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BACCALAUREAT BLANC : 1°STT 1 et 2        durée : 4 heures (aucun document autorisé)

Publié le 23/12/2010

Extrait du document

CORPUS

A) Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné (1829) B) Henri de Montherlant, La Reine morte, acte II, scène 1 ( 1942) C) Albert Camus , Réflexions sur la guillotine ( 1958)

TEXTE A : Victor Hugo , Le dernier jour d’un condamné (1829) Dans ce livre le narrateur , un personnage anonyme incarcéré et condamné à mort pour des raisons inconnues, écrit  une sorte de journal  intime en  attendant son exécution .Il s’agit ici de l’incipit.

                                                                                                                                                                                            Bicêtre1,  

 

      Condamné à mort !        Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !               Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années que des semaines, j'étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s'amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d'inépuisables arabesques2 cette rude et mince étoffe de la vie. C'étaient des jeunes filles, de splendides chapes3 d'évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C'était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j'étais libre.           Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n'ai plus qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort !

1) Nom de la prison où se trouve enfermé le condamné 2) ornements fondés sur la répétition symétrique de motifs végétaux stylisés  3) manteaux longs des évêques

                                                                                                                                                                                                                          

TEXTE B : Henri de Montherlant, La Reine morte (acte II, scène I) (1942) L'action se passe au Portugal, au XIVèmesiècle. Pour des raisons politiques, le roi Ferrante souhaite marier son fils Pedro à l'Infante de Navarre. Mais le jeune homme refuse cette union, car il a épousé en secret une dame de la cour, Inès de Castro, qui attend un enfant de lui. Furieux, le roi donne l'ordre d'arrêter Don Pedro. Au début du deuxième acte, Ferrante s'entretient avec son premier ministre, Egas Coelho, et un conseiller, Alvar Gonçalvès.

EGAS COELHO [... ] Votre majesté nous demande notre avis. En notre âme et conscience, nous faisons le vœu que doña Inès ne puisse plus être à l'avenir une cause de trouble dans le royaume.

FERRANTE Qu'elle soit emprisonnée ? exilée ?

EGAS COELHO Qu'elle passe promptement de la justice du roi à la justice de Dieu.

FERRANTE Quoi ! la faire mourir ! Quel excès incroyable ! Si je tue quelqu'un pour avoir aimé mon fils, que ferais-je donc à qui l'aurait haï ? Elle a rendu amour pour amour, et elle l'a fait avec mon consentement. L'amour payé par la mort ! Il y aurait grande injustice.

EGAS COELHO L'injustice, c'est de ne pas infliger un châtiment mérité.

ALVAR GONÇALVES Et les offenses publiques ne supportent pas de pardon.

FERRANTE Le Prince et Inès sont également coupables. Mais Inès seule serait tuée !

ALVAR GONÇALVÈS Tacite1 écrit : "Tous deux étaient coupables. Cumanus seul fut exécuté, et tout rentra dans l'ordre. "

FERRANTE N'est-ce pas cruauté affreuse, que tuer qui n'a pas eu de torts ?

ALVAR GONÇALVES Des torts ! Elle en a été l'occasion.

EGAS COELHO Quand une telle décision ne vient pas d'un mouvement de colère, mais du conseil de la raison, elle n'est pas une cruauté, mais une justice.

FERRANTE Oh ! l'impossible position de la raison et de la justice !

EGAS COELHO D'ailleurs, y aurait-il ici injustice, la création de Dieu est un monceau d'innombrables injustices. La société des hommes aurait-elle l'orgueil infernal de prétendre être plus parfaite ?

FERRANTE Je suis prêt à mettre doña Inès dans un monastère.

EGAS COELHO Dont le Prince, en prison ou non, l'aura fait enlever avant trois mois.

FERRANTE Je puis l'exiler.

EGAS COELHO Où elle sera, elle sera un foyer de sédition2. Le Prince groupera autour d'elle tous vos ennemis. Ils attendront votre mort, ou peut-être ils la hâteront, puisqu'il suffit de cette mort pour qu'Inès règne. Non : tout ou rien. Ou le pardon avec ses folles conséquences, ou la mort.

ALVAR GONÇALVES Sans compter que – monastère ou exil – on penserait que Votre Majesté a eu peur de verser le sang. Ce qui conviendrait mal à l'idée qu'on doit se faire d'un roi.

FERRANTE Si j'étais homme à me vanter du sang que j'ai répandu, je rappellerais que j'en ai fait couler assez, dans les guerres et ailleurs.

EGAS COELHO Le sang versé dans les guerres ne compte pas.

FERRANTE J'ai dit : et ailleurs. Il me semble que, sous mon règne, les exécutions n'ont pas manqué.

EGAS COELHO On dira, que, ce coup, vous avez bien osé tuer un ministre de Dieu ; mais non une femme, seulement parce que femme.

FERRANTE La nature ne se révolte-t-elle pas, à l'idée qu'on ôte la vie à qui la donne ? Et doña Inès, de surcroît, est une femme bien aimable.

ALVAR GONÇALVÈS D'innombrables femmes sont aimables.

EGAS COELHO Plus d'un monarque a sacrifié au bien de l'État son propre enfant, c'est-à-dire ce qu'il y avait de plus aimable pour lui, et Votre Majesté hésiterait à sacrifier une étrangère, une bâtarde qui a détourné votre fils de tout ce qu'il doit à son peuple et à Dieu ! Mais la question est encore plus haute. Des centaines de milliers d'hommes de ce peuple sont morts pour que les Africains ne prennent pas pied au Portugal. Et vous seriez arrêté par la mort d'un seul être !

FERRANTE II n'y a pas de proportion !

EGAS COELHO Non, en effet il n'y a pas de proportion ! et ce sont toujours les mêmes qui sont tués, jamais les femmes : cela n'est pas juste. Bien plus, à égalité de crime devant la loi, une femme n'est pas tuée : cela n'est pas juste. Une femme, par sa trahison, livre l'armée : elle est emprisonnée à vie, et s'accommodant peu à peu, puisqu'il est dans la nature que tout ce qui dure se relâche, elle en vient à tirer une vie qui n'est pas dénuée de tout agrément. Mais un homme, pour le même forfait, est retranché d'un coup. Si doña Inès vous disait : "Pourquoi me tuez-vous ?", Votre Majesté pourrait lui répondre : "Pourquoi ne vous tuerais-je pas ?"

FERRANTE Je ne puis croire que la postérité me reproche de n'avoir pas fait mourir une femme qui est innocente quasiment.

EGAS COELHO La postérité appellerait cet acte une clémence3, s'il se plaçait dans une suite d'actes énergiques. Dans le cas présent, elle l'appellera faiblesse.

1) Tacite : historien latin (55-120 apr. JC. ) 2) Sédition : trouble, révolte contre l'ordre établi. 3) disposition qui pousse à épargner un coupable

                                                                                                                                                                                                                          

Texte C : Albert Camus, Réflexions sur la guillotine, 1958

         Le châtiment qui sanctionne sans prévenir1, s'appelle en effet la vengeance. C'est une réponse quasi arithmétique que fait la société à celui qui enfreint sa loi primordiale2. Cette réponse est aussi vieille que l'homme: elle s'appelle le talion. Qui m'a fait mal doit avoir mal ; qui m'a crevé un oeil doit devenir borgne ; qui a tué enfin doit mourir. Il s'agit d'un sentiment, et particulièrement violent, non d'un principe. Le talion est de l'ordre de la nature et de l'instinct, il n'est pas de l'ordre de la loi. La loi, par définition, ne peut obéir aux mêmes règles que la nature. Si le meurtre est dans la nature de l'homme, la loi n'est pas faite pour imiter ou reproduire cette nature. Elle est faite pour la corriger. Or le talion se borne à ratifier et à donner force de loi à un pur mouvement de nature. Nous avons tous connu ce mouvement, souvent pour notre honte, et nous connaissons sa puissance : il nous vient des forêts primitives. [ ... ] Nous définissons encore la justice selon les règles d'une arithmétique grossière. Peut-on dire du moins que cette arithmétique est exacte et que la justice, même élémentaire, même limitée à la vengeance légale, est sauvegardée par la peine de mort ? Il faut répondre que non.                  Laissons de côté le fait que la loi du talion est inapplicable et qu'il paraîtrait aussi excessif de punir l'incendiaire en mettant le feu à sa maison qu'insuffisant de châtier le voleur en prélevant sur son compte en banque une somme équivalente à son vol. Admettons qu'il soit juste et nécessaire de compenser le meurtre de la victime par la mort du meurtrier. Mais l'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence3, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison. Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n'y a donc pas équivalence. Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait de criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ? Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de mort châtiât un criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l'aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé.

1) Prévenir : agir de manière préventive. 2) Loi primordiale : Camus fait référence au commandement " Tu ne tueras point. " 3) Essence : nature profonde.

        

 

 

QUESTIONS ( 6 points) Vous répondrez aux questions suivantes en ayant soin de respecter les conseils donnés pour la rédaction des réponses !

1) Quelles sont les thèses en présence dans les documents B et C ? ( 3 points) 2) En quoi ces documents illustrent-ils l’objet d’étude «  argumenter : formes et fonctions de l’essai, du dialogue et de l’apologue « ? ( 3 points)

TRAVAUX D’ECRITURE ( 14 points) Vous traiterez l’un de ces sujets au choix : Commentaire Vous commenterez l’extrait du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo en vous aidant du parcours de lecture suivant : – vous étudierez l’opposition pathétique entre le présent et le passé – vous étudierez l’enfermement du corps et de l’esprit et l’obsession de la mort N.B. : Rappelez-vous que le commentaire doit comporter une introduction , le développement des axes proposés et une conclusion . Vous veillerez à appuyer vos remarques sur des citations soigneusement exploitées. Pensez à mettre en valeur des procédés littéraires (accumulation, registres, métaphores etc.)

Dissertation En vous appuyant sur le corpus proposé, sur les œuvres que vous avez étudiées en cours ainsi que sur vos lectures et votre culture personnelles, vous vous demanderez quel rôle la littérature peut jouer dans les débats d’idées.

Invention Vous êtes responsable d’une organisation de défense des droits de l’homme. Apprenant que dans un pays dictatorial un homme est condamné à mort pour avoir critiqué le régime en place, vous écrivez , dans le journal Le Monde, une lettre ouverte, adressée aux lecteurs, pour dénoncer cette injustice et plus généralement la peine de mort .

 

« Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous sonpoids ! Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années que des semaines, j'étais un homme comme un autre homme.

Chaque jour,chaque heure, chaque minute avait son idée.

Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies.

Il s'amusait à me les dérouler les unesaprès les autres, sans ordre et sans fin, brodant d'inépuisables arabesques 2 cette rude et mince étoffe de la vie.

C'étaient des jeunes filles, de splendides chapes 3 d'évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers.

C'était toujours fête dans mon imagination.

Je pouvais penser à ceque je voulais, j'étais libre.

Maintenant je suis captif.

Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée.

Une horrible, unesanglante, une implacable idée ! Je n'ai plus qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort ! 1) Nom de la prison où se trouve enfermé le condamné 2) ornements fondés sur la répétition symétrique de motifs végétaux stylisés 3) manteaux longsdes évêques TEXTE B : Henri de Montherlant, La Reine morte (acte II, scène I) (1942) L'action se passe au Portugal, au XIV èmesiècle.

Pour des raisons politiques, le roi Ferrante souhaite marier son fils Pedro à l'Infante de Navarre.

Mais le jeune homme refuse cette union, car il a épousé en secret une dame de la cour, Inès de Castro, qui attend un enfant de lui.

Furieux, le roi donne l'ordred'arrêter Don Pedro.Au début du deuxième acte, Ferrante s'entretient avec son premier ministre, Egas Coelho, et un conseiller, Alvar Gonçalvès. EGAS COELHO[...

] Votre majesté nous demande notre avis.

En notre âme et conscience, nous faisons le vœu que doña Inès ne puisse plus être à l'avenirune cause de trouble dans le royaume. FERRANTEQu'elle soit emprisonnée ? exilée ? EGAS COELHOQu'elle passe promptement de la justice du roi à la justice de Dieu. FERRANTEQuoi ! la faire mourir ! Quel excès incroyable ! Si je tue quelqu'un pour avoir aimé mon fils, que ferais-je donc à qui l'aurait haï ? Elle arendu amour pour amour, et elle l'a fait avec mon consentement.

L'amour payé par la mort ! Il y aurait grande injustice. EGAS COELHOL'injustice, c'est de ne pas infliger un châtiment mérité. ALVAR GONÇALVESEt les offenses publiques ne supportent pas de pardon. FERRANTELe Prince et Inès sont également coupables.

Mais Inès seule serait tuée ! ALVAR GONÇALVÈSTacite 1 écrit : "Tous deux étaient coupables.

Cumanus seul fut exécuté, et tout rentra dans l'ordre.

" FERRANTEN'est-ce pas cruauté affreuse, que tuer qui n'a pas eu de torts ? ALVAR GONÇALVESDes torts ! Elle en a été l'occasion. EGAS COELHOQuand une telle décision ne vient pas d'un mouvement de colère, mais du conseil de la raison, elle n'est pas une cruauté, mais unejustice. FERRANTEOh ! l'impossible position de la raison et de la justice ! EGAS COELHO. »

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