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DE DARMSTADT AU GRM: UN NOUVEAU DOMAINE MUSICAL

Publié le 12/12/2018

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DE DARMSTADT AU GRM: UN NOUVEAU DOMAINE MUSICAL. Dans les années cinquante. la vieille définition scientiste de la musique - «un bruit organisé» - prend le pas sur l'étymologie du terme: la mythologie des Muses s'efface devant la conception aristotélicienne ; les mathématiciens et les physiciens du son redistribuent les cartes, remettant «la musique en jeu» suivant des règles édictées par les nouvelles technologies. La commercialisation des semi-conducteurs est l’événement musical de l'époque : électro-acoustique, modulation de fréquence, haute fidélité imposent de nouveaux critères d’écoute et de production. En cinq ans (1950-1955) le grand public découvre le microsillon, le magnétophone, la stéréo et les stations de radio musicales. L’école post-sérielle invente une nouvelle algèbre pour les compositeurs. Entre les séminaires de Darmstadt et les concerts-découvertes parisiens du Domaine musical, une avant-garde iconoclaste prend le pouvoir. En même temps, dans les studios des grandes radios, l’électronique réinvente la musique concrète conceptualisée au début du siècle par les futuristes.

OPÉRA: LA RENAISSANCE LYRIQUE. Au réolé du mythe éternel qui depuis la Grèce antique attire un public passionné et sans cesse renouvelé vers le «spectacle total», l’art lyrique réussit dans ses temples poussiéreux une étonnante métamorphose en douceur. Le répertoire du XIXe siècle en sort grandi: à Bayreuth, c’est la «Sainte Famille» Wagner qui débarrasse la Tétralogie de ses oripeaux tachés par le souvenir macabre des grandes messes hitlériennes; à Milan, ce ne sont plus les bombardements qui font vibrer les murs de la Scala, mais, comme au bon vieux temps, les arias du trium- virât Bellini-Verdi-Puccini magnifiées par le sens tragique de la Callas. Le grand public n’accède peut-être pas encore au saint des saints, mais il n’aura plus besoin de jongler avec les 78 tours pour s’enivrer de ses œuvres favorites. C’est un peu en marge des soirées habillées que le XXe siècle s’invente son propre opéra: les librettistes hésitent entre le drame social et des sujets intemporels, de l’intrigue de boulevard à l’exégèse métaphysique; les compositeurs balancent, eux aussi, entre l’assimilation des vocalises atonales et un savant résumé des chapitres précédents.

 

 

MUSIQUE: LA SURVIE DES ÉCOLES NATIONALES. Une Babel musicale: c’est un peu à quoi ressemble l’avant-garde des années cinquante, digne de la Vienne mondialiste du début du siècle, dont elle s’affirme l’héritière. Les disciples de Webern se retrouvent à Darmstadt, La Mecque polyglotte dont la «série» est l’alphabet commun. Ils sont alors pratiquement inconnus des mélomanes, dont l’écrasante majorité n’est même pas encore prête à admettre la plus petite entorse au système tonal : en musique comme en peinture, le pu-blic essaie encore péniblement de retrouver l’équilibre après un dérapage vertigineux... On siffle au concert comme on ricane à l’exposition ; et, sans l’appui de certains industriels ou des grandes stations de radio, la musique électronique n’aurait jamais poussé ses premiers vagissements! Pourtant, jamais les grandes capitales n’ont applaudi autant de créations. Car, en marge de l’avant-garde cosmopolite, des dizaines de compositeurs moins soucieux de théorie ou d’alchimie continuent d’exprimer leur personnalité dans la tradition spécifique de leur patrie d’origine ou d’adoption.

LA CHANSON: DU TOUR DE CHANT AU 45 TOURS. Tout a commencé, sans doute, le 6 juin 1944... Mais c’est dix ans plus tard que le «débarquement» devient irréversible sur les ondes européennes: désormais les radios s’efforcent toutes de relayer le système «show business», le jazz culbute la java, le mambo scande les mots, et déjà le rock’n’roll montre le bout de sa banane! Unanime, le monde des anciens combattants salue la larme à l’œil le déclin inexorable de la chanson française. En fait, ce qui disparaît pour toujours, c’est son côté parigot, roucouleur et «veillée des chau- mières»; une nouvelle race de poètes bohèmes et de garçonnes affranchies succède sans la supplanter à celle des titis gouailleurs et des mômes persécutées. Le second degré l’emporte, l’ironie remplace la rigolade et désespoir rime avec humour noir. L’existentialisme a au moins gagné sur ce terrain: il a inventé le blues français. Et puis surtout, micros et microsillons permettent toutes les audaces: pour imposer une chanson, plus besoin de s’époumoner, c’est au contraire en susurrant, en minaudant, en jouant sur l’intimité et la confidence que l’on conquiert les cœurs.

 

 

 

JAZZ: REVIVAL CONTRE BOP DUR. Alors que sous l’occupation la «musique de nègres» tolérée par les autorités allemandes permettait aux musiciens français et à quelques «coloniaux» de s’exprimer, la Libération faisait découvrir le be-bop avec le grand orchestre de Dizzy Gillespie en 1948, Miles Davis et Charlie Parker en 1949, mais aussi le «revival» (retour au style New Orléans) qui battra son plein dans les années cinquante lorsque Sidney Bechet, ses Oignons et sa Petite Fleur s’installeront en France, faisant appel à de jeunes musiciens fran-çais, Claude Luter et André Reweliotty. À partir de 1954, le be-bop évolue vers moins d’intellectualisme et plus d’esprit «bluesy», «funky», musique passionnée et passionnante dont Moanin et Blues March for Europe N° 1 deviendront des «tubes» grâce aux Messengers d’Art Blakey. Avec Sonny Rollins et Max Roach, Clifford Brown, trompettiste inspiré, au destin tragique, sera l’un des héros de ce «hard bop» qui fait fureur, tandis que Sarah Vaughan devient la «Divine», que Louis Armstrong et Ella Fitzgerald entament un sublime duo d’amour dans le Porgy and Bess de George Gershwin.

JAZZ: L’UN CHANTE, L’AUTRE PLUS. Né en 1932, aveugle à six ans, Ray Charles, après avoir imité Nat King Cole, devient le «Génie» dès 1955 grâce à une voix unique et à un style original profondément enraciné dans le gospel et le blues. Il réussira à demeurer un authentique jazzman tout en devenant une grande vedette populaire... Ce qui ne sera pas le cas de Lennie Tristano (lui aussi aveugle), pianiste, compositeur, théoricien, fondateur d’un mouvement qui tentera de débarrasser le bop de ses clichés, mais qui restera solitaire, incompris. Succès du Ahmad Jamal Trio: Ponciana et But not for me, disques admirables, se vendront par milliers. Pianiste

 

inimitable, il influencera nombre de confrères dont Bill Evans, McCoy Tyner, Herbie Hancock. En 1959, deux vies aux destins analogues allaient s’arrêter à quatre mois de distance: celle de Lester Young d’abord, le «Président», père spirituel du «cool», saxophoniste à la sonorité et au phrasé uniques, puis celle de Billie Holiday, grande créatrice de musique pure dont la voix sut et sait toujours émouvoir, reflet d’une vie chaotique qu’elle raconta dans son autobiographie, Lady Sings the Blues.

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