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Albert Camus - L'étranger : Analyse du personnage : Meursault

Publié le 24/03/2011

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« L'étranger »

Albert Camus

 

Le personnage principal s'appelle Meursault. Le nom du narrateur n'est sans doute pas anodin. On peut en effet penser à « meur » qui renvoie à la fois à la mer et au meurtre et « sault » qui fait phonétiquement référence au soleil. Nous constatons une absence de portrait physique, sans doute parce que de cette façon, le lecteur peut plus facilement s'y identifier. On ne connait que son nom et son appartenance socioprofessionnelle.

 

C'est un personnage qui vit dans une rare insensibilité et indifférence : « aujourd’hui, maman est morte ». Cette phrase liminaire est un simple constat froid et distant, c'est une phrase quasi administrative. Lors du décès de sa mère, il pense à l’organisation de son voyage, au nombre de jours où il partira, à prévenir son patron mais très peu à sa mère. C’est une constatation, sans aucune émotion. Pourtant, « maman » est un mot qui implique une intimité familiale. De plus, il ne pense pas à elle mais simplement à l’organisation des obsèques. C'est un homme morose qui fait l'impasse sur les principes et les valeurs reconnus par l'humanité : comme la mort, le mariage, la sociabilité, la famille. Il se comporte comme si la vie n’avait pas de sens. Il est d’un caractère renfermé et taciturne, il ne s’interroge pas souvent. Ses besoins physiques dérangent souvent ses sentiments. Il refuse de mentir et peut-être de se mentir. Il ne croit pas en Dieu et ne croit pas qu'il y a une vie après la mort.

 

Le roman se déroule de façon chronologique durant lequel Meursault témoigne de ses moindres faits et gestes, les plus précis décrits par des odeurs, la chaleur ou encore la luminosité. Dans la première partie du roman, son caractère et son comportement peuvent être assimilés à ceux d'un enfant : il est inapte à peser le pour et le contre, le bien et le mal, et incapable de mesurer les conséquences de ses actes. Il suit ses envies spontanées « j'ai eu envie de fumer... alors j'ai fumé. » Dans la deuxième partie, Meursault emprisonné est confronté à la conscience de soi. Il n'échappe pas à la réflexion sur sa vie et, ce faisant, devient un homme nouveau. Un homme révolté pour reprendre le titre d'un de ses plus célèbres essais philosophiques. Il perçoit enfin les causes et les conséquences du monde. Sa façon de parler, de rapporter les choses changent aussi. Il sait démêler ce qui importe de ce qui n'importe pas. Il fait la part des choses et formule des pensées plus profondes.

 

Ses liens avec les autres personnages sont marqués par l'indifférence et le manque de communication. Cette absence d'émotion et de ressenti peut s'expliquer en partie par le fait que le personnage-narrateur n’a pas connu son père et n’en a pas gardé une bonne image. Par ailleurs, Meursault a également une maîtresse qui se nomme Marie mais le lecteur ne dispose d'aucune description physique précise. Elle n'est évoquée que par sa beauté corporelle et son rire. Contrairement à Marie qui éprouve des sentiments pour lui, pour Meursault cette relation n'est sûrement que charnelle. Meursault reste à distance du monde et des autres. Ainsi, il croise tous les jours Salamano, un de ses voisin abattu par la routine, inséparable de son chien et qui, au fur et à mesure du temps, lui ressemble de plus en plus. Raymond, qui n'est au début qu'un voisin de palier va devenir son « ami » : il s'agit en fait d'une relation superficielle dénuée de réelle affection. Meursault a pour habitude d'aller « chez Celeste », le restaurant du quartier, il s'y rend machinalement mais ce n'est un véritable espace de rencontre et d'échange pour lui.

 

Meursault est un personnage qui n'exprime jamais ses opinions, ses impressions ou ses sentiments personnels. C'est un personnage silencieux qui, au moment d’agir, note d’ordinaire qu’on peut faire l’un ou l’autre et que « ça lui est égal ». A plusieurs reprises Meursault agit de façon machinale et sans faire de véritables choix face à des situations qui méritent de la réflexion. Comme la proposition de Raymond à propos de l’amitié dans le chapitre quatre : « Il m’a demandé encore si je voulais être son copain... j’ai dit que ça m’était égal ». Il ne semble pas plus vouloir cette relation qu’une autre. Peu lui importe. Il ne cherche pas l’amitié. De la même manière il lui est égal de produire un faux témoignage, d’ouvrir une succursale à Paris ou même de se marier. Meursault n'agit pas, il subit, les évènements s'imposent à lui. De la même façon, ses relations aux autres et à lui-même paraissent démunies de toute intention, de tout sentiment. En définitive, Meursault est « étranger » au monde, aux autres et à lui-même.

 

J'ai choisi le passage du meurtre de l'arabe, chapitre six de la première partie. A partir de « Le soleil tombait presque d'aplomb sur le sable et son éclat sur la mer était insoutenable. »... jusqu'à la fin du chapitre. Durant ces quelques pages, le héros se retrouve confronté à un enchainement d'évènements, dans une situation qui va le pousser au meurtre. Cette partie m'a plu car elle se démarque des autres.

C'est une scène prenante où nous retrouvons le champ lexical du soleil. En effet, au moment où son éclat est « insoutenable », une bagarre contre les ennemis Arabes de Raymond éclate, pendant laquelle il reçoit un coup de couteau au bras et au visage. Un peu plus tard après s'être fait soigné, il les recroise, les menaçant cette fois-ci avec un revolver, le soleil brillant dessus, Meursault lui confisque. Enfin la chaleur est telle que Meursault ne peut monter au cabanon. Il part chercher la fraîcheur à la source. Il rencontre un Arabe et le soleil l’éblouit. L’homme sort son couteau. Meursault tire sur lui quatre fois consécutives. Le soleil est le facteur principal de ce drame car c'est lui qui pousse notre héros (ou antihéros) à se diriger vers la fraicheur et c'est son éclat contre la lame du couteau qui va le faire réagir et tirer. C'est aussi le facteur qui éveille certains sens ressentis, alors jamais encore perçus par Meursault comme la douleur : « m'atteignaient au front », « rongeaient mes cils », « fouillaient mes yeux ». Le soleil apparaît au début du roman lors de l'enterrement de sa mère où il était encore vide de sentiment. Suite à cette scène où Meursault ne ressent aucune culpabilité, le soleil prend ici une valeur symbolique. Il peut représenter une forme de vengeance du sort sur Meursault. Il a de l'emprise sur lui, et c'est pour cela qu'il est primordial. Même s'il tire, Meursault n'agit pas, il est « agit ».

J'ai également choisi ce passage parce que je le trouve intéressant sur le plan moral. A partir de ce meurtre, notre protagoniste va basculer dans une prise de conscience qui se déclenche quand il réalise alors qu'il agit contre sa volonté. Il n'est plus maître de ses faits et gestes et il réalise trop tard qu'il aurait dû faire preuve de réflexion. C'est à partir de cet instant que Meursault va s'exposer aux réalités de la vie et lui trouver un sens : « et c'est comme quatre coup brefs que je frappais à la porte du malheur ». Cet extrait préfigure son avenir renversé par cette fatalité qui le conduira finalement à la mort.

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