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DE L'HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE - Libelle diffusé par VOLTAIRE en 1765, en réponse à la condamnation du Dictionnaire philosophique

Publié le 01/02/2011

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Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront sottise et bénédiction.

Comme ainsi soit que Said-Effendi 1, ci-devant ambassadeur de la Sublime Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l'Espagne et l'Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l'imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l'esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathémiser ladite infernale invention de l'imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées.

1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l'ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.

2° Il est à craindre que parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l'agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.

3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l'imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.

4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes, et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir connaissance. 5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu'ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu'il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de La Mecque; au grand détriment du salut des âmes.

6° II arriverait, sans doute, qu'à force de lire des auteurs occidentaux

qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.

A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles, et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s'instruire, nous défendons aux pères et aux mères d'enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l'ancien usage de la Sublime Porte.

Et pour empêcher qu'il n'entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse 2, né dans un marais de l'Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays : lui donnons pouvoir par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu'il nous plaira.

Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, 1143 de l'hégire.

Libelle diffusé par VOLTAIRE en 1765, en réponse à la condamnation du Dictionnaire philosophique

  1. Ambassadeur de Turquie, il avait établi à Istamboul, en 1721, une imprimerie qui avait été supprimée en 1757.

  2. Il s'agit de Van Swieten, premier médecin de l'impératrice Marie-Thérèse, quatre personnes appartenant à la famille impériale étaient effectivement mortes entre 1761 et 1763. Il combattait les philosophes, et en particulier Voltaire.

Première partie

Résumer ou analyser le texte. Indiquer nettement en tête le mot résumé ou le mot analyse.

Deuxième partie

Choisir dans le texte une question particulièrement importante, en .,préciser les données et exposer, en les justifiant, ses propres vues sur la question.

RÉSUMÉ

Nous Joussouf-Chéribi, muphti du Saint-Empire ottoman, à tous les fidèles.

Nous avons consulté nos vénérables frères cadis et imans de Stemboul ainsi que les fakirs à propos de l'usage de l'imprimerie, nouveauté rapportée de France par un ambassadeur, et décidé sur la foi de Mahomet de la condamner et proscrire en raison de ses défauts.

10 Elle dissipe l'ignorance nécessaire dans les États policés.

20 Elle permet d'améliorer l'agriculture et l'industrie, ce qui entraîne une élévation d'âme et un souci du bien public préjudiciables à la bonne doctrine.

30 Elle entraîne la composition de livres d'histoire véridiques qui nuisent au gouvernement et aux institutions établies.

40 Elle risque de développer la philosophie qui leur révèle des secrets qu'il vaut mieux taire.

50 En répandant l'idée que Dieu est partout, elle risque de nuire au pèlerinage de la Mecque.

60 En diffusant la médecine occidentale, elle peut guérir la peste, contrairement aux volontés de la Providence.

Donc nous interdisons à tous de lire aucun livre, aux parents d'apprendre à lire aux enfants. Nous interdisons même à tous de penser et d'avoir du bon sens. Nous commettons le premier médecin de Sa Hautesse à la garde de cette ignorance générale. Il a tout pouvoir pour faire une chasse sans pitié à toutes les idées.

CHOIX ET DISCUSSION D'UN THÈME

L'ensemble du libelle est paradoxal. Il suffit donc de prendre le contre-pied de toutes les affirmations pour retrouver l'indignation de Voltaire. Il sera facile ensuite de dégager les thèmes essentiels : le livre chasse l'ignorance et rend plus difficile la tyrannie des gouvernements établis... On peut évoquer plus précisément les problèmes de l'information, de l'éducation des peuples, de la liberté de pensée.

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