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Aimer Est-Ce Le Possible Le Plus Lointain ?

Publié le 05/12/2010

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À lire cette phrase de Georges Bataille tirée de La Somme Athéologique, on serait tenté de dire qu’elle comble tous ceux qui aiment. Elle désigne le comble, le pic, où se retrouveraient le ver de terre et l’étoile chers à Victor Hugo. Elle comblerait parce qu’aimer serait le possible comblant le vide dans l’amour même, si aimer est action et effort de nous rapprocher du plus lointain. Ce qui donne à penser qu’aimer serait accomplir un grand écart, tant dans l’espace que dans le temps. Ainsi dans cette phrase le possible s’opposerait au réel, tout en restant réalisable.

    Tout d’abord nous verrons qu’aimer est un possible le plus lointain, du point de vue de la conscience, ainsi l’impossible irait au-delà de l’existence humaine, toutefois aimer essaye de transgresser la limite du possible, donc de la conscience.

 

         Si aimer est le possible le plus lointain, lorsque j’aime il semble que je cherche à m’oublier, à disparaitre de moi-même. La recherche de se débarrasser de ma conscience, relève encore du moi, donc de ma conscience. S’il est vrai que je pense, donc je suis, ce qui suppose que le « je « relève toujours de ma conscience, or cette dernière détermine le possible. Ainsi en disant « j’aime «, je sais que cela relève encore et toujours du possible. Dans la proposition de cette phrase aimer ne désigne pas de la passion en tant qu’elle est subit, mais une action et un effort humain. Alors ma conscience ferait que je ne sois jamais  privé d’aimer. De ce fait, le désir d’aimer n’est pas un désir vain car il relève encore de la vie, et vivre sans aimer n’est pas proprement vivre comme le dit Molière. Ainsi quand nous cherchons à aimer un objet ou sujet, nous essayons de mettre tous les moyens rationnels et calculés afin de combler ce désir; de ce point de vue la séduction, par exemple, pourrait être considérée comme une visée purement rationnelle.

        Toutefois « je t’aime « tend vers l’impossible, car quel serait la durée de « je t’aime « ? C’est donc un risque, mais un risque qui reste conscient car ici la conscience viendrait avant le désir. Quand une mère, par exemple, dit « je t’aime « a son fils, cela n’a pas le même impact que dire « je t’aime « à une personne que je désire. C'est-à-dire que le « je t’aime « d’une mère serait une promesse sans soupçons, alors que le « je t’aime « dit à autrui ou entendu de la bouche d’autrui serait un risque de l’expérience.

        En un autre sens le plus lointain désignerait le temps comme, par exemple, l’enfance, les morts, c'est-à-dire que l’idée d’aimer pourrait s’incarner dans une chose très lointaine dans le temps, mais de ce fait impossible.

 

        Est impossible ce qui va au-delà de l’expérience, donc de l’existence humaine. Pour Saint Augustin l’amour irait au-delà de toutes personnes humaines, ce qui fait que seul Dieu mériterait d’être aimé. De ce fait seul l’amour de Dieu pourrait représenter « l’élan suprême «, qui pourrait être susceptible de nous délivrer de la finitude humaine. Ainsi la raison fait que je ne peux connaitre Dieu, néanmoins le cœur dit que je peut l’aimer. Donc le seul moyen de conduire l’âme vers un apaisement complet du désir c’est de trouver un véritable et absolu objet, c'est-à-dire Dieu. Donc pour Saint Augustin la temporalité de la vie serait l’occasion de rédemption possible pour les êtres finis.

         De même la mort serait un autre impossible, car celle-ci entraînerait une fin de la conscience, donc du possible. En effet pour Epicure la mort n’est rien pour nous, parce que là où je suis la mort n’est pas, là où la mort est je ne suis pas. Ainsi la mort donnerait une fin du désir, or aimer reste un désir, c'est-à-dire qu’aimer au-delà de la vie est une impossibilité. De ce fait la mort reste la possibilité de l’impossibilité pour Heidegger.

          Ainsi aimer reste du coté de la vie, tout en recherchant l’éternité et la perfection qui ne peuvent être rencontré  qu’au-delà de l’existence humaine, soit dans l’impossible. C'est-à-dire qu’aimer serait une tentative de  sortir de moi-même, or de moi-même « je « ne peux sortir. Alors, s’il est vrai que nous désirons une chose, non parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire nous jugeons qu’une chose est bonne car nous la désirons, (Spinoza), cela veut dire qu’ici la raison viendrait en second plan, donc après le désir. Autrement dit aimer serait bien un essai de transgression de la limite de la raison, donc du possible.

 

           L’Homme a deux désirs essentiel: vivre et mourir, or l’amour semble être un mélange complexe des deux. D’un coté l’amour est aveugle à la raison, aimer ne reconnait donc pas les mêmes impossibilités, car le cœur a ses raisons, que la raison ne connait point (Pascal). En effet aimer est une tentative d’abolir l’écart entre moi et autrui, soit par la conquête de la personne ou de la conscience, ce qui illustre le mythe de Don Juan ; ou le désir de retrouver l’unité perdue (dans le discours d’Aristophane). Le rêve de fusion est sans doute séduisant, mais dangereux, car la disparition de l’altérité est impossible. Ainsi les amoureux, par exemple, retiennent que le début de la relation serait toujours mieux que la suite, car l’écart au début, semble possible à réduire, alors que la temporalité montre l’impossibilité d’une fusion complète. De ce fait l’extrême de cette tentative irait jusqu’à l’impossible, soit la mort. Cela ferait d’aimer un désir vain, car je ne peux posséder autrui, ni parvenir à rassembler deux conscience différentes. C'est-à-dire que du point de vue de la conscience morale, aimer serait un essai de transgression.

            Le fait d’aimer peut aussi supposer, vouloir être aimé. Si, par exemple, j’aime l’amour et non le pas sujet, cela ferait que je ne serais quoi attendre de lui à part l’amour, car cela irait au-delà de ma raison et de mes sens. Ainsi comme le dit Roland Barthes je pleure la perte de l’amour et non de telle ou tel. La passion est donc destructrice pour le sujet qui la vit, mais elle est aussi la négation même de son objet.

            L’opposition entre la raison et la passion de l’amour, propre à la double ascendance de Eros (Pénia, pauvreté et Poros, ressource) fait que pour Platon seul un amour pourrait conduire l’Homme vers le « Beau « et le « Bien. Cet amour serait l’amour de la sagesse elle-même. Ainsi seule cette passion authentique pourrait délivrer l’Homme de la souffrance et le conduire vers l’Absolu. Comme pour Platon, Socrate représente le plus sage des mortels, il serait le seul à mériter l’amour entre les vivants. Cependant Platon défend l’idée que chaque vivant doit tendre vers la sagesse, car cela reste une possibilité, c'est-à-dire que Platon est contre une possession de la sagesse. Ainsi pour le philosophe athénien aimer Socrate serait aimer l’amour dont on est privé, car seul celui-ci pourrait aboutir au bonheur, à travers une contemplation du « Beau « et du « Bien «.

 

             « J’aime « reste possible, mais « je t’aime « tend vers l’impossible, comme le suggère Georges Bataille dans ce même texte, L’Alleluiah, qui un texte adressé à une amante, l’amour a cette exigence : ou son objet t’échappe ou tu lui échappe. Ainsi le désir d’aimer illustre l’inscription de l’existence humaine dans la temporalité, soit dans l’expression de la finitude des êtres humain ; c'est-à-dire l’ouverture de la conscience à la dimension du temps et à la transcendance qui nous porte à un au-delà, à un impossible mais toujours reconduit vers le possible. En effet l’amour recherche « l’unité perdue «, mais l’affirmation de cette dernière serait la négation de l’être actuel. Mais quel être pensant et raisonnable en sachant ses limites, ne cherche pas à les transgresser ? Aimer est le possible le plus lointain, « sans doute «, comme le dit Georges Bataille dans L’Alleluiah, car quand aurons nous finis d’aimer aimer ?

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