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A quoi sert l'oeuvre littéraire ?

Publié le 31/01/2011

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Partagez-vous l'opinion de Théophile Gautier dans la Préface de Mademoiselle de Maupin (1836) :41 n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature.«

Commentez ces lignes de Th. Gautier dans sa Préface à ses Poésies (oct. 1832) :«En général, dès qu'une chose devient utile, elle cesse d'être belle. Elle rentre dans la vie positive ; de poésie, elle devient prose ; de libre, esclave. Tout l'art est là. L'art, c'est la liberté, le luxe, l'efflorescence ; c'est l'épanouissement de l'âme dans l'oisiveté.«

Victor Hugo écrit en 1834 dans Littérature et Philosophie mêlées :«L'art doit avoir sans cesse présente... la pensée du temps où nous vivons, la responsabilité qu'il encourt, la règle que la foule demande et attend de partout, la pente des idées et des événements sur laquelle notre époque est lancée... L'art d'à présent ne doit plus chercher seulement le beau, mais le bien. Ce n'est pas d'ailleurs que nous soyons le moins du monde partisan de l'utilité directe de l'art, théorie puérile émise dans ces derniers temps (par les Saint-Simoniens)... Il faut, après tout, que l'art soit son propre but à lui-même, et qu'il enseigne, qu'il moralise, qu'il civilise et qu'il édifie chemin faisant, sans se détourner, et tout en allant devant lui.« En 1864, dans William Shakespeare, le poète reprend :«L'art pour l'art peut être beau, mais l'art pour le progrès est plus beau encore. Le génie n'est pas fait pour le génie, il est fait pour l'homme... Quelques purs amants de l'art, émus d'une préoccupation qui, du reste, a sa dignité et sa noblesse, écartent cette formule : l'art pour le progrès, le beau utile, craignant que l'utile ne déforme le beau. Ils se trompent. L'utile, loin de circonscrire le sublime, le grandit... Aide des forts aux faibles, aide des grands aux petits, aide des libres aux enchaînés, aide des penseurs aux ignorants, aide du solitaire aux multitudes, telle est la loi, depuis Isaïe jusqu'à Voltaire. Qui ne suit pas cette loi peut être un génie, mais n'est qu'un génie de luxe. En ne maniant point les choses de la terre, il croit s'épurer, il s'annule. Il est le raffiné, il est le délicat, il est peut-être l'exquis, il n'est pas le grand.« Que pensez-vous de ces idées et quelle formule vous paraît avoir été la plus féconde pour nos lettres ? (CAPES, Lettres classiques, Hommes, 1943.)

«La littérature n'incarne peut-être pas, comme l'a dit avec optimisme un observateur étranger, «la civilisation elle-même« ; mais elle l'exprime, en en témoignant, ce qui est déjà beaucoup, et qui explique, justifie le dévouement de ceux qui s'y sont donnés tout entiers de préférence à tout autre choix. Témoigner de l'homme est sa noblesse et sa raison d'être, jusqu'à avoir quelquefois à en témoigner dans ses parties basses.« Vous qui, cette année, avez pris contact avec quelques œuvres françaises typiques de siècles différents, que pensez-vous de cette opinion exprimée naguère par le critique Emile Henriot ?

Dans la présentation de sa revue Les Temps modernes, J.-P. Sartre écrivait en 1945 :«Pour nous, l'écrivain n'est ni Vestale, ni Ariel : il est «dans le coup« quoi qu'il fasse, marqué, compromis, jusque dans sa plus lointaine retraite... L'écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi.« Et, en 1947, dans son important essai Qu'est-ce que la littérature ?J.-P. Sartre reprend :« L'écrivain «engagé« sait que la parole est action : il sait que dévoiler c'est changer et qu'on ne peut dévoiler qu'en projetant de changer. Il a abandonné le rêve impossible de faire une peinture impartiale de la Société et de la condition humaine... Il sait qu'il est l'homme qui nomme ce qui n'a pas encore été nommé ou ce qui n'ose dire son nom... L'écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l'homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l'objet ainsi mis à nu leur entière responsabilité.« Vous expliquerez et discuterez cette conception de la littérature.

Que pensez-vous de cette opinion de Michel Butor sur l'engagement : «Chaque fois qu'il y a oeuvre originale, invention, si gratuite qu'elle puisse nous sembler au premier abord, il y a peu à peu nécessité pour nous d'aménager à partir d'elle le monde dont nous faisons partie. Toute oeuvre est engagée, même la plus routinière, toute activité de l'esprit étant fonction dans une société ; plus elle est profondément inventive et plus elle oblige à un changement. Le monde produit progressivement sa propre critique et s'invente en nous difficilement.« (Répertoire III, Éd. de Minuit, 1968.)

Madame de Staël écrivait en 1800 dans son ouvrage De la Littérature :«Une progression constante dans les idées, un but d'utilité doit se faire sentir dans tous les ouvrages d'imagination. On ne met plus d'intérêt aux difficultés vaincues, lorsqu'elles ne font avancer en rien l'esprit humain [...]. Les romans, la poésie, les pièces dramatiques, et tous les écrits qui semblent n'avoir pour objet que d'intéresser, ne peuvent atteindre à cet objet même qu'en remplissant un but philosophique.« En un style inégal, ces lignes expriment une conception élevée et positive de la fonction littéraire. Jacques Copeau, dans un article où il vise les pièces à thèse en faveur vers 1900, définit ou suggère autrement ce qu'il attend d'un grand écrivain :«Le grand art«, dit-il, n'est pas «de faire penser... comme fait penser M. Brieux avec Maternité, M. Donnay avec Le Retour de Jérusalem et L'Escalade, M. Capus avec Notre Jeunesse, comme faisait penser Dumas fils [...]. Le grand art, c'est peindre naïvement les ressemblances, un tableau tout simplement, comme Le Misanthrope. C'est faire rêver en évoquant, en suggérant la vie multiple et mystérieuse, tirer des choses et des êtres leur chant profond, ne point boucher la perspective du monde par un lourd jugement [...], savoir, si je puis ainsi dire, manquer d'idées, manquer d'esprit, - et voir...« (L'Ermitage, 15 février 1905.) Confrontez, précisez, discutez ces idées. N. B. - Les candidats ne sont pas tenus de se référer aux auteurs et aux ouvrages que cite, à titre d'exemples, Jacques Copeau. Ils ont toute liberté de choix. Les points de suspension entre crochets [...] signalent une coupure les simples points de suspension... sont la ponctuation de l'auteur.

Que penser de cette phrase de Paul Valéry (Œuvres, Pléiade, tome II, p. 567 Gallimard) :«La littérature oscille entre l'amusement, l'enseignement, la prédication ou propagande, l'exercice de soi-même, l'excitation des autres.« (CAPET, Section F, toutes langues vivantes.)

Commentez et s'il y a lieu discutez, en vous appuyant sur vos connaissances, ces lignes de René Wellek et Austin Warren dans La Théorie littéraire (1948, traduction française de Jean-Pierre Audigier et Jean Gattegno, col. «Poétique«, 1971, Le Seuil) : «Lorsqu'une œuvre littéraire fonctionne de manière satisfaisante, les deux «notes«,«plaisir« et «utilité«, doivent non seulement coexister mais se fondre en une seule. Le plaisir de la littérature, il faut l'affirmer nettement, n'est pas le préféré d'une longue liste de plaisirs possibles, c'est un plaisir «plus élevé« parce que lié à une activité plus élevée, en l'occurrence à la contemplation gratuite. Et l'utilité, le caractère sérieux et instructif de la littérature, constitue un sérieux agréable : il n'est pas le sérieux d'un devoir à accomplir, d'une leçon à apprendre, mais un sérieux esthétique, un sérieux de la perception.«

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