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STRUCTURE

Publié le 02/04/2015

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STRUCTURE________________________________

La notion de structure est fort ancienne : la tradition l'identifie à des concepts comme ceux d'organisation articulée d'un tout (ex. : la structure d'un organisme), de forme (ex.: la structure de la propo­sition). L'utilisation actuelle de la notion fait place à deux nouveautés : d'une part l'idée que la connaissance du réel doive se réduire à celle d'une « structure « qui n'en est pas une forme manifeste, d'autre part l'existence d'une philosophie structuraliste qui prétend récuser les thèses de la philosophie traditionnelle. Il convient donc de déterminer à quelles conditions cette nouvelle problématique s'est instaurée.

1.     Qu'est-ce qu'une structure ?

Pour commune qu'elle soit, la notion de structure est ambiguë, elle ne s'est pas élaborée dans un champ de savoir uniforme et correspond à des déterminations différentes.

1— Définition mathématique

a — Définition générale : Soit un ensemble d'élé­ments xi et de relations Ri valables sur cet ensemble, on définit une structure par des propriétés formelles des relations ; si, par exemple, on a pour unique relation « R «, et si pour tout xi et pour tout xi soit « xi Rxi «, soit « xi Rxi «, on dispose alors d'une structure d'ordre total (1). Si au lieu de considérer des relations, on considère des lois de compositions internes ou opérations qui à deux éléments d'un ensemble en associent un troisième (ex.: xTy = z) on peut parallèlement décrire une structure par les propriétés formelles de ces opérations (associativité, commutativité, etc.). L'algèbre moderne est en grande partie l'étude et la définition des structures ; elle ne travaille jamais sures éléments particuliers (les nombres ou les figures), des relations ou des opérations connues (l'égalité, l'adjectivité) mais sur des entités abstraites. Quand on peut remplacer chacune de ces entités en toutqs les circonstances qui servent à définir une structure, par des entités ayant un sens concret, on dit que ces dernières possèdent la structure considérée : ainsi parce que dans l'exemple utilisé, on peut

remplacer l'ensemble indéterminé xi par l'ensemble des entiers, et R par la relation « plus petit que H, on dira que l'ensemble des entiers possède une structure d'ordre total.

b — Homomorphisme. Une application d'un ensemble E sur un ensemble F est un homomorphisme, si l'image du résultat d'une opération de deux éléments de E est le résultat obtenu en effectuant sur les images de ces éléments l'opération qui dans F est l'image de l'opération considérée dans E. L'homo-morphisme entraîne l'identité de structure au sens précédent, et réciproquement tous les ensembles ayant même structure sont susceptibles d'être reliés par un homomorphisme. Comme une structure est strictement déterminée par les axiomes définissant les propriétés formelles de ses relations ou opérations, on voit facilement comment on passe de là à l'idée qu'une structure mathématique est une axiomatique, permettant d'opérer des homomorphismes : par rapport à la structure, tous les ensembles homomorphes (on les appelle interprétation ou modèle de la structure) sont équivalents.

2 — La structure-système

a — On nomme système tout ensemble d'objets tel qu'on ne puisse définir la fonction ou les variations de l'un d'entre eux indépendamment de celles des autres (ex. : le vivant forme avec son milieu un système).

b — Il est clair que dans un système, la totalité prime sur les éléments, que les propriétés par lesquelles on définit chacun d'entre eux en tant seulement qu'ils appartiennent au système sont tributaires de leurs relations, et que le système ne saurait être la somme de ses éléments. Si on ne tient pas compte des caractères concrets de ses éléments, il est parfois possible de définir un système par un ensemble de relations, elles-mêmes définies en termes abstraits : la description d'un système est alors une structure au sens précédent.

3 — La structure-modèle (2) On nomrnesmodèle :

a — des constructions mathématiques destinées à rendre compte des variations d'un système ; ces constructions supposent l'établissement de corrélations entre des variables, et par conséquent des hypothèses sur la nature du système (ex. : l'économie politique construit des modèles de marché à concurrence parfaite, c'est-à-dire après avoir établi les variables caractéristiques d'un marché, leurs corrélations générales, définit les corrélations particulières qui caracté­risent la concurrence parfaite ; de là si on dispose de la valeur numérique de certaines variables, on peut calculer celle des autres) ;

b — la définition d'un système, dans les termes exposés dans 2 b ;

c — des constructions techniques destinées à représenter le fonctionnement d'un système (ex. : construction de

maquettes aéronautiques qu'on étudie en soufflerie) ;

d — des constructions symboliques destinées à représenter trait pour trait un système réel et son fonctionnement (ex. : tableau de contrôle d'un aiguillage ferroviaire) ;

e — un automate destiné à simuler le fonctionnement d'un système, ou une conduite (ex. : celle du joueur d'échecs).

En tous ces sens, un modèle peut être qualifié de « struc­ture « ; aux sens (a), (b), (e), par analogie avec la définition mathématique, aux sens (c) et (d) par analogie avec le sens traditionnel de forme, quoique ce puisse être aussi par le biais de la structure-systeme. On remarquera cependant que lorsque Chomsky critique le structuralisme linguistique, ou Dan Sperber (3) le structuralisme anthropologique, c'est pour proposer des modèles au sens (e) qui en outre peuvent être définis en termes de modèle au sens (a) (voir machine). Il faut distinguer en fait un usage plus ou moins généralisé du mot « structure «, et une tentative d'élaboration propre à la méthode structurale.

2.    Qu'est-ce que la méthode structurale ?

Depuis la fin du XIXe siècle, les sciences et particulièrement les sciences humaines utilisent la notion de structure, surtout par référence à l'image biologique d'organisation articulée d'un tout ; ainsi lorsqu'on parle de structure de la perception, on veut dire simplement qu'il y a datas le fait de percevoir une forme irréductible aux éléments perçus. On peut dire cependant que la méthode structurale est née avec la linguistique lorsque Saussure reconnaît que la langue est une structure-système (sens 2 a) dont la description ne saurait coïncider avec celle de ses éléments concrets. Dès lors la méthode structurale d'analyse du langage se donne pour but non le recensement des éléments empiriques, mais la construction d'éléments abstraits obtenus à partir d'un ensemble de relations distribuant par classes d'équivalences les éléments concrets correspondant aux propriétés qu'elle assigne : ainsi l'opposition du son b de bas et du son p de pas permet à la phonologie de montrer l'existence de deux entités abstraites, les phonèmes b et p dont l'un correspond à la propriété d'être sourd et l'autre sonore. En remarquant la possibilité de décrire les relations des structures systèmes au sens (2 a) sous forme de structure-système au sens (2 b), on passe facilement de là à l'idée d'une structure analogue à la structure mathématique : c'est pourquoi le linguiste Hjelmslev définit la linguistique comme une « algèbre « du langage.

La description d'une structure peut être conçue comme la construction d'un modèle abstrait, non manifeste dans l'objet empirique étudié (c'est-à-dire inconscient), indépendant de la réalité concrète de cet objet, et par conséquent susceptible

de permettre des homomorphismes entre divers ensembles concrets. C'est ainsi que Lévi-Strauss conçoit la tâche de l'anthropologie structurale comme construction de modèles généraux valables pour plusieurs objets, et qu'il entend par là « mathématiser « les sciences humaines. Bien souvent on parle de structure là où il est simplement possible de faire correspondre un modèle au sens (d) à un ensemble d'éléments concrets (4). 11 est toujours difficile de voir de quel concept de modèle ou de structure parlent les auteurs. Lévi-Strauss se réfère explicitement au modèle au sens (a) qui est utilisé en économie politique, en sociologie (5) et parfois en physique. Mais en fait, lorsqu'il décrit le système des mariages chez les Arandas comme un ensemble de règles de permutations définissables sur quatre groupes, qu'une alter­nance de générations répartit en huit classes, il utilise un modèle au seps (b). La différence entre les deux types de modèles est que le second pour mathématiqùe qu'il soit ne met en jeu aucune relation quantitative, aucune fonction numérique.

En général, les auteurs se réclamant du « structuralisme « : 1— n'utilisent pas de modèles au sens (a) ;

2 — affirment que les éléments du modèle n'existent pas hors du modèle ;

3 — concluent de là que ces éléments n'ont d'autres propriétés que celles qui leur assignent leurs relations, et que par conséquent la « structure « n'est qu'un ensemble de relations différenciant ses éléments (6).

Les éléments en tant qu'on les considère comme appartenant à une structure-système n'ont de propriétés que dans la mesure où ils ont entre eux des relations ; cela pourtant ne signifie pas que l'on puisse définir des propriétés à partir de relations, mais qu'à partir de certaines relations et certaines propriétés, on puisse construire certaines classes de propriétés, par lesquelles on entend définir certains êtres abstraits (7).

3.  Qu'est-ce que le structuralisme?

On peut dire grossièrement que le structuralisme est la supposition de la réalité de la structure au sens ambigu que l'on vient de définir ; cette réalité, elle la tient non d'être conçue comme une chose qui apparaît à la perception, mais de ce qu'étant organisation abstraite, elle eàt cependant toujours logiquement antérieure à ses manifestations. L'origine du structuralisme n'est pas distincte de celle de la méthode structurale. Lorsque Saussure définit la langue comme un système, il veut dire à la fois que les éléments linguistiques ne préexistent pas à la langue où on les rencontre, que ce qui les détermine c'est leurs différences, que la linguistique doit avoir pour objet ,non la description empirique des mots et des sons, mais l'établissement de cet abstrait qu'est le système, et que, par conséquent, c'est de ce

dernier non seulement que la science tire sa valeur expli­cative, mais encore le réel sa nature. C'est pourquoi le structuralisme est amené à mettre l'accent sur trois points :

1 — Puisque la structure est un abstrait (8), les éléments concrets n'ont aucune importance ; par conséquent la signifi­cation qu'ils peuvent revêtir non plus : c'est pourquoi par

exemple Lévi-Strauss étudie les mythes sans se préoccuper de leur sens, ou de la civilisation dans laquelle on les rencontre.

2 — Il y a une causalité de la structure ou causalité structu­rale ; la structure est présente dans ses effets, tout en n'y étant pas (puisqu'aucun ne la comprend) ; la causalité struc­turale est l'efficace d'une absence (Althusser).

3 — Le sujet humain n'est pas une instance explicative pour la science structurale, puisqu'il n'y saurait être une cause ; tout au plus peut-il être représenté dans l'ordre signifiant de la structure, comme une absence ou un manque (Lacan).

·        La nouveauté du structuralisme est d'être une philo­sophie sans sujet ; en affirmant la priorité de l'universel ou

de la loi sur l'individuel (qu'il s'agisse du sujet ou des objets réels), il apparaît comme un renouveau du platonisme face à l'empirisme de la philosophie analytique ou du positivisme logique. Se posent alors tous les vieux problèmes : où existe la structure ? Est-ce dans l'esprit humain (Lévi-Strauss), dans le savoir (Foucault), dans l'histoire (Althusser), dans la matérialité du langage de l'inconscient (Lacan) ? Les structures sont-elles des essences indépassables données une fois pour toutes comme autant de possibles à réaliser (Lévi-Strauss), ou des données historiques ? Dans ce cas, le passage d'une structure à une autre est-il incompréhensible, faute de pouvoir sortir d'une causalité structurale circulaire

(Foucault), ou doit-il s'expliquer par la dominance d'une structure sur les autres structures (en l'occurrence la

structure économique), solution par où Althusser entend lier Marx à ce nouveau platonisme.

1.Le lecteur aura reconnu en R la relation notée « < « et lue « précède «.

2.L'usage logique de ce concept (cf. l'emploi du mot supra) qu'on' trouvera défini dans le Vocabulaire, n'est pas ici en question. Cf. Badiou, Le concept de modèle, 1969.

3.Cf. O. Ducrot,D. Sperber, M. Safouan, F. Wahl, Qu'est-ce que lé structuralisme? , 1968.

4. Cf. R. Barthes, Éléments de sémiologie, 1964, « Le projet

même de toute activité structuraliste est de construire un simu‑

lacre des objets observés «.     •

5.  Cf. R. Boudon, A quoi sert la notion de structure ? , 1968.

6.  Voir Derrida.

7.  Le succès de la phonologie provient de l'application de la méthode structurale à un domaine dont on connaît les propriétés, les sons définis physiquement • si, de nos jours, il ne semble pas qu'existe vraiment une sémantique structurale, c'est sans doute parce qu'on ne dispose pas d'un ensemble de propriétés analogues concernant le sens.

8. Par là on ne veut pas dire qu'elle est une forme, cf. Lévi-Strauss : « La forme se définit par opposition à un contenu qui lui est extérieur ; mais la structure n a pas de contenu : elle est le contenu même appréhendé dans une construction logique conçue comme propriété du réel. «

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