Devoir de Philosophie

Dissertation littéraire sur les contes voltairiens

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Dissertation littéraire

 

Sujet de la dissertation :

 

Jacques Van Den Heuvel écrit: « Le conte voltairien a cette particularité remarquable que la fantaisie et la vérité intimement mêlées l'une à l'autre s'y renforcent mutuellement. » .

Vous expliquerez et commenterez cette citation en fondant votre réflexion sur le conte philosophique de Voltaire que vous avez étudié et votre lecture personnelle de ses autres contes.

 

    Le siècle des Lumières qui désigne le XVIII ème siècle est une époque marquée par la diffusion du rationalisme philosophique et l'exaltation des sciences en Europe ainsi que le combat de certains écrivains contre l'obscurantisme religieux, l'intolérance et l'inégalité. Voltaire, écrivain et philosophe français, choisira, en plus des traités et des essais, le conte philosophique comme support de ses idées et  contribuera à son âge d'or grâce à Zadig ou la destinée (1747), Micromégas (1752) et Candide ou l'optimisme (1759) entre autres. Ses œuvres intéressent encore aujourd'hui beaucoup de critiques littéraires dont Van Den Heuvel, pour qui : « Le conte voltairien a cette particularité remarquable que la fantaisie et la vérité intimement mêlées l'une à l'autre s'y renforcent mutuellement. ». En effet, « Comment Voltaire associe dans ses contes la fantaisie et la vérité et pour quelle raison? ». Nous devrons tout d'abord relever la fantaisie qui est caractéristique du conte puis commenter la présence de réalité pour enfin analyser l'association de ces deux éléments pourtant contradictoires qui permettent de rapprocher le conte voltairien à un apologue.

 

              Premièrement, étant donné que le conte est un récit divertissant mettant en scène des aventures imaginaires (qu’elles soient vraisemblables ou comportent des éléments merveilleux), Voltaire est contraint d’utiliser la fantaisie dans ses œuvres.

              Tout d’abord, Voltaire dans ses contes a recours à un monde imaginaire pour introduire la situation initiale. Comme dans Micromégas où l'action est localisée non seulement dans un espace lointain mais aussi invraisemblable : « Dans une de ces planètes qui tournent autour de l'étoile nommé Sirius » qui a « au juste vingt et un million six cent mille fois plus de circonférence que notre petite Terre ». Voltaire utilise aussi souvent l'espace des contes orientaux comme dans Zadig où l'histoire est ancrée au « temps du roi Moabdar » (qui n'a pas existé et a été inventé par Voltaire) et à « Babylone » ou encore dans Le monde comme il va qui est situé vaguement en « haute Asie (…) , sur le rivage de l'Oxus » puis dans la Persépolis ancienne. D'ancrer dès le début l'action dans des un espace imaginaire ou un passé lointain est une caractéristique du conte et permet à Voltaire d'utiliser la fantaisie pour faire évader le lecteur et le divertir.

              De plus, Voltaire a aussi recours au registre merveilleux. Par exemple, il insère dans ses récits des éléments magiques comme la métamorphose de l'hermite dans Zadig décrite ainsi: « son habit d'hermite disparut; quatre belles ailes couvraient son corps majestueux et resplendissant de lumière ». Mais Voltaire utilise aussi le registre merveilleux pour créer un monde imaginaire et utopique comme l'Eldorado dans Candide qui est surtout caractérisé par une vision des richesses totalement opposée à celle de l'époque et une société idéale. En effet l'énumération « de l'or, (…),  des émeraudes, des rubis » est associée à de simples « palets » qui servaient de jouets temporaires aux enfants, comme celle du repas , « quatre potages garnis chacun de deux perroquets, un contour bouilli qui pesait deux cents livres, deux singes rôtis d'un goût excellent, trois cents colibris dans un plat, et six cents oiseaux-mouches dans un autre ; des ragoûts exquis, des pâtisseries délicieuses... » décrit après par les habitants comme le repas « d'un pauvre village » et la périphrase « boue jaune » pour l'or démontre une abondance de ressources. En ce qui concerne le mode de vie de ses habitants il est parfait comme l'indique le fait qu'il n'y ait pas de « cour de justice, de parlement » ou de prisons et la personnalité de Sa Majesté. Tous ces procédés qui résultent de l'imagination de Voltaire servent à émerveiller le lecteur comme le ferait un conte traditionnel.             

              En outre, pour respecter le schéma narratif du conte, Voltaire remplit ses œuvres de péripéties ce qui rend alors l’histoire invraisemblable non seulement dans les faits mais aussi dans l'abondance des événements. Cette caractéristique du conte est démontré explicitement par Candide où le héros éponyme est engagé dans l'armée, subit un naufrage et un tremblement de terre ainsi qu'un autodafé, tue un Juif et un Inquisiteur, s'enfuit pour l'Amérique, s'enfuit de Bueno-Ayres, rencontres des jésuites dans la forêt et tue le frère de Cunégonde, échappe aux Oreillons, arrive à l'Eldorado, perd la quasi-totalité de sa fortune en voyageant pour l'Europe, se fait escroquer plusieurs fois et part pour Constantinople et marrie Cunégonde. Tout ces événements se suivent sans presque aucune ellipse de temps comme le démontre le titre du chapitre 5: « Tempête, naufrage, tremblement de terre .. ». De plus, plusieurs personnages morts comme le frère de Cunégonde et Pangloss ou perdus comme Cunégonde et Cacambo se retrouvent avec Candide. D'autres rencontres comme celle de la vielle qui était fille de pape et celle des six rois détrônés sont aussi peu vraisemblables. Pour attirer le lecteur et l'intéresser jusqu'au bout, Voltaire utilise son imagination et la fantaisie pour créer plusieurs péripéties exposés avec un rythme accéléré et presque haletant.

              Donc le fait que Voltaire ait choisi le conte comme support écrit pour divertir et intéresser le lecteur l'oblige à se soumettre à sa forme et ses caractéristiques qui incluent l’immersion du lecteur dans un monde imaginaire dès la situation initiale, l'utilisation du registre merveilleux ainsi qu'un schéma narratif où les péripéties sont exagérées. Cela est la cause principale de la présence de fantaisie dans les contes voltairiens.

 

Deuxièmement, bien que les contes voltairiens contiennent de la fantaisie, nous retrouvons dans ces contes la présence de plusieurs réalités du XVIIIème siècle que Voltaire utilise pour énoncer une leçon de vérité répondant par exemple à la question du Mal sur Terre dans Candide .

Tout d'abord, nous pouvons relever des faits historiques précis et véridiques dans les contes de Voltaire. En effet, l'expédition scientifique décrite dans Micromégas est inspiré de celle de Maupertis qui dirigea un groupe de savants au Pôle nord en 1735. Nous retrouvons aussi dans l'oeuvre de Voltaire, le tremblement de terre de Lisbonne qui eut lieu le 1er novembre 1755 et qui l'émut tant qu'il lui consacra un poème et un passage dans Candide. Effectivement, le tremblement de terre est en premier lieu décrit ainsi : «  les maisons s'écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent » puis des informations véridiques et précises sont données comme le nombre de morts après les secousses : « trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines (…) » ou le fait qu'il y eut un tsunami qui détruisit la flotte et tua plusieurs personnes, comme l'indique cette citation: « la mer s'élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l'ancre ». Les incendies qui détruisirent aussi une partie de la ville sont quant à eux exposés comme « des tourbillons de flammes et de cendres couvr(a)nt les rues et les places publiques ». Le tremblement de terre est un exemple concret et réel du Mal sur terre, bien que ce soit une catastrophe naturelle.

Par ailleurs, Voltaire fait allusion dans ses contes à des caractéristiques sociales et économiques de sa société dans des domaines comme la justice et l'esclavage. Dans Zadig par exemple, le héros éponyme est puni deux fois injustement et au IIIème chapitre, il décrit lui-même la justice en lui attribuant « la pesanteur du plomb, la dureté du fer (…) et l'affinité avec l'or » et au XIIème chapitre, il apprend « qu'on lui avait fait son procès en son absence et qu'il allait être brûlé à petit feu » . Le thème de la justice est aussi repris dans Le monde comme il va, où Babouc se rend compte que en Persepolis « le droit de rendre la justice s'achète comme une métairie ». Quant à l'esclavage, il est décrit par le dialogue avec le nègre de Surinam dans Candide , qui par son histoire nous dépeint ses usages. En effet, le fait qu'il reçoit un « caleçon de toile pour vêtement deux fois l'année » démontre l'état misérable dans lequel il vit quant à la cruauté des marchands d'esclaves elle est dénoncé par la coutume de mutilation comme punition énoncé dans le passage par les citations: « on nous coupe la main » et « on nous coupe la jambe ». La valeur commerciale attribuée à l'être humain lors de l'esclavage est aussi évoqué: « ma mère me vendit dix écus »ainsi que la cause économique : « C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. ». Ces exemples définissent les caractéristiques des institutions de la société de Voltaire et donne une dimension réel au conte.

En outre, Voltaire veut démontrer que le Mal dans le monde provient majoritairement du comportement humain qui peut engendrer par l'abus de pouvoir et le fanatisme religieux la guerre ou de grandes injustices. Ainsi, dans Zadig, le roi Moabdar par jalousie « ...résolut une nuit d'empoisonner la reine, et de faire nourrir Zadig par le cordeau... » et par les passions amoureuses « ...devint fou (…) et sa folie fut le signal de la révolte (…) », ce qui démontre l'abus de pouvoir et le despotisme qui crée des guerres contre les autres empires ou des guerres civiles. Quant au fanatisme religieux, on trouve sa présence dans beaucoup d'oeuvres de Voltaire mais un bon exemple est l'autodafé dans Candide que « les sages du pays » pensaient « … être un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. ». Ainsi, « ...le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangolins fut pendu,... » pour que le tremblement de terre, vu comme une punition pour les pêchés ne se reproduise pas, mais « le même jour la terre trembl(e) de nouveau avec un fracas épouvantable. » ce qui discrédite ce fanatisme religieux. En présentant les défauts de sa société qu'il associe au comportement humain, Voltaire rend réaliste certaines parties de son conte grâce à un ancrage dans le réel.

Ainsi, en exposant des faits historiques et des caractéristiques de sa société qu'il attribue à plusieurs lieux du monde, Voltaire non seulement donne une portée véridique à son conte mais répond à plusieurs questions dont le mal sur Terre dans Candide ou la recherche du bonheur dans Badigeon.

 

En dernier lieu, Voltaire utilise la fantaisie pour mieux dénoncer la réalité de son époque, en associant ces deux éléments son message est transmis avec plus d'efficacité.

D'abord, on peut relever dans plusieurs contes la fameuse arme de Voltaire, l'ironie. En effet, il l'utilise pour dénoncer des thèmes qui lui tiennent à coeur comme la guerre. La guerre est d'ailleurs résumée ironiquement au chapitre III de Candide avec l'oxymore « boucherie héroïque » qui donne l'impression d'associer à la guerre un aspect mélioratif puisqu'elle est considérée par certaines personnes comme une violence noble mais qui en réalité la dénonce sévèrement puisqu'elle est définie comme « une boucherie ». On trouve aussi de l'ironie avec l'énumération « Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. » qui paraît incohérente avec la description du massacre du village où le lexique de la douleur et la destruction est omniprésent. De plus, la métaphore avec un orchestre des instruments de la guerre associée à « ...une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. » critique la soi-disante organisation stricte des combats en lui conférant une connotation maléfique. L'ironie est aussi utilisée lorsque Voltaire attribut le mot « héros » aux Abares et Bulgares qui ont causé tant de supplices. L'ironie sert à divertir le lecteur et relève même du registre humoristique dans quelques passages mais permet aussi une distanciation du lecteur par rapport à l'histoire et est donc au service de la dénonciation.

Ensuite, nous retrouvons surtout l'association de la fantaisie et d'une leçon de vérité dans un conte voltairien grâce à sa caractéristique d'apologue, court récit en prose ou en vert d'un fait fabuleux ou vrai dans lequel l'argumentation implicite révèle une vérité morale et instructive. En premier lieu, comme l'apologue les contes voltairiens contiennent des personnages stéréotypés dont les traits psychologiques et socials sont au service de la thèse comme dans Candide ou l'optimisme où dès le titre, le lecteur devine le thème du conte et la caractéristique de Candide que Voltaire critique. De plus, le schéma narratif du conte avec ses différentes péripéties sert à critiquer différents thèmes et de tirer une leçon pour chaque situation. Néanmoins, c'est la dernière phrase du livre : « ...il faut cultiver notre jardin. » qui est la leçon de vérité du conte. En effet, le XVIII ème siècle voit l'apparition de la première Révolution Industrielle qui loue le développement de l'agriculture que Voltaire pensait pouvait apporter de la richesse à la France. En outre, Voltaire donne aussi une connotation de communitarisme à cette phrase puisqu'il était partisan d'un partage intellectuel et matériel ainsi qu'une lutte unie contre le Mal du monde. Ce message est transmis plus effectivement grâce à l'association de la fantaisie et la leçon de vérité.

Donc grâce à l'usage de l'ironie mais surtout au fait d'utiliser le conte philosophique comme apologue, Voltaire réussit à divertir son lecteur mais aussi à l'instruire en dénonçant des aspects de son époque et en transmettant un message précis.

 

Enfin, Voltaire en choisissant le conte est obligé de respecter certaines de ces caractéristiques qui paraissent fantaisistes cependant il réussit à insérer dans son récit des faits historiques et des leçons de vérités sur certains aspects de son époque. De plus, Voltaire choisit non seulement de plaire son lecteur mais aussi de l'instruire comme le ferait un apologue et donc unit l'imaginaire avec une leçon de vérité. Cette union permet comme l'indique den Heuvel à mieux transmettre le message dénonciateur et didactique de Voltaire dans ces contes . De nos jours, encore beaucoup d'auteurs choisissent l'apologue pour attirait et instruire un plus grand public comme Albert Camus dans La Peste ou encore George Orwell avec La Ferme des animaux.

 

 

 

Liens utiles