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Balzac, les Chouans (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Balzac, les Chouans (extrait). Au début des Chouans, roman historique qui s'inscrit dans les « Scènes de la vie militaire «, la contemplation de la vallée du Couesnon par des officiers de la République, conduisant des conscrits récalcitrants, donne lieu à une description du paysage. La richesse des notations sensuelles montre une Bretagne à la beauté multiple mais harmonieuse, féodale et féminine, généreuse quoique méfiante, fragile et paisible mais sourdement hostile. Cette description occupe une fonction narrative importante, annonçant le caractère farouche de la région ainsi que l'action à venir (la guerre d'embuscade menée en 1799 par les paysans bretons contre la République). Les Chouans d'Honoré de Balzac (chapitre 1) Du sommet de la Pèlerine apparaît aux yeux du voyageur la grande vallée du Couesnon, dont l'un des points culminants est occupé à l'horizon par la ville de Fougères. Son château domine, en haut du rocher où il est bâti, trois ou quatre routes importantes, position qui la rendait jadis une des clés de la Bretagne. De là les officiers découvrirent, dans toute son étendue, ce bassin aussi remarquable par la prodigieuse fertilité de son sol que par la variété de ses aspects. De toutes parts, des montagnes de schiste s'élèvent en amphithéâtre, elles déguisent leurs flancs rougeâtres sous des forêts de chênes, et recèlent dans leurs versants des vallons pleins de fraîcheur. Ces rochers décrivent une vaste enceinte, circulaire en apparence, au fond de laquelle s'étend avec mollesse une immense prairie dessinée comme un jardin anglais. La multitude de haies vives qui entourent d'irréguliers et de nombreux héritages, tous plantés d'arbres, donnent à ce tapis de verdure une physionomie rare parmi les paysages de la France, et il enferme de féconds secrets de beauté dans ses contrastes multipliés dont les effets sont assez larges pour saisir les âmes les plus froides. En ce moment, la vue de ce pays était animée de cet éclat fugitif par lequel la nature se plaît à rehausser parfois ses impérissables créations. Pendant que le détachement traversait la vallée, le soleil levant avait lentement dissipé ces vapeurs blanches et légères qui, dans les matinées de septembre, voltigent sur les prairies. À l'instant où les soldats se retournèrent, une invisible main semblait enlever à ce paysage le dernier des voiles dont elle l'aurait enveloppé, nuées fines, semblables à ce linceul de gaze diaphane qui couvre les bijoux précieux et à travers lequel ils excitent la curiosité. Dans le vaste horizon que les officiers embrassèrent, le ciel n'offrait pas le plus léger nuage qui pût faire croire, par sa clarté d'argent, que cette immense voûte bleue fût le firmament. C'était plutôt un dais de soie supporté par les cimes inégales des montagnes, et placé dans les airs pour protéger cette magnifique réunion de champs, de prairies, de ruisseaux et de bocages. Les officiers ne se lassaient pas d'examiner cet espace où jaillissent tant de beautés champêtres. Les uns hésitaient longtemps avant d'arrêter leurs regards parmi l'étonnante multiplicité de ces bosquets que les teintes sévères de quelques touffes jaunies enrichissaient des couleurs du bronze, et que le vert émeraude des prés irrégulièrement coupés faisait encore ressortir. Les autres s'attachaient aux contrastes offerts par des champs rougeâtres où le sarrasin récolté se dressait en gerbes coniques semblables aux faisceaux d'armes que le soldat amoncelle au bivouac, et séparés par d'autres champs que doraient les guérets des seigles moissonnés. Çà et là, l'ardoise sombre de quelques toits d'où sortaient de blanches fumées, puis les tranchées vives et argentées que produisaient les ruisseaux tortueux du Couesnon, attiraient l'oeil par quelques-uns de ces pièges d'optique qui rendent, sans qu'on sache pourquoi, l'âme indécise et rêveuse. La fraîcheur embaumée des brises d'automne, la forte senteur des forêts s'élevaient comme un nuage d'encens et enivraient les admirateurs de ce beau pays, qui contemplaient avec ravissement ses fleurs inconnues, sa végétation vigoureuse, sa verdure rivale de celle d'Angleterre, sa voisine, dont le nom est commun aux deux pays. Quelques bestiaux animaient cette scène déjà si dramatique. Les oiseaux chantaient, et faisaient ainsi rendre à la vallée une suave, une sourde mélodie qui frémissait dans les airs. Si l'imagination recueillie veut apercevoir pleinement les riches accidents d'ombre et de lumière, les horizons vaporeux des montagnes, les fantastiques perspectives qui naissaient des places où manquaient les arbres, où s'étendaient les eaux, où fuyaient de coquettes sinuosités ; si le souvenir colorie, pour ainsi dire, ce dessin aussi fugace que le moment où il est pris, les personnes pour lesquelles ces tableaux ne sont pas sans mérite auront une image imparfaite du magique spectacle par lequel l'âme encore impressionnable des jeunes officiers fut comme surprise. Source : Beaumarchais (Jean-Pierre de) et Couty (Daniel), Anthologie des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1988. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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