Devoir de Philosophie

Balzac, le Lys dans la vallée (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

balzac
Balzac, le Lys dans la vallée (extrait). Épris d'une « beauté d'ange « aussi chaste et vertueuse qu'entêtée, Félix, amoureux romantique et fougueux, fait l'apprentissage des évidences, des mystères mais aussi des souffrances inhérents à toute aventure sentimentale. Balzac déploie ici toute l'échelle des sentiments en opposant ces deux coeurs souffrant leur passion sur les deux modes -- sacré pour Henriette, charnel pour Félix -- que leur dictent leurs âmes éprouvées. Le Lys dans la vallée d'Honoré de Balzac (troisième partie) Quoique coupable, j'avais un coeur, et tous ces mots étaient des coups de poignard froidement donnés aux endroits les plus sensibles qu'elle semblait choisir pour frapper. Les souffrances morales ne sont pas absolues, elles sont en raison de la délicatesse des âmes, et la comtesse avait durement parcouru cette échelle des douleurs ; mais, par cette raison même, la meilleure femme sera toujours d'autant plus cruelle qu'elle a été plus bienfaisante ; je la regardai, mais elle baissa la tête. J'allai dans ma nouvelle chambre qui était jolie, blanche et verte. Là, je fondis en larmes. Henriette m'entendit, elle y vint en apportant un bouquet de fleurs. -- Henriette, lui dis-je, en êtes-vous à ne point pardonner la plus excusable des fautes ? -- Ne m'appelez jamais Henriette, reprit-elle, elle n'existe plus, la pauvre femme ; mais vous trouverez toujours madame de Mortsauf, une amie dévouée qui vous écoutera, qui vous aimera. Félix, nous causerons plus tard. Si vous avez encore de la tendresse pour moi, laissez-moi m'habituer à vous voir ; et au moment où les mots me déchireront moins le coeur, à l'heure où j'aurai reconquis un peu de courage, eh ! bien, alors, alors seulement. Voyez-vous cette vallée, dit-elle en me montrant l'Indre, elle me fait mal, je l'aime toujours. -- Ah ! périsse l'Angleterre et toutes ses femmes ! Je donne ma démission au roi, je meurs ici, pardonné. -- Non, aimez-la, cette femme ! Henriette n'est plus, ceci n'est pas un jeu, vous le saurez. Elle se retira, dévoilant par l'accent de ce dernier mot l'étendue de ses plaies. Je sortis vivement, la retins et lui dis : -- Vous ne m'aimez donc plus ? -- Vous m'avez fait plus de mal que tous les autres ensemble. Aujourd'hui je souffre moins, je vous aime donc moins ; mais il n'y a qu'en Angleterre où l'on dise ni jamais, ni toujours ; ici nous disons toujours. Soyez sage, n'augmentez pas ma douleur ; et si vous souffrez, songez que je vis, moi ! Elle me retira sa main que je tenais froide, sans mouvement, mais humide, et se sauva comme une flèche en traversant le corridor où cette scène véritablement tragique avait eu lieu. Pendant le dîner, le comte me réservait un supplice auquel je n'avais pas songé. -- La marquise Dudley n'est donc pas à Paris ? me dit-il. Je rougis excessivement en lui répondant : -- Non. -- Elle n'est pas à Tours, dit le comte en continuant. -- Elle n'est pas divorcée, elle peut aller en Angleterre. Son mari serait bien heureux, si elle voulait revenir à lui, dis-je avec vivacité. -- A-t-elle des enfants ? demanda madame de Mortsauf d'une voix altérée. -- Deux fils, lui dis-je. -- Où sont-ils ? -- En Angleterre, avec le père. -- Voyons, Félix, soyez franc. Est-elle aussi belle qu'on le dit ? -- Pouvez-vous lui faire une semblable question ? la femme qu'on aime n'est-elle pas toujours la plus belle des femmes, s'écria la comtesse. -- Oui, toujours, dis-je avec orgueil en lui lançant un regard qu'elle ne soutint pas. -- Vous êtes heureux, reprit le comte, oui, vous êtes un heureux coquin. Ah ! dans ma jeunesse, j'aurais été fou d'une semblable conquête... -- Assez, dit madame de Mortsauf, en montrant par un regard Madeleine à son père. -- Je ne suis pas un enfant, dit le comte qui se plaisait à redevenir jeune. En sortant de table, la comtesse m'amena sur la terrasse et quand nous y fûmes, elle s'écria : -- Comment il se rencontre des femmes qui sacrifient leurs enfants à un homme ? La fortune, le monde, je le conçois, l'éternité, oui, peut-être ! Mais les enfants ! se priver de ses enfants ! -- Oui, et ces femmes voudraient avoir encore à sacrifier plus, elles donnent tout... Pour la comtesse, le monde se renversa, ses idées se confondirent. Saisie par ce grandiose, soupçonnant que le bonheur devait justifier cette immolation, entendant en elle-même les cris de la chair révoltée, elle demeura stupide en face de sa vie manquée. Oui, elle eut un moment de doute horrible ; mais elle se releva grande et sainte, portant haut la tête. -- Aimez-la donc bien, Félix, cette femme, dit-elle avec des larmes aux yeux, ce sera ma soeur heureuse. Je lui pardonne les maux qu'elle m'a faits, si elle vous donne ce que vous ne deviez jamais trouver ici, ce que vous ne pouvez plus tenir de moi. Vous avez eu raison, je ne vous ai jamais dit que je vous aimasse, et je ne vous ai jamais aimé comme on aime dans ce monde. Mais si elle n'est pas mère, comment peut-elle aimer ? -- Chère sainte, repris-je, il faudrait que je fusse moins ému que je ne le suis pour t'expliquer, que tu planes victorieusement au-dessus d'elle, qu'elle est une femme de la terre, une fille des races déchues, et que tu es la fille des cieux, l'ange adoré, que tu as tout mon coeur et qu'elle n'a que ma chair ; elle le sait, elle en est au désespoir, et elle changerait avec toi, quand même le plus cruel martyre lui serait imposé pour prix de ce changement. Mais tout est irrémédiable. À toi l'âme, à toi les pensées, l'amour pur, à toi la jeunesse et la vieillesse ; à elle les désirs et les plaisirs de la passion fugitive ; à toi mon souvenir dans toute son étendue, à elle l'oubli le plus profond. -- Dites, dites, dites-moi donc cela, ô mon ami ! Elle alla s'asseoir sur un banc et fondit en larmes. La vertu, Félix, la sainteté de la vie, l'amour maternel, ne sont pas des erreurs. Oh ! jetez ce baume sur mes plaies ! Répétez une parole qui me rend aux cieux où je voulais tendre d'un vol égal avec vous ! Bénissez-moi par un regard, par un mot sacré, je vous pardonnerai les maux que j'ai soufferts depuis deux mois. -- Henriette, il est des mystères de notre vie que vous ignorez. Je vous ai rencontrée dans un âge auquel le sentiment peut étouffer les désirs inspirés par notre nature ; mais plusieurs scènes dont le souvenir me réchaufferait à l'heure où viendra la mort ont dû vous attester que cet âge finissait, et votre constant triomphe a été d'en prolonger les muettes délices. Un amour sans possession se soutient par l'exaspération même des désirs ; puis il vient un moment où tout est souffrance en nous, qui ne ressemblons en rien à vous. Nous possédons une puissance qui ne saurait être abdiquée, sous peine de ne plus être hommes. Privé de la nourriture qui le doit alimenter, le coeur se dévore lui-même, et sent un épuisement qui n'est pas la mort, mais qui la précède. La nature ne peut donc pas être longtemps trompée ; au moindre accident, elle se réveille avec une énergie qui ressemble à la folie. Non je n'ai pas aimé, mais j'ai eu soif au milieu du désert. -- Du désert ! dit-elle avec amertume en montrant la vallée. Et, ajouta-t-elle, comme il raisonne, et combien de distinctions subtiles ? les fidèles n'ont pas tant d'esprit. -- Henriette, lui dis-je, ne nous querellons pas pour quelques expressions hasardées. Non, mon âme n'a pas vacillé, mais je n'ai pas été maître de mes sens. Cette femme n'ignore pas que tu es la seule aimée. Elle joue un rôle secondaire dans ma vie, elle le sait, et s'y résigne ; j'ai le droit de la quitter, comme on quitte une courtisane... Source : Balzac (Honoré de), le Lys dans la vallée, 1836. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
balzac

« viendra la mort ont dû vous attester que cet âge finissait, et votre constant triomphe a été d’en prolonger les muettes délices.

Un amour sans possession se soutient par l’exaspération même des désirs ; puis il vient un moment où tout est souffrance en nous, qui ne ressemblons en rien à vous.

Nous possédons une puissance qui ne saurait être abdiquée, sous peine de ne plus être hommes.

Privé de la nourriture qui le doit alimenter, le cœur se dévore lui-même, et sent un épuisement qui n’est pas la mort, mais qui la précède.

La nature ne peut donc pas être longtemps trompée ; au moindre accident, elle se réveille avec une énergie qui ressemble à la folie.

Non je n’ai pas aimé, mais j’ai eu soif au milieu du désert. — Du désert ! dit-elle avec amertume en montrant la vallée.

Et, ajouta-t-elle, comme il raisonne, et combien de distinctions subtiles ? les fidèles n’ont pas tant d’esprit. — Henriette, lui dis-je, ne nous querellons pas pour quelques expressions hasardées.

Non, mon âme n’a pas vacillé, mais je n’ai pas été maître de mes sens.

Cette femme n’ignore pas que tu es la seule aimée.

Elle joue un rôle secondaire dans ma vie, elle le sait, et s’y résigne ; j’ai le droit de la quitter, comme on quitte une courtisane… Source : Balzac (Honoré de), le Lys dans la vallée, 1836. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

Tous droits réservés.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles