charmide
Publié le 20/10/2011
Extrait du document
I. — J’étais revenu la veille au soir de l’armée de Potidée, et, comme j’arrivais après une longue absence, je pris plaisir à revoir les endroits que j’avais l’habitude de fréquenter, entre autres la palestre de Tauréas, en face du sanctuaire de Basilè. J’entrai et j’y trouvai beaucoup de gens, les uns inconnus, mais la plupart de ma connaissance. En me voyant entrer, ils furent surpris et aussitôt me saluèrent de tous les points de la salle. Khairéphon, toujours exalté, bondit même du milieu des autres et, courant à moi, me prit la main et dit « O Socrate, comment t’es-tu tiré de la bataille ? » Peu de temps avant notre départ, nous avions en effet livré une bataille, et la nouvelle venait d’en arriver à Athènes.
— Comme tu vois, lui dis-je.
— On nous a rapporté ici, ajouta-t-il, que l’affaire a été chaude et qu’elle a coûté la vie à beaucoup de gens de notre connaissance.
— Le rapport est assez juste, dis-je.
— Tu as pris part à la bataille ? demanda-t-il.
— J’y ai pris part.
— Viens t’asseoir ici, dit-il, et raconte-nous la chose ; car nous n’avons pas encore de renseignements exacts. »
En disant cela, il m’entraîne et me fait asseoir près de Critias, fils de Callaischros. Je m’assis donc en saluant Critias et les autres ; puis je donnai des nouvelles de l’armée, en réponse aux questions qui me venaient de tous côtés.
II. — Quand nous en eûmes assez de parler de la guerre, je les questionnai à mon tour sur ce qui se passait à Athènes : où en était à présent la philosophie ? et parmi les jeunes gens, y en avait-il qui se distinguaient par leur savoir ou leur beauté ou par les deux à la fois ? Alors Critias, tournant les yeux vers la porte et voyant entrer quelques jeunes gens qui se disputaient et derrière eux une autre bande : « Quant aux beaux garçons, Socrate, me dit-il, je crois que tu vas être renseigné tout de suite ; car ceux qui entrent sont les précurseurs et les amants de celui qui, à présent du moins, passe pour le plus beau, et je suis sûr que lui-même n’est pas loin et qu’il vient ici.
— Qui est-ce, demandai-je, et de qui est-il fils ?
— Tu le connais, dit-il ; mais ce n’était encore qu’un enfant avant ton départ ; c’est Charmide, fils de mon oncle Glaucon, et mon cousin.
— Oui, par Zeus, je le connais, repris-je ; il n’était déjà pas mal en ce temps-là, bien qu’il ne fût encore qu’un enfant ; mais ce doit être aujourd’hui un jeune homme tout à fait formé.
— Tu vas t’assurer tout de suite, reprit-il, de sa taille et de son air. »
Et comme il disait cela, Charmide fit son entrée.
III. — Pour moi, camarade, je ne sais rien mesurer ; en cela j’ai tout juste la valeur d’un cordeau blanc (sur une pierre blanche). Presque tous ceux qui sont à la fleur de l’âge me paraissent beaux. Cependant, cette fois, le jeune homme me parut d’une taille et d’une beauté admirables et tous les autres me semblèrent épris de lui, tant ils furent saisis et troublés quand il entra ; et il avait encore beaucoup d’amoureux dans le groupe qui le suivait. Qu’il fît sur nous autres, hommes faits, une telle impression, il n’y avait pas lieu de s’en étonner ; mais je regardai les enfants : ils n’avaient tous d’yeux que pour lui, même les plus petits, et ils le contemplaient comme une statue.
Alors Khairéphon s’adressant à moi :
« Que penses-tu de ce garçon, Socrate ? me demanda-t-il. N’a-t-il pas une belle figure ?
— Une figure merveilleuse, répondis-je.
— Eh bien, reprit-il, s’il consentait à se dévêtir, tu ne ferais plus attention à sa figure, tant ses formes sont parfaites. »
Et comme les autres confirmaient les éloges de Khairéphon :
« Par Héraclès, m’écriai-je, comment résister à un pareil homme, s’il possède encore une seule petite chose ?
— Laquelle ? demanda Critias.
— S’il est bien doué du côté de l’âme, et l’on doit s’y attendre, Critias, puisqu’il est de votre maison.
— Il est, dit-il, également bel et bon de ce côté-là.
— En ce cas, dis-je, pourquoi ne déshabillerions-nous pas son âme pour la regarder, avant de contempler la beauté de son corps ? A l’âge où il est, il doit déjà être disposé à discuter.
— Assurément, dit Critias ; car il a du goût pour la philosophie, et, s’il en faut croire les autres et lui-même, il est doué pour la poésie.
— C’est là, repris-je, un don qui vous vient de loin ; car c’est un legs de votre parent Solon. Mais ne veux-tu pas appeler le jeune homme et nous le faire voir ? Fût-il encore plus jeune qu’il ne l’est, il ne ferait rien d’inconvenant en s’entretenant avec nous devant toi, qui es à la fois son tuteur et son cousin.
— Tu as raison, dit-il ; appelons-le. »
En même temps, s’adressant à l’esclave qui l’accompagnait, il lui dit :
« Garçon, appelle Charmide ; dis-lui que je veux le présenter à un médecin, à cause du mal dont il se plaignait à moi ces jours-ci. »
Puis, se tournant vers moi, Critias me dit :
« Tout dernièrement, en effet, il s’est plaint d’avoir la tête lourde le matin, en se levant. Cela étant, qu’est-ce qui t’empêche de feindre à ses yeux que tu connais un remède pour le mal de tête ?
— Rien, dis-je ; qu’il vienne seulement.
— Eh bien, il va venir », dit-il.
IV. — Il vint en effet, et son arrivée donna lieu à une scène plaisante. Chacun de nous qui étions assis poussa précipitamment son voisin, pour faire une place, dans l’espoir que le jeune homme viendrait s’asseoir à ses côtés, tant et si bien que, des deux hommes assis à chaque bout, l’un fut contraint de se lever et que l’autre fut culbuté de côté. Lui vint s’asseoir entre Critias et moi. A ce moment, mon ami, je me sentis embarrassé et je perdis l’assurance que j’avais jusqu’alors de m’entretenir avec lui tout à mon aise. Mais lorsque, Critias lui ayant dit que j’étais l’homme qui connaissait le remède, il tourna vers moi un regard d’une expression indicible et se disposa à me questionner, tandis que tous ceux qui étaient dans la palestre formaient autour de nous un cercle complet, alors, mon noble ami, j’aperçus ses formes sous son manteau, je me sentis brûler, transporter hors de moi et je songeai que Cydias était un maître en amour, lorsqu’à propos d’un bel enfant il donnait ce conseil :
« Garde-toi de devenir comme un faon devant le lion : il te saisirait et tu serais sa provende »,
car je me sentais au pouvoir d’un fauve de cette espèce.
Cependant quand il me demanda si je connaissais le remède contre le mal de tête, je lui répondis, bien qu’avec peine, que je le connaissais :
« Quel est-il donc ? » fit-il.
Je lui répondis que c’était une feuille, mais qu’il fallait ajouter au remède une incantation ; que, si on la prononçait en même temps qu’on prenait le remède, on recouvrait entièrement la santé, mais que sans l’incantation la feuille n’avait aucun effet.
Alors lui : « Je vais donc, dit-il, copier la formule sous ta dictée.
— Est-ce de gré, lui dis-je, ou de force que tu veux l’avoir ?
Il se mit à rire et répondit :
— De gré, Socrate.
— Soit, repris-je. Mais tu sais donc mon nom ?
— Je serais inexcusable de ne pas le savoir, dit-il ; car on parle souvent de toi parmi les jeunes gens de mon âge, et je me souviens que, quand j’étais enfant, tu fréquentais Critias ici présent.
— C’est très bien, cela, dis-je. J’en serai d’autant plus franc avec toi pour t’expliquer en quoi consiste l’incantation ; car tout à l’heure encore je me demandais de quelle manière je t’en montrerais la vertu. Elle est en effet, Charmide, de telle nature qu’elle ne peut pas guérir la tête toute seule. Peut-être as-tu déjà entendu dire à de bons médecins, quand on vient les trouver pour un mal d’yeux, qu’il leur est impossible d’entreprendre une cure exclusivement pour les yeux et qu’il faut soigner la tête en même temps, si l’on veut remettre les yeux en bon état, et que de même imaginer qu’on puisse soigner la tête seule, indépendamment de tout le corps, est une pure folie. Et sur ce principe, ils appliquent un régime au corps entier et ils essayent de traiter et de guérir la partie avec le tout. Ne sais-tu pas que c’est là leur doctrine et qu’il en est réellement ainsi ?
— Assurément, dit-il.
— Ne trouves-tu pas qu’ils ont raison et n’approuves-tu pas leur principe ?
— Je l’approuve absolument », dit-il.
V. — Et moi, voyant qu’il était de mon avis, je repris courage ; peu à peu mon audace se réveilla, ma verve se ralluma et je poursuivis :
« Telle est aussi, Charmide, la nature de l’incantation. Je l’ai apprise là-bas, à l’armée, d’un médecin thrace, un de ces disciples de Zalmoxis dont la science va, dit-on, jusqu’à rendre les gens immortels. Ce Thrace disait que les médecins grecs avaient raison de professer la doctrine que je viens de rapporter ; mais, ajouta-t-il, Zalmoxis, notre roi, qui est un dieu, affirme que, s’il ne faut pas essayer de guérir les yeux sans la tête, ni la tête sans les yeux, il ne faut pas non plus traiter la tête sans l’âme et que, si la plupart des maladies échappent aux médecins grecs, la raison en est qu’ils méconnaissent le tout dont ils devraient prendre soin ; car, quand le tout est en mauvais état, il est impossible que la partie se porte bien. En effet, disait-il, c’est de l’âme que viennent pour le corps et pour l’homme tout entier tous les maux et tous les biens ; ils en découlent comme ils découlent de la tête dans les yeux. C’est donc l’âme qu’il faut tout d’abord et avant tout soigner, si l’on veut que la tête et tout le corps soient en bon état. Or l’âme se soigne, disait-il, par des incantations, et ces incantations, cher ami, ce sont les beaux discours. Ces discours engendrent la sagesse dans les âmes, et une fois qu’elle est formée et présente, il est facile de procurer la santé à la tête et au reste du corps.
Et lorsqu’il m’enseigna le remède et les incantations, il me dit : « Garde-toi bien de te laisser engager par qui que ce soit à soigner sa tête avec ce remède, s’il ne t’a d’abord livré son âme pour que tu la soignes par l’incantation. C’est aujourd’hui, disait-il, l’erreur répandue parmi les hommes de vouloir guérir séparément l’âme ou le corps. Et il me recommanda instamment de ne céder à personne, si riche, si noble, si beau qu’il fût, qui voudrait me persuader d’agir autrement. J’en ai fait le serment, je dois le tenir et je le tiendrai. Si donc tu veux, conformément aux recommandations de cet étranger, livrer d’abord ton âme aux incantations du Thrace, j’appliquerai mon remède à ta tête ; sinon, je ne puis rien faire pour toi, mon cher Charmide. »
VI. — Critias, ayant entendu ces paroles, s’écria :
« Quel coup de fortune pour notre jeune homme, Socrate, si, à cause de sa tête, il est contraint d’améliorer aussi son esprit ! Cependant je dois te dire que Charmide paraît être supérieur à ceux de son âge, non seulement par sa beauté, mais encore par cela même que tu prétends produire par ton incantation ; car c’est la sagesse que tu veux dire, n’est-ce pas ?
— C’est cela même, répondis-je.
— Sache donc, poursuivit-il, qu’il est réputé sans conteste comme le plus sage des jeunes gens d’aujourd’hui et que pour tout le reste, compte tenu de son âge, il ne le cède à personne.
— En effet, repris-je, il faut bien, Charmide, que tu l’emportes sur les autres en tous ces points ; car je ne vois personne ici qui puisse facilement montrer deux maisons alliées ensemble à Athènes, qui soient vraisemblablement capables de produire des rejetons plus beaux et meilleurs que les parents dont tu descends. Du côté de ton père, votre maison, celle de Critias, fils de Dropidès, a été, nous le savons, célébrée par Anacréon, par Solon et par beaucoup d’autres poètes, comme une maison supérieure aux autres par la beauté, la vertu et tous les avantages qui composent ce qu’on appelle le bonheur. Du côté de ta mère, il en est de même ; car Pyrilampe, ton oncle, a passé pour l’homme le plus beau et le plus grand du continent, chaque fois qu’il est allé en ambassade chez le grand Roi ou chez quelque autre en Asie, et sa maison, dans son ensemble, ne le cède en rien à l’autre. Etant né de tels parents, il est naturel que tu sois le premier en tout. Pour ce qui est de la beauté visible, cher enfant de Glaucon, je suis sûr que tu n’es inférieur en rien à aucun de ceux qui t’ont précédé, et s’il est vrai, comme le dit Critias, que tu sois bien partagé aussi du côté de la sagesse et du reste, ta mère, mon cher Charmide, a mis au monde un heureux mortel.
Voici donc l’état de la question. Si tu es déjà, comme le dit Critias, en possession de la sagesse et si tu en as une provision suffisante, tu n’as plus besoin des incantations de Zalmoxis ni de celle d’Abaris l’hyperboréen, et je puis te donner tout de suite sans incantation le remède contre le mal de tête ; mais si tu crois encore avoir besoin de ces incantations, il faut les faire avant de te donner le remède. Dis-moi donc toi-même si tu es de l’avis de Critias et si tu crois avoir maintenant assez de sagesse ou en manquer encore. »
Charmide rougit et n’en parut d’abord que plus beau ; car la modestie convenait à son âge ; puis il me fit une réponse qui ne manquait pas de noblesse. Il me dit qu’il n’était pas facile, dans le cas où il se trouvait, ni de dire oui, ni de dire non.
« Si, en effet, dit-il, je dis que je ne suis pas sage, outre qu’il n’est pas naturel de porter un tel témoignage contre soi-même, je donnerai un démenti à Critias et à beaucoup d’autres, aux yeux desquels je passe pour sage, à ce qu’il dit. D’un autre côté, si je dis oui et me loue moi-même, peut-être cela paraîtra-t-il choquant, de sorte que je ne sais comment te répondre. »
Alors moi, je lui dis : « M’est avis, Charmide, que tu as répondu comme il fallait, et je crois, ajoutai-je, que nous devons rechercher ensemble si tu as ou si tu n’as pas ce que je demande. De cette façon, tu ne seras pas forcé de dire ce que tu ne veux pas dire, et moi, de mon côté, je n’entreprendrai pas ma cure sans examen préalable. Si cela te plaît, je suis prêt à faire cette enquête avec toi, sinon je te laisse tranquille.
— Cela me plaît plus que tout au monde, dit-il, et s’il ne tient qu’à cela, mène l’enquête suivant la méthode qui te paraîtra à toi-même la meilleure.
VII. — Eh bien, repris-je, voici celle qui me semble être la meilleure pour cette enquête. Il est clair que, si tu possèdes la sagesse, tu es à même de t’en former une opinion. Résidant en toi, si en effet elle y réside, elle doit forcément y faire naître quelque sentiment, d’après lequel tu peux te faire une idée de ce qu’elle est et de son véritable caractère. Ne le penses-tu pas ?
— Je le pense, dit-il.
— Eh bien, repris-je, ce que tu penses, tu peux, puisque tu sais parler grec, nous l’exprimer comme ton esprit le conçoit.
— Peut-être, dit-il.
— Afin donc que nous puissions juger si elle est en toi ou non, dis-nous, repris-je, ce qu’est la sagesse, à ton opinion. »
Il hésita d’abord, peu disposé à répondre. Il finit cependant par dire qu’à son avis la sagesse consistait à faire toutes choses avec modération et avec calme, qu’il s’agît de marcher dans les rues, de converser ou de toute autre chose. « Il me semble, dit-il, qu’en somme ce que tu me demandes est une sorte de calme. »
— Peut-être as-tu raison, repris-je. Il est certain, Charmide, qu’on dit souvent des gens calmes qu’ils sont des sages ; mais voyons si on a raison de le dire. Dis-moi donc : tu mets certainement la sagesse au nombre des belles choses ?
— Certainement, dit-il.
— Et maintenant quel est le plus beau, quand on est à l’école, d’écrire les mêmes lettres vite ou doucement ?
— De les écrire vite.
— Et s’il s’agit de lire, vaut-il mieux lire vite ou lentement ?
— Vite.
— Et de même, au jeu de la cithare, la vitesse, et à la lutte, la vivacité, ne sont-ce pas des qualités beaucoup plus belles que le calme et la lenteur ?
— Si.
— Et au pugilat et au pancrace, n’en est-il pas de même ?
— Sans doute.
— Et dans la course et dans le saut et dans tous les exercices du corps, les mouvements vifs et rapides ne sont-ils pas ceux qu’on trouve beaux, et les mouvements lents et calmes ceux qu’on trouve laids ?
— C’est évident.
— Il est donc évident pour nous, repris-je, que, pour le corps au moins, ce ne sont pas les mouvements les plus calmes, ce sont les mouvements les plus rapides et les plus vifs qui sont les plus beaux ; n’est-ce pas vrai ?
— Sans doute.
— Mais la sagesse, avons-nous dit, est une belle chose ?
— Oui.
— Donc, tout au moins en ce qui regarde le corps, ce n’est pas le calme, c’est la vitesse qui est sage, puisque la sagesse est belle.
— Il y a apparence, dit-il.
— Et maintenant, continuai-je, lequel est le plus beau, apprendre facilement ou apprendre difficilement ?
— Apprendre facilement.
— Mais, dis-je, apprendre facilement, c’est apprendre vite, et apprendre difficilement, c’est apprendre doucement et lentement ?
— Oui.
— Et instruire un autre vite et vivement n’est-il pas plus beau que doucement et lentement ?
— Si.
— Et si l’on nous rappelle quelque chose ou si nous voulons nous en souvenir nous-mêmes, lequel est le plus beau, du calme et de la lenteur, ou de la vivacité et de la vitesse ?
— La vivacité, dit-il, et la vitesse.
— Et la finesse d’esprit ne relève-t-elle pas de la vivacité, et non du calme de l’âme ?
— C’est vrai.
— De même, s’il s’agit de comprendre ce qu’on dit, chez le maître d’école ou le maître de cithare, ou partout ailleurs, ce n’est pas la lenteur, c’est la rapidité qui est la plus belle.
— Oui.
— De même encore dans les recherches intellectuelles et dans les délibérations, ce n’est pas, j’imagine, le plus lent, celui qui a de la peine à prendre un parti et à faire une découverte qui paraît digne de louange, c’est celui qui s’en tire avec le plus de facilité et de promptitude.
— C’est exact, dit-il.
— Ainsi donc, Charmide, repris-je, en toutes choses, qu’elles regardent l’âme, ou qu’elles regardent le corps, nous voyons que la vitesse et la vivacité sont plus belles que le lenteur et le calme.
— Il semble bien, dit-il.
— Dès lors la sagesse ne saurait être le calme, et la vie sage n’est pas la vie calme, du moins d’après notre raisonnement, puisqu’elle doit être belle, si elle est sage. Car entre les deux sortes d’actions, jamais ou presque jamais nous n’avons vu dans la vie que les actions calmes fussent plus belles que les actions rapides et fortes. En admettant même, cher ami, que les actions calmes soient aussi souvent belles que les actions violentes et rapides, la sagesse ne consisterait pas pour cela dans le calme plutôt que dans la force et la vitesse, qu’il s’agisse de marcher, de parler ou de toute autre chose, et la vie calme ne serait pas plus sage que l’autre, puisque nous avons posé en principe au cours de notre discussion que la sagesse fait partie des belles choses et que la rapidité ne nous a pas paru moins belle que la lenteur.
— Ton opinion, Socrate, dit-il, me paraît juste. »
VIII. — Je repris alors : « Il faut maintenant, Charmide, que tu recommences à regarder en toi-même avec un redoublement d’attention ; puis, quand tu auras observé l’effet que la sagesse produit en toi par sa présence et ce qu’elle doit être pour te faire ce que tu es, et que tu te seras bien rendu compte de tout cela, tu nous diras nettement et bravement ce que tu crois qu’elle est. »
Il garda un moment le silence, et après s’être examiné avec une attention vraiment virile : « Il me semble, dit-il, que la sagesse fait rougir de certaines choses, qu’elle rend l’homme sensible à la honte et qu’ainsi la sagesse n’est autre chose que la pudeur.
— Bien, dis-je ; mais n’as-tu pas reconnu tout à l’heure que la sagesse était une belle chose ?
— Si fait, dit-il.
— Et les hommes sages ne sont-ils pas bons en même temps que sages ?
— Si.
— Peut-on appeler bonne une chose qui ne rend pas bon ?
— Non, certes.
— Par conséquent, la sagesse n’est pas seulement belle ; elle est bonne aussi.
— C’est mon avis.
— Mais quoi ? repris-je, ne crois-tu pas qu’Homère a raison de dire :
« La pudeur n’est pas une bonne compagne pour un homme dans le besoin ».
— Si, répliqua-t-il.
— A ce compte, la pudeur est donc à la fois mauvaise et bonne.
— Il paraît.
— Mais la sagesse est bonne, puisqu’elle rend bons ceux chez qui elle se trouve, et ne les rend jamais mauvais.
— Je ne puis qu’approuver ce que tu dis.
— J’en conclus que la sagesse n’est pas la pudeur, puisque l’une est un bien et que la pudeur n’est pas plus un bien qu’un mal.
IX. — Voilà qui est bien dit, Socrate, à ce qu’il me semble. Mais vois un peu ce que tu penses de cette autre définition de la sagesse. Je viens en effet de me rappeler une chose que j’ai entendu dire à quelqu’un, c’est que la sagesse est pour chacun de nous de faire ce qui le regarde. Examine donc si l’auteur de cette définition te paraît avoir touché juste.
— Coquin, m’écriai-je, c’est de Critias que tu tiens cela, ou de quelque autre habile homme.
— De quelque autre sans doute, dit Critias, car ce n’est certainement pas de moi.
— Mais qu’importe, Socrate, dit Charmide, de qui je le tiens ?
— Il n’importe en rien, dis-je ; car nous n’avons pas du tout à examiner qui l’a dit, mais si c’est vrai ou non.
— En ceci tu as raison, dit-il.
— Oui, par Zeus, repris-je ; mais si nous en découvrons le sens exact, j’en serai bien surpris ; car cela ressemble à une énigme.
— Et en quoi ? demanda-t-il.
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