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Comment selon vous, une société démocratique peut-elle aujourd’hui prendre en compte les risques majeurs liés au développement des sciences et des techniques ?

Publié le 15/01/2011

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Depuis toujours l’être humain cherche, invente, pense, développe. Ce génie créatif plus ou moins intensifié est le propre de l’homme. Il lui permet de se distinguer des autres êtres vivants, il rend chaque individu unique de par sa pensée. De cette fantastique capacité d’imager les choses, de vouloir tout comprendre, est né la plus belle chose que l’homme n’aie jamais inventée : la science. Cet art d’innover, de comprendre, a permis depuis la nuit des temps de fulgurantes avancées technologiques comme de véritables révélations sur le monde qui nous entoure. Utilisant la science comme son outil favori le chercheur a peu à peu réussit des exploits que personne n’aurait osé imaginer dans ses rêves les plus fous.

Si l’on soustrait à l’homme sa connaissance donc sa science il nous reste une conscience, essence même de l’âme de chaque individu. Une conscience qui devrait permettre au génie créatif de peser le pour et le contre de ses découvertes. Mais le fait-il toujours bien ? N’aborde-t-il parfois pas les choses sous l’aspect seul de la science. Ne néglige-t-il pas encore de consulter ce qui fait de lui un être responsable ?

 Rabelais le dit bien : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », en effet l’homme doué d’un goût pour les sciences ne doit jamais négliger sa conscience. Les exemples de dérapage de la science sont nombreux, ils viennent soutenir la thèse de Rabelais une thèse intemporelle et universelle. Ainsi lorsqu’Albert Einstein empereur de la relativité découvrit qu’on pouvait obtenir de la fission des atomes une énergie inégalable, il s’empressa de divulguer l’information au commun des mortels. Alors même que cette information allait s’avérer être extrêmement dangereuse puisqu’elle fût très vite utilisé à des fins militaires.

Lorsque quelques années plus tard monsieur Einstein découvrit avec horreur que son invention, que sa science avait tué des millions de personnes, il en fût bouleversé et ne se remit jamais de son erreur. Il avait divulgué des informations que le peuple n’était pas prêt à recevoir, il avait fait une découverte qui avait en réalité bien plus de dangers que de bienfait. Dans sa hardiesse, son élan scientifique, il avait publié des résultats qui étaient capables de détruire toute forme de vie sans même en quelques secondes. Il l’avait fait sans même s’en rendre compte. A vouloir trop chercher il avait finit pour oublier de faire appel à sa conscience, il avait oublié de réfléchir posément à sa découverte. Notre société moderne ne semble pourtant pas avoir vraiment retenu la leçon puisqu’elle utilise aujourd’hui encore la science sans conscience. Ce qu’il l’amène aux pires dérapages comme le nucléaire, le chlordécone ou la pollution.

Il semble donc pertinent de se demander comment le développement des sciences et des techniques est-il perçu par notre société à la fois comme un moyen mis au service de l’homme mais aussi comme une menace à l’égard de la nature.

Si le développent des sciences et des techniques permet l’accès de l’homme à sa quête première, qui est celle de la liberté ; la diffusion médiatique et très accessible qu’a connu la science ces dernières années du fait de la modernité, semble dangereuse. Ainsi, il faut prendre en compte les risques majeurs liés à cet essor des techniques et des sciences, véritable menace pour la nature et l’environnement.  

Le développement des sciences et des techniques est à la fois considéré comme un moyen au service de l’homme et comme une menace à l’égard de la nature et de l’homme. D’une part, il provoque en l’homme l’espoir d’une libération. Et d’autre part, il engendre le sentiment de la crainte d’un asservissement, d’une aliénation. Il y a donc une ambivalence qui sous-tend le rapport de l’homme  aux risques majeurs liés au développement des sciences et des techniques. Ambivalence parce que la technique et les sciences confèrent à l’homme une volonté de puissance sur la nature en paraphrasant l’expression nietzschéenne. Autrement dit, leur développement permet à l’homme de devenir tout ce qu’il est possible qu’il devienne par l’accroissement de sa puissance. Ambivalence parce qu’il asservit aussi l’homme par les machines, par sa dépendance.

En particulier, la technique et la science constituent l’ensemble des objets créés par l’homme en vue de maîtriser la nature. En ce sens, «la technique est anthropologique et instrumentale » comme l’entend Heidegger dans La Question de la technique. Les instruments, les outils, les machines sont des médias qui permettent de suppléer à la faiblesse naturelle du corps humain et d’alléger la pénibilité du travail humain.

Toutefois, si cette avancée donne la liberté à l’homme, c’est certes la promesse d’une tentation mais c’est aussi problématique. D’une part, la promesse d’une tentation permet d’accroître la volonté de puissance de l’homme et de le rendre indépendant à l’égard des contraintes naturelles. Ainsi, le développement des techniques et des sciences serait-il un facteur de libération progressive de l’homme par rapport à la nature.

Dans Le Protagoras, Platon explique en quoi le développement technique et scientifique libère l’homme du joug de la nature. Il y énonce l’idée suivante : sans protection corporelle, l’homme ne peut s’abriter des intempéries. Dépourvus d’armes, l’homme ne peut se préserver des assauts des autres êtres vivants. L’homme n’a aucun moyen de subsistance car Epiméthée a dilapidé sans y prendre garde toutes les facultés que Zeus lui avait accordées. Alors, la conséquence de la maladresse et de l’imprudence d’Epiméthée est la mort certaine de l’homme. Constatant la faute d’Epiméthée, Prométhée vole chez Héphaïstos, le feu et chez Athéna, le savoir technique. Le feu et le savoir technique ne sont pas des capacités en elles-mêmes. Mais ils sont les moyens par lesquels l’homme acquiert l’ingéniosité. L’art en tant que « technè » est une méta-capacité. En effet, si nous suivons le mythe de Prométhée, nous voyons que la technique confère à l’impuissant la puissance.

Il en est de même chez Hume. Hume pousse plus loin l’inadaptation de l’homme. A la Section 2 « De l’origine de la justice et de la propriété » de la Deuxième partie « De la justice et de l’injustice » du Livre III « La morale » du Traité de la nature humaine, Hume soutient la thèse suivante :  « Il semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent le globe terrestre, il n'y en ait pas un à l'égard duquel la nature ait usé de plus de cruauté qu'envers l'homme : elle l'a accablé de besoins et de nécessités innombrables et l'a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. » Pour une double raison, l’homme est le plus démuni de tous les animaux et ses besoins excèdent grandement ses moyens naturels en vue de leur satisfaction. La nature est doublement cruelle à l’égard de l’homme. Ainsi le devenir de l’homme est-il tragique. L’homme met en place des techniques et des procédés scientifiques pour lui permettre de survivre. En ce sens, ils constituent la force du faible.        

Assurer sa survie est la condition première de la liberté humaine. Etre libre c’est améliorer ses conditions d’existence en vue de bien vivre. Nous rejoignons le vœu de Descartes à la Sixième partie du Discours de la Méthode. Pour Descartes, la connaissance des lois de la nature ouvre des perspectives incommensurables et donne un pouvoir sans limites à l’homme. La fin visée par le développement des sciences et des techniques, au sens cartésien est de

« nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ». En effet, les hommes se demandent quels usages ils peuvent faire de la nature. Et de ce point de vue, la technique détourne les hommes des fins de la nature.

La nature n’est plus conçue comme fin mais comme moyen. La nature est subordonnée à l’usage et à l’utilité de la vie humaine. Et subordonner la nature à l’utilité humaine permet de reconnaître les défauts et les imperfections de la nature et de chercher à y remédier par des inventions techniques. La technique corrige les défauts naturels.

La connaissance de la nature est orientée vers une action qui vise comme fin le bien général des hommes.         Et  Descartes conclut : « Nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ». La formule de Descartes : « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature » peut sonner aux oreilles du lecteur comme une affirmation sans restriction de la domination de l’homme sur la nature et comme l’annonce de toutes les agressions que l’activité scientifique et technique fera subir au cours de l’époque moderne et contemporaine à l’environnement. En effet, l’homme, maître et possesseur de la nature, pourra s’accorder le droit de faire subir à la nature toutes les transformations que nécessité la satisfaction de ses désirs. La nature ne serait plus alors perçue comme un objet que lequel il pourrait exercer sa puissance sans aucun souci des conséquences et son action sur les générations futures et sur les autres êtres vivants, sans aucun souci de préserver l’équilibre de la nature. Ainsi, la science devient une technique appliquée utile à la vie humaine.

Autrement dit, plus il y a de technique et plus il y a de liberté. Certes, la technique accroît à la fois la liberté et la puissance humaines car elle est le médiat entre l’homme et la nature. Mais quelles en sont les conséquences ?

 

 

Plus que la science en elle même, c’est sa diffusion qui est dangereuse. L’accès autrefois protégé aux plus éminentes recherches est aujourd'hui mis à la portée du premier venu. L’Internet et les médias diffusent l’information à la vitesse de la lumière. Ne permettant même plus à l’homme de réfléchir de façon plus abstraite, plus philosophique à sa découverte. Notre société va trop vite si bien qu’à chaque virage c’est le dérapage qui l’attend. L’homme passe aujourd’hui la plus grande partie de son temps à s’instruire des dernières nouvelles, des dernières découvertes. Il est friand de nouveautés, il veut tout savoir. Il devient donc tellement surchargé par l’information qu’il en oublie parfois le sens profond. L’homme reste aujourd’hui dans le monde du sensible, un monde fermé qui ne lui permet pas de voir la face cachée de chaque chose. Platon se retournerait dans sa tombe, s’il réalisait à quel point l’homme sur-informé, et le scientifique oublient tous deux de se poser l’ultime question à l’heure d’utiliser leur génie créatif : « cela est-il Bon , cela est-il Juste ? ». Lorsqu’on ne pense pas on agit mal, lorsque l’on crée ou  que l’on utilise la science sans faire appel à notre conscience on agit donc forcément mal.

   Le fait d’utiliser notre connaissance dans le but seul du profit maximum et de la popularité nous amène vers les pires déluges. Ainsi nous construisons, sans en prendre conscience, nos pires ennemis. La maladie de la vache folle, la bombe H, le transgênique la démagogie, et le clonage, sont le miroir des dérapages trop fréquents de notre société qui ne sait plus que penser dans les basses sphères du concret, sans essayer de voir un peu plus loin ce qu’il pourrait en découler.

Le développement technique et scientifique donne à l’homme les moyens de s’affranchir des contraintes naturelles et des contraintes pénibles du travail. Mais elle n’indique pas à l’homme si les conséquences de cette double libération sont souhaitables. En ce sens le vœu de Descartes n’a pas été entendu. Certes, Descartes appelait de ses vœux le développement de la médecine en vue de l’amélioration des conditions de vie. Vieillir voire vaincre la mort mais dans quelles conditions de dignité humaine ? Depuis la découverte du génome humain, jusqu’où l’homme peut-il le manipuler ?

L’usage de la technique pose la question de la liberté. Etre libre ce n’est pas faire tout ce que nous voulons. Etre libre ne consiste pas à choisir parmi l’horizon infini des possibles en fonction de notre désir.

Citons encore Le Protagoras de Platon,à travers le Mythe de Prométhée, nous voyons que la technique et la science constituent une menace pour les hommes. Les hommes ont besoin de règles, de lois pour arbitrer leurs relations. En ce sens, la technique et/ou la science sans le savoir politique, sans règles de morale et de justice n’apportent pas la liberté mais la destruction. La liberté est engendrée par le lien entre le développement technique, scientifique et les règles morales.

De plus, le développement des techniques et des sciences est cause d’aliénation de l’homme par le travail. Le capitalisme est le système économique qui vise à l’accroissement du capital, c’est-à-dire du profit. Dans le capitalisme, l’accroissement du profit consiste à payer le moins cher possible la matière première, à faire diminuer le plus possible les charges déterminées par l’État, à réduire les salaires. Si les coûts sont les plus faibles, le profit sera plus grand. C’est le profit pour le profit.

Marx montre avec force à quel point cette conception du travail constitue une forme d’exploitation de l’homme par l’homme. Dans le système capitaliste, l’ouvrier ne fait que vendre sa force de travail pour subvenir à ses besoins dans des conditions auxquelles il doit se soumettre. Le capitalisme a ses riches et ses pauvres, ses profiteurs et ses exclus, ses exploiteurs et ses exploités. Dans le capitalisme, le travail est une marchandise qui subit la loi de l’offre et de la demande. Les progrès techniques et scientifiques permettent ainsi d’augmenter les rendements et donc les bénéfices, alors que les salaires restent inchangés.

 

Dans une première partie, nous avons vu que le développement technique et scientifique permettait une double libération de l’homme à l’égard des contraintes naturelles et des contraintes du travail. Or, dans une seconde partie, nous avons constaté que cette double libération conduit l’homme à une double aliénation à l’égard de la volonté de puissance, de l’indépendance. Comment pouvons-nous sortir de ce paradoxe lié au questionnement sur le fait de savoir si ce développement ne finit pas par nuire à  l’homme ? Certes, ce développement libère une formidable volonté de puissance sur la nature. Formidable est pris au sens de ce qui fait peur. La technique nous éblouit et nous fascine. Nous ne voyons que ce que la technique produit. Mais nous ne voyons pas qu’elle modifie notre rapport au monde voire que la technique nous éloigne de la nature, qu’elle engendre des conséquences sur l’environnement tels que la pollution, le chlordécone…

En effet, nous profitons des bienfaits immédiats que procure la technique. La technique est l’application de la science. Par définition, la technique objective toutes choses. Le monde de la science et de la technique est un monde objectivé et rationalisé. C’est là que réside la critique de Heidegger à l’égard de la technique : « La technique peut se retourner contre la nature. La technique est dangereuse dans la mesure où nous ne pensons pas la technique tant que nous ne l’avons pas comprise. Autrement dit, nous vivons dans un monde philosophiquement inconnu. » Selon Heidegger, la technique aveugle l’homme. Heidegger met en lumière la relation « d’arraisonnement ». Cette métaphore de l’arraisonnement signifie que l’homme met la nature « à la raison », c’est-à-dire que l’homme réduit la nature par la force à donner ce qu’elle produit. La technique est le pirate de la nature en la pillant et en la volant.

 Le développement des techniques et des sciences est une injonction humaine faite à la nature de céder sa puissance, sa richesse. Il est dangereux parce que l’homme perd son rapport authentique à la nature.

 

 

Le développement des sciences et des techniques on le voit bien n’est donc pas qu’une source de bienfait mais conduit réellement à la nécessaire prise en compte des risques majeurs qu’il engendre. Mise entre les mains d’êtres sans conscience,il peut affliger à notre société toute entière les pires supplices (pollution, nucléaire…).

Pourtant la science c’est le propre de l’homme. L’homme en a un besoin vital, il doit connaître toujours plus, toujours plus vite et toujours plus loin. Il veut comprendre, apprendre pour pouvoir à son tour créer. Beaucoup critiquent notre science moderne et ses dérapages.

Le monde doit pourtant évoluer, comme il l’a toujours fait. Il s’agit là d’une règle à laquelle  nous ne pouvons nous dérober.

Les catastrophes liées à la science sont bien plus montrées et médiatisées que les réussites.

Il finit donc par y avoir une psychose de la découverte, de l’avancée technologique. L’esprit novateur, le génie créatif se perd donc au profit du politiquement correct.

La Suisse par exemple, n’a jamais été si peu créative que ces dernières années, nos génies s'exilent en masse vers des pays où la prise de tête collective est remplacée par un climat propice aux élans créatifs.

Lorsque Rabelais affirma que « science sans conscience était ruine de l’âme » il n’avait pas tord. Bien au contraire cette phrase devrait s’afficher comme une règle qui devrait dominer l’empire scientifique. Les sciences on le sait peuvent être nos pires ennemis si l’on en use à des fins indignes. Le chercheur comme le découvreur devrait utiliser son génie créatif pour l’utilité publique et non pour son seul plaisir. C’est l’égoïsme qui pousse ces chercheurs à aller dans une direction contraire aux bonnes mœurs. Il est donc important de trouver un juste milieu, d’utiliser la science et de l’orienter vers des fins bénéfiques à notre société. L’imagination est notre plus bel outil mais il n’est pas seul. Apprendre sans penser c’est apprendre sans comprendre. C’est encore plus dangereux qu’inutile. Essayons donc d’utiliser tous les outils qui nous sont offerts pour utiliser la science à une juste cause. Ne soyons pas dupes : l’homme évoluera toujours, c’est inscrit dans ses gênes il doit avancer toujours assoiffé de connaissances vers des ères nouvelles. Il doit créer en pesant le pour et le contre de chacune de ses découvertes. Il doit faire de son mieux, faire ce qui lui semble bien pour ses semblables. Mais ne l’oublions pas l’homme fait parti du genre humain, et l’erreur est humaine, ou devrait-on dire l’erreur n’est qu’humaine ?

 

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