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Dissertation: autobiographie du XXieme siecle

Publié le 05/11/2011

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« Le paradoxe de l'autobiographie littéraire, son essentiel double jeu, est de prétendre être à la fois un discours véridique et une œuvre d'art. » Lejeune, Moi aussi. Cette citation de Philippe Lejeune, qui a longtemps étudié et théorisé l’autobiographie du XXème siècle, souligne l’un des paradoxes de l’autobiographie, qui se veut ouvrage de vérité mais qui conduit souvent l’auteur à recréer le passé sous forme d’œuvre d’art. La question de la capacité de chacun à ne dire que la vérité dans son autobiographie est beaucoup posée au XXème siècle, siècle des plus grands autobiographes, mais aussi des débuts de l’autofiction. La frontière entre fiction et autobiographie devient de plus en plus étroites. L’écrivain Michel del Castillo déclare : « C’est ce qui explique peut être l’étrangeté de mon travail et la difficulté qu’éprouve beaucoup à le définir : les matériaux existent bel et bien, ils relèvent de la réalité, ce sont des éléments biographiques, vérifiables : d’un autre coté, ils appartiennent  la fiction puisque je suis contraint d’inventer l’ordre des séquences, la succession des plans et jusqu’à leur valeur […]. Je ne dis pas la vérité, je la fais. »  En se demandant si cette citation peut s’appliquer à l’autobiographie en général, on remarque que d’après del Castillo, il est impossible d’écrire une autobiographie dans le sens qu’elle se définie au départ. En effet, en voulant dire la vérité, on est contraint d’utilisé des éléments fictifs. C’est la que se trouve le paradoxe, l’autobiographie qui est une œuvre basée sur la vérité des faits qui la composent est en partie une fiction. La question qui nous vient à se poser est donc si la vérité dans une autobiographie ne proviendrait pas, plutôt que des faits ou des souvenirs concrets, de la manière dont l’auteur les assemble, les compose tels une œuvre d’art, contraint pour cela d’utilisé la fiction. Dans un premier temps, nous verrons que l’autobiographie est définie au départ comme une entreprise de vérité, puis  que paradoxalement à cette définition, que l’auteur réinvente inconsciemment son passé par souci de mémoire ou d’influence de soi. Pour finir nous montrerons que les autobiographes jouent de ce souci de vérité des faits racontés pour donner un coté esthétique à leurs ouvrages qui, par la forme, nous rapproche vraiment de leur propre vérité.

 

L’autobiographie a longtemps été définie comme un genre qui se veut véridique sur la vie de l’auteur. Les textes fondateurs insistent en premier lieu sur le fait de ne dire rien que la vérité, puis il y a aussi le pacte autobiographique, le lien entre l’auteur et le lecteur. L’utilisation de faits réels et précis dans les autobiographies montre bien la volonté des auteurs de dire la vérité.

Lorsque Saint Augustin écrit son ouvrage en 397-398 sur sa propre vie, qualifié plus tard d’une des premières œuvres autobiographiques, il a pour volonté de se faire pardonner ses péchés devant Dieu et devenir un être bon:  « car en Lui le juste est délecté, car Il est lui même le bien délicieux des cœurs droits ». La vérité entière, sans la moindre omission des passages les plus sombres de sa vie, est requise pour devenir un « cœur droit » comme il le déclare. En effet, pour que Dieu puisse pardonner nos péchés, il faut tout d’abord les avouer, comme dans le cas d’une réelle confession, où le prêtre demande à chaque croyant d’énumérer tous ses péchés. Au départ, l’autobiographie était une mise à nu face une instance supérieure, ici Dieu mais Rousseau lui  se présente en toute vérité devant tout ses lecteurs et non plus Dieu. Comme Saint Augustin, il reprend le nom de Les Confessions (1765-1770) pour son ouvrage. Il se présente comme s’il était face à un tribunal venu pour juger ses propos qui se veulent le plus véridiques possibles. « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme sera moi ».  L’entreprise de Rousseau a donc pour but de présenter la vie d’un homme, de manière la plus réelle possible, pour pouvoir la juger mais aussi en prendre exemple. Le travail de Rousseau, qu’il qualifie de complètement novateur à son époque est donc basé sur la vérité des faits racontés, voilà ce qu’était la notion première d’autobiographie.

Dès Rousseau, le pacte autobiographique apparait dans l’autobiographie. C’est un lien qu’effectue l’auteur avec ses lecteurs. Ce terme est défini par Philippe Le jeune, théoricien de la littérature et spécialiste de l’autobiographie. Ce lien entre l’auteur et le lecteur est un lien de vérité. L’auteur s’engage à travers ce pacte, à raconter sa vie dans un esprit de vérité. En retour, il peut attendre de son lecteur un jugement loyal et équitable. Ce pacte autobiographique est toujours de manière plus ou moins explicite présent dans une autobiographie. En plus de sa fonction de départ, beaucoup utilise le facteur de vérité pour mettre en avant une autre de ses fonctions. Par exemple, le pacte autobiographique de Claude Roy dans Moi je sert à déclarer aux lecteurs en plus de l’acte de vérité, que son autobiographie peut être considérée comme un témoignage, un moyen pour chacun de ne plus se sentir seul : « A tout ceux qui m’ont rappelé que dire Moi je n’est pas poli, mais parfois utile pour apprendre enfin à dire Nous. ». Primo Levi demande dans son pacte autobiographique issu de Si c’est un homme : « Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme. », qu’elle sert d’exemple à ne pas suivre, de témoignage et peut être donner une voix à ceux qui n’osent pas témoigner. Le pacte autobiographique est donc un lien de vérité entre l’auteur et le lecteur, mais sert aussi de donner une fonction à la vérité que l’auteur est sur le point de déclarer.

La vérité dans une autobiographie est aussi caractérisé par la présence de faits totalement vérifiables, comme des dates, des prénoms, des noms de ville sur lesquels beaucoup d’autobiographe prennent appui. Il y a par exemple Marguerite Yourcenar, dans Souvenirs Pieux, qui se voit pour retracer sa naissance devoir travailler de la même manière « que pour un personnage historique ».  Son autobiographie commence donc avec l’accumulation de preuves à la fois matérielles et administrative : « des bribes de souvenirs reçus de seconde ou de dixième main », « des informations tirées de bouts de lettres ou de feuillets de calepins qu’on a négligé de jeter au panier », « des pièces authentiques dont le jargon administratif et légal élimine tout contenu humain ».  Prenons aussi l’exemple de Sartre dans Les Mots, qui commence par sa propre généalogie et raconte la vie de son grand père. Il y a une grande accumulation d’information diverses. Tous ces souvenirs ne proviennent surement pas de lui mais d’autres personnes comme sa mère et son grand père qui lui ont raconté ou bien des recherches qu’il a pu faire. L’autobiographie est donc aussi un travail de recherche sur son propre personnage et part de faits réels, pour pouvoir respecter le pacte autobiographique. Mais certains problèmes comme celui de la mémoire peuvent aller à l’encontre de cette recherche à la vérité.

 

Mais le paradoxe avec la définition se fait vie ressentir avec le fait qu’il est impossible de raconter rien que la vérité dans son autobiographie. Il y a forcément une part de fiction et de subjectivité sur les faits racontés, que ça soit en matière de chronologie, d’importance des faits,… Cela provient en tout premier lieux des problèmes de mémoires, qui obligent souvent à devoir réinventer certain passages du passé manquant dans les souvenirs. Le mythe de soi est aussi un problème lorsqu’on écrit une autobiographie, l’influence de l’auteur sur son personnage du passé est grande et le déforme souvent.

Les problèmes de mémoire sont très récurrents dans une autobiographie et c’est surement ce qui oblige en premier lieu l’auteur à devoir réinventer partiellement certaines parties de sa vie. Les autobiographes, pour pallier à ces problèmes de mémoires font beaucoup usages des modalisateurs, qui permettent de montrer leurs doutes à  propos de leurs dires, avec l’utilisation au présent de verbes tels que : penser, sembler, paraître, prétendre, affirmer, ignorer, croire... (« Je pense qu’elle date de 1938. » W ou le souvenir d’enfance de Perec). L’exemple de Perec pour les problèmes de mémoire est un bon exemple. Dans la partie autobiographique de son livre, il annonce dès le début, c’est difficulté à se souvenir. « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance » est la première phrase. Il ajoute plus tard : « Mes deux premiers souvenirs ne sont pas entièrement invraisemblables, même s’il est évident que les nombreuses variantes (…) que j’en ai faites les ont profondément altérés, sinon complètement dénaturés. ».Ses problèmes de mémoire l’empêchent donc de décrire ses souvenirs en toute vérité. Les problèmes de mémoires sont donc les premières difficultés qui vont à l’encontre de la définition de l’autobiographie et du pacte autobiographique.

L’objectivité totale est impossible lorsque l’auteur raconte sa propre vie. Il y a forcément une part de sa personnalité qui influence sur ce qu’il raconte. L’écriture peut construire une identité qui relève de la fiction, qui pourrait correspondre a un mythe, le mythe de soi. On peut prendre l’exemple de La promesse de l’aube dans lequel Romain Gary fait de lui une sorte de héros romanesque, qui encoure de nombreux dangers, … Inconsciemment, Gary fait autour de lui un mythe personnel. Le lecteur lui-même se demande si tous les faits racontés sont totalement réels. Par exemple, l’épisode de Gary enfant lorsqu’il veut se donner la mort sous un tas de bois et c’est la venue à ce moment d’un petit chat qui lui sauve la vie. Cet épisode comme sortie d’un roman est difficile à croire pour le lecteur. L’ambigüité est très poussée dans cette autobiographie. L’influence qu’à l’auteur sur ses dires empêche la vérité d’avoir totalement sa place dans une autobiographie car il modifie la valeur par exemple des évènements, ou bien la personne qu’il  était avant, influencé par la personne qu’ils sont en écrivant.

 

Le simple fait de raconter n’est donc pas le meilleur moyen pour être le plus proche possible de la vérité. Les autobiographes ont donc cherché un autre accès, en quelque sorte, à cette vérité sur eux même, en ajoutant un coté esthétique. Certains quittent le récit linéaire pour arriver à une autre forme de récit : fragmentaire qui appui sur les sensations et les sentiments. L’apparition de l’autofiction est aussi un moyen de raconter sa vie à travers une vie fictionnelle, caractéristique de notre vécu, de notre personnalité. Enfin la contrainte sur la forme même de l’autobiographie permet souvent d’exprimer un sentiment qui nous à longtemps marquer pendant notre enfance par exemple ou qui a fait surface lors de l’écriture de l’autobiographie.

Le récit fragmentaire fait son apparition dans le courant du XXème siècle avec l’émergence de la psychanalyse. Les auteurs abordent leurs autobiographies comme psychanalyse. Par exemple Sartre qui met en  place la psychanalyse existentielle, c'est-à-dire qui consiste à comprendre le choix originel qu’à fait le sujet. Son autobiographie Les Mots  qui en apparence semble chronologique est en fait une analyse de lui étant enfant pour démontrer que son projet originel, qui est la comédie de toute sa vie était celui d’être écrivain. Le sentiment décrit est celui de la nausée, motif qui revient souvent chez Sartres et qui arrive lorsqu’il se rend compte que toute sa vie est en réalité un ensemble de comédie. Celle de Louis Calaferte, C’est la guerre, est aussi un exemple de récit fragmentaire. Il raconte la manière dont il a vécu la guerre pendant son enfance. Son projet était d’épurer son texte en retirant les descriptions est donc arrivé à une esthétique dénudée, composée de courtes phrases simplement juxtaposées. Le livre est donc écrit comme si c’était l’enfant qu’il était qui parlait, c’est un enregistrement de sensations incohérentes qui permet d’exprimer son sentiment de malaise qu’il ressentait à ce moment là. L’écriture où la vie de Jorge Semprun n’est pas non plus écrit de manière chronologique mais par différent thème (le regard par exemple), et c’est ainsi qu’il pense que son témoignage concentrationnaire devenu une œuvre artistique saura faire réagir les lecteurs : « Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage ». L’autobiographie prend alors une dimension esthétique car elle sort du récit classique et impose une nouvelle forme de récit.

En 1977, apparait un nouveau terme, l’autofiction, inventé par Serge Doubrowsky, qui qualifie un nouveau genre littéraire qui allie l’autobiographie et la fiction. Son livre Fils est un texte fictionnel mais dans lequel il utilise son propre nom. Cela dérange beaucoup les autobiographes car la notion de vérité dans l’autobiographie éclate et la frontière entre la fiction est l’autobiographie est de plus en plus étroites. Mais les fantasmes décrit dans une autofiction peuvent révélateurs de l’identité de l’auteur. André Gide déclare : «  Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman ». En effet en s’inventant une vie, l’auteur met en avant des aspects importants de sa personnalité. Par exemple Hervé Guibert écrit A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Ce livre est un mélange entre autofiction et faits réels de la vie de l’auteur, ce qui lui permet de jouer de la vérité dans l’autobiographie : la réalité se mêle et même se confond avec la fiction. La maladie de son ami Muzil (Michel Foucault) qu’il décrit dans ce roman est aussi la sienne, le ton sec et direct du récit montre est la révélation de son état, de sa déchéance physique et l’approche de sa mort. Georges Perec dans W ou le souvenir d’enfance mélange le roman et l’autobiographie. Un chapitre sur deux est le pauvre souvenir  qu’il a de son enfance, les autres étant le récit d’un fantasme enfantin, une vie qu’il s’était inventé et aimait raconter. Ce récit fragmentaire permet de symboliser cette cassure de son enfance : la mort de ses parents. L’autofiction, l’invention d’une nouvelle vie permet de donner finalement beaucoup d’informations sur l’auteur en lui et d’accéder de plus près sa personnalité.

            Une autre manière que les auteurs ont trouvée pour donner ce coté esthétique tant recherché à leurs autobiographies et d’imposer une contrainte sur la forme du récit en lui-même. L’autobiographie devient alors une œuvre d’art, car la forme même du récit permet de transmettre une sensation, un sentiment …Il y a de nouveau l’exemple de Georges Perec, marqué très fortement par la mort de ses parents pendant son enfance, qui a écrit un texte, La Disparition, dans lequel le manque est marqué par la disparition de la lettre e. Il fait parti de l’Oulipo (Ouvroire de Littérature Potentiel) où l’ont pense que la contrainte formelle est une ouverture à l’imagination mais aussi à l’expression d’un ressenti, d’un sentiment. D’autres écrivent leur autobiographie à la troisième personne. Cela lui donne une forme impersonnelle qui montre par exemple la distance qu’il y a entre la personne qui écrit son autobiographie et celle qu’elle était dans le passé. Par exemple Marguerite Yourcenar dans Souvenirs Pieux, débute son autobiographie par « cet être que j’appelle moi ». Elle ne se reconnait pas du tout dans la personne qu’elle était durant son enfance et le montre à travers cette forme de récit, comme si elle parlait dans son incipit de la naissance d’une autre personne. La forme du récit, la manière dont toutes les informations sont assemblées et présentées au lecteur sont aussi des moyens de transmettre la vérité sur soi.

 

            L’autobiographie est un genre, comme le dit del Castillo, difficile à définir. L’autobiographie est définie comme un genre qui se veut vrai, mais on se rend compte qu’en écrivant leur autobiographie, une part de fiction s’ajoute toujours volontairement ou non. A cause de souci de mémoire ou de subjectivité, les autobiographes sont contraints de rajouter des éléments fictifs sur leurs souvenirs car ils sont incomplets ou ont subit l’influence de leurs auteurs. Mais d’autres jouent de ce coté fictionnel pour donner à leur autobiographie une dimension esthétique qui permet à l’auteur de découvrir la vérité de l’auteur non pas à travers les faits racontés, qui sont souvent dénudés de leur véracité, mais de la forme de leur récit.

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