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Claudel, Partage de midi (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Claudel, Partage de midi (extrait). Sur fond d'amour manqué, Partage de midi de Paul Claudel chante la force de la passion amoureuse. Autour d'Ysé, cette « femme superbe « que le hasard d'un voyage en paquebot sur l'océan Indien met sur le chemin de Mesa, jeune misanthrope rempli « d'eaux désirantes «, tournent aussi De Ciz, son mari, et l'aventurier Amalric, un de ses anciens soupirants. C'est à Mesa pourtant qu'il revient d'aimer Ysé, fatalement, comme dans une promesse faite à Dieu et dans l'adultère. Mais l'appel de l'amour originel auquel, tiraillés, ils répondent, ne pourra être honoré que dans la mort. Partage de Midi de Paul Claudel (acte premier) YSÉ : Mesa, je suis Ysé, c'est moi. MESA : Il est trop tard. Tout est fini. Pourquoi venez-vous me rechercher ? YSÉ : Ne vous ai-je pas trouvé ? MESA : Tout est fini ! Je ne vous attendais pas. J'avais si bien arrangé De me retirer, de me sortir d'entre les hommes, c'était fait ! Pourquoi venez-vous me rechercher ? pourquoi venez-vous me déranger ? YSÉ : C'est pour cela que les femmes sont faites ! MESA : J'ai eu tort, j'ai eu tort De causer et de... et de m'apprivoiser ainsi avec vous, Sans méfiance comme avec un aimable enfant dont on aime à voir le beau visage, Et cet enfant est une femme, et voilà que l'on rit quand elle rit. -- Qu'ai-je à faire avec vous ? qu'avez-vous à faire de moi ? Je vous dis que tout est fini. C'est vous ! Mais pas plus vous qu'aucune autre ! Qu'est-ce qu'il y a à attendre, qu'est-ce qu'il y a à comprendre chez une femme ? Qu'est-ce qu'elle vous donne après tout ? et ce qu'elle demande, Il faudrait se donner à elle tout entier ! Et il n'y a absolument pas moyen, et à quoi est-ce que cela servirait ? Il n'y a pas moyen de vous donner mon âme, Ysé. C'est pourquoi je me suis tourné d'un autre côté. Et maintenant pourquoi est-ce que vous venez me déranger ? pourquoi est-ce que vous venez me rechercher ? Cela est cruel. Pourquoi est-ce que je vous ai rencontrée ? Et voici que, faisant attention à moi, Vous tournez vers moi votre aimable visage. Il est trop tard ! Vous savez bien que c'est impossible ! Et je sais que vous ne m'aimez pas. D'une part, vous êtes mariée, et d'autre part, je sais que vous avez goût Pour cet autre homme, Amalric. Mais pourquoi est-ce que je dis cela et qu'est-ce que cela me fait ? Faites ce qu'il vous plaira. Bientôt nous serons séparés. Ce que j'ai du moins est à moi. Ce que j'ai du moins est à moi. YSÉ : Que craignez-vous de moi puisque je suis l'impossible ? Avez-vous peur de moi ? Je suis l'impossible. Levez les yeux, Et regardez-moi qui vous regarde avec mon visage pour que vous me regardiez ! MESA : Je sais que je ne vous plais point. YSÉ : Ce n'est point cela, mais je ne vous comprends pas, Qui vous êtes, qui ce que vous voulez, qui Ce qu'il faut être, comment il faut que je me fasse avec vous. Vous êtes singulier. Ne faites point de grimace ! Oui, je crois que vous avez raison, vous n'êtes pas Un homme qui serait fait pour une femme, Et en qui elle se sente bien et sûre. MESA : Cela est vrai. Il me faut rester seul. YSÉ : Il vaut mieux que nous arrivions et que nous ne restions pas ensemble davantage. MESA : Pourquoi ? Pourquoi est-ce que cela arrive ? Et pourquoi faut-il que je vous rencontre. Sur ce bateau, à cet instant que ma force a décru, à cause de mon sang qui a coulé ? -- Est-ce que vous croyez en Dieu ? YSÉ : Je ne sais. Je n'y ai jamais pensé. MESA : Mais vous croyez en vous-même et que vous êtes belle, Avec une conviction profonde. YSÉ : Si je suis belle, ce n'est pas ma faute. MESA : Du moins, vous, l'on sait qui vous êtes et à qui l'on a affaire. Mais supposez quelqu'un avec vous Pour toujours ; en soi-même et qu'il faille tolérer en soi-même un autre. Il vit, je vis ; il pense et je pèse en mon coeur sa pensée. Lui qui fait mes yeux, est-ce que je ne puis point le voir ? lui-même qui a fait mon coeur. Je ne puis m'en débarrasser. Vous ne me comprenez pas ! Mais il ne s'agit pas de comprendre ! Est-ce qu'une parole, elle peut se comprendre soi-même ? mais afin qu'elle soit, Il faut un autre qui la lise. Ô la joie d'être pleinement aimé ! ô le désir de s'ouvrir par le milieu comme un livre ! Et soi-même, ceci seulement, eh quoi, Que l'on est totalement clair, lisible, mais que l'on se sente actuellement Prononcé Comme un mot supporté par la voix et par l'intonation de son verbe ! Ô le tourment de se sentir épelé comme de quelqu'un qui n'en vient pas à bout ! Il ne me laisse pas de repos ! J'ai fui à cette extrémité de la terre ! Me voici à cette autre position sur le diamètre, comme quelqu'un qui mesure une base pour prendre une distance astronomique, Loin de la vieille maison dans la paille, pareille à un oeuf cassé. Moi qui aimais tellement ces choses visibles, ô j'aurais voulu tout voir, avoir avec appropriation, Non point avec les yeux seulement, ou les sens seulement, mais avec l'intelligence de l'esprit, Et tout connaître afin d'être tout connu. Mais il ne me laisse point de temps. Me voici au milieu de ces peuples païens et il m'y a retrouvé, Et je suis comme un débiteur que l'on presse et qui ne sait point même ce qu'il doit. YSÉ : C'est alors que vous êtes rentré en France ? MESA : Que pouvais-je faire ? où est ma faute ? Je suis sommé de donner En moi-même une chose que je ne connais pas. Eh bien, voici le tout ensemble ! Je me donne moi-même. Me voici entre vos mains. Prenez vous-même ce qu'il vous faut. YSÉ : Vous avez été repoussé ? MESA : Je n'ai pas été repoussé. Je me suis tenu devant Lui Comme devant un homme qui ne dit rien et qui ne prononce pas un mot. -- Les choses ne vont pas bien à la Chine. On me renvoie ici pour un temps. YSÉ : Supportez le temps. MESA : Je l'ai tellement supporté ! J'ai vécu dans une telle solitude entre les hommes ! Je n'ai point trouvé Ma société avec eux. Je n'ai point à leur donner, je n'ai point à recevoir la même chose. Je ne sers à rien à personne. Et c'est pourquoi je voulais Lui rendre ce que j'avais. Or je voulais tout donner, Il me faut tout reprendre. Je suis parti, il me faut revenir à la même place. Tout a été vain. Il n'y a rien de fait. J'avais en moi La force d'un grand espoir ! Il n'est plus. J'ai été trouvé manquant. J'ai perdu mon sens et mon propos. Et ainsi je suis renvoyé tout nu, avec l'ancienne vie, tout sec, avec point d'autre consigne. Que l'ancienne vie à recommencer, l'ancienne vie à recommencer, ô Dieu ! la vie, séparé de la vie, Mon Dieu, sans autre attente que vous seul qui ne voulez point de moi, Avec un coeur atteint, avec une force faussée ! Et me voilà bavardant avec vous ! qu'est-ce que vous comprenez à tout cela ? qu'est-ce que cela vous regarde ou vous intéresse ? YSÉ : Je vous regarde, cela me regarde. Et je vois vos pensées, confusément comme des moineaux près d'une meule lorsque l'on frappe dans ses mains, Monter toutes ensemble à vos lèvres et à vos yeux ? Source : Claudel (Paul), Partage de midi, Paris, Gallimard éd., coll. « Folio-Théâtre «, 1994. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« MESA : Je sais que je ne vous plais point. YSÉ : Ce n’est point cela, mais je ne vous comprends pas, Qui vous êtes, qui ce que vous voulez, qui Ce qu’il faut être, comment il faut que je me fasse avec vous.

Vous êtes singulier. Ne faites point de grimace ! Oui, je crois que vous avez raison, vous n’êtes pas Un homme qui serait fait pour une femme, Et en qui elle se sente bien et sûre. MESA : Cela est vrai.

Il me faut rester seul. YSÉ : Il vaut mieux que nous arrivions et que nous ne restions pas ensemble davantage. MESA : Pourquoi ? Pourquoi est-ce que cela arrive ? Et pourquoi faut-il que je vous rencontre. Sur ce bateau, à cet instant que ma force a décru, à cause de mon sang qui a coulé ? — Est-ce que vous croyez en Dieu ? YSÉ : Je ne sais.

Je n’y ai jamais pensé. MESA : Mais vous croyez en vous-même et que vous êtes belle, Avec une conviction profonde. YSÉ : Si je suis belle, ce n’est pas ma faute. MESA : Du moins, vous, l’on sait qui vous êtes et à qui l’on a affaire. Mais supposez quelqu’un avec vous Pour toujours ; en soi-même et qu’il faille tolérer en soi-même un autre. Il vit, je vis ; il pense et je pèse en mon cœur sa pensée. Lui qui fait mes yeux, est-ce que je ne puis point le voir ? lui-même qui a fait mon cœur. Je ne puis m’en débarrasser.

Vous ne me comprenez pas ! Mais il ne s’agit pas de comprendre ! Est-ce qu’une parole, elle peut se comprendre soi-même ? mais afin qu’elle soit, Il faut un autre qui la lise. Ô la joie d’être pleinement aimé ! ô le désir de s’ouvrir par le milieu comme un livre ! Et soi-même, ceci seulement, eh quoi, Que l’on est totalement clair, lisible, mais que l’on se sente actuellement Prononcé Comme un mot supporté par la voix et par l’intonation de son verbe ! Ô le tourment de se sentir épelé comme de quelqu’un qui n’en vient pas à bout ! Il ne me laisse pas de repos ! J’ai fui à cette extrémité de la terre ! Me voici à cette autre position sur le diamètre, comme quelqu’un qui mesure une base pour prendre une distance astronomique, Loin de la vieille maison dans la paille, pareille à un œuf cassé. Moi qui aimais tellement ces choses visibles, ô j’aurais voulu tout voir, avoir avec appropriation, Non point avec les yeux seulement, ou les sens seulement, mais avec l’intelligence de l’esprit, Et tout connaître afin d’être tout connu. Mais il ne me laisse point de temps.

Me voici au milieu de ces peuples païens et il m’y a retrouvé, Et je suis comme un débiteur que l’on presse et qui ne sait point même ce qu’il doit.. »

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