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Agrippa d'Aubigné: Les tragiques

Publié le 18/06/2011

Extrait du document

1.     Agrippa d’Aubigné (1552-1630)

 

Toute la vie d’Agrippa d’Aubigné est liée aux guerres de Religion qui ravagèrent la France de 1562 à 1598, et raconter sa vie revient à retracer l’histoire de cette époque troublée.

 

Un bien jeune soldat_______________________________________________________________

 

Né en 1552, dans une famille noble parisienne, et orphelin de mère à sa naissance, D’Aubigné est confié à la famille de Jeanne d’Albret, la mère de Henri de Navarre, le futur Henri IV, avec lequel il partage ses jeux. Mais sa vie d’enfant est bien courte ; en 1560, il va étudier à Paris ; là, il voit exposées les têtes décapitées des conjurés d’Amboise (le parti protestant voulait, lors de la conjuration d’Amboise, soustraire le jeune roi François II à la tutelle des Guise, chefs du parti catholique ; trahis, ils sont arrêtés et la répression est violente) ; devant ce macabre spectacle, on fait jurer à d’Aubigné, qui a huit ans, de venger ses coreligionnaires.

 

Le début de l’activité littéraire______________________________________________________

 

C’est une rencontre amoureuse qui oriente Agrippa d’Aubigné vers l’écriture : en 1571, il fait la connaissance de Diane Salviati, la nièce de l’inspiratrice de Ronsard. Pour elle, il compose des sonnets et des odes réunis dans Le Printemps, recueil qui continue la mode pétrarquisante de la Pléiade.

 

En 1572, D’Aubigné est à Paris, lorsque va éclater le massacre de la Saint-Barthélémy. Par chance, un duel l’a contraint à quitter la capitale la veille du massacre. Violemment attaqué par des catholiques en Beauce, il parvient à rejoindre Diane, gravement blessé.  Celle-ci le soigne, mais ses parents font rompre leurs fiançailles ; peut-être jugent-il qu’il est dangereux de s’allier à un protestant, peut-être aussi reprochent-ils à D’Aubigné son manque de fortune.

 

Le compagnon d’Henri de Navarre_________________________________________________

 

L’activité politique et militaire va l’aider à surmonter l’épreuve de la rupture. Henri de Navarre l’appelle auprès de lui comme écuyer, en 1573. Lorsque ce dernier prend la tête des troupes protestantes, D’Aubigné est à ses côtés.

 

En 1577, il choisit la retraite, car il est blessé dans une bataille ; d’autre part, il est plus ou moins en désaccord avec Henri de Navarre, qui admet dans son entourage quelques catholiques modérés. Il quitte alors le service de son prince, et commence une première ébauche de son œuvre majeure, Les Tragiques, long poème consacré aux malheurs des protestants. C’est aussi dans cette retraite qu’il rencontre Suzanne de Lezay, qui ne deviendra sa femme qu’en 1583. Car, dès 1579, Henri de Navarre le rappelle auprès de lui, et il est à nouveau sur les champs de bataille, un chargé de missions diplomatiques.

 

Au cœur des conflits_______________________________________________________________

 

Les combats vont se poursuivre, mais ils seront de plus en plus douloureux pour D’Aubigné. D’abord, en 1585, il est laissé pour mort sur un champ de bataille. A peine remis, il recommence à combattre aux côtés d’Henri de Navarre, mais la tension monte entre les deux compagnons d’armes : il supporte mal la réconciliation d’Henri III et d’Henri de Navarre, en 1589.

 

Lorsque, pour des raisons politiques, Henri de Navarre abandonne la foi protestante pour devenir roi de France, D’Aubigné ressent ce geste comme une véritable trahison envers la cause qu’ils ont défendue depuis si longtemps, et il quitte la Cour. Henri IV l’invite à présider les tournois offerts pour le baptême de ses enfants, en 1606, mais il se récuse. L’année suivante, il met son énergie à faire échouer une réconciliation entre les deux religions.

 

Après l’assassinat d’Henri IV, en 1610, il répond à l’appel de Condé et du parti protestant qui se soulèvent contre la régente, Marie de Médicis. Mais cette fois, la bataille est perdue : en 1616, il en sort endetté et aigri. C’est alors qu’il fait publier clandestinement la première édition des Tragiques.

 

Dans la lutte jusqu’au bout_________________________________________________________

 

Les conflits le poursuivent dans sa vie personnelle et dans sa vie d’écrivain. Il doit en 1618 se battre contre son propre fils, à qui il avait confié la lieutenance d’une des villes dont il était le gouverneur. Le père et le fils ne se réconcilieront qu’en 1624 (du mariage de ce fils va naître Françoise d’Aubigné, la future Mme de Maintenon, seconde épouse de Louis XIV). En 1620, son Histoire universelle, consacrée à l’histoire des guerres de Religion, à laquelle il travaillait depuis 1601, est condamnée à être brûlée. Enfin, pour s’être à nouveau soulevé, avec d’autres, contre Marie de Médicis, il doit s’exiler à Genève.

 

C’est là qu’il meurt, en 1630, après avoir écrit deux traités, le Traité sur les guerres civiles et Du devoir des rois et des sujets. Son Histoire universelle peut enfin paraître, en 1623, ainsi qu’une seconde édition des Tragiques.

 

  Les Tragiques

Les Tragiques sont divisés en sept chants. Le premier, Misères, est consacré aux misères de la France déchirée par les guerres civiles. Au début de ce chant, D’Aubigné justifie son projet littéraire : les événements lui font abandonner la poésie profane et légère pour une poésie grave et tragique.

 

  « Je n’écris plus les feux d’un amour inconnu « (vers 55-96, « Misères «)

 

COMMENTAIRE

 

1.     Analyser la progression du texte : par quelles images D’Aubigné passe-t-il d’une inspiration poétique légère à une inspiration tragique ?

2.    Le texte est bâti sur la métaphore d’un spectacle de théâtre : remarquer comme se crée une ambiance sonore, se dessine un décor, une mise en scène, un premier personnage.

3.    Etudier l’entrée en scène de Melpomène et ses paroles : relever les détails qui font de ce personnage le symbole des malheurs de la France.

 

 

 

Présentation du texte

Agrippa d’Aubigné a commencé sa carrière poétique en composant vers 1570 un recueil, Le Printemps. Ce recueil comprend des Odes, des Stances, et cent sonnets consacrés à Diane Salviati, écrits dans la tradition des sonnets de Ronsard ; le poète utilise les images attendues de la sensualité mais travaille aussi dans la perspective plus originale de la guerre, métaphore de l’amour, et du sacrifice offert de la femme aimée (le titre rassemblant les sonnets de L’Hécatombe à Diane ; en grec, une hécatombe est un sacrifice de cent bœufs).

Après cette poésie dans la tradition de Pétrarque et de Ronsard, on comprend pourquoi d’Aubigné, en ouvrant sa grande œuvre Les Tragiques, éprouve le besoin d’expliquer le changement qui s’est opéré dans son inspiration : l’actualité force le poète à remplacer la poésie amoureuse par la dénonciation des horreurs des guerres de religion.

 

Structure du texte

Vers 1-24 : le poète explique comment il remplace chaque élément de la poésie amoureuse par un élément de la poésie tragique.

-          vers 1-4 : annonce de l’idée générale, abandon de l’inspiration amoureuse ;

-          vers 5-10 : transformation de la source où se baignent les Muses en flots charriant les morts ;

-          vers 11-18 : transformation de la plaine de Thessalie (décor de la poésie grecque) en champ de bataille ;

-          vers 19-20 : transformation du luth en trompette militaire ;

-          vers 21-23 : transformation du monde de la fiction théâtrale en un monde réel d’horreur ;

-          vers 24 : transformation de la chaussure du tragédien en botte militaire.

 

Vers 25-42 : le poète fait entrer en scène le personnage de Melpomène, muse de la tragédie, et lui donne la parole.

 

Ce plan fait apparaître la reprise constante d’une idée, des vers 1 à 42 : d’Aubigné doit abandonner l’inspiration amoureuse du poète élégiaque pour adopter celle du poète tragique ; cette idée est sous-tendue par une métaphore constante, celle du théâtre : d’Aubigné, « metteur en scène « de son poème Les Tragiques, change le décor, l’ambiance sonore et visuelle, le costume, les personnages des anciens poèmes qu’il a composés.

 

I.            Annonce de l’idée générale (vers 1-4)

II.          De la poésie amoureuse à la poésie tragique (vers 5 à 23)

1.     Transformation de la source Hippocrène (vers 5-10)

2.    Transformation de la plaine de Thessalie (décor de la poésie grecque) en champ de bataille (vers 11-18).

3.    Transformation de la scène d’un théâtre en un vrai champ de bataille (vers 19-24)

III.        Début du drame (vers 25-42)

1.     Arrivée de Melpomène (vers 25-34)

2.    Les accusations de Melpomène (vers 35-42)

 

 

 

VERS L’ENTRETIEN

+ Etude des champs lexicaux (poésie, guerre…)

+ La métaphore théâtrale

+ Etude rythmique

+ Pour mémoriser un effet littéraire

 

  « Je veux peindre la France une mère affligée « (vers 97-130, « Misères «)

Ce second extrait du chant « Misères « est la suite immédiate du premier. D’Aubigné reprend la parole pour expliquer son dessein ; il se lance dans un tableau pathétique de la France, déchirée par les deux partis religieux, à travers l’image d’une mère déchirée par ses enfants.

 

COMMENTAIRE

 

1.     Un tableau violent : Au début de son chant, D’Aubigné  veut frapper le lecteur ; pour cela, il personnifie la France. Etudier les caractéristiques de cette personnification (choix des personnages, détails réalistes, mise en scène du combat, violence des paroles…).

2.    Un tableau passionné : D’Aubigné souffre des « misères « de la France et, dans ce passage et, dans ce passage, ne cache ni ses sentiments pour elle ni son opinion sur la querelle. Montrez, à travers le vocabulaire et le ton choisi, la présence de l’auteur dans son texte.

 

Présentation du texte

Ce deuxième extrait du premier chant des Tragiques, « Misères «, fait directement suite à l’extrait précédent. On retrouve donc ici les traits caractéristiques que nous avons rencontrés une première fois, auxquels s’ajoute le réalisme violent, à la limite du « bon goût « classique, dans la description du combat entre Esaü et Jacob. Sous les traits de ces deux personnages bibliques, qui se querellent parce que l’un est le préféré de Dieu, d’Aubigné personnifie le parti catholique (Esaü), agressant injustement le parti protestant (Jacob). La force de l’extrait tient dans le choix d’une troisième personnification : la France, ainsi déchirée par les guerres de Religion, apparaît sous les traits d’une mère, allaitant deux nourrissons qui s’entre-tuent réellement sur son sein, et la tuent elle-même en lui déchirant le sein.

 

I.            Un tableau violent

 

1.     La personnification

En recourant à la personnification, d’Aubigné impose au lecteur une vision extrêmement violente : le parti catholique est présenté sous les traits d’un enfant en bas âge, puisqu’il tète encore. Mais, au lieu de créer ainsi un tableau de douceur et d’innocence, le poète peint une scène d’horreur : en effet, ce jeune enfant agresse son frère jumeau, personnifiant sous les traits de Jacob le parti protestant, pour l’empêcher de recevoir lui aussi le lait maternel. La présentation traditionnelle des guerres civiles à travers l’opposition de deux frères (depuis la mythologie grecque avec le combat d’Etéocle et Polynice devant Thèbes, par exemple, jusqu’à la chanson contemporaine de Jean Ferrat consacrée à la guerre d’Espagne, « Maria avait deux enfants «) est poussée à un degré extrême d’intensité à cause du choix d’enfants nourrissons. En effet, ils se battront comme deux enfants, sans armes, mais

 

… à force de coups

D’ongles, de poings, de pieds… (vers 4-5),

 

… et les blessures ainsi reçues ainsi reçues sont dignes de ce genre de violence :

 

que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux. (vers 20)

 

Le réalisme du combat entre deux enfants nourrissons est accentué par l’objet de leur querelle, le lait maternel. La France est en effet elle-même personnifiée sous les traits d’une femme allaitant ses enfants ; mais la personnification n’est pas symbolique : le corps de la mère est effectivement  évoqué :

 

Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts

Des tétins nourriciers… (vers 3-4).

 

Au mot « tétins « répond, au vers 29, le mot « poitrine « :

 

Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine.

 

Quant au mot « sein «, il est présent au vers 25 :

 

Quand, pressant à son sein d’un amour maternel

 

- où l’on remarque l’allitération en « s « qui souligne ce mot – et au vers 32, encadré par la même allitération : « ensanglanté / Le sein «.

La France n’est donc plus simplement une mère, mais une mère allaitant ses enfants comme le montre l’insistance sur le lait et le sein nourricier. Présenté ainsi, le combat d’Esaü et de Jacob est monstrueux, puisque c’est la partie du corps maternel la plus douce, la plus tendre, et la plus symbolique qui se trouve déchirée.

 

2. Le réalisme des détails

La violence du texte est exacerbée par le réalisme des détails de la lutte : lorsque d’Aubigné exprime pour la première fois la violence de la lutte, il le fait à travers des expressions abstraites :

 

Si que, pour arracher à son frère la vie,

Il méprise la sienne et n’en a plus envie.

(vers 9-10)

 

Certes, les mots choisis ont un sens fort : arracher la vie signifie « tuer « ; mépriser sa vie signifie aller jusqu’à se sacrifier soi-même dans le combat. Cependant, Esaü et Jacob n’apparaissent pas concrètement dans ce passage. Quelques vers plus loin, le texte devient plus concret :

 

Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,

Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits. (vers 15-16)

 

L’aspect plus concret tient aux mots employés mais aussi à la qualité expressive de cette phrase, créée par la présence d’adjectifs qualifiant chaque nom : les trois notations sonores synonymes de souffrance, « soupirs, cris, pleurs «, sont renforcées par trois adjectifs soulignant l’intensité de la souffrance : « ardents, pitoyables, réchauffés « (qui redoublent) ; d’Aubigné ménage à chaque fois un écho sonore entre le nom et l’adjectif pour les associer le plus intimement et renforcer encore leur valeur expressive : « soupirs ardents «, « pitoyables cris «, « pleurs réchauffés «. Poursuivant sa description, d’Aubigné progresse vers un réalisme de plus en plus grand :

 

Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,

Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.

Leur conflit se rallume et fait si furieux

Que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux.

(vers 17-20)

 

Cette fois, les coups échangés par les combattants sont audibles au vers 18, dans l’allitération en « c « et en « ou « ; leur fureur est audible grâce à l’allitération en « f « du vers 19. Par deux fois, l’auteur emploie une subordonnée de conséquence construite sur « si … que « (vers 9-10 et 18-19) ; cette construction a l’intérêt de retarder la chute de la phrase, qui est ainsi davantage mise en valeur ; cet effet est particulièrement sensible au vers 20, lorsque le vers s’achève sur le détail réaliste de la blessure horrible.

Mais, ne reculant justement pas devant le détail le plus macabre, d’Aubigné reprend le récit de la lutte : bien que les deux enfants ne puissent plus se voir, le combat continue :

 

Elle voit les mutins tout déchirés, sanglants,

Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant.

(vers 23-24)

 

Le spectacle que regarde la mère est vraiment insoutenable, puisqu’il s’agit désormais de deux enfants mutilés, aveugles, qui continuent de se battre ; l’allitération très heurtée au début du vers 24, « Qui, ainsi que du cœur «, semble vouloir arrêter la diction du texte, la faire buter sur ce détail épouvantable.

 

3. Le jeu des sonorités

La violence du texte est sensible dans le jeu des sonorités du début du récit : les dentales « d / t « rendent audible ce combat dans lequel les enfants se déchirent comme deux bêtes, à coups de dents : « deux, des, tétins, de, d’, de, de, partage, dont, donnait, dégât, du, doux, deux « (vers 3-8).

 

On remarque en particulier l’allitération excessive du dernier vers, qui rend la diction totalement heurtée, à l’image de la violence évoquée. A la fin de l’extrait, dans les paroles de la France, on remarque à nouveau des répétitions de sonorités qui rendent plus sensible la violente condamnation ainsi proférée : « vous, avez, vous, vous, vivez, venin, votre « (vers 31-34).

 

A l’allitération en « v « que nous avons soulignée, qui semble répéter à l’envi l’accusation portée contre le « vous «, s’ajoute la répétition du mot « sang « (« ensanglanté «, « sanglante «, « sang «) pour donner une couleur macabre à ces dernières paroles. La violence est donc ici sonore, visuelle, et, bien évidemment, intellectuelle, puisque ces paroles sont proférées par une mère à l’agonie, tuée par ses enfants.

 

II.          Un tableau passionné

 

1. L’auteur présent dans le poème

L’auteur est présent dans le poème, ce qui montre que le récit n’est pas fait par un personnage distant de l’événement. D’Aubigné commence en effet l’évocation des guerres de religion en indiquant son choix d’écrivain :

 

Je veux peindre la France une mère affligée. (vers 1)

 

La présence du pronom personnel « je « mis en valeur au début de cet extrait indique la part que prend l’auteur dans la rédaction qui va suivre ; il ne présente pas son texte, en effet, comme un récit distancié, neutre, mais au contraire comme un témoignage vécu personnellement. De plus, l’auteur annonce explicitement la comparaison sur laquelle il bâtit l’ensemble du texte : celle d’une mère déchirée par la querelle de ses enfants. Cette comparaison a une valeur particulière chez d’Aubigné, qui est lui-même orphelin de mère ; le registre de l’amour maternel bafoué par des frères qui se battent est très souvent utilisé dans Les Tragiques.

 

2. Le parti pris de l’auteur

D’Aubigné prend parti dans la querelle qui oppose les deux combattants.

On le voit dans le plan de composition du poème : d’Aubigné commence par décrire Esaü (vers 2 à 10) et fait de lui, ainsi, l’attaquant, celui qui est responsable du combat. En décrivant ensuite Jacob (vers 11 à 14), il met en lumière la situation de légitime défense de celui-ci ; d’ailleurs, les mots eux-mêmes viennent corroborer ce que le plan de composition suppose :

 

Mais son Jacob, pressé d’avoir jeûné meshui,

Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui,

A la fin se défend, et sa juste colère

Rend à l’autre un combat dont le champ est la mère.

(vers 11-14)

 

Pour justifier que Jacob lui aussi se lance dans le combat, d’Aubigné donne trois détails relatifs au temps écoulé : « pressé d’avoir jeûné meshui « (aujourd’hui) éveille chez le lecteur le sentiment de la « longueur d’un jour sans pain « ; cette impression est renforcée au vers suivant par l’adverbe « longtemps «, puis au troisième vers par l’expression « A la fin «.

 

De plus, la mise en valeur du verbe « Rend « par l’enjambement entre les vers 13 et 14 permet à l’auteur d’insister une dernière fois sur la  « réaction «  du frère attaqué : après avoir résisté longtemps, il « rend «, c’est-à-dire qu’il répond aux attaques d’Esaü ; mais il n’est pas à l’origine du combat. En choisissant donc de présenter d’abord Esaü, puis Jacob, d’Aubigné prend parti entre les deux, faisant de l’un l’attaquant, de l’autre une victime en état de légitime défense.

 

On voit aussi le parti pris de l’auteur dans les adjectifs (ou les participes passés employés comme adjectifs) dont il qualifie Jacob et Esaü. Celui-ci est présenté comme un « orgueilleux « (vers 3), puis comme un « voleur acharné «, un « malheureux « (vers 7) ; le jugement de l’auteur est d’ailleurs accentué par les adjectifs démonstratifs de nuance péjorative : « Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux « :  l’auteur désigne au lecteur Esaü en le montrant ainsi deux fois du doigt. Au contraire, les expressions qualifiant Jacob sont positives : il est « pressé d’avoir jeûné « (vers 11) – le participe passé appartient à la voix passive, faisant de Jacob une victime qui subit l’action agressive de son frère – et sa colère est « juste « (vers 13). Au vers 26, à nouveau, d’Aubigné prend le parti de Jacob en le désignant par l’expression : « Celui qui a le « droit et la juste querelle. «

 

3. Le jugement de l’auteur

Il rappelle ici et là au fil de l’évocation le crime contre nature que représente la lutte des deux frères : la proposition subordonnée relative : c’est une loi de la nature que des frères jumeaux (bessons) partagent le lait maternel. D’Aubigné revient sur cette condamnation au vers 8, en parlant du lait « qui doit nourrir les deux «. On remarque dans ces deux citations l’allitération en « d «, qui martèle les vers et accentue l’effet d’insistance sur la notion essentielle du devoir : Esaü va contre la nécessité impérieuse de la nature qui veut que des jumeaux soient nourris également.

 

La condamnation du combat se lit également dans les adjectifs (ou participes passés) qui qualifient la France : au vers 1, elle est « affligée « ; les vers 21-22 insistent sur sa souffrance :

 

Cette dame éplorée, en sa douleur plus forte,

Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte.

 

Le rythme de ces vers (6//6//6//3//3), qui ménage de fortes pauses rend sensible l’épuisement douloureux de la France ; la répétition du son « pl « à la cinquième syllabe de chaque hémistiche du vers 21 (« éplorée « / « plus forte «) rend particulièrement audibles les derniers mots prononcés, qui portent tous deux l’idée de souffrance. Grâce enfin à la répétition intégrale du nom « douleur « dans deux hémistiches successifs, l’idée essentielle des deux vers est exagérément mis en valeur : c’est là qu’intervient clairement le jugement de D’Aubigné, qui force à condamner un acte responsable d’une telle douleur.

 

VERS L’ENTRETIEN

 

1.     Garnier et d’Aubigné

Robert Garnier, dans la tragédie Antigone, fait prononcer à Jocaste, mère des deux combattants, Etéocle et Polynice, un discours comparable à l’extrait de D’Aubigné : on y rencontre la même image du corps maternel offert à la mort, la même violence macabre. On pourra relever les points comparables aux deux extraits. On réfléchira sur le goût macabre de deux auteurs, qui témoigne d’une époque particulièrement horrible de notre histoire. Pour s’en convaincre, on cherchera des représentations du massacre de la Saint-Barthélémy.

 

2.    Les enjambements

Effets d’enjambement les plus significatifs : vers 3-4, mise en valeur des « tétins nourriciers « ; vers 11-14, retardement maximal de l’apparition du verbe « se défend « et mise en valeur de « rend «, deux détails niant la responsabilité de Jacob dans le combat ; vers 27-28, mise en valeur du verbe « viole «, porteur de l’idée essentielle…). De même, on relèvera les effets de ponctuation les plus expressifs (vers 2, insistance sur le complément circonstanciel de lieu «  /, entre ses bras, / « ; vers 3, mise en valeur de l’adjectif qualifiant Esaü «  / orgueilleux,/ « ; même effet au vers 31, « ,/félons, / « ; ponctuation de l’énumération au vers 5 et aux vers 15-16). A contrario, on fera relever les vers dans lesquels les vers dans lesquels le sens est contenu dans l’alexandrin, et dont la force expressive est ainsi renforcée :

-          vers 29 : « Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine « ;

-          vers 34 : « Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture «.

 

3.    Les frères ennemis

Ce texte est l’occasion de rappeler aux élèves les couples célèbres de frères qui s’entre-tuent :

-          Abel et Caïn, tradition biblique ;

-          Etéocle et Polynice, mythologie grecque ;

-          Romulus et Rémus, mythologie romaine.

 

  « L’homme n’est plus un homme « (Vers 312-360)

Abandonnant la personnification et le registre symbolique, D’Aubigné, dans la suite des « Misères «, peint concrètement les malheurs des populations civiles pendant les guerres. Nous ne citons que le début de cette description, qui reste générale ; plus loin. D’Aubigné décrit un village précis qui a subi le passage d’une armée : le texte devient insoutenable. On comparera cette description des malheurs des campagnards et celle des habitants de Paris.

 

 

 

COMMENTAIRE

 

1.     En analysant la construction du passage, montrer comment le texte progresse vers le plus horrible et le plus pathétique.

2.    Dans la première partie du texte, comment d’Aubigné rend-il l’impression d’une réalité vraie pour toutes les campagnes ?

3.    Dans la suite du passage, analyser les procédés stylistiques qui donnent de la force à la dénonciation : alliance de mots contraires, énumération, accumulation.

 

POUR UN GROUPEMENT DE TEXTES : DES ECRIVAINS FACE A LA GUERRE (1550-1600)

 

+ Discours des misères de ce temps de Ronsard

+ Antigone, Acte II, vers 678-710 de Garnier

+ Les Juives, Acte II, vers 747-796 de Garnier

+ Les Tragiques, « Misères « de D’Aubigné

+ La Satyre Ménipée, discours

+ « De la coutume et de ne changer facilement une loi reçue « de Montaigne

+ Commentaires de Montluc

 

  La Satyre Ménippée

En 1593, on réunit les Etats généraux du royaume, c’est-à-dire l’assemblée des représentants des familles nobles, de l’Eglise et des villes, pour faire accepter à tous l’accession au trône du protestant Henri de Navarre (il est héritier du trône depuis 1589, mais ne sera sacré roi qu’en 1594). Sitôt après cette réunion paraît une œuvre anonyme, la Satyre Ménippée. Elle se présente comme un compte rendu des discours qui ont été prononcés aux Etats généraux, mais tous les discours ont été réécrits. L’année suivante, une autre version du même texte, plus étoffée, plus travaillée sur le plan littéraire, voit le jour, toujours sans nom d’auteur. En réalité, l’esprit du texte et son écriture nous renseignent suffisamment sur les gens qui ont participé à sa rédaction.

Leur but est de présenter une certaine analyse des conflits politiques des dernières années : il faut accuser la famille de Lorraine qui est à la tête des catholiques ultras ; il faut démontrer qu’ils sont responsables, eux, et les étrangers avec lesquels ils sont liés, de tous les malheurs du pays ; il faut enfin rendre évident que l’accession au trône d’Henri de Navarre est la seule solution naturelle, logique et efficace, pour mettre fin aux conflits de succession.

Les auteurs sont donc des partisans du roi Henri IV faisant œuvre de propagande à travers ce faux compte rendu. A partir des discours qui ont réellement été prononcés, ils en inventent d’autres, récrivant des passages, ajoutant ici et là ce qui leur sert de démonstration. La Satyre Ménippée est donc un faux compte rendu qui prouve combien l’écriture littéraire peut servir d’outil de propagande politique.

Le septième discours fictif de l’œuvre est à lui seul aussi long que les six premiers. Après avoir critiqué, accusé, fait rire de leurs ennemis, les auteurs prêtent à Monsieur D’Aubray, porte parole du tiers état aux états généraux, un discours très sérieux. Dans  la réalité, D’Aubray est le chef du parti des politiques, des catholiques modérés qui cherchent un accord avec les protestants pour pouvoir instaurer la paix dans le royaume. C’est à la fois le discours du bon sens et du patriotisme qui s’exprime ici : il est temps d’en venir à une paix qui garantisse la prospérité des individus grâce à un roi français « naturel « et non « fabriqué « pour servir les intérêts de telle ou telle famille.

D’Aubray lance un vibrant appel à Paris, pour lui rappeler ses fautes envers le roi Henri III, qu’elle a chassé et laissé assassiner. Le tableau pathétique des misères de Paris répond à l’évocation que fait D’Aubigné des malheurs des populations civiles. Enfin, les appels qui terminent ce texte : « Où sont les princes de sang «, « Où sont les pairs de France «, cherchent à rappeler les responsabilités de l’Etat à leur devoir : ils ont cessé d’exister en se dressant contre l’héritier du trône et en servant les intérêts de l’étranger. Ils peuvent retrouver leur place dans l’Etat en servant Henri de Navarre.

 

COMMENTAIRE

 

1.     Faites le plan du passage et repérez les différents domaines évoqués par D’Aubray.

2.    Quelles sont les marques du discours ? Qui  parle ? A qui s’adresse le texte ? En répondant à ces deux dernières questions, définissez le dessein de ce discours.

3.    Quels sont les sentiments que D’Aubray veut éveiller chez l’auditeur ou le lecteur ? Analysez les procédés rhétoriques utilisés à cette fin.

 

LECTURE METHODIQUE

 

Présentation du texte

 

I.            Le choix de la nature des phrases

1.     Interrogations et exclamations non mêlées

2.    Alternance d’interrogations et d’exclamations

3.    Les deux seules phrases affirmatives du paragraphe se trouvent par là-même mises en valeur à cause de leur caractère exceptionnel.

 

II.          Le choix des rythmes

1.     Le rythme global de chaque phrase

2.    Le rythme binaire et le rythme ternaire à l’intérieur des phrases

 

III.        Le mode d’enchaînement des phrases

1.     La parataxe

2.    Les anaphores

3.    Le renchérissement

 

VERS L’ENTRETIEN

+ Personnification, accumulation, métaphore, exagération

+ Antigone, Les Tragiques, La Satyre Ménippée

 

  « Ainsi Abel offrait en pure conscience « (« Vengeances «, vers 178-222)

Le chant VI des Tragiques, « Vengeances «, rappelle les châtiments divins qui se sont toujours abattus sur les criminels ; il sous-entend ainsi ceux qui s’abattront un jour sur les catholiques responsables des horreurs racontées dans les deux chants précédents. D’Aubigné choisit dans la Bible le symbole le plus parlant des meurtriers poursuivis par le remords, qui rend la vie terrestre insupportable, celle de Caïn, meurtrier de son frère Abel. L’inspiration biblique et le ton épique annoncent le vers de Victor Hugo, consacrés au même thème.

 

COMMENTAIRE

 

1.     Etudier le plan du passage ; montrez en les articulations et la façon dont certains vers servent d’introduction à d’autres.

2.    Repérer les vers qui, selon vous, expriment le mieux tel ou tel trait de Caïn, tel aspect de son destin ; une fois ces vers repérés, chercher sur quoi peut se fonder votre impression (effets rythmiques, allitérations, répétitions ou oppositions…)

3.    Les derniers vers vous semblent-ils en accord avec ce qui précède ?

 

Présentation du texte

L’histoire d’Abel tué par son frère Caïn est empruntée à la Bible : le chapitre 4 de la Genèse raconte que Caïn, irrité de voir Dieu faire bon accueil au sacrifice que lui présentait Abel, alors qu’il n’agréait pas son propre sacrifice, tua son propre frère. Dieu maudit alors Caïn, en le condamnant à errer sur la terre loin des contrées fertiles ; il le marque d’un signe distinctif, afin que nul ne tue Caïn et que sa souffrance soit sans fin. On trouve dans le texte biblique des expressions qui ont fortement inspiré d’Aubigné : « Ecoute le sang de ton frère crier vers moi du sol !  Maintenant sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère «, dit Dieu à Caïn.

 

Dans le contexte des guerres de Religion, l’histoire biblique prend une dimension particulière : cette histoire du cadet préféré à l’aîné peut être lue comme un symbole de l’Eglise protestante, « cadette « de l’Eglise catholique car née après elle ; comme Abel, l’Eglise protestante est la préférée de Dieu ; jalouse de cette situation, l’Eglise catholique, comme Caïn, tue sa cadette. C’est au moins sous cet angle que d’Aubigné, lui-même protestant, présente les guerres de Religion : un affrontement meurtrier entre des frères, qui se repaissent du sang fraternel.

 

Insérée dans le livre VI des Tragiques, « Vengeances «, l’histoire d’Abel et de Caïn est là pour rappeler le châtiment qui s’abat sur les ennemis de Dieu ; à l’image de Caïn, les meurtriers de la fin du XVI e siècle, clairement mis en accusation à la fin du texte, subiront le châtiment divin pour leurs crimes contre leurs frères protestants.

 

L’intérêt du passage ne peut résider dans son thème, puisque tout lecteur connaît l’histoire de Caïn et d’Abel : par contre, il peut résider dans la mise en scène des personnages, dans celle de la douleur de Caïn, dans l’intensité donnée à celle-ci. A cette fin, d’Aubigné utilise quasi constamment des répétitions de vocabulaire, pour donner plus de force aux notions majeures ; il les souligne, d’autre part,  par des effets de répétitions sonores (allitérations, harmonies imitatives) et de répétitions rythmiques (constructions  parallèles, chiasmes, effets de coupe).

 

 

 

Structure du texte

. vers 1-7 : récit au passé du meurtre d’Abel.

. vers 8-38 : évocation du sort de Caïn après le meurtre.

. vers 39-44 : adresse de l’auteur à ses contemporains, tirant la morale du texte. Dans les vers 8 à 38, d’Aubigné alterne des phrases au passé (imparfait et passé simple) avec des phrases au présent de narration ; on peut, en suivant cette répartition, délimiter ainsi les sous-ensembles suivants :

-          vers 8-9 : au présent, évocation a-temporelle dans l’horreur du fratricide ;

-          vers 10-19 : au passé, peur de Caïn et impossibilité de trouver un abri ;

-          vers 20 : au présent, jugement a-temporel sur le meurtre ;

-          vers 21-30 : au passé, description de la vie quotidienne de Caïn ;

-          vers 31-32 : au présent, situation a-temporelle d’un désespéré ;

-          vers 33-38 : au passé, évocation de la situation désespérée de Caïn.

 

Ainsi, les derniers vers 39 à 44 qui tirent une leçon du meurtre d’Abel pour les contemporains de l’auteur sont préparés, et annoncés régulièrement, par ces phrases écrites au présent de vérité générale qui ponctuent l’évocation du sort de Caïn.

 

 I. Le meurtre d’Abel

1.     Les vers 1 à 4

2.    Les vers 4 à 7

 

II. Le sort de Caïn

1.     Les vers 8-9

2.    Les vers 14-21

3.    Deux couples de vers remarquables (vers 23-24 et 37-38)

 

III. L’adresse aux contemporains (vers 39 à 44)

 

VERS L’ENTRETIEN

 

A.  D’Aubigné et Victor Hugo

Le texte d’Aubigné est à mettre en rapport avec le poème de Victor Hugo, inspiré du même épisode biblique : « La Conscience «, second poème de la deuxième partie de La Légende des siècles (1ère  partie : La Terre, 2e partie : D’Eve à Jésus). Le poème de Victor Hugo comprend 68 vers. Les derniers vers contiennent la métaphore de l’œil de la conscience.

Pour comparer les textes d’Aubigné et de Victor Hugo :

 

- recherche sur les thèmes communs :

a.       l’aspect de Caïn, sa pâleur, sa chevelure ;

b.       le thème de la fuite ;

c.       le thème de la peur.

- recherche sur les procédés stylistiques :

a.       mise en relief d’un adjectif par la ponctuation vers 5 ; Hugo, vers 2) ;

b.       effet de parallélisme (d’Aubigné, vers 24 ; Hugo, vers 15) ;

c.       effet de répétition (d’Aubigné, vers 28-30 ; Hugo, vers 17-18) ;

d.       relevé des allitérations en « f « dans les deux textes (fuite et fatigue).

 

B.   L’écriture baroque

Les derniers vers du texte de d’Aubigné sont tout à fait comparables avec le sonnet de Sponde, « Mais si faut-il mourir… «. On y rencontre la même image : celle de l’homme qui croit « braver « le monde, mais qui n’est que du « vent «.

 

C.   Le fratricide

L’extrait consacré au meurtre d’Abel n’est pas sans rappeler le second extrait d’Aubigné : « Je veux peindre la France… «.

 

  « Voici le grand héraut d’une étrange nouvelle « (« Jugement «, vers 765-796)

Au septième et dernier chant, « Jugement «, D’Aubigné convoque au tribunal du jugement dernier les criminels des guerres de Religion. Dans une fresque grandiose, il évoque la résurrection des corps et le retour du Christ, puis l’annonce du jugement auquel doivent comparaître toutes les nations. Dans l’extrait qui suit, D’Aubigné fait parler les éléments, qui viennent accuser ceux qui seront bientôt condamnés à une mort éternelle. Les Tragiques se terminent sur une vision extatique de l’auteur, apaisé par la damnation des persécuteurs.

 

COMMENTAIRE

 

1.     Quels sont les accusateurs dans le texte ? Au nom de qui parle l’auteur ? Quelle force donne-t-il ainsi à son texte ?

2.    Etudier tous les éléments du texte qui créent une impression de désordre et ceux qui, au contraire, créent une remise en ordre ; en quoi le texte répond-il à l’adjectif « apocalyptique « ?

3.    Quelques vers de ce passage sont heurtés et nécessitent des notes pour éclairer leur sens ; quelle intention de l’auteur peut-on deviner dans le choix de cette écriture heurtée ?

 

SYNTHESE

 

De l’épique au sacré_______________________________________________________________

 

Les Tragiques appartiennent à différents genres littéraires. L’œuvre se rapproche de l’épopée, car il y a bien récit d’ « aventures « héroïques, si ce n’est qu’à la place d’un héros personnifié, la foule des réformés martyrisés tient lieu de héros collectif. Mais l’épopée suit le déroulement chronologique des événements, alors que D’Aubigné réunit en tableaux les différents aspects de la tragédie protestante (cris de douleur et de haine devant les malheurs des réformés, mise en accusation, catalogue des martyrs, rétablissement de la justice à la fin des temps).

 

On peut aussi rapprocher l’œuvre du théâtre sacré : le titre du texte associe le poème, Les Tragiques, au mot « tragédie « ; les images du théâtre, de l’échafaud, l’usage constant du registre visuel, tout ceci rappelle le drame sacré réformé. On y déplore en effet les malheurs exemplaires d’un prince, ici, le héros collectif qui symbolise les réformés ; comme dans le théâtre sacré, qui met en scène un événement souvent inspiré de la Bible, D’Aubigné « met en scène « les événements des guerres de Religion ; ils prennent une dimension mythique grâce à de nombreuses références bibliques.

 

Mais il faut aussi reconnaître dans le texte d’autres aspects, historiques, théologiques, satiriques, lyriques, réalistes, visionnaires, qui font de cette œuvre un des meilleurs exemples de la littérature baroque.

 

 

Une écriture baroque______________________________________________________________

 

Parmi les différents aspects baroques de l’écriture, il faut retenir :

-          la violence des sentiments exprimés, à l’opposé du bon goût classique ;

-          l’élan désordonné de la composition interne des chants (cf « Misères « ;

-          la surabondance des comparaisons et des métaphores (voir « Misères «) ;

-          des effets rhétoriques constants, qui dépassent d’ailleurs une simple recherche stylistique : si D’Aubigné use souvent de l’antithèse, c’est qu’elle traduit au mieux sa vision du monde, l’opposition entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, les réformés martyrisés et les catholiques meurtriers…

D’autres effets colorent violemment l’écriture : allitérations (« fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux «), jeux de mots (« espérant sans espoir «), accumulations (« qui leur tire la vie et l’espoir et le grain «), répétitions.

 

Un texte visionnaire_______________________________________________________________

 

Pour que le drame raconté prenne une dimension nouvelle ou mythique, D’Aubigné traduit ses idées en symboles et anime de vie tous les éléments : la France, les quatre éléments, la terre et les forêts, tout éprouve des sentiments, parle ou souffre avec les hommes martyrisés.

 

Dans ce texte qui « donne à voir « au lecteur une suite de tableaux, il n’y a donc pas à proprement parler de description, mais l’ajout d’un adjectif, la présence d’un verbe donne au symbole une vie intense : « des tombeaux rafraîchis «, « sentant son frère sang «, « Caïn grinça des dents, pâlit, épouvantable… «. La capacité de D’Aubigné à rendre visuel le tableau qu’il évoque lui permet de donner une puissante vie à l’évocation du jugement dernier, usant de personnifications (les quatre éléments, la Nature, la Vie, la Mort) comme autant de personnages d’un drame prenant rapidement la parole tour à tour.

 

Un témoignage sur les horreurs du temps____________________________________________

 

Peut-on parler du goût du macabre dans Les Tragiques ? Si la cruauté de certaines scènes peut étonner le lecteur, cette cruauté n’est pas celle de l’auteur mais celle de l’horrible guerre qu’il évoque. D’Aubigné ne fait pas un choix esthétique en décidant d’évoquer le sang, la maladie, la mort, la famine, mais il porte un témoignage. Ses vers martelés sont ceux d’un homme passionné, qui veut traduire concrètement l’horreur qu’il a trop souvent rencontrée :

 

« … ou de graisses flambantes

Les corps nus tenaillés, ou les plaintes pressantes

De leurs enfants pendus par les pieds, arrachés

Du sein qu’ils empoignaient, de tétins asséchés. «

 

…, ou qui met toute sa violence à décrire le sort qu’il espère voir réserver aux responsables des massacres :

 

« Il fuit d’effroi transi, troublé, tremblant et blême. «

 

Si les allitérations de ces vers sont excessives, si le « bon goût « n’est pas toujours respecté dans l’évocation des supplices infligés aux paysans, ce n’est pas le fait d’un auteur de salon dans une époque de raison, mais celui d’un homme révolté dans une époque de chaos.

« Les combats vont se poursuivre, mais ils seront de plus en plus douloureux pour D’Aubigné.

D’abord, en1585, il est laissé pour mort sur un champ de bataille.

A peine remis, il recommence à combattre aux côtésd’Henri de Navarre, mais la tension monte entre les deux compagnons d’armes : il supporte mal laréconciliation d’Henri III et d’Henri de Navarre, en 1589. Lorsque, pour des raisons politiques, Henri de Navarre abandonne la foi protestante pour devenir roi de France, D’Aubignéressent ce geste comme une véritable trahison envers la cause qu’ils ont défendue depuis si longtemps, et il quitte la Cour.

HenriIV l’invite à présider les tournois offerts pour le baptême de ses enfants, en 1606, mais il se récuse.

L’année suivante, il met sonénergie à faire échouer une réconciliation entre les deux religions. Après l’assassinat d’Henri IV, en 1610, il répond à l’appel de Condé et du parti protestant qui se soulèventcontre la régente, Marie de Médicis.

Mais cette fois, la bataille est perdue : en 1616, il en sort endetté et aigri.C’est alors qu’il fait publier clandestinement la première édition des Tragiques . Dans la lutte jusqu’au bout_________________________________________________________ Les conflits le poursuivent dans sa vie personnelle et dans sa vie d’écrivain.

Il doit en 1618 se battre contreson propre fils, à qui il avait confié la lieutenance d’une des villes dont il était le gouverneur.

Le père et le filsne se réconcilieront qu’en 1624 (du mariage de ce fils va naître Françoise d’Aubigné, la future Mme deMaintenon, seconde épouse de Louis XIV).

En 1620, son Histoire universelle , consacrée à l’histoire des guerres de Religion, à laquelle il travaillait depuis 1601, est condamnée à être brûlée.

Enfin, pour s’être ànouveau soulevé, avec d’autres, contre Marie de Médicis, il doit s’exiler à Genève. C’est là qu’il meurt, en 1630, après avoir écrit deux traités, le Traité sur les guerres civiles et Du devoir des rois et des sujets .

Son Histoire universelle peut enfin paraître, en 1623, ainsi qu’une seconde édition des Tragiques . Les Tragiques Les Tragiques sont divisés en sept chants.

Le premier, Misères , est consacré aux misères de la France déchirée par les guerres civiles.

Au début de ce chant, D’Aubigné justifie son projet littéraire : lesévénements lui font abandonner la poésie profane et légère pour une poésie grave et tragique. " Je n’écris plus les feux d’un amour inconnu " (vers 55-96, " Misères ") COMMENTAIRE 1.

Analyser la progression du texte : par quelles images D’Aubigné passe-t-il d’une inspirationpoétique légère à une inspiration tragique ? 2.

Le texte est bâti sur la métaphore d’un spectacle de théâtre : remarquer comme se crée uneambiance sonore, se dessine un décor, une mise en scène, un premier personnage.. »

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