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Aceh et Jakarta : deux provinces « particulières », un conflit ?

Publié le 05/12/2015

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Aceh et Jakarta : deux provinces « particulières », un conflit ? L’Indonésie, avec ses 230 millions d’habitants se situe au quatrième rang des pays les plus peuplés du monde. Depuis 1945, chacun des habitants doit reconnaître les Pantja Sila : monothéisme, humanisme, nationalisme, démocratie, et justice sociale. Pourtant, au vue des tensions qui se développent sur l’archipel, les « Cinq Piliers » semblent ne pas être respectés. De nombreuses régions d’Indonésie sont touchées par des crises constantes au niveau politique, ethnique, économique ou encore religieux. Ainsi, Aceh fait partie de ces provinces au statut mouvementé. Son désir d’indépendance, couplé à d’autres revendications que nous verrons dans le développement, ont donné naissance à de nombreux affrontements militaires depuis les années 1970 : sur fond de conflit politico-religieux, les violences se sont multipliées envers le gouvernement central pour dénoncer le monopole et l’emprise de Jakarta sur les Acehnais. Dans ce contexte agité, on peut se demander en quoi la situation géopolitique de la province d’Aceh met-elle en évidence un environnement multi-conflictuel opposant des acteurs aux enjeux différents ? Il s’agit au travers de ce questionnement d’étudier les particularismes de la relation Aceh-Jakarta afin d’exposer les tensions entre la population locale et la capitale, puis d’évoquer les interconnexions entre les conflits et les problèmes existants dans le but d’en aborder les répercussions à l’échelle internationale et ses échos à l’échelle locale. Enfin, une analyse globale de l’archipel indonésien permettra de relativiser la situation d’Aceh de par son inscription dans un Etat aux déséquilibres constants. La province d’Aceh : zoom sur des relations conflictuelles entre Jakarta et les Acehnais… Aceh, entre désir d’indépendance… Cette province du nord de Sumatra se caractérise par la volonté de créer un Etat islamique indépendant ; volonté mise sur le devant de la scène par le GAM (Gerekan Aceh Merdeka), aussi appelé Mouvement Aceh Libre. En effet, en 1976, le GAM avait proclamé l’indépendance d’Aceh suite à des promesses non tenues par Jakarta au sujet de l’autonomie de cette province musulmane. Toutefois, l’intervention de forces armées avait ramené Aceh au simple rang de « province périphérique » rattaché au gouvernement central. Une vingtaine d’années plus tard, le GAM profite de la fin d’un régime politique pour raviver sa volonté indépendantiste et demander un referendum d’autodétermination. L’autonomie d’Aceh est-elle en train de se mettre en place ? Malgré une « trêve humanitaire » dans les années 2000, les oppositions ressurgissent, d’autant plus fortes qu’elles critiquent vivement le gouvernement indonésien. Et contestation du gouvernement : « L’appropriation des terres, la résurgence de vieilles haines entre communautés (…), les revendications d’autonomie trouvent leur origine dans l’inégale répartition des richesses ». C’est donc dans ce contexte multi conflictuel que l’opposition au pouvoir central se renforce, celle-ci étant essentiellement orientée vers une dénonciation de l’accaparement des richesses d’Aceh. En effet, la province est soumise à une exploitation intense de pétrole et de gaz, mais elle ne profite pas à la population locale. Ce premier déséquilibre semble mettre de la distance dans les seuls liens politique et institutionnels existants entre Aceh et Jakarta ; une rupture d’autant plus importante que les Acehnais dénonce les pratiques violentes des forces armées et leur non-respect des droits de l’Homme. Les facteurs d’affrontements armés Depuis les années 1970, les revendications indépendantistes, les déséquilibres capitale-province et les conflits intra-communautaires ont été les causes d’affrontements violents entre les rebelles séparatistes du GAM et les forces armées du gouvernement indonésien. En près de trente ans, le conflit a ainsi causé la mort de près de 15 000 personnes dont la majorité étaient acehnaise. Les populations ont été choquées, voire martyrisées, les centres de tortures restant gravés dans les mémoires tout comme les fosses communes qui se sont multipliées en quelques endroits de la province. « Le martyre d’Aceh la rebelle » va-t-il prendre fin ? Dont l’ampleur, couplée à une catastrophe naturelle, nécessite une aide internationale, et marque la fin d’un conflit ? Guerres et tsunami : de lourdes pertes… Ebranlée par un conflit vieux de trente ans, la province d’Aceh a du affronté les conséquences du tsunami de 2004. Si les morts causés par les affrontements entre le GAM et le pouvoir central étaient au nombre de 15 000, la vague meurtrière aurait quant à elle donné la mort à plus de 100 000 personnes. L’ampleur de la dévastation a été telle que les aides internationales et les missions humanitaires s’y sont multipliées : journalistes, médecins et bénévoles ont travaillé ensemble pour tenter de dégager des débris, des milliers de cadavres, et pour venir au secours des rescapés. Qui interpellent l’opinion internationale L’ampleur du tsunami a donc eu un écho international. De nombreux pays ont offert leur aide à travers les dons récoltés dans leur territoire, les médias se sont relayés pendant plusieurs semaines, et les représentants de nations étrangères se sont rendus sur les lieux de la catastrophe comme l’a fait le secrétaire d’Etat américain Colin Powell. Parmi l’aide apportée à l’archipel, la province d’Aceh a donc connu un fort appui international, plus considérable que celui de sa capitale qui semblerait l’avoir délaissé. Certains indonésiens y voient un stratagème pour mettre fin au conflit acehnais. Mais cette idée peut-elle être défendue ? Et qui annoncent la fin des hostilités ? Pour le président de l’Université d’Indonésie, « le drame pourrait permettre un cessez-le-feu durable et faciliter, enfin, l’ouverture d’un dialogue ». En 2004, suite au tsunami, les deux forces en opposition ont mis en place des trêves annonçant les accords qui allaient être conclus un an plus tard à Helsinki. Le 15 août 2005, un accord de paix est signé en Finlande. Il prévoit l’adoption d’une loi qui accorderait un certain degré d’autonomie à Aceh, à l’exception des domaines relevant du pouvoir central. En matière économique, « la province conservera 70% des revenus de ses gisements pétroliers ». Toutefois, cet accord annonce-t-il vraiment une paix durable alors qu’on sait que le précédent accord n’avait pas été respecté ? Deux provinces « particulières » ou l’exemple d’une situation géopolitique semblable au reste de l’archipel ? Un territoire à la composition complexe… L’Indonésie est un archipel immense s’étendant sur plus de 5 000 km d’Ouest en Est et composé de plus de 15 000 îles où vivent des populations d’origine différente. On comprend alors pourquoi la définition de cet archipel est un travail complexe, surtout si l’on se focalise sur la religion. L’Islam, religion majoritaire, doit néanmoins cohabiter avec le christianisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme : l’Indonésie est donc un archipel pluriconfessionnel, une caractéristique particulière qui pour beaucoup, est la cause de conflits constants depuis plusieurs années. Toutefois, à la dimension conflictuelle du domaine religieux, il faut ajouter les révoltes indépendantistes et leur rôle dans l’instabilité de cet Etat. …Qui connaît des tensions et des difficultés depuis plusieurs années… « Djakarta, Timor-Oriental, Aceh, Amboine, Kalimantan occidental… C’est la sinistre liste (…) des villes ou des régions où le sang a coulé. » C’est toute l’Indonésie, à travers différents points de son territoire, qui connaît l’instabilité. Entre un taux de chômage élevé, une mortalité infantile importante et une faible scolarisation, les affrontements politiques, racistes, ethniques ou religieux accentuent les difficultés à tendre vers un possible équilibre de l’archipel. Parallèlement, l’inégale répartition des richesses empêche une réelle sortie de crise. …Accentuées par la domination de Jakarta : une ville au monopole considérable Les tensions sont aggravées par un véritable déséquilibre économique, la capitale s’appropriant les richesses au détriment des autres provinces indonésiennes. En effet, il semblerait que Jakarta s’accapare de près de 85 % des revenus du pétrole brut que produit Aceh, et qu’en ce qui concerne Bali, la situation relève tout autant de l’exploitation économique : sur les deux milliards de dollars que représente le tourisme dans cette zone, seulement 1% de ces recettes revient aux Balinais. On assiste donc à un monopole quasi intégral de la capitale d’où des désirs d’autonomie de la part des régions défavorisées. La situation géopolitique de la province d’Aceh est donc relativement complexe, mais semble s’inscrire dans un territoire aux relations mouvementées entre centre et périphéries provinciales. Politiquement et institutionnellement liée à Jakarta, centre du pouvoir indonésien, Aceh refuse d’être assimilée à une région dépendante du gouvernement central. Depuis les années 1970, elle réclame une part d’autonomie, et plus encore, la mise en place d’un Etat à part. C’est au travers du mouvement séparatiste GAM que ces revendications vont se renforcer. D’abord centrées sur un désir d’indépendance, les manifestations vont prendre une plus grande ampleur avec le ralliement d’une masse populaire outrée par une situation économique désastreuse et une inégale répartition des richesses. La province d’Aceh est donc au cœur d’une relation multi conflictuelle mêlant économie, religion et politique, à l’intérieur de laquelle l’Etat, le GAM et la population s’affrontent pour des causes différentes. L’intensité du conflit a empêché toute résolution du problème durant les premières décennies. Toutefois, le tsunami de 2004 a favorisé la mise en place d’un consensus entre les deux forces en opposition : la paix d’Helsinki marque-t-elle la fin des hostilités ? Ou annonce-t-elle un nouveau défi pour Aceh : tendre vers une autonomie intégrale aux prix de nouveaux affrontements ?

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