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Dickens, les Grandes Espérances (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Dickens, les Grandes Espérances (extrait). Dans les Grandes Espérances, Dickens renoue avec le genre du roman d'apprentissage auquel il s'était essayé dix ans plus tôt avec David Copperfield. En retraçant l'odyssée de Philip Pirrit, un enfant du peuple amené à vivre un destin inespéré, il s'illustre dans l'analyse psychologique du développement de la personnalité d'un être plongé dans les aléas de l'évolution individuelle. Fidèle au projet de l'auteur d'aborder la littérature comme un divertissement pédagogique, le récit, en dépit d'un ton souvent fantaisiste, mêle puissance mélodramatique et effusion sentimentale. Les Grandes Espérances de Charles Dickens (chapitre 59) Depuis onze ans, je n'avais vu de mes propres yeux ni Joe ni Biddy, bien qu'ils se fussent souvent présentés à mon imagination, pendant mon séjour en Orient, quand un soir de décembre, qu'il faisait nuit depuis une heure ou deux, je posai doucement la main sur le loquet de la porte de la vieille cuisine. Je le touchai si doucement, qu'on ne m'entendit pas et je regardai à l'intérieur sans être vu. Là, fumant sa pipe à son ancienne place, près du feu de la cuisine, aussi robuste et aussi fort que jamais, bien qu'un peu grisonnant était assis Joe, et, dans le coin, abrité par la jambe de Joe, assis sur mon petit tabouret et regardant le feu, on voyait qui ?... Moi encore ! « Nous lui avons donné le nom de Pip en souvenir de toi, mon vieux Pip, dit Joe, rempli de joie, quand il me vit prendre un autre tabouret à côté de l'enfant (dont je laissai les cheveux tranquilles) et nous avons espéré qu'il grandirait un petit bout comme toi, et nous croyons que c'est ce qu'il fait. « Je le croyais aussi, et je lui fis faire une promenade le lendemain matin ; nous causâmes beaucoup, nous comprenant l'un l'autre parfaitement. Je le conduisis au cimetière, le juchai sur une certaine pierre tombale, du haut de laquelle il me montra la pierre qui était consacrée à la mémoire de : PHILIP PIRRIP, DÉFUNT DE CETTE PAROISSE, AINSI QUE GEORGIANA, ÉPOUSE DU CI-DESSUS. « Biddy, fis-je en causant avec elle, après le dîner, pendant que sa petite fille jouait sur ses genoux, il faudra que tu me donnes Pip un de ces jours, ou qu'au moins tu me le prêtes. -- Non, non, dit doucement Biddy, il faut que tu te maries. -- C'est ce que disent Herbert et Clara ; mais je crois que je n'en ferai rien, Biddy : je me suis si bien installé chez eux, que cela n'est même pas du tout probable. Je suis déjà un vieux garçon endurci. « Biddy baissa les yeux sur son enfant, et porta les petites mains à ses lèvres ; puis elle mit sa bonne main maternelle, avec laquelle elle l'avait touché, dans la mienne. Il y avait quelque chose dans cette action et dans la légère pression de l'anneau de mariage de Biddy, qui avait en soi une douce éloquence. « Cher Pip, dit Biddy, es-tu bien sûr que ton coeur ne bat plus pour elle ? -- Oh ! oui !... Je ne le pense pas, du moins, Biddy. -- Dis-moi comme à une vieille... vieille amie, l'as-tu tout à fait oubliée ? -- Ma chère Biddy, je n'ai rien oublié de ce qui a eu dans ma vie une grande importance, et peu de ce qui y a eu quelque importance. Mais ce pauvre rêve, comme je l'appelais autrefois, est envolé, Biddy, envolé à jamais ! « Cependant je savais, tout en disant cela, que j'avais une secrète intention de visiter seul, ce soir-là, l'emplacement de la vieille maison, et cela en souvenir d'elle. Exactement. En souvenir d'Estella. J'avais d'abord entendu dire qu'elle menait une vie des plus malheureuses, et qu'elle était séparée de son mari, qui l'avait traitée très brutalement, et qui avait la réputation d'être un composé d'orgueil, d'avarice, de brutalité et de petitesse. J'avais appris ensuite la mort de son mari, à la suite d'un accident causé par les mauvais traitements qu'il avait fait subir à un cheval. Il y avait quelque deux ans que cette délivrance lui était survenue, et je supposais qu'elle s'était remariée. On dînait de bonne heure, chez Joe, et j'avais largement le temps, sans presser ma causerie avec Biddy, d'aller au vieil endroit avant la nuit ; mais à force de flâner sur le chemin, pour regarder les objets d'autrefois et pour penser au passé, le jour était tout à fait tombé quand j'arrivai. Il n'y avait plus de maison, plus de brasserie, plus de bâtiments, si ce n'est le mur du vieux jardin. L'espace vide avait été entouré d'une grossière palissade, et, en regardant par-dessus, je vis que quelques branches du vieux lierre avaient repris racine, et poussaient tranquillement en couvrant de leur verdure les petits monceaux de ruines paisibles. Une porte de la palissade se trouvant entrouverte, je la poussai et j'entrai. Un brouillard froid et argenté avait voilé l'après-midi, et la lune ne s'était pas encore levée pour le disperser. Mais les étoiles brillaient au-dessus du brouillard, la lune allait paraître et la soirée n'était pas sombre. Je pouvais reconstituer l'emplacement de chaque partie de la vieille maison, de la brasserie, des portes et des tonneaux. Je l'avais fait, et je regardais le long d'une allée du jardin dévasté, quand j'y aperçus une silhouette solitaire. Cette silhouette montra qu'elle m'avait vu, tandis que j'approchai. Elle s'était avancée vers moi, avant de s'arrêter, immobile. En me rapprochant, je vis que c'était la silhouette d'une femme. Quand j'approchai davantage encore, elle fut sur le point de s'éloigner, avant de s'interrompre et me laisser la rejoindre. Puis elle tressaillit comme sous l'empire de la surprise, prononça mon nom, et je m'écriai : « Estella ! -- Je suis bien changée... Je m'étonne que tu me reconnaisses. « La fraîcheur de sa beauté était en effet partie, mais sa majesté si indescriptible et son charme indescriptible étaient restés. Ces attraits, je les connaissais. Ce que je n'avais pas encore vu, c'était le regard adouci, attristé de ses yeux autrefois si fiers ; ce que je n'avais pas encore vu, c'était la pression affectueuse de sa main autrefois insensible. Nous nous assîmes sur un banc près de là, et je dis : « Après tant d'années, il est étrange que nous nous rencontrions, Estella, ici même, le lieu de notre première rencontre ! Y venez-vous souvent ? -- Je ne suis jamais revenue ici depuis lors. -- Ni moi. « La lune commençait à se lever, et je pensai au regard placide dirigé vers le plafond blanc par celui qui n'était plus. La lune commençait à se lever, et je pensai à la pression de sa main sur ma main, quand je lui eus dit les dernières paroles qu'il eût entendues sur terre. Estella rompit la première le silence qui s'était établi entre nous. « J'ai très souvent espéré et désiré revenir, mais j'en ai été empêchée par bien des circonstances. Pauvre, pauvre vieil endroit ! « Le brouillard argenté fut touché par les premiers rayons de la lune, et les mêmes rayons touchèrent les larmes qui coulaient de ses yeux. Ignorant que je les voyais, elle s'employa à les refouler en déclarant tranquillement : « T'es-tu demandé, en te promenant ici, comment il se fait que ce terrain soit dans cet état ? -- Oui, Estella. -- Le terrain m'appartient. C'est le seul bien que je n'aie pas abandonné ; tout le reste m'a quitté petit à petit, mais j'ai gardé ce terrain. Il a été le sujet de la seule résistance décidée que j'aie faite pendant toutes ces années de malheur. -- Doit-on y construire ? -- Oui, on finira par là. Je suis venue ici pour lui faire mes adieux avant ce changement. Et toi, dit-elle sur un ton d'intérêt qui ne pouvait que toucher quelqu'un d'errant, tu vis toujours à l'étranger ? -- Toujours. -- Et tu t'en sors bien, j'en suis sûre. -- Je travaille beaucoup pour avoir de quoi vivre, et c'est pourquoi -- oui, je m'en sors bien. -- J'ai souvent pensé à toi, dit Estella. -- Vraiment ? -- Ces derniers temps, très souvent. Il y eut une période longue et pénible, où j'éloignai de moi le souvenir de ce que j'avais repoussé quand j'en ignorais parfaitement la valeur. Mais depuis, mon devoir n'a plus été incompatible avec l'acceptation de ce souvenir, et je lui ai donné une place dans mon coeur. -- Vous avez toujours eu votre place dans mon coeur à moi «, dis-je. Et nous gardâmes encore le silence, jusqu'au moment où elle reprit : « J'étais loin de penser que je prendrais congé de toi en prenant congé de cet endroit ; je suis bien aise de le faire. -- Vous êtes bien aise de nous séparer encore, Estella ? Pour moi, partir est une pénible chose ; pour moi, le souvenir de notre séparation a toujours été aussi triste que pénible. -- Mais tu m'as dit autrefois, répondit Estella avec animation : " Dieu vous bénisse, Dieu vous pardonne ! " Et si tu as pu me dire cela alors, tu n'hésiteras pas à me le dire maintenant... maintenant que la souffrance a été plus forte que toutes les autres leçons, et m'a appris à comprendre ce qu'était ton coeur. J'ai été courbée et brisée, mais, je l'espère, pour prendre une forme meilleure. Sois aussi prévenant et aussi bon pour moi que tu l'étais, et dis-moi que nous sommes amis. -- Nous sommes amis, dis-je en me levant et me penchant vers elle au moment où elle se levait de son banc. -- Et continuerons d'être amis une fois séparés «, dit Estella. Je pris sa main dans la mienne et nous quittâmes ces ruines ; et, comme les vapeurs du matin s'étaient levées depuis longtemps la première fois que j'avais quitté la forge, de même les vapeurs du soir s'élevaient maintenant, et dans la vaste étendue de lumière tranquille qu'elles me dévoilaient, aucune ombre visible ne vint suggérer que je serais à nouveau séparé d'elle. Source : Dickens (Charles), les Grandes Espérances, trad. par Charles-Bernard Derosne et Jean-Pierre Naugrette, Paris, Librairie générale française, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« — Je suis bien changée… Je m’étonne que tu me reconnaisses.

» La fraîcheur de sa beauté était en effet partie, mais sa majesté si indescriptible et son charme indescriptible étaient restés.

Ces attraits, je les connaissais.

Ce que je n’avais pas encore vu, c’était le regard adouci, attristé de ses yeux autrefois si fiers ; ce que je n’avais pas encore vu, c’était la pression affectueuse de sa main autrefois insensible. Nous nous assîmes sur un banc près de là, et je dis : « Après tant d’années, il est étrange que nous nous rencontrions, Estella, ici même, le lieu de notre première rencontre ! Y venez-vous souvent ? — Je ne suis jamais revenue ici depuis lors. — Ni moi.

» La lune commençait à se lever, et je pensai au regard placide dirigé vers le plafond blanc par celui qui n’était plus.

La lune commençait à se lever, et je pensai à la pression de sa main sur ma main, quand je lui eus dit les dernières paroles qu’il eût entendues sur terre. Estella rompit la première le silence qui s’était établi entre nous. « J’ai très souvent espéré et désiré revenir, mais j’en ai été empêchée par bien des circonstances.

Pauvre, pauvre vieil endroit ! » Le brouillard argenté fut touché par les premiers rayons de la lune, et les mêmes rayons touchèrent les larmes qui coulaient de ses yeux.

Ignorant que je les voyais, elle s’employa à les refouler en déclarant tranquillement : « T’es-tu demandé, en te promenant ici, comment il se fait que ce terrain soit dans cet état ? — Oui, Estella. — Le terrain m’appartient.

C’est le seul bien que je n’aie pas abandonné ; tout le reste m’a quitté petit à petit, mais j’ai gardé ce terrain.

Il a été le sujet de la seule résistance décidée que j’aie faite pendant toutes ces années de malheur. — Doit-on y construire ? — Oui, on finira par là.

Je suis venue ici pour lui faire mes adieux avant ce changement.

Et toi, dit-elle sur un ton d’intérêt qui ne pouvait que toucher quelqu’un d’errant, tu vis toujours à l’étranger ? — Toujours. — Et tu t’en sors bien, j’en suis sûre. — Je travaille beaucoup pour avoir de quoi vivre, et c’est pourquoi — oui, je m’en sors bien. — J’ai souvent pensé à toi, dit Estella. — Vraiment ? — Ces derniers temps, très souvent.

Il y eut une période longue et pénible, où j’éloignai de moi le souvenir de ce que j’avais repoussé quand j’en ignorais parfaitement la valeur.

Mais depuis, mon devoir n’a plus été incompatible avec l’acceptation de ce souvenir, et je lui ai donné une place dans mon cœur. — Vous avez toujours eu votre place dans mon cœur à moi », dis-je. Et nous gardâmes encore le silence, jusqu’au moment où elle reprit : « J’étais loin de penser que je prendrais congé de toi en prenant congé de cet endroit ; je suis bien aise de le faire. — Vous êtes bien aise de nous séparer encore, Estella ? Pour moi, partir est une pénible chose ; pour moi, le souvenir de notre séparation a toujours été aussi triste que pénible. — Mais tu m’as dit autrefois, répondit Estella avec animation : “ Dieu vous bénisse, Dieu vous pardonne ! ” Et si tu as pu me dire cela alors, tu n’hésiteras pas à me le dire maintenant… maintenant que la souffrance a été plus forte que toutes les autres leçons, et m’a appris à comprendre ce qu’était ton cœur.

J’ai été courbée et brisée, mais, je l’espère, pour prendre une forme meilleure.

Sois aussi prévenant et aussi bon pour moi que tu l’étais, et dis-moi que nous sommes amis. — Nous sommes amis, dis-je en me levant et me penchant vers elle au moment où elle se levait de son banc. — Et continuerons d’être amis une fois séparés », dit Estella. Je pris sa main dans la mienne et nous quittâmes ces ruines ; et, comme les vapeurs du matin s’étaient levées depuis longtemps la première fois que j’avais quitté la forge, de même les vapeurs du soir s’élevaient maintenant, et dans la vaste étendue de lumière tranquille qu’elles me dévoilaient, aucune ombre visible ne vint suggérer que je serais à nouveau séparé d’elle. Source : Dickens (Charles), les Grandes Espérances, trad.

par Charles-Bernard Derosne et Jean-Pierre Naugrette, Paris, Librairie générale française, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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