisoire eût dû être creusé. Par une autre malchance, la chasse collective avait eu lieu la veille ou dans l'après-midi de mon arrivée, je ne sais ; ce qui est certain, c'est qu'on n'avait rien tué. Une vieille peau de jaguar fut utilisée pour les danses funèbres. Je soupçonne même que notre irara a été prestement appropriée pour remplacer le gibier manquant. On n'a jamais onsenti à me le dire, et c'est dommage : si tel était vraiment le cas, j'aurais pu revendiquer la qualité de uiaddo, chef de chasse représentant l'âme du défunt. De sa famille, j'aurais reçu le brassard de cheveux humains et le poari, clarinette mystique formée d'une petite calebasse emplumée servant de pavillon à une anche de bambou, pour la faire résonner au-dessus de la prise avant de l'attacher à sa dépouille. J'aurais partagé comme il est prescrit la viande, le cuir, les dents, es ongles entre les parents du défunt, qui m'auraient donné en échange un arc et des flèches de cérémonie, une autre clarinette commémorative de mes fonctions, et un collier de disques en coquillage. Il aurait aussi fallu, sans doute, que je e peigne en noir pour éviter d'être reconnu par l'âme malfaisante, responsable du décès et tenue par la règle du mori à s'incarner dans le gibier, s'offrant ainsi en compensation du dommage, mais pleine de haine vindicative envers son xécuteur. Car en un sens, cette nature meurtrière est humaine. Elle opère par l'intermédiaire d'une catégorie spéciale 'âmes qui relèvent directement d'elle et non de la société. J'ai mentionné plus haut que je partageais la hutte d'un sorcier. Les bari forment une catégorie spéciale d'êtres umains qui n'appartiennent complètement ni à l'univers physique, ni au monde social, mais dont le rôle est d'établir une édiation entre les deux règnes. Il est possible, mais non certain, que tous soient nés dans la moitié tugaré ; c'était le cas du mien puisque notre hutte était cera et qu'il habitait, comme il se doit, chez sa femme. On devient bari par vocation, et souvent à la suite d'une révélation dont le motif central est un pacte conclu avec certains membres d'une collectivité rès complexe faite d'esprits malfaisants ou simplement redoutables, pour partie célestes (et contrôlant alors les hénomènes astronomiques et météorologiques), pour partie animaux et pour partie souterrains. Ces êtres, dont 'effectif se grossit régulièrement des âmes des sorciers défunts, sont responsables de la marche des astres, du vent, de la luie, de la maladie et de la mort. On les décrit sous des apparences diverses et terrifiantes : velus avec des têtes trouées ui laissent échapper la vapeur du tabac quand ils fument ; monstres aériens qui émettent la pluie par les yeux, narines, u cheveux et ongles démesurément longs ; unijambistes à gros ventre et à corps duveteux de chauves-souris. Le bari est un personnage asocial. Le lien personnel qui l'unit à un ou plusieurs esprits lui confère des privilèges : aide urnaturelle quand il part pour une expédition de chasse solitaire, pouvoir de se transformer en bête, et la connaissance es maladies ainsi que des dons prophétiques. Le gibier tué à la chasse, les premières récoltes des jardins sont impropres la consommation tant qu'il n'en a pas reçu sa part. Celle-ci constitue le mori dû par les vivants aux esprits des morts ; elle joue donc, dans le système, un rôle symétrique et inverse de celui de la chasse funéraire dont j'ai parlé. Mais le bari est aussi dominé par son ou ses esprits gardiens. Ils l'utilisent pour s'incarner, et le bari, monture de 'esprit, est alors en proie aux transes et aux convulsions. En échange de sa protection, l'esprit exerce sur le bari une surveillance de tous les instants, c'est lui le vrai propriétaire, non seulement des biens mais du corps même du sorcier. Celui-ci est comptable envers l'esprit de ses flèches cassées, du bris de sa vaisselle, de ses rognures d'ongles et de cheveux. Rien de tout cela ne peut être détruit ou jeté, le bari traîne derrière soi les détritus de sa vie passée. Le viel dage juridique : le mort saisit le vif, trouve ici un sens terrible et imprévu. Entre le sorcier et l'esprit, le lien est d'une nature si jalouse que, des deux partenaires au contrat, on ne sait jamais lequel, en fin de compte, est le maître ou le serviteur. On voit donc que, pour les Bororo, l'univers physique consiste dans une hiérarchie complexe de pouvoirs individualisés. Si leur nature personnelle est clairement affirmée, il n'en est pas de même pour les autres attributs : car ces pouvoirs sont à la fois des choses et des êtres, des vivants et des morts. Dans la société, les sorciers forment l'articulation qui relie les hommes à cet univers équivoque des âmes malfaisantes, à la fois personnes et objets. À côté de l'univers physique, l'univers sociologique offre des caractères tout différents. Les âmes des hommes ordinaires (je veux dire ceux qui ne sont pas des sorciers), au lieu de s'identifier aux forces naturelles, subsistent comme une société ; mais inversement, elles perdent leur identité personnelle pour se confondre dans cet être collectif, Yaroe, terme qui, comme l'anaon des anciens Bretons, doit sans doute se traduire par : la société des âmes. En fait celle-ci est double, puisque les âmes se répartissent après les funérailles en deux villages dont l'un se trouve à l'orient et l'autre à 'occident et sur lesquels veillent respectivement les deux grands héros divinisés du panthéon bororo : à l'ouest, l'aîné akororo, et, à l'est, le cadet Ituboré. On remarquera que l'axe est-ouest correspond au cours du Rio Vermelho. Il est onc vraisemblable qu'il existe une relation encore obscure entre la dualité des villages des morts et la division econdaire du village en moitié de l'aval et moitié de l'amont.   Fig. 27. - Peinture bororo représentant des objets du culte.   Comme le bari est l'intermédiaire entre la société humaine et les âmes malfaisantes, individuelles et cosmologiques (on a vu que les âmes des bari morts sont tout cela à la fois), il existe un autre médiateur qui préside aux relations entre a société des vivants et la société des morts, celle-ci bienfaisante, collective et anthropomorphique. C'est le « Maître du hemin des âmes » ou aroettowaraare. Il se distingue du bari par des caractères antithétiques. D'ailleurs ils se craignent et se haïssent mutuellement. Le Maître du chemin n'a pas droit à des offrandes, mais il est tenu à une stricte observance des règles : certaines prohibitions alimentaires, et une grande sobriété dans sa mise. Les parures, les couleurs vives lui sont interdites. D'autre part, il n'y a pas de pacte entre lui et les âmes : celles-ci lui sont toujours présentes et en quelque sorte immanentes. Au lieu de s'emparer de lui dans des transes, elles apparaissent dans ses rêves ; s'il les invoque parfois, c'est seulement au bénéfice d'autrui. Si le bari prévoit la maladie et la mort, le Maître du chemin soigne et guérit. On dit d'ailleurs que le bari, expression de la nécessité physique, se charge volontiers de confirmer ses pronostics en achevant les malades qui seraient trop longs accomplir ses funestes prédictions. Mais il faut bien noter que les Bororo n'ont pas exactement la même conception que nous des rapports entre la mort et la vie. D'une femme brûlante de fièvre dans un coin de sa hutte, on me dit un jour qu'elle était morte, entendant sans doute par là qu'on la considérait comme perdue. Après tout, cette façon de voir ressemble assez à celle de nos militaires confondant sous le même vocable de « pertes », à la fois les morts et les blessés. Du point de vue de l'efficacité immédiate cela revient au même, bien que, du point de vue du blessé, ce soit un avantage certain de n'être pas au nombre des défunts.  

« clarinette commémorative demes fonctions, etun collier dedisques encoquillage.

Ilaurait aussifallu, sansdoute, queje me peigne ennoir pour éviter d’être reconnu parl’âme malfaisante, responsabledudécès ettenue parlarègle du mori à s’incarner danslegibier, s’offrant ainsiencompensation dudommage, maispleine dehaine vindicative enversson exécuteur.

Carenun sens, cette nature meurtrière esthumaine.

Elleopère parl’intermédiaire d’unecatégorie spéciale d’âmes quirelèvent directement d’elleetnon delasociété. J’ai mentionné plushaut quejepartageais lahutte d’unsorcier.

Les bari forment unecatégorie spécialed’êtres humains quin’appartiennent complètementniàl’univers physique, niau monde social,maisdont lerôle estd’établir une médiation entrelesdeux règnes.

Ilest possible, maisnoncertain, quetous soient nésdans lamoitié tugaré ; c’étaitlecas du mien puisque notrehutteétaitceraetqu’il habitait, commeilse doit, chezsafemme.

Ondevient bari par vocation, et souvent àla suite d’une révélation dontlemotif central estunpacte conclu aveccertains membres d’unecollectivité très complexe faited’esprits malfaisants ousimplement redoutables, pourpartie célestes (etcontrôlant alorsles phénomènes astronomiques etmétéorologiques), pourpartie animaux etpour partie souterrains.

Cesêtres, dont l’effectif segrossit régulièrement desâmes dessorciers défunts, sontresponsables delamarche desastres, duvent, dela pluie, delamaladie etde lamort.

Onlesdécrit sousdesapparences diversesetterrifiantes : velusavecdestêtes trouées qui laissent échapper lavapeur dutabac quand ilsfument ; monstres aériensquiémettent lapluie parlesyeux, narines, ou cheveux etongles démesurément longs ;unijambistes àgros ventre etàcorps duveteux dechauves-souris. Le bari est unpersonnage asocial.Lelien personnel quil’unit àun ou plusieurs espritsluiconfère desprivilèges : aide surnaturelle quandilpart pour uneexpédition dechasse solitaire, pouvoirdesetransformer enbête, etlaconnaissance des maladies ainsiquedesdons prophétiques.

Legibier tuéàla chasse, lespremières récoltesdesjardins sontimpropres à la consommation tantqu’il n’en apas reçu sapart.

Celle-ci constitue le mori dû par lesvivants auxesprits desmorts ; elle joue donc, danslesystème, unrôle symétrique etinverse decelui delachasse funéraire dontj’aiparlé. Mais le bari est aussi dominé parson ouses esprits gardiens.

Ilsl’utilisent pours’incarner, etle bari, monture de l’esprit, estalors enproie auxtranses etaux convulsions.

Enéchange desaprotection, l’espritexercesurle bari une surveillance detous lesinstants, c’estluilevrai propriétaire, nonseulement desbiens maisducorps même dusorcier. Celui-ci estcomptable enversl’esprit deses flèches cassées, dubris desavaisselle, deses rognures d’onglesetde cheveux.

Riendetout celanepeut êtredétruit oujeté, le bari trane derrière soilesdétritus desavie passée.

Leviel adage juridique : lemort saisit levif, trouve iciun sens terrible etimprévu.

Entrelesorcier etl’esprit, lelien estd’une nature sijalouse que,desdeux partenaires aucontrat, onnesait jamais lequel, enfin decompte, estlemaître oule serviteur.

On voit donc que,pour lesBororo, l’univers physique consistedansunehiérarchie complexedepouvoirs individualisés.

Sileur nature personnelle estclairement affirmée,iln’en estpas demême pourlesautres attributs : car ces pouvoirs sontàla fois deschoses etdes êtres, desvivants etdes morts.

Danslasociété, lessorciers forment l’articulation quirelie leshommes àcet univers équivoque desâmes malfaisantes, àla fois personnes etobjets. À côté del’univers physique, l’universsociologique offredescaractères toutdifférents.

Lesâmes deshommes ordinaires (jeveux direceux quinesont pasdes sorciers), aulieu des’identifier auxforces naturelles, subsistentcomme une société ; maisinversement, ellesperdent leuridentité personnelle pourseconfondre danscetêtre collectif, Yaroe, terme qui,comme l’ anaon des anciens Bretons, doitsans doute setraduire par :lasociété desâmes.

Enfait celle-ci est double, puisque lesâmes serépartissent aprèslesfunérailles endeux villages dontl’unsetrouve àl’orient etl’autre à l’occident etsur lesquels veillentrespectivement lesdeux grands hérosdivinisés dupanthéon bororo :àl’ouest, l’ané Bakororo, et,àl’est, lecadet Ituboré.

Onremarquera quel’axe est-ouest correspond aucours duRio Vermelho.

Ilest donc vraisemblable qu’ilexiste unerelation encoreobscure entreladualité desvillages desmorts etladivision secondaire duvillage enmoitié del’aval etmoitié del’amont.  . »

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