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Breton, l'Amour fou (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Breton, l'Amour fou (extrait). Breton s'élève ici contre la figure, généralement admise par le bon sens et communément entérinée par l'expérience, de l'usure du sentiment amoureux dans la répétition de l'échange sexuel. Ce qu'il dénonce comme un sophisme, et la claire manifestation de l'erreur généralisée du fonctionnement social. À cette figure et cette erreur, il oppose une construction qui vaut comme le programme d'une résistance organisée, quasi guerrière : l'amour unique envisagé comme création artistique et comme méthode heuristique. À la recherche des infinies potentialités du sujet amoureux. Plus qu'une utopie : un pari. L'Amour fou d'André Breton Il n'est pas de sophisme plus redoutable que celui qui consiste à présenter l'accomplissement de l'acte sexuel comme s'accompagnant nécessairement d'une chute de potentiel amoureux entre deux êtres, chute dont le retour les entraînerait progressivement à ne plus se suffire. Ainsi l'amour s'exposerait à se ruiner dans la mesure où il poursuit sa réalisation même. Une ombre descendrait plus dense sur la vie par blocs proportionnés à chaque nouvelle explosion de lumière. L'être, ici, serait appelé à perdre peu à peu son caractère électif pour un autre, il serait ramené contre son gré à l'essence. Il s'éteindrait un jour, victime de son seul rayonnement. Le grand vol nuptial provoquerait la combustion plus ou moins lente d'un être aux yeux de l'autre, combustion au terme de laquelle, d'autres créatures pour chacun d'eux se parant de mystère et de charme, revenus à terre ils seraient libres d'un nouveau choix. Rien de plus insensible, de plus désolant que cette conception. Je n'en sais pas de plus répandue et, par là même, de plus capable de donner idée de la grande pitié du monde actuel. Ainsi Juliette continuant à vivre ne serait pas toujours plus Juliette pour Roméo ! Il est aisé de démêler les deux erreurs fondamentales qui président à une telle manière de voir : l'une de cause sociale, l'autre de cause morale. L'erreur sociale, à laquelle il ne peut être remédié que par la destruction des bases économiques mêmes de la société actuelle, tient au fait que le choix initial en amour n'est pas réellement permis, que, dans la mesure même où il tend exceptionnellement à s'imposer, il se produit dans une atmosphère de non-choix des plus hostiles à son triomphe. Les sordides considérations qu'on lui oppose, la guerre sournoise qu'on lui fait, plus encore les représentations violemment antagonistes toujours prêtes à l'assaillir qui abondent autour de lui sont, il faut bien l'avouer, trop souvent de nature à le confondre. Mais cet amour, porteur des plus grandes espérances qui se soient traduites dans l'art depuis des siècles, je vois mal ce qui l'empêcherait de vaincre dans des conditions de vie renouvelées. L'erreur morale qui, concurremment à la précédente, conduit à se représenter l'amour, dans la durée, comme un phénomène déclinant réside dans l'incapacité où sont le plus grand nombre des hommes de se libérer dans l'amour de toute préoccupation étrangère à l'amour, de toute crainte comme de tout doute, de s'exposer sans défense au regard foudroyant du dieu. L'expérience artistique aussi bien que scientifique est encore ici d'un grand secours, elle qui montre que tout ce qui s'édifie et demeure a d'abord exigé pour être cet abandon. On ne peut s'appliquer à rien de mieux qu'à faire perdre à l'amour cet arrière-goût amer, que n'a pas la poésie, par exemple. Une telle entreprise ne pourra être menée entièrement à bien tant qu'à l'échelle universelle on n'aura pas fait justice de l'infâme idée chrétienne du péché. Il n'y a jamais eu de fruit défendu. La tentation seule est divine. Éprouver le besoin de varier l'objet de cette tentation, de le remplacer par d'autres, c'est témoigner qu'on est prêt à démériter, qu'on a sans doute déjà démérité de l'innocence. De l'innocence au sens de non-culpabilité absolue. Si vraiment le choix a été libre, ce ne peut être à qui l'a fait, sous aucun prétexte, de le contester. La culpabilité part de là et non d'ailleurs. Je repousse ici l'excuse d'accoutumance, de lassitude. L'amour réciproque, tel que je l'envisage, est un dispositif de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que peut prendre pour moi l'inconnu, l'image fidèle de celle que j'aime, toujours plus surprenante de divination de mon propre désir et plus dorée de vie. Source : Breton (André), l'Amour fou, Gallimard, « Métamorphoses «, 1937. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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