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ruine, écrit-il, ils ont été corrigés.

Publié le 06/01/2014

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ruine, écrit-il, ils ont été corrigés. » A mon avis, ce progrès de la ruine à la correction est intimement lié à la nature de la connaissance en soi, qui est au mieux un processus : de l'ignorance à la conscience, de la « ruine » intellectuelle à sa correction, du chaos indistinct à la science ordonnée. La connaissance englobe, par conséquent, le point de départ, qui est vide, nocif douloureux, et le point d'arrivée, qui est plaisir. A mon avis, c'est cette qualité de processus, de développement, lequel ne peut se dérouler que dans le temps, qui répond finalement à la question de savoir pourquoi la connaissance doit provenir d'un arbre. Un arbre est une chose qui croît et la croissance, comme l'apprentissage, ne peut avoir lieu que dans et par le temps. En effet, en dehors du médium qu'est le temps, des mots comme « croître » et « apprendre » ne peuvent avoir le moindre sens. Et c'est le temps, à la fin, qui donne le sens, dans les deux acceptions du mot, du plaisir à tirer de la connaissance et de la douleur. Le plaisir repose, dans une certaine mesure, sur la fierté de l'accumulation : avant, il y avait le vide et le chaos, et il y a maintenant la plénitude et l'ordre. A l'opposé, la douleur est associée au temps d'une manière légèrement différente. Par exemple (puisque le temps ne se déplace que dans une seule direction), une fois qu'une chose est connue, on ne peut plus la méconnaître. Et comme nous connaissons certaines choses, certains faits, des connaissances d'un certain type sont pénibles. Et aussi : alors que des connaissances d'un certain type apportent du plaisir précisément, comme je viens de le décrire, en vous comblant d'une information que vous avez désiré connaître, en vous permettant de donner sens à ce qui paraissait auparavant un amas sans ordre, il est possible d'apprendre certaines choses, certains faits, trop tard pour qu'ils puissent vous faire le moindre bien.   Ecoutez :     Mon grand-père est mort en 1980. Au milieu de la nuit, en dépit du fait qu'il était très faible -  à une ou deux semaines au plus, m'avait dit ma mère, de mourir du cancer qui le dévorait -, il s'était levé, dans un pyjama immaculé, et avait eu la force de sortir sans réveiller sa femme endormie, celle qui détestait les plumes, celle qui avait été à Auschwitz, et de quitter l'appartement, d'appuyer sur le bouton « R » de l'ascenseur ; il avait trouvé la force de traverser le hall d'entrée en marbre du Forte Towers et de se diriger, par la porte du fond, vers la piscine dans laquelle il avait finalement trouvé la force de sauter, sachant pourtant qu'il ne savait pas nager. C'est dire à quel point la douleur était forte. Je me demande aujourd'hui, Quelle douleur ? Parce que mon grand-père s'est suicidé, je m'inquiétais secrètement -  j'avais alors vingt ans, mais vis-à-vis de mon grand-père, j'avais toujours eu l'impression d'avoir onze ans environ -  de savoir s'il allait avoir des ennuis, si les détails astreignants de l'organisation de ses funérailles qu'il m'avait dictés, le lavage de son corps, le cercueil en bois tout simple, la tombe dans le Queens qui, bien entendu, l'attendait puisqu'il était natif de Bolechow et y avait droit, ne lui seraient pas déniés. Mais tout s'est passé comme prévu et mon grand-père a été enterré à New York. Pendant les semaines qui ont suivi, ma mère s'est envolée plusieurs fois pour Miami Beach, afin de régler toutes les questions de succession (même dans l'anticipation de sa propre mort, il était resté drôle : lorsqu'elle avait ouvert le coffre contenant ses papiers, elle avait trouvé une note, écrite indubitablement de la main de mon grand-père, qui savait que ma mère ne lirait cette note qu'à sa mort -  « Maintenant Marlene, commençait-elle, tu vas cesser de pleurer parce que tu sais à quel point tu es moche quand tu pleures... »). Comme elle l'avait fait pour sa mère, elle a donné la plupart de ses affaires à des organisations caritatives juives, mais il y avait aussi de nombreuses choses qui avaient un intérêt privé spécifique et une importance pour la famille, qu'elle a rapportées à Long Island. Parmi ces choses, il y avait, par exemple, le livre d'un bleu délavé, intitulé Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow, le « Livre-mémorial des martyrs de Bolechow ». En le voyant, ce jour d'été 1980, je me suis souvenu de l'avoir vu dans son appartement un jour, des années auparavant, lorsque j'étais venu seul lui rendre visite, j'avais quinze ans à ce moment-là et j'étais déjà en quelque sorte l'historien officiel de la famille, ce dont mon grand-père tirait une grande fierté, indépendamment du fait qu'il aimait me taquiner à propos de mes questions importunes. Au cours de cette visite, il avait voulu que je l'aidasse à faire le tri « des choses inutiles » dans une quantité de vieilles boîtes, comme il avait dit, et j'étais resté assis à côté de lui pendant des heures, un jour, jetant les choses qu'il me tendait -  des paquets de lettres entourées d'élastiques ou de ficelle, de vieux permis de conduire, des articles du Reader's Digest qu'il avait découpés -  dans une grande poubelle de cuisine, doublée d'un sac en plastique blanc. A un moment donné, il était allé aux toilettes et j'avais rapidement mis le nez dans un des paquets de lettres, qui se trouvait être sa correspondance avec sa troisième épouse, une femme qui s'appelait Alice. J'avais parcouru rapidement les lettres et une phrase m'avait sauté aux yeux -  Franchement, je me fiche de tes 400000 dollars, j'ai de l'argent à moi (j'avais supposé naturellement que cette missive appartenait à la période de leur divorce). Je m'en veux, aujourd'hui, de ne pas avoir fourré tout le paquet dans ma valise. Mon grand-père n'aurait jamais remarqué. Mais je suis aussi conscient du fait que, à ce moment-là, je ne m'intéressais pas aux mariages de mon grand-père après la mort inattendue de ma grandmère, parce que je considérais que c'était de l'histoire « récente » et, par conséquent, sans intérêt réel. Evidemment, son mariage avec Alice en 1970 est plus éloigné de moi en train d'écrire ces lignes que ne l'était l'époque où Shmiel était homme d'affaires à Bolechow, le jour où j'étais assis à trier la correspondance inutile de mon grand-père. En tout cas, c'était le jour où mon grand-père avait sorti le Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow, le « Livre-mémorial des martyrs de Bolechow », et me l'avait montré, et je me demande si c'est aussi le jour où, peut-être au cours de cette nuit-là, après que je suis allé me coucher, mon grand-père a relu le livre et écrit pour moi (j'aime le croire), sur cette feuille de papier à l'en-tête de son entreprise, toutes les informations dont j'avais besoin pour savoir qui était qui et à quelles pages se trouvaient leurs photos, anticipant sur le moment où il ne serait plus là pour me le dire lui-même. Il y avait une autre chose qu'elle avait rapportée, une chose que j'avais vue bien des fois depuis mon enfance, mais à laquelle je n'avais jamais repensé. C'était ce portefeuille bizarre, long et mince, avec ce cuir boutonneux, qu'il avait si souvent glissé dans la poche intérieure d'une des vestes qu'il aimait porter. Je l'ai reconnu, bien sûr, mais jamais je n'aurais deviné ce qu'il contenait. Car, lorsque nous avons finalement ouvert ce portefeuille, voici ce qu'il contenait : de nombreuses feuilles pliées, couvertes d'une écriture régulière, volontaire, élégante, en allemand. Ma mère avait un peu étudié l'allemand, il y a longtemps, sans beaucoup de succès -  elle aimait raconter l'histoire de son professeur d'allemand au lycée qui s'attendait à de grandes choses de la part d'une fille dont le nom était Marlene Jaeger et qui avait été amèrement déçu -  et elle m'avait donc passé la liasse, lorsque nous l'avions découverte, puisque j'étais à ce moment-là à l'université et que j'étudiais l'allemand. Lieber Teurer Bruder samt liebe Teure Schwägerin, avais-je lu. « Cher frère chéri et chère belle-soeur adorée. » Liebe Jeanette und Lieber Sam, avais-je lu. « Chère Jeanette et cher Sam. » Lieber Cousin, avais-je lu. J'avais lu, sur trois lettres distinctes, Lieber Aby. « Cher Aby. » Aby. Mon grand-père. J'ai lu les dates : Bolechow 16/1/1939. J'ai lu, au hasard, sur les pages. Les premières lignes de l'une d'elles : Ich lebte einige monate mit der Hoffnung mich mit Euch meine Teure persönlich sehn zu können, leider worde mir der Traum verschwunden. « Pendant quelques mois, j'ai vécu dans l'espoir de pouvoir vous voir en personne, mes très chers, mais mon rêve s'est évanoui » (longtemps après l'avoir vue pour la première fois, je n'ai cessé de penser à cette phrase : pourquoi Shmiel s'était-il permis de faire ce rêve plein d'espoir, et pourquoi celui-ci s'était-il évanoui ? Qui lui avait donné ce faux espoir ? Je pense énormément à cela, sachant bien moimême que les frères, pour des raisons qu'aucun document d'archives ne peut éclairer, peuvent manquer à leurs engagements les uns envers les autres). A la page 2 d'une autre lettre (toutes les pages sont soigneusement numérotées en haut) : Man hält mich in Bolechow für einen reichen Mann... « Les gens à Bolechow me considèrent comme un homme riche... » Du machst vorwürfe mein l. Frau warum sie wenden sich nicht zu ihr Bruder und Schwester. « Tu reproches à ma chère femme de ne pas être retournée chez son frère et sa soeur. » Wass die Juden machen hier mit, dass ist aber ein hunderster teil wass ihr weisst... « Ce que vous savez sur ce que subissent les Juifs ici n'est qu'un centième de ce qui se passe. » Die liebe Lorka arbeitet in Stryj bei einem Fotograf. « La chère Lorka travaille chez un photographe à Stryj. » Die kleine Bronia geht noch in Schule. « La petite Bronia va toujours à l'école. »... in ständiger Schreck ergriffen, « paralysés par une terreur constante ». Gebe Gott dass Hitler verrissen werden soll! « Que Dieu fasse que Hitler soit réduit en miettes ! » Et j'ai lu et relu, bien sûr, la signature : Ich grüsse und Küsse Euch alle vom tiefsten Herzens, dein Sam. « Je vous dis adieu à tous et je vous embrasse tous de tout mon coeur, ton Sam. » Von Euer Treueren Sam, « votre fidèle Sam », von Euer Sam, « votre Sam. » Sam. Sam. Shmiel. Voilà ce que mon grand-père avait porté sur lui pendant toutes ces années. Ces lettres que Shmiel avait écrites, au cours de la dernière année désespérée où il pouvait encore écrire, quand il pensait pouvoir trouver une issue. Elles avaient été là, devant mes yeux, tout le temps, pendant tous ces étés où j'avais contemplé paresseusement le bizarre portefeuille, impatient de sortir et d'entendre les histoires de mon grand-père, sans jamais rêver de l'histoire qu'il portait sur sa poche intérieure gauche. C'était là, juste devant moi, et je n'avais rien vu.   Ecoutez :   Des années après la mort de mon grand-père, j'ai décidé d'essayer la page FamilyFinder du site Internet Jewish genealogy. Pour cela, vous envoyez la liste de tous les noms de votre famille, ainsi que les villes auxquelles ces noms sont associés ; puis vous donnez les informations pour être contacté -  l'idée étant que quelqu'un qui cherche des gens avec vos noms en provenance de vos villes a de fortes chances d'être un parent à vous, et voudra prendre contact avec vous.

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Je m'en veux, aujourd'hui, denepas avoir fourré toutlepaquet dansmavalise.

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Jel'ai reconnu, biensûr,mais jamais jen'aurais devinécequ'il contenait. Car, lorsque nousavons finalement ouvertceportefeuille, voicicequ'il contenait :de nombreuses feuillespliées,couvertes d'uneécriture régulière, volontaire, élégante,en allemand.

Mamère avaitunpeu étudié l'allemand, ilya longtemps, sansbeaucoup desuccès –  elle aimait raconter l'histoire deson professeur d'allemand aulycée quis'attendait àde grandes chosesdelapart d'une filledont lenom était Marlene Jaegeretqui avait été. »

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