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L'etre et le devenir

Publié le 08/12/2013

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L'opposition d'Aristote à la théorie des Idées de Platon Charles Renouvier En leur besoin intellectuel de se trouver des autorités de l'ordre rationnel, hors de l'Église, et qui pourtant leur vinssent en confirmation de l'enseignement de l'Église, on sait que les docteurs chrétiens attribu�rent souvent la doctrine de la création à Aristote, qui en avait été fort éloigné. Ils ne se trompaient gu�re moins, au fond, en l'attribuant à Platon, mais au moins avaient-t-ils à se prévaloir de la formule du Timée sur la production du temps par l'Être éternel, et ils détournaient les yeux de l'opération du démiurge sur une mati�re préexistante, et du sens réel des Idées, préexistantes aussi, et indépendantes de Dieu et lui servant de mod�les. Les alexandrins, de leur côté, cherchaient la conciliation de ces deux grandes autorités: Platon et Aristote, et ce n'est plus alors en faveur de la création qu'ils imaginaient l'accord, mais de l'émanation, à la pensée de laquelle Aristote avait été résolument hostile. L'opposition fondamentale de ces deux génies, qui dominent en métaphysique l'�uvre enti�re de l'antiquité, du moyen âge et même, ou peu s'en faut, de notre époque, � en mettant seulement à part l'évolutionisme matérialiste, troisi�me forme dont l'équivalent antique est le stoïcisme, � cette opposition ne peut être définitivement éclaircie, et placée sous son vrai jour que grâce aux travaux d'une critique à la fois historique et définitive dont les anciens n'avaient aucune idée. La formuler aussi clairement que possible, ce sera définir de la doctrine aristotélique tout ce qui intéresse notre sujet. Et d'abord Aristote s'est attaché tr�s spécialement à réfuter la théorie des Idées ; il avait écrit un livre expr�s, qui est perdu, mais nous avons dans les livres qui nous restent sa pensée suffisamment expliquée. Il constate, pour commencer, que Socrate, inventeur de la méthode dialectique, n'a jamais considéré les choses autrement que dans leur nature, qu'il a fait des inductions et cherché des définitions générales, mais sans jamais attribuer la réalité aux termes généraux séparés des choses. Et en effet Platon a fait par son réalisme reculer la méthode, et les conséquences ont été de grande portée et tr�s graves, pour la théologie et pour la morale, de la prééminence accordée à l'universel abstrait sur le réel vivant. Les principaux arguments d'Aristote contre l'existence des Idées sont les suivants. Le partisan des Idées, dit-il, fait comme celui qui multiplierait les êtres afin de les mieux compter ; on ne se reconnaît plus dans cette multiplication arbitraire, chaque chose, chaque attribut d'une chose, sensible ou non, réclamant l'inutile supplément de son homonyme, et les choses relatives, les choses négatives, celles qui n'existent plus, élevant, qu'on le veuille ou non, la même prétention. À quoi servent les Idées? Elles ne sont pas principes de changement; elles le seraient d'immobilité, plutôt. Parler d'exemplaires et de mod�les des choses, c'est pur langage poétique. Définir le rapport de la chose à l'Idée comme une participation, on ne sait ce que c'est que participer. Faute de comprendre un lien entre l'homme individuel et son Idée, il y en a qui imaginent un troisi�me homme, qui tient des deux pour les unir ! Enfin, il ne suffit pas de dire que les Idées sont les causes de l'être et du devenir, comme le fait Platon en son Phédon, si, outre les Idées, il n'y a pas le moteur. Au fond, les partisans des Idées négligent la recherche des causes, qui est le propre de la philosophie. Ils ne posent ni le principe actif du changement, ni celui de la finalité d'où dépend toute intelligence de la nature. Ce dernier argument montre bien à lui seul la position prise par rapport à la doctrine de Platon. Platon, dans le passage cité du Phédon, a beau parler de cause, il n'en existe à proprement parler aucune dans les Idées, ou bien il faudrait réduire le mot cause au sens de condition universelle et premi�re, d'où l'activité est exclue. C'est pour cela que les Idées, en leur descente du Bien et les unes des autres, ont dû s'expliquer à la fin par une émanation. La cause opérante n'est représentée que par le démiurge, fiction dont Aristote ne juge pas à propos de parler, et la cause finale, qui l'est également par cet être, concédé aux croyances populaires, ne peut entrer dans l'abstraction du Bien, de l'Être et de l'Un, dont l'intelligence proc�de, mais qui n'est pas l'intelligence. Quel est maintenant le syst�me qu'Aristote a construit pour remplacer celui de Platon et satisfaire à la causalité, principe qui domine tout quand il s'agit d'expliquer le monde? Aristote appelle causes quatre principes différents, dont deux seulement se rapportent d'une mani�re directe au changement, la cause efficiente et la cause finale. Contentons-nous de désigner sommairement les deux autres, qui on...

« populaires, ne peut entrer dans l'abstraction du Bien, de l'Être et de l'Un, dont l'intelligence procède, mais qui n'est pas l'intelligence.

Quel est maintenant le système qu'Aristote a construit pour remplacer celui de Platon et satisfaire à la causalité, principe qui domine tout quand il s'agit d'expliquer le monde?c Aristote appelle causes quatre principes différents, dont deux seulement se rapportent d'une manière directe au changement, la cause efficiente et la cause finale.

Contentons-nous de désigner sommairement les deux autres, qui ont fourni longtemps d'utiles généralisations des lois des phénomènes, mais dont la fondation des sciences naturelles et physiques a retiré tout intérêt pour la philosophie moderne.

Ce sont la cause matérielle et la cause formelle: la première représentait le concept de substance, mais avec une sorte d'abstraction, comme ce qui est virtuellement propre à revêtir toutes les formes, mais, de soi, n'en affecte aucune; tandis que la seconde, soutenant avec l'autre un rapport pareil à celui que l'acte soutient avec la puissance, réunissait sous un commun concept toutes les formes ou qualités que la matière peut prendre en ses changements.f Partant de sa critique de la théorie platonicienne des Idées et de la théorie pythagoricienne des nombres, très florissante dans l'école de Platon et à laquelle il reprochait un semblable abus des abstractions réalisées, Aristote prenait les réalités dans le monde de l'expérience et chez les individus, êtres véritables, dont les Idées n'expriment que des propriétés plus ou moins générales, des genres à différents degrés, mais inséparables, sans existence propre, ou des relations qui ne sauraient non plus exister sans leurs sujets.

Les causes efficientes devant être considérées, comme les individus eux-mêmes, dans la nature où elles se produisent, le philosophe remontait de causes en causes, comme de parents à parents, et de même, dans les autres phénomènes, de mouvements à mouvements, selon qu'on en observe les effets, et ne voyait pas de terme à cette régression.

Il posait donc le monde éternel, ainsi que Démocrite, mais ici on doit faire une distinction importante sur la manière d'entendre ce procès à l'infini des phénomènes.

Seule elle jette un jour très nécessaire sur la doctrine originale d'Aristote relativement à la cause suprême.r Les philosophes qui admettent le procès à l'infini dans la régression sont presque toujours ceux qui entendent par là non seulement rejeter toute idée d'un commencement absolu des phénomènes, mais aussi d'une cause première de laquelle ils dépendraient tous.

C'est le cas des purs atomistes et des auteurs de systèmes dits de la Nature.

Mais Aristote qui imite ces derniers en admettant, l'éternité du changement, œ et qui tombe par là, sans s'en apercevoir, dans la contradiction du nombre infini réalisé: à savoir le nombre des phénomènes actuellement écoulés, œ Aristote veut qu'en même temps qu'ils se produisent éternellement, les phénomènes soient éternellement rattachés à une cause suprême immuable, indéfectible.

Il n'admet pas le procès à l'infini qui supprime cette cause.

C'est celui-là qu'il combat.c De là viennent les principes théistes par lesquels il s'oppose aussi énergiquement que Platon lui-même, et plus sûrement, parce qu'il n'admet point d'antique chaos qu'un dieu fictif ait eu à débrouiller, aux systèmes évolutionistes qui font procéder le monde du moins au plus, de l'inférieur au supérieur.

Il affirme que le meilleur est le premier, que l'acte précède la puissance, et que l'être accompli est antérieur à sa semence.

Toutefois cette doctrine n'empêche point Aristote d'admettre un progrès de la nature.

Il personnifie la nature, en un sens, non comme douée de volonté, mais comme mue par le désir, vers une fin qui est le meilleur.

Elle réalise cette fin autant qu'elle est possible, ou qu'il n'existe pas de nécessité contraire, c'est-à-dire de manière inévitable d'être ou de devenir des choses ; et non point sans accident non plus, car la nature, ainsi que l'art, manque parfois son but, mais de mieux en mieux, pour réaliser un ordre croissant, selon des règles fixes, ou remédier aux déchets et aux déviations.

C'est, on le voit, la conception d'un monde régi par des lois, mais dans lequel le philosophe. »

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